Qu’est-ce qu’un croyant cathare ?
Ainsi que cela est le cas dans beaucoup de religions, le terme croyant cathare est souvent employé de façon abusive, généralement par des personnes qui soit ne connaissent pas suffisamment le sujet, soit qui s’illusionnent sur leur état d’avancement.
Le croyant cathare est une personne qui, non seulement est intimement convaincue de la validité de la doctrine cathare qu’elle a appris à connaître finement, mais qui par son éveil, ressent l’absolue nécessité de la pratiquer au mieux de ses possibilités même si son désir de devenir un jour novice et de se faire consoler ne peut être réalisé dans l’immédiat.
La confusion des genres
Les Bons-Chrétiens différenciaient les personnes de leur entourage et réservaient aux croyants, dûment reconnus comme tels, l’apanage de certains rituels comme l’Amélioration.
Cette attitude était due au fait que, pour les Bons-Chrétiens, le croyant n’est déjà plus quelqu’un de comparable au reste de la population. En effet, même s’il n’est pas encore en mesure d’entrer en noviciat que ce soit en raison de son impréparation ou de sa propre volonté, il a franchi un cap important dans la spiritualité cathare du fait qu’il a reçu l’éveil. Nous reviendrons plus tard sur ce point capital.
À côté de ces croyants se trouvaient des sympathisants et des curieux qui parfois pouvaient s’illusionner sur leur état d’avancement personnel, voire sur leur connaissance du Catharisme. Or, ce sont souvent ces personnes qui se retrouvèrent devant les inquisiteurs et qui, cherchant à se dédouaner à titre personnel, témoignaient, qui dans le sens espéré par leurs juges, qui en adaptant le témoignage à leur volonté d’échapper au châtiment du mur perpétuel.
Il est facile de comprendre que, celui qui n’est pas pénétré de l’absolue certitude de la validité de la doctrine cathare, ne peut agir dans son respect puisqu’il y voit un facteur de risque pour ce qui lui importe le plus dans sa situation mondaine : son intérêt immédiat et notamment sa volonté de survivre. Certes, aujourd’hui le risque est rarement mortel à affirmer son engagement cathare, mais il est réellement un facteur d’exclusion sociale, voire familial, tant l’appartenance à une religion non validée par la norme populaire est considérée comme une faiblesse psychologique, voire une déviance sectaire au sens moderne et péjoratif du terme.
En même temps, se penser croyant cathare est une façon d’entrer dans un groupe pour celles et ceux qui ne se sentent plus à leur place dans les groupes existant dont ils commencent à percevoir l’inanité. En fait, il y a plusieurs stades d’évolution à considérer.
D’abord, il y a ceux qui appartiennent à des religions traditionnellement reconnues ou ceux qui sont athées de longue date et qui se trouvent bien dans ces situations. Ils ne se posent pas trop de questions et sont souvent adeptes d’idées reçues et de formules toutes prêtes leur permettant — de leur point de vue — de balayer d’éventuelles objections. C’est parmi eux que l’on trouve une frange heureusement minoritaire qui nourrit l’extrémisme.
Ensuite, on trouve ceux qui sont entre deux états. Ils ne se sentent plus à l’aise dans leur situation de croyant ou d’athée, commençant à en percevoir les limites, voire les incohérences, mais l’inconnu d’un changement de situation les effraie davantage que de conserver leur étiquette initiale. Ils ont donc tendance à chercher des moyens d’adaptation, même si ces derniers sont eux aussi incohérents. C’est le cas des croyants qui remettent en cause une partie des éléments doctrinaux fondamentaux de leur religion sans vouloir admettre que cela fait d’eux des apostats. De même certains athées intègrent des éléments doctrinaux sans oser le reconnaître ou en prétendant que cela est compatible avec leur déclaration d’athéisme. Par exemple, le simple fait pour un athée de poser une condition qui ferait de lui un croyant constitue un déni d’athéisme.
Enfin, il y a ceux qui font un choix de sortie d’un système reconnu et réputé stable — ce qui est largement discutable — pour un état plus ou moins durable mais souvent plus stable que celui qu’il occupaient auparavant. C’est le cas des agnostiques qui conservent l’idée d’une transcendance spirituelle sans pouvoir ou vouloir la nommer, faute d’avoir pu en acquérir une connaissance acceptable. C’est aussi le cas des personnes qui adoptent une croyance non reconnue officiellement, voire dévalorisée. Il ne faut pas confondre ce groupe dont les membres sont suffisamment stables dans leur état spirituel pour se contenter de leur nouvelle conception, avec celui des aigris et des prosélytes. En effet, certains quittent un groupe à regret et comblent leur solitude spirituelle en nourrissant un ressentiment à l’encontre du groupe qu’ils ont quitté, ce qui les pousse à manifester une violence envers ce dernier. Nous avons l’exemple connu d’Augustin d’Hippone qui fut un des plus violent accusateur du Manichéisme dont il avait été un membre actif pendant une quinzaine d’années. D’autres, rejoignent un autre groupe et, à la fois pour se rassurer sur leur choix et pour faire la démonstration de leur engagement, deviennent des ardents et parfois violents défenseurs de leur nouveau choix au détriment de tout autre. L’extrémisme est souvent un foyer d’adoption pour les nouveaux convertis et les événements dramatiques de ces dernières années confirment malheureusement cela.
Le croyant cathare à proprement parler
Quittons les généralités et revenons-en au croyant cathare qui est notre sujet d’étude. Je l’ai dit, le croyant cathare est avant tout un sympathisant qui, grâce à la connaissance et l’étude, a acquis la certitude absolue de la validité indiscutable de la doctrine cathare, ce qui l’a conduit à force d’introspection et d’avancement spirituel à accéder à l’éveil. J’insiste sur l’importance de la connaissance et de l’étude car le Catharisme n’est pas une religion d’aveugles qui suivraient un guide sans réfléchir par eux-mêmes. Je vous renvoie sur ce point à ma publication, page 197 de mon livre, sur la connaissance, l’éveil et le salut.
Ceci dit, nous n’avons pas beaucoup avancé car ils sont nombreux ceux qui pensent en être à ce stade alors que bien peu l’ont réellement atteint. En effet, ce qui signe de façon indiscutable qu’un sympathisant est bien arrivé à l’éveil c’est la révolution que cela va engendrer en lui. Disons-le franchement, ce n’est pas le moment le plus agréable de la vie du croyant. En effet, tout ce qui faisait son quotidien se trouve balayé par la révélation que l’éveil produit en lui. Je retrouve cette situation dans l’image que propose le film Matrix quand Thomas Anderson devient en quelque sorte Néo. En effet, en prenant la gélule rouge, Thomas Anderson se trouve projeté dans un univers totalement inconnu de lui et à des années-lumière du monde rassurant qu’il connaît, dans lequel il se retrouve enfermé dans un cocon de verre et de métal, accroché avec des millions d’autres dans une véritable cathédrale cybernétique, immergé dans une solution nutritive et relié par plusieurs tuyaux métalliques s’insérant dans son corps par des stomates dont il ignorait jusque-là l’existence. Puis, son éveil étant repéré par des robots, son cocon est vidangé dans une tuyauterie et il se retrouve dans un espace sombre et inhospitalier qui s’avère être en fait le vrai monde qu’il découvre pour la première fois. Et son mentor, Morphéus, va lui apporter sa première leçon[1], comme Peire Authié le fit avec Peire Maury[2], dans des termes finalement pas si différents que cela.
Dès lors, le croyant, comme Néo, va pouvoir regarder le monde autrement. Au lieu d’y voir un monde plein de promesses et capable d’être amendé et amélioré, il va prendre conscience d’être dans un univers diabolique où règne l’instinct. L’éveil va donc, par cette révélation brutale, amener le croyant à reconsidérer ses choix et à envisager son avenir de toute autre façon. Fini le confort d’une vie organisée et stabilisée. Maintenant, il faut apprendre à vivre dans l’urgence mais pas dans l’impatience. En effet, le croyant prend vite conscience que c’est par son avancement spirituel qu’il pourra accéder à un renforcement de sa foi seul à même de le conduire à un état compatible avec la grâce divine, unique viatique de son salut.
Il va comprendre que le Catharisme, dans son adaptation du commandement christique[3], dégage deux éléments doctrinaux fondamentaux : l’humilité et la non-violence. Le premier se décline en deux éléments secondaires mais primordiaux : la modestie dans la reconnaissance notre état et l’obéissance envers ceux en qui nous plaçons notre confiance. Le second est absolu, c’est-à-dire qu’il ne déroge en rien à sa ligne même face à des situations qui pourraient sembler corrigeables, car en fait, il se réfère lui aussi à l’humilité.
L’humilité tient au fait que le croyant comprend que nous sommes des serviteurs inutiles ; Dieu n’a nul besoin de nous et pourtant il ne veut ni ne peut se passer d’aucun de nous et c’est pour cela qu’il nous envoie ses messagers afin de nous préparer à recevoir sa grâce quand nous aurons réussi à nous extraire de notre gangue mondaine. Notre incarnation fait de nous des individus inaptes à toute compréhension profonde des choses. Nous sommes leurrés en permanence par nos sens et notre réflexion est polluée par notre instinct de vie. C’est donc logiquement que le croyant va comprendre l’importance de la modestie qui permet en outre de réfléchir et d’apprendre. Cette modestie réelle et non feinte est le moyen d’échapper aux pièges du monde. Comme le disait Socrate : « Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien. »[4], c’est en effet un grand savoir que de comprendre que notre ignorance est totale en la prison de chair qui nous enferme.
Le croyant prend donc conscience de cette situation et du fait que c’est par le retranchement partiel mais constant du monde que l’on peut acquérir une part de connaissance. C’est pour cela qu’il est obéissant envers les Bons-Chrétiens — même s’il ne comprend pas toujours la raison de leurs indications. Le respect de l’ancien, non pas en âge mais en avancement dans la foi, est un fondamental de la règle de justice et de vérité. Donc, un croyant d’aujourd’hui devra lui aussi être obéissant envers les prescriptions des Bons-Chrétiens, même à huit siècles de distance.
On le voit, être croyant n’est pas aisé, mais une fois que l’on comprend ce qui détermine l’état de croyant, il est plus facile de s’analyser et de savoir comment continuer. En effet, il est plus facile d’analyser sa foi, sa compréhension du monde, son humilité et sa modestie ainsi que son obéissance, que d’espérer maîtriser la notion d’éveil directement. Ce sont ces éléments découlant de l’éveil qui nous renseignent sur le fait qu’il nous a touché ou pas. Celui qui hésite sur la validité de la compréhension du monde qu’avaient les Cathares n’est pas éveillé ; celui qui ne parvient pas à accepter son inutilité et sa situation dans l’humilité n’est pas éveillé ; celui qui remet en cause les prescriptions formelles des Bons-Chrétiens n’est pas éveillé. Et celui qui n’est pas éveillé, n’est pas un croyant cathare.
Éric Delmas – 24/12/2016
[1] « Morpheus – Je vais te dire pourquoi tu es ici. Tu es ici parce que tu sais quelque chose. Tu ne peux pas l’expliquer, mais tu le ressens. Tu l’as senti toute ta vie, qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde. Tu ne sais pas ce que c’est, mais tu le sens, comme une aiguille dans ton esprit, qui te rend fou. C’est ce sentiment qui t’a mené à moi. Sais-tu de quoi je parle ?
Néo – La matrice. » Matrix – film américain de science-fiction de Lana Wachowski, Lilly Wachowski (1999).
[2] « Pierre, cela me fait un grand plaisir ! On m’a dit que tu seras bon croyant, si Dieu le veut, et moi, je te mettrai dans la voie du salut de Dieu, si tu veux me croire, comme le Christ (y) a mis ses apôtres, qui ne mentaient ni ne trompaient. C’est nous qui tenons cette voie, et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse (I Jn 3,13) car il a haï aussi notre Seigneur qu’il a persécuté, ainsi que ses apôtres. Nous sommes haïs et persécutés à cause de sa loi, que nous gardons fermement. » Interrogatoire de Pierre Maury – Registre d’Inquisition de Jacques Fournier, vol. 3, trad. Jean Duvernoy. Bibliothèque des introuvable – 2006 (Paris)
[3] Évangile selon Jean – XV, 12.
[4] En fait il s’agirait d’une pensée attribuée à Socrate par Cicéron (Académiques) sur la base de la citation de Socrate concernant ce que la Pythie de Delphes aurait dit à son ami Chéréphon, à savoir, qu’il n’y avait personne de plus sage que Socrate. (Apologie de Socrate 21a- Platon).