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Le cathare dans le monde

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Le cathare dans le monde

L’objectif premier du cathare est de ne plus être du monde, comme cela est dit par Christ d’après les évangiles[1]. Mais, le consolé comme le croyant vit au quotidien dans le monde. Alors, faut-il se tenir à l’écart du monde, pour moins en ressentir les effets, si l’on veut vivre en cathare ? Non, mais il faut acquérir le juste savoir du monde pour que l’intuition, qui est la forme émergée de notre part spirituelle, puisse s’y mêler afin de faire émerger la connaissance qui conduit à l’éveil.

Le savoir du monde

Je pourrais m’en tenir à cette introduction qui contient l’essentiel de ce qu’il faut comprendre, mais pour que vous l’acceptiez en pleine conscience je dois l’analyser plus profondément.
La méconnaissance du monde mène à la répétition des erreurs, comme je l’expliquais déjà dans mon article de 2010, Le marcheur du désert.[2] Une citation de Karl Marx et Friedrich Engels nous le dit également : « Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la revivre »[3]
Il faut donc acquérir un bon savoir de ce qu’est le monde pour, d’une part éviter de refaire les mêmes erreurs qui conduisent souvent aux mêmes résultats, d’autre part pouvoir le décrypter dans sa nature profondément maline et ainsi rechercher notre part spirituelle.
Malheureusement, nous sommes aujourd’hui pleinement pris par le savoir maléfique du monde, tant au point de vue national qu’international, comme le montre une série d’événements auxquels nous sommes confrontés depuis plusieurs mois.

Au point de vue national, les événements du mois dernier sur la loi concernant la retraite montrent que la méconnaissance des règles de notre démocratie et la prégnance égotique nous conduisent à une situation préinsurrectionnelle. Au-delà des motivations des uns et des autres, il ressort de cet épisode que les opposants ne connaissent pas les lois et que ceux qui les connaissent les poussent à agir sans leur dire que c’est impossible.
En effet, un référendum — qu’il soit d’origine présidentielle ou d’initiative partagée — ne peut intervenir pour modifier une loi adoptée qu’à partir d’un an après son adoption. Il est donc illégal d’exiger un référendum sur la loi concernant les retraites avant mars 2024.
Concernant l’usage de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il est clairement utilisé de façon légale quand le gouvernement considère que l’adoption d’une loi est menacée. Cet article est destiné à éviter le blocage de l’action du Parlement comme cela se passe depuis quelques années avec le dépôt de milliers d’amendement (aucune limite n’existe dans la loi), ce qui conduit l’opposition à en abuser pour empêcher d’étudier la loi dans le délai imparti. Donc s’opposer à l’article 49,3 impose logiquement à empêcher le blocage des débats en limitant fortement le nombre d’amendements.

Bien entendu, cet exemple récent n’est pas le seul marqueur d’un manque de savoir de la population qui lui nuit au quotidien. Cependant, il ressort de cela que la petite partie de la population qui maîtrise le savoir, au lieu d’éduquer les autres, se contente de s’en servir dans son intérêt, y compris si cela peut provoquer une situation nuisible à tous. Que ce soit en 1789 ou en 1968, pour ne conserver que les événements les mieux connus, ce ne sont pas les émeutiers, et encore moins la majorité silencieuse, qui ont profité des troubles gravissimes auxquels ont participé activement des personnes sans savoir, mais les sachants qui les ont utilisés dans l’espoir d’évincer du pouvoir les régnants et de les remplacer. Cela a fonctionné en 1789 et cela a échoué en 1968.

Mais le danger pour notre démocratie ne vient pas que de l’intérieur et là encore nous voyons que l’absence de savoir du monde est fortement délétère et dangereuse pour nos démocraties. En effet, l’Europe est encore une fois à feu et à sang parce qu’un dirigeant autoritaire, qui a confisqué le pouvoir dans son pays, cherche à conquérir un territoire qu’il convoite afin de peser sur la destinée de l’Europe au nom de considérations géopolitiques et historiques tendancieuses et erronées. Si nous avions le savoir historique nécessaire, nous ne manquerions pas de voir dans l’enchaînement des événements une triste répétition déjà vécue dramatiquement il y a 85 ans. En effet, le 12 mars 1938, l’armée allemande aux ordres du parti nazi d’Adolf Hitler annexait l’Autriche par la force militaire (Anschluss), faute d’avoir pu y installer un gouvernement de même obédience. Cela ressemble fortement aux annexions russes en Crimée et au Donbass ukrainiens en 2014. En septembre 1938, sous prétexte de la présence d’habitants de culture germanique dans les monts Sudètes de Tchécoslovaquie, Hitler les annexe au Reich allemand dès l’arrivée à Munich des négociateurs italien (Mussolini), britannique (Chamberlain) et français (Daladier) venus régler pacifiquement ce conflit, les mettant ainsi devant le fait accompli. Cela ressemble fortement aux annexions russes des régions de Transnistrie (Moldavie), d’Ossétie du Sud et d’Abhkasie (Géorgie) et de Tchétchénie, sans parler de l’annexion brutale des régions du Donbass (Donetsk, Louhansk) et de celles de Kherson et Zaporija. Début septembre 1939, sous le prétexte d’agressions soi-disant subies par des germanophones polonais, Hitler envahit ce pays malgré l’accord de non-agression signé cinq ans plus tôt et malgré les promesses faites à Munich un an plus tôt. Dès lors, la France et le Royaume-Uni se virent dans l’obligation de déclarer la guerre à l’Allemagne. Le 14 juin 1940, l’armée allemande entra dans Paris, signant une occupation de quatre ans de notre pays. Comment ne pas voir les terribles similitudes de ces événements, même s’il paraît que « l’Histoire ne repasse pas les plats » comme disait Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline ?

Ces explications, aussi détaillées que nécessaire, me permettent de montrer qu’un savoir mauvais ou incomplet met en danger notre sécurité, voire notre vie dans ce monde. Il faut donc se donner la peine d’acquérir ce savoir au lieu de suivre des manipulateurs d’opinion qui sont souvent eux-mêmes dépourvus de ce savoir.

L’intuition individuelle

Si je devais définir une façon dont notre part spirituelle parvient à s’exprimer à notre intellect mondain, c’est sans aucun doute par la voie de l’intuition que je dirais qu’elle le fait.
Qu’est-ce que l’intuition ? Un sentiment confus dont nous ne parvenons pas à définir l’origine ni la méthode d’action. Ce fameux sixième sens est-il lié à notre mondanité ou bien vient-il d’ailleurs ?

Pour autant, toute l’intuition est-elle expression de la part spirituelle ? Je ne le crois pas. Mais aiguiser son intuition permet de favoriser l’expression de la part spirituelle qui, associée au savoir permet de comprendre le monde dans son intimité profonde et ainsi de voir que l’explication qui nous en est généralement donnée est fausse. Ensuite, ainsi aiguisée notre intuition spirituelle pourra rechercher une vérité qui s’approchera sans doute de près de la Vérité.

Mais comment faire pour aiguiser notre intuition individuelle ? Tout d’abord il faut oublier l’idée ridicule selon laquelle on peut faire bien plusieurs choses à la fois. Seuls les ordinateurs sont multitâches. L’homme et la femme doivent se concentrer, s’isoler, pour réfléchir efficacement. Il faut donc prendre le temps de réfléchir sur les problèmes que l’on étudie, ne pas hésiter à parfaire sa documentation, étudier les tenants et aboutissants, rechercher les pièges que nous tend le monde, construire une opinion argumentée à partir de sources vérifiées et croisées pour éviter les manipulations et finir par en tirer une opinion personnelle qu’il faudra ensuite mettre à l’épreuve de la contradiction. Quand on lit Platon, on remarque que la technique rhétorique de Socrate, que l’on appelle la maïeutique, n’est rien d’autre que cela. En partant d’une opinion honnêtement formée chez son interlocuteur, il l’amenait à l’étudier et à la critiquer par lui-même, puisqu’en affirmant ne rien savoir de son côté, il mettait son interlocuteur en demeure de faire tout le travail. Pour l’aider, il lui montrait les conséquences de ses affirmations et ainsi lui permettait de faire le tour de son sujet pour revenir au point initial où sa conclusion était généralement à l’opposé de son affirmation initiale.

Pourquoi cela fonctionne-t-il ? La raison en est simple. Notre intuition intime est le mode d’expression de l’Esprit unique enfermé dans notre corps de chair. Or, l’Esprit unique est l’émanation divine, et comme Dieu est dans la Vérité absolue, il est normal que cela déteigne un peu sur notre intuition. Donc, en abandonnant l’égo qui nous conduit généralement sur le chemin opposé à la Vérité, en ne recherchant ni la domination, ni la réussite en ce monde, nous sommes capables de cheminer vers la Vérité au moyen du véhicule le plus efficace : la Bienveillance.

La connaissance

Le savoir sans l’intuition nous maintient dans l’état animal qui est celui de notre prison de chair. L’intuition sans savoir est une loterie où tout est possible. Mais le savoir combiné à l’intuition crée les conditions d’accès à la connaissance.
Pour autant, disposer de la connaissance ne suffira pas à atteindre l’éveil, car pour cela il faut s’élever au-dessus du monde et donner le pas à l’intuition sur le savoir. En quelque sorte, le savoir est le premier étage de la maison et l’intuition est le deuxième. On ne peut pas se priver ni de l’un ni de l’autre si l’on veut atteindre le grenier où se trouve ce que l’on cherche. Par contre, on risque à tout moment de se décourager et d’abandonner l’ascension pour rester en panne sur l’un des deux paliers, voire régresser jusqu’au rez-de-chaussée.

Le choix des mots est important ; le savoir est ce qu’on acquiert de façon intellectuelle, notamment par l’étude ; l’intuition est un sentiment profond et non une idée fugace qui vous aide éventuellement à faire confiance à une personne ou à choisir les numéros du Loto® ; la connaissance est la révélation de la réalité de ce qui nous entoure dans sa nature réelle. Si le savoir est indispensable, il sans utilité pour aller vers notre salut s’il ne nous conduit pas à la connaissance, ce qui implique d’utiliser l’intuition. Et la connaissance ne peut nous suffire, car elle ne permet que le constat de notre situation. Pour aller plus loin il faut y ajouter la foi. C’est en choisissant à quoi nous sommes prêts à nous abandonner en toute confiance que nous pouvons espérer atteindre le salut, comme le héros du Truman show décide à un moment de ramer vers l’horizon, sans savoir ce qu’il va trouver.

Le cathare en ce monde, qu’il soit consolé ou croyant, peut « lire » dans ce monde comme dans un livre ouvert. Avec un peu d’entraînement, il peut en décrypter les manigances et les pièges et en comprendre les ressorts « survivalistes » aussi ridicules que vains pour mieux choisir la voie de la liberté qui le préparera à quitter ce monde de son vivant et à vivre enfin éternellement.

Guilhem de Carcassonne le 09 avril 2023


[1] « Je ne suis plus dans le monde, mais ils sont dans le monde… » Évangile selon Jean (17, 11).

[2] Le marcheur du désert, site Catharisme d’aujourd’hui.

[3] Karl Marx, Friedrich Engels et al. : Manifeste du parti communiste.

La prison idéale

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La prison idéale

Ainsi que j’en discutais avec un ami, la plupart des gens sont victimes d’un phénomène d’autant plus terrible qu’il ne le perçoivent pas. En effet, la prison mondaine qui nous contraint n’est pas visible et n’est pas ressentie par la quasi-totalité de la population. C’est la prison idéale que celle dont le prisonnier ignore l’existence !

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Le rocher de Sisyphe

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Albert Camus, dans son essai philosophique : Le mythe de Sisyphe, en nous montrant l’absurdité de l’homme découvrant un monde sans rime ni raison, se heurte au mur qu’il a lui-même construit de par son athéisme. Oui, ce monde est absurde et absurde est celui qui veut en suivre les règles selon un schéma rationnel. Quant à celui qui en voit l’absurdité et qui s’en tient là, il est pathétique tout comme il croit Sisyphe pathétique quand, après avoir vu son rocher dévaler la montagne, il le rejoint prêt à le pousser encore et encore.
Mais Sisyphe n’est pas pathétique, tout au plus est-il désabusé ; il ne sait pas pourquoi il doit pousser ce rocher — inconscient d’une punition dont il ne comprend pas le motif —, mais il considère dans l’ordre des choses de se référer à ce qu’il connaît et de recommencer jusqu’à ce que l’autorité dont il se considère dépendant lui dise quoi faire.
Le croyant qui se fie à un Dieu pervers et mauvais n’est pas absurde ni pathétique, il est simplement trompé par les valeurs qu’on lui inculque depuis son enfance et dont il ne peut savoir, a priori, qu’elles sont sans fondement.
L’athée qui réfute Dieu, se moque de Sisyphe, tout en reconnaissant vivre dans le même monde absurde, même s’il n’est pas conscient de pousser lui aussi des rochers pour des motifs aussi absurde puisque sa finitude et la vanité de ses quêtes lui sont parfaitement connues. Qui est le plus absurde ? Celui qui poursuit un espoir insensé sans jamais l’atteindre ou celui qui pense qu’il n’y a pas d’espoir mais qui persiste à vivre ?
Ce qui est absurde ce n’est ni la montagne à gravir, ni Sisyphe, ni la fatigue, ni le découragement, ni la peur d’échouer. Non, ce qui est absurde… c’est le rocher !

Le rocher de Sisyphe est ce qui l’empêche d’atteindre le faîte de la montagne pour découvrir l’autre versant. Tant que Sisyphe considèrera comme normal de devoir pousser un rocher pour atteindre le sommet, il échouera à comprendre ce que Dieu veut pour lui. L’athée ne pousse pas de rocher, il en a un dans chaque œil qui lui interdisent de voir la montagne qui le sépare de l’espoir et d’où émane une lueur diffuse qui pourrait l’appeler à la rejoindre. Il oublie la phrase que Michel Audiard met dans la bouche de Lino Ventura dans le film : Un taxi pour Tobrouk : « Un imbécile qui marche ira toujours plus loin que deux intellectuels assis. »
Si l’un marche en supportant un handicap insurmontable, l’autre refuse de marcher au motif qu’il ne veut pas envisager que la montagne puisse avoir un autre versant et que ce dernier puisse être verdoyant et accueillant.
Le problème est bel et bien l’absurdité du rocher, qu’on l’imagine imposé par Dieu ou qu’on le porte en soi jusqu’à l’aveuglement définitif.
Ce que ni Sisyphe ni Camus n’ont compris, c’est qu’il y a une autre voie qui elle résout tout le problème et nous sauve. Cette voie Socrate, sous le calame de Platon, nous l’indique dans La République. Celui qui est attaché à la paroi rocheuse et qui regarde passer les silhouettes que l’on manipule dans son dos pour le tromper, est coupable de se laisser berner sans se poser de question. Mais celui qui manipule les silhouettes, en riant de sa prétendue bêtise, l’est tout autant, car il aperçoit la lumière qui émane de l’entrée de la caverne et n’ose pas se diriger vers elle en acceptant de tout perdre en le faisant.
En effet, celui qui a tout compris va se diriger vers la sortie, car il a enfin compris que s’il voit l’un de ses congénères abusé, il est vraisemblable qu’il le soit lui même. Il agit donc de la seule façon pertinente. Car la seule façon pertinente, du moment que l’on comprend que l’on est probablement victime d’un leurre, est de chercher à acquérir la connaissance suffisante pour le révéler ou l’infirmer. En effet, ce n’est qu’une fois correctement informé que l’on pourra décider en conscience et en connaissance de cause du choix que l’on voudra faire.
Mais acquérir la connaissance, tout comme se déplacer dans la caverne vers la sortie, est un chemin semé d’embûches et douloureux. Comme l’homme de la caverne qui souffre de regarder, d’abord le feu, après n’avoir vu que les ombres, puis la clarté bien plus vive que le feu et enfin le soleil à la clarté à nulle autre pareille, plus nous regardons vers la vérité, plus nous souffrons et beaucoup préfèrent revenir à leur rocher dont le confort est infiniment moins douloureux. De même, si nous réussissons à atteindre la sortie et que nous en contemplions la splendeur, nous comprendrons combien nos anciennes valeurs sont désuètes et ridicules.
Si Sisyphe avait pu comprendre cela il aurait su que la seule solution est l’abandon du rocher au profit d’une marche libre et Camus aurait compris que la solution n’est pas de critiquer celui qui échoue, mais qu’il faut aller à sa rencontre et l’aider à réussir, car sa réussite est la nôtre.

Sisyphe, Camus, l’homme de la caverne et nous mêmes devons comprendre que pour marcher vers la lumière il faut voyager léger. C’est en déposant nos rochers, en acceptant l’incertitude du monde que nous donne à voir le démiurge, comme le dit Jésus par l’Évangile selon Matthieu1, que nous serons en mesure d’atteindre l’autre côté de la montagne, la sortie de la grotte, où le moment venue la vérité nous éblouira avec bonheur.

1 – Matthieu VIII, 19. : Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel, des nids, et le fils de l’homme n’a pas où reposer la tête.

Testis unus, testis nullus

2-3-Le catharisme au quotidien
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Cette locution latine est utilisée dans le domaine du droit, mais aussi de l’historiographie et se traduit par : un seul témoin, pas de témoin.
Elle serait tirée de la Bible hébraïque, plus précisément du Deutéronome : « Un seul témoin ne pourra se dresser contre un homme pour quelque faute ou quelque péché que ce soit, de quelque péché qu’il ait péché, mais sur le dire de deux témoins ou sur le dire de trois témoins l’affaire sera réglée. » (Dt XIX, 15).
Elle démontra autant la fragilité du témoignage que celle de sa réception, c’est-à-dire la facilité avec laquelle nous sommes susceptibles de nous laisser influencer.
Je voudrais vous faire partager ma compréhension de l’importance que j’attache à la prudence, surtout quand il s’agit d’écrire l’Histoire ou de conforter sa foi.

La fragilité du témoignage

Comment les sens nous trompent

J’ai gardé comme une blessure un événement de ma vie, déjà très ancien, qui m’a fait toucher du doigt la vanité de l’image que l’on peut avoir de son honnêteté personnelle et du danger qu’elle présente pour les autres.
Ce jour-là, je déambulais sur l’avenue Denfert-Rochereau, dans le 14e arrondissement de Paris, quand, derrière moi, j’entendis le bruit d’une voiture heurtant un piéton. Me retournant quasi instantanément je vis le piéton au sol et la voiture deux mètres plus loin arrêtée, feux stop allumés. Je me précipitais au secours du piéton, étant alors déjà actif dans les premiers secours, afin de faire le bilan de son état. Comme la voiture ne menaçait pas de partir, vu que son conducteur en descendait, je me concentrais sur la victime, heureusement peu touchée. La police arriva en premier et les pompiers ensuite qui prirent mon relais. Un policier m’interrogea alors afin de recueillir mon témoignage puisque j’étais une des personnes les plus proches de l’accident. Je lui racontais ce que j’avais vu, le piéton au sol et la voiture qui l’avait renversé quelques mètres plus loin. C’est alors que je reçus un choc. Le policier m’indiqua que les autres témoins avaient une version différente de la mienne. Ce n’était pas ce véhicule qui avait renversé le piéton, mais autre garé juste devant. Le véhicule que j’avais vu avait simplement dépassé la zone du choc pendant que je me retournais et s’était ainsi intercalé entre la victime et celui qui l’avait percuté.
Lorsque nous vivons un événement traumatisant le temps se contracte et se dilate dans notre psyché. Quand vous êtes au cœur de l’événement il vous semble durer plus longtemps et quand vous en êtes témoin il semble se contracter et les événements se bousculent devant vos yeux. En fait, comme beaucoup de témoins, et cela je l’ai souvent vécu lors de mes interventions en secourisme routier ou avec le SAMU, mes sens avaient réalisé des associations d’idées à partir des images que j’avais captées et avaient construit un scénario crédible qui s’était imposé à moi comme la vérité. Si j’avais été le seul témoin, si l’autre automobiliste s’était enfui et si la victime avait été inconsciente, le second automobiliste se serait vu imputer la responsabilité de l’accident sur mon témoignage. Et peu importe que les constatations l’aient ensuite lavé de tout soupçon, cette personne aurait souffert d’une injustice par ma faute.

L’objectivité du témoin

La bonne foi et l’honnêteté intellectuelle ne font rien à l’affaire. Contrairement à ce que pensent beaucoup l’objectivité est un mensonge plus grand que l’existence de Nessie, le monstre du Loch Ness.
L’objectivité serait la capacité d’un individu à faire abstraction de sa culture, de son éducation, de sa personnalité et de ses opinions à chaque fois qu’il exprime une idée. Les journalistes qui présentent le journal télévisé se réunissent en conférence de rédaction pour mettre en commun leur lecture d’un événement afin d’en faire une synthèse qu’il pensent être objective. Calembredaine que cela ! Ce qui sort de cette conférence, c’est la subjectivité majoritaire ou bien celle du journaliste le plus charismatique, voire simplement la décision du rédacteur en chef. Et quand il s’agit de l’expression d’un seul individu, c’est encore pire puisqu’il n’y a aucun filtre qui puisse tempérer son opinion. Mais, la plupart du temps celui qui s’exprime est persuadé d’être objectif, tout comme l’est celui qui, recevant son opinion la fait sienne sans la comparer à d’autres et sans y faire porter un esprit critique.
Quand nous lisons un texte, il peut nous parler profondément ou, au contraire, nous heurter. Dans le premier cas nous serions tentés de considérer qu’il s’agit de la vérité et dans l’autre que c’est un bricolage ou un ramassis de mensonges. Explorons cette analyse.
Je suis un croyant cathare absolu. Quand je lis Le livre des deux principes de Jean de Lugio de Bergame je ne trouve rien à y redire. Cela me parle au plus profond de moi et cela coule de source selon mon intelligence et mes convictions religieuses. Par contre, quand je lis Le Rituel de Dublin, attribué par Anne Brenon à Didier de Concorezzo, cela me heurte et me semble incohérent et mal ficelé. Est-ce une opinion objective ? Non, bien entendu, c’est simplement mon analyse, comme je l’indique à chaque fois que je veux commenter les textes que je publie. Quoi que je pense de ces auteurs et de leurs opinions, je sais que je le fais à l’appui des mes propres préjugés et qu’un autre en aura une lecture différente. Alors, comment vais-je faire pour savoir si tel ou tel texte est fiable ou pas ? La solution est dans le titre de cet article. Je ne peux pas me fier à un seul témoignage, donc je dois accumuler les informations diverses et variées afin de créer un entrelacs d’où je tirerai une information plus crédible, ce qui ne voudra pas dire qu’elle sera objective pour autant. Mais au moins aurai-je des arguments et des sources pour appuyer ma théorie.

La « vérité » des textes

L’authenticité des auteurs

Après sa condamnation à mort, qui nous est relatée par son disciple Platon dans L’apologie de Socrate, le grand philosophe retrouve ses proches amis, venus le convaincre de fuir — ce qui le sauverait et arrangerait bien ses juges, bien embêtés d’en être arrivés à une telle extrémité. Ceux qui ont lu Phédon le savent, Socrate refusera et boira la cigüe afin de rester en cohérence avec sa pensée et son enseignement. Ce dernier texte de Platon est un morceau d’anthologie. Il nous décrit les paroles du maître, ses états d’âme et les remarques de ses amis avec la précision d’un orfèvre façonnant la pierre précieuse qu’il tient en main.
Il y a juste un tout petit problème : Platon n’a jamais assisté à cette scène qu’il raconte selon les témoignages des personnes présentes et sur la base de sa connaissance de Socrate.
Et pourtant, non seulement un lecteur non averti pourrait considérer qu’il s’agit d’un témoignage de première main, mais c’est tout juste si l’on ne pourrait pas dire que l’on assiste nous aussi à cette scène tant elle est rendue avec précision et intensité.
Ce problème se rencontre dans bien d’autres situations. Le seul point commun entre Bouddha, Socrate et Jésus est l’incertitude qui les entoure, comme le dit si bien Frédéric Lenoir dès le premier chapitre de son livre[1]. En effet, nous n’avons aucune trace ni aucune preuve que ces grands hommes, qui ont façonné trois grandes philosophies, aient simplement existé. Ils n’ont rien écrit personnellement et les témoignages que nous avons d’eux furent écrits quelques années pour Socrate, quelques décennies pour Jésus et quelques millénaires pour Bouddha après leur mort putative.
Pour autant nous sommes nombreux à considérer que l’un ou l’autre, voire les trois, ont vécu et parlé comme nous le disent les textes qui leur sont attribués.

La fiabilité des textes

Quoi de plus fragile qu’un texte ? En effet, derrière chaque texte nous trouvons un homme avec sa subjectivité qui nous donne la version qu’il veut nous faire partager. Qu’il soit honnête, comme je veux le croire de Platon et de Jean de Lugio, ou qu’il mente pour des raisons qui lui sont propres, comme Jules César et Flavius Josèphe, peu importe en fait. Leurs textes sont à la fois intéressants et dangereux. Intéressants car ils décrivent un contexte et des pensées et laissent filtrer des informations malgré leur auteur qui nous permettent de reconstruire une vraisemblance. Dangereux car, en fonction du talent de l’auteur, nous pouvons nous laisser prendre à son histoire et confondre récit et vérité. La guerre des Gaules de César fut longtemps considérée comme un récit historique indiscutable et fut utilisé pour brosser les portraits des chefs gaulois. Or, il n’y a aucun autre témoignage sur ce sujet. Testis unus…
Quand nous pouvons comparer il devient plus facile de comprendre que ces textes sont discutables. C’est le cas des évangiles. Même les canoniques (Matthieu, Marc, Luc et Jean) ne sont pas d’accord entre eux ! Alors si vous y rajoutez les apocryphes, parfois appelés aussi les gnostiques, vous n’avez aucun mal à comprendre qu’il faut s’en méfier.
Mais ce qui fait la fiabilité d’un texte n’est pas sa cohérence avec d’autres ou son unicité. C’est aussi, et je devrais dire, c’est surtout la façon dont nous le recevons. Or, cette réception dépend de bien de choses. Notamment et nous l’avons dit, de notre propre subjectivité, mais aussi du talent de l’auteur. Un romancier comme James Hadley Chase, maître du thriller, avait compris qu’un récit à la première personne touche plus le lecteur qu’un récit mené de l’extérieur. Il alla même jusqu’à faire raconter son histoire à un personnage qui meurt avant la fin du livre !
Avec ma modeste expérience de lecteur assidu, qui a épuisé plus d’un millier de livres, je peux dire qu’il me semble que la meilleure façon d’éviter ces pièges est de comparer, de confronter ce qui nous semble bon ou mauvais à d’autres sources comparables afin de voir si la première impression est la bonne. Et, bien entendu, veiller à ne pas se circonscrire à des documents de même obédience ou de proximité avec celui que l’on veut apprécier. Cela n’interdit pas ensuite d’en revenir à la même opinion que celle que l’on avait auparavant, mais au moins cette fois, il nous sera permis de penser qu’elle est construite et défendable avec de bons arguments.

Les choix essentiels

Il y a lecture et lecture

Si ce que je préconise peut sembler un peu lourd comme procédure, il faut savoir qu’il y a lecture et lecture. Certes, un roman étant par définition romanesque n’oblige pas à une démarche critique. Mais, le journal d’information est un exemple type de ce que je dis. Autrefois, quand la presse écrite foisonnait, il était courant d’acheter deux ou trois journaux le matin en fonction des courants politiques qu’ils incarnaient : L’Humanité pour les communistes, le Figaro pour la droite gaulliste, l’Unité pour les socialistes, etc. Cela permettait de connaître l’approche des mêmes événements et situations selon le point de vue de chacun et ainsi, de se construire sa propre opinion.
Concernant les sujets profonds, comme la philosophie, l’histoire, la politique, la religion, etc. il est essentiel de faire de même car si on se laisse envouter par une première lecture, c’est-à-dire par un auteur, on sera manipulé sans le savoir et sans forcément que l’auteur en question l’ait voulu. Il faut donc étudier le même sujet sous les différents angles que proposent ceux qui l’ont étudié avant nous. Comme disait un ami récemment, il faut se poster sur les sept collines de Rome si l’on veut voir la ville comme il convient. C’est un peu la morale de la fable jaïn des aveugles et de l’éléphant dont je parlais dans ce site il y a peu de temps.

Un choix mûri

Une fois acquis une connaissance élargie du sujet, il sera temps de se faire sa propre analyse et d’en tirer les conclusions qui conviendront à notre approche personnelle.
Ce qui importe est de dégager le sujet de l’enveloppe que constitue la forme écrite qui l’aborde afin de l’appréhender dans sa profondeur. Pour en revenir aux exemples cités en début de mon texte, lire Socrate revient à comprendre que l’on lit l’opinion de Platon sur Socrate, comme lire un évangile revient à lire l’opinion de telle ou telle école chrétienne sur Jésus.
Il faut considérer ces textes pour ce qu’ils sont et essayer d’en tirer le moyen de se construire sa propre opinion. Une fois cela fait, on sera en mesure d’en tirer des moyens de progresser dans connaissance ou dans sa foi.

[1] Frédéric Lenoir. Socrate, Jésus, Bouddha. Trois maîtres de vie. 2009 – Librairie Arthème Fayard (Paris)

Éric Delmas, le 13/03/2017.

Être croyant cathare aujourd’hui

2-3-Le catharisme au quotidien
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Qu’est-ce qu’un croyant cathare ?

Ainsi que cela est le cas dans beaucoup de religions, le terme croyant cathare est souvent employé de façon abusive, généralement par des personnes qui soit ne connaissent pas suffisamment le sujet, soit qui s’illusionnent sur leur état d’avancement.
Le croyant cathare est une personne qui, non seulement est intimement convaincue de la validité de la doctrine cathare qu’elle a appris à connaître finement, mais qui par son éveil, ressent l’absolue nécessité de la pratiquer au mieux de ses possibilités même si son désir de devenir un jour novice et de se faire consoler ne peut être réalisé dans l’immédiat.Read more

Lettre de Paul aux Romains – 14

4-2-Bible
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Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.

Lettre aux Romains

Chapitre 14

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La liberté d’expression

2-1-Philosophie, sociologie

On fait généralement remonter à la Révolution française le principe de la liberté d’expression. En fait, il est vrai qu’elle est alors devenue la règle, mais elle était déjà pratiquée et réprimée depuis longtemps. Après avoir connu des hauts et des bas dans sa méthodologie et dans son champ d’application qui ont, de fait, défini ses limites et celles de sa répression, elle est aujourd’hui encadrée de façon souple et appréciée au cas par cas par les tribunaux afin de compenser en permanence les tentatives de transgression dont elle l’objet permanent, dans un sens comme dans l’autre. C’est ainsi, que certains pouvoirs se sont vus déboutés quand ils essayaient de faire valoir ce qu’ils considéraient comme des excès et que certains humoristes l’ont été également quand ils ont tenté d’en élargir le cadre.

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La connaissance et la foi

2-3-Le catharisme au quotidien

Dans beaucoup de religions la connaissance et la foi sont souvent opposées car la première est parfois considérée comme une négation de la seconde. Cette crainte de la connaissance est imagée dans la Bible par l’épisode de la tour de Babel où Dieu punit les hommes, qui ont cherché à s’approcher de lui, en provoquant l’apparition de la diversité linguistique qui va rendre le travail commun impossible.

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