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666 : le nombre de la Bête

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666 : le nombre de la Bête

L’Apocalypse de Jean

Ce document dont la fonction principale était de ramener les communautés externes — c’est-à-dire pagano-chrétiennes —, et notamment pauliniennes au sein de l’Église catholique et apostolique romaine, utilise la peur comme moteur principal. Dans son chapitre 13, l’auteur nous décrit deux bêtes qui assistent le dragon[1] ou antique serpent (satan) dans sa lutte contre l’archange Michel[2].
Ce choix n’est pas anodin, car il vise à se relier aux quatre bêtes de la vision du livre de Daniel et également au tandem Leviathan-Béhémot[3] de la littérature judaïque antique. De la même façon la première bête[4] est d’origine marine, qui représente le pouvoir romain païen, est assistée d’une seconde[5], d’origine terrestre qui représente les faux prophètes. Si Daniel évoquait les quatre empires redoutés des Hébreux (babylonien, perse, mède et grec), Jean vise plus particulièrement ce qui est au service du diable, c’est-à-dire le pouvoir et l’argent.

Le nombre de la Bête[6] est la marque de l’asservissement à son autorité, c’est-à-dire du choix volontaire de ceux qui se mettent au service du Mal. On pourrait aujourd’hui associer chacun des chiffres qui le composent aux trois éléments de cet asservissement : l’argent, le pouvoir et l’égo (égoïsme et égocentrisme). Comme je l’ai présenté dans mon article de 2020 : Qui est l’Antéchrist ?, l’asservissement à ces trois facettes du Mal nous maintient prisonniers du monde et nous empêche de cheminer vers notre salut.
Parmi les interprétations des nombres dans la Bible, je retiens le fait que 6 correspond à ce qui n’est pas fini par différence avec 7 qui désigne la finitude accomplie.
Cet ensemble, symbolisé par ces trois chiffres, est aussi appelé l’Antéchrist puisque sa fonction est justement de s’opposer au Christ.

Les trois 6

Le nombre de la Bête, ou Antéchrist, désigne la combinaison d’éléments qui va maintenir l’homme prisonnier de la création maléfique. Individuellement ces éléments peuvent sembler acceptables, voire inoffensifs, mais associés ils créent un système fermé qu’il est très difficile de défaire.

L’argent

Je vous invite à relire mon article de 2017 intitulé : De l’argent à Mammon.

Nous avons oublié que l’argent est un outil de simplification des biens et services par comparaison avec le troc et qu’il n’a donc que la valeur que nous voulons bien lui attribuer selon les situations et les époques. Surtout, indépendemment de tout le reste, il n’a aucune valeur. Essayez donc de manger ou de boire votre argent, de vous habiller ou de vous déplacer avec ! Même le roi Midas[7] a compris que l’or ne sert à rien sans ce qu’il sert à acheter.
L’argent commence à nous séduire et à nous posséder dès que nous excédons ce qui nous est strictement nécessaire. J’avais évoqué ce point dans mon article de 2010 : La pauvreté choisie. L’argent est donc bien un puissant outil dans ce monde pour entretenir les vices des hommes liés à une différenciation que rien ne peut justifier.

Le pouvoir

Le pouvoir est le meilleur allié de l’argent qu’il utilise pour valider son emprise sur les hommes. Ce pouvoir diviseur est l’œuvre du diable qui s’en est servi pour provoquer la chute des esprits-saints, comme l’explique de façon naïve Sibille Peyre d’Arques en citant Pierre Authié[8] : « …Puis le diable alla à la porte du paradis, … quand il y fut, il persuada aux esprits et aux âmes faits par le Père céleste que lur sort n’était pas bon, parce qu’ils étaient soumis au Père céleste, mais que si ils voulaient le suivre et aller dans son monde, il leur donnerait des possessions, c’est-à-dire des champs, des vignes, de l’or et de l’argent, des femmes, et autres biens en ce bas monde visible. … »

Le pouvoir est composé de la possession et de la persuasion. La possession crée une différence entre les hommes, ce qui crée une hiérarchie entre ceux qui possèdent et les autres. La persuasion permet de convaincre les autres de la supériorité que l’on prétend avoir sur eux.
Pierre Maury de Montaillou, dans sa déposition, précise mieux les choses que Sibille Peyre ou Arnaud Sicre. Le diable, en plus des biens matériels énoncés ci-dessus précise : « … et je vous donnerai aussi une épouse pour compagne ; vous aurez vos maisons, vous aurez vos petits enfants, … L’un de vous sera seigneur de l’autre, et vous pourrez faire et défaire[9]. »

Aujourd’hui le pouvoir s’immisce partout, même là où nous ne le voyons pas forcément. En effet, la hiérarchie, aussi justifiée et douce soit-elle, crée de fait un pouvoir de l’un sur l’autre parce qu’en ce monde il faut partager les tâches en donnant des compétences spécifiques à chacun faute de pouvoir donner toutes les compétences à tous. Cela confirme que notre enfermement charnel est une dégradation par rapport à l’état spirituel où nous étions tous strictement égaux et parfaits dans le Bien. C’est pourquoi l’humilité doit nous pousser à ne pas voir les autres comme des supérieurs ou des subordonnés, mais comme des égaux dans leur part spirituelle. Et si notre situation familiale, professionnelle ou sociale nous amène à exercer un pouvoir temporel sur les autres, il faut le limiter autant que possible et l’abandonner quand nous choisissons d’entrer en noviciat. Cela est vrai pour certaines activités professionnelles qui impliquent d’attendre la retraite avant d’entrer en noviciat, mais aussi des mandats syndicaux, électoraux et des engagements sociaux, sans oublier notre mission d’éducation des enfants qui doit être terminée avant d’aller plus loin dans notre foi.

Mais si le pouvoir et l’argent peuvent être relativement faciles à surmonter, ce qui l’est moins et qui constitue la partie la plus difficile de la triade 666, c’est l’égo.

L’égo

L’égo et ses déclinaisons, l’égoïsme et l’égotisme est le moteur principal de l’Antéchrist. En tant que troisième élément de la triade il conforte, soutient et consolide les deux autres.

Sa raison d’être est de nous convaincre que nous sommes des entités distantes des autres entités de même nature, cassant ainsi notre rattachement à l’esprit unique dans notre intellect, car nous savons que ce lien est indissoluble et sous le seul pouvoir de Dieu.

Cette division formalisée dans ce monde a pour but de nous fragiliser afin de nous convaincre que nous ne pouvons survivre et surnager qu’en appliquant la règle mondaine essentielle : moi d’abord !

Cette règle existe dans tous les domaines et nous en avons une terrible illustration en Europe et dans le monde. Elle régit les invasions visant à s’approprier des territoires où l’on veut trouver la manne que nous sommes trop fainéants pour la chercher chez nous, comme c’est notamment le cas entre la Russie et l’Ukraine. Cela s’appelle l’égotisme qui considère que ce qui nous semble utile doit nous appartenir. Elle régit les règles économiques à tous les niveaux où elles s’appliquent. Individuelles quand nous acceptons d’acheter des produits fabriqués à bas coût en acceptant la misère sociale et environnementale qu’elles produisent. Mais aussi quand un pays cherche à s’approprier la direction des marchés visant à lui fournir les biens qu’il recherche et à imposer ses prix quand il vend à l’étranger. Cela s’appelle l’égoïsme qui considère que l’intérêt individuel n’a pas à se préoccuper des autres.

Je ne doute pas que vous êtes déjà convaincus quand on voit les choses de haut. Le serez-vous toujours si je vous donne des exemples à l’échelle de l’individu, c’est-à-dire la nôtre ?

Posons-nous la question de savoir si nous n’achetons que des produits, des biens et des services issus de sources respectueuses de celles et ceux qui sont en bas de l’échelle, quitte à y mettre le prix fort ? La réponse est forcément négative pour quasiment tous, moi y compris.

Quand nous voyons un produit qui nous intéresse, mais dont le stock est faible, proposons-nous aux autres de privilégier ceux qui en ont le plus besoin au risque de devoir nous en passer ?

Certes, me direz-vous c’est impossible d’agir ainsi pour tout et pour tous.

C’est vrai, mais il y a quand même quelques solutions pour réduire notre dépendance à l’Antéchrist.

Le détachement

Face à un système dont l’objectif est l’enfermement dans un monde dont chaque élément est à l’opposé de notre nature spirituelle, il n’y a pas de demi-mesure possible. Contrairement à ce que beaucoup croient, ou imaginent pouvoir réussir, la solution pour détruire ce qui nous retient prisonniers est le détachement. Comme le dit le proverbe : « Nous ne possédons pas les objets ; ce sont les objets qui nous possèdent. »

J’ai personnellement vécu cette problématique, car j’étais un collectionneur compulsif, ne pouvant supporter de n’avoir que partiellement ce qui me plaisait. C’était notamment le cas de ma collection de timbres, commencée dans l’enfance et poursuivie de façon ininterrompue jusqu’à la cinquantaine. Je la complétais et l’agrandissais chaque fois que mes moyens me le permettaient et j’ai fini par posséder une collection presque complète avec également des pièces assez rares. Quand j’ai compris que je devais me détacher du monde et que cette collection était la première marche de ce choix, j’ai eu un moment d’inquiétude, mais quelques jours après j’ai ressenti la libération que ce choix m’avait offerte. Cela m’a semblé comparable à la libération ressentie quand j’ai décidé et réussi à arrêter de fumer voici plus de quarante ans.

Agir par pallier

Bien entendu, mon expérience n’est pas transposable à d’autres, car nous n’avons pas les mêmes chaînes.

Aussi je conseille à celles et ceux qui pensent que cela les attire de commencer par des choses qui ne remettent pas forcément leur mode de vie en cause, comme je l’ai fait avec mes timbres. Ensuite, vous pourrez envisager, si cela est justifié, d’arrêter des habitudes de vie qui s’apparentent à des addictions comme le jeu (s’il est récurrent et attentatoire à vos revenus), le tabac et la drogue, l’alcool et, plus difficile, les rapports sexuels qui sont le summum de l’emprisonnement sensoriel.

L’important est de ne pas créer une trop grande souffrance et de vérifier que l’envie causée par l’ascèse s’atténue facilement en quelques mois, ce qui sera la preuve de votre réussite. Sinon, donnez-vous plus de temps afin de ne pas courir le risque d’une rechute majeure comme cela s’observe dans les religions où l’ascèse est imposée brutalement.

L’ataraxie

Quand vous en arriverez au point où l’ascèse, au lieu de vous peser, vous fera ressentir un sentiment de paix et de stabilité, vous aurez atteint le stade de l’ataraxie, c’est-à-dire la paix des sens. Vous aurez donc coupé le lien avec ce qui constitue notre boulet personnel : la prison sensuelle (au sens large du terme). Dès lors, vous pourrez commencer à vous préparer à harmoniser votre vie avec votre foi pour poursuivre votre route jusqu’au moment où vous sentirez prêts à entamer votre noviciat.

On ne peut pas tuer la Bête, mais on peut la tenir à distance.

Guilhem de Carcassonne le 19 avril 2025


[1] Apocalypse de Jean, chap. 12, 3-4.

[2] Ibid., chap. 12, 7-9.

[3] Animaux mythiques que l’on retrouve dans les Psaumes (18, 8 – 74, 13-14 – 104, 26), le livre d’Isaïe (27, 1) et le livre de Job (3,8 – 18, 8 – 32 – 40, 10-19 – 41, 1 et 32).

[4] Apocalypse de Jean, chap. 13, 1-2.

[5] Ibid., chap. 13, 11-12.

[6] Ibid., chap. 18.

[7] Roi de Phrygie (8e siècle av. E. C.) qui selon Ovide (Métamorphoses) transformait en or tout ce qu’il touchait suite à un don offert par le dieu Dyonisos. Ne pouvant plus manger, il ne parvint à de débarasser de cette calamité qu’en se lavant les mains dans le fleuve Pactole qui depuis charrie de l’or, source de la richesse de la Phrygie.

[8] Registre d’Inquisition de Jacques Fournier – Traduction de Jean Duvernoy, tome 2, page 569 (v. f.).

[9] Ibid. tome 3, page 929 (v. f.).

Les origines spirituelles de l’homme

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Les origines spirituelles de l’homme

Convergence scientifique et spirituelle ?

Alphonse de Lamartine a écrit — dans son poème à lord Byron intitulé : l’homme — « L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux ».
Cette phrase porte sens pour les cathares.

Rapports de l’homme à la science et à la religion

L’homme est le seul animal de cette planète qui s’interroge sur ses origines.
Mais cette interrogation semble présenter un caractère divergent, voire opposé, selon qu’il l’aborde de façon scientifique ou religieuse.

Les divergences

Cette opposition qui cohabite dans la majorité des êtres humains est-elle définitivement irréductible ou bien est-elle le reflet d’un défaut des deux domaines d’analyse ?
Pour répondre à cette question, il faudrait trouver un système qui les intègre sans les diminuer ni les rejeter.
Mais cela pose la question de ce qui a donné à l’homme l’idée que son origine n’était peut-être pas seulement terrestre.
Comme le poète romantique, nous allons essayer de voir si cela peut s’envisager.
Plus la science progresse et plus elle semble s’éloigner des concepts imposés par les religions dominantes.
L’abandon du système cosmologique géocentrique de Ptolémé au profit du système héliocentrique de Copernic a fortement bouleversé les tenants d’un concept religieux où Dieu a créé l’univers au seul profit de l’homme qui en est le centre.
La révolution darwinienne a créé plus de remous encore en proposant un modèle d’évolution lente et tâtonnante au détriment de la création de l’homme parfait par Dieu, suite à la création de l’univers et de la terre avec ses minéraux, végétaux et animaux au seul service de l’homme.

Les oppositions

« La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple. » Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel.

« La science et la technique ont pris le pas sur la nature, sur le pouvoir, sur la poésie, sur la philosophie et sur la religion. Voilà le cœur de l’affaire. Elles ont bouleversé notre vie. » Jean d’Ormesson, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit.

La science, discipline évolutive, met à mal les dogmes religieux qui eux refusent absolument toute remise en question.
Mais, la science n’est pas à l’abri des défauts de la religion et devient parfois, elle aussi, dogmatique.

Par exemple, nous parlons de l’univers connu. Cela veut dire que nous ne connaissons pas tout l’univers ? Non, car nous fixons à l’univers une limite temporelle et dimensionnelle, évaluée à 13,7 milliards d’années que nous appelons par simplification : le big bang. L’univers inconnu est là, sous nos yeux, mais nous ne le voyons pas. En effet, il est constitué de deux éléments à propos desquels les scientifiques ne savent rien sinon que leur présence est la seule façon d’expliquer les phénomènes cosmologiques que nous observons et qui défient la logique scientifique. C’est en 1933 que l’astronome Fritz Zwicky proposa le terme de matière noire pour justifier la stabilité gravitationnelle d’un amas de galaxies. Plus tard on proposa d’expliquer le phénomène observé par Edwin Hubble d’expansion de l’univers par une force qui, au contraire, repousserait les galaxies, par le terme d’énergie noire. L’adjectif noire n’est donc utilisé que pour conceptualiser la méconnaissance totale que nous avons de ces phénomènes.

Remarquons au passage que dans la Genèse, lorsque Iahvé débute sa création : « Que la lumière soit. », cette dernière chasse les ténèbres qui, logiquement, semblaient préexister. Doù venaient-elles et qui les avaient créées.

Donc, l’univers connu ne représente que 7% de l’univers total, le reste étant irrégulièrement réparti entre matière et énergie noire.

Le catharisme, religion non dogmatique, dispose d’une grande plasticité qui lui permet de respecter les découvertes scientifiques et parfois de s’en inspirer pour mieux expliquer ses conceptions doctrinales et cosmogoniques.
Pour lui, l’univers est une « construction » du démiurge, au service du principe du Mal, que depuis le Moyen-Âge nous appelons le diable.

Préambule

Par sa plasticité, le catharisme pourrait-il être ce chaînon manquant entre science et religion ?
Le catharisme est une religion qui ne s’oppose pas au savoir :

  • il se remet en question depuis ses origines (Marcion a demandé à ses disciples de ne pas hésiter à critiquer ses opinions s’ils découvraient de bonnes raisons de le faire)
  • il s’adapte aux avancées scientifiques (le poisson, considéré comme un végétal au Moyen-Âge, était consommé par les cathares ; aujourd’hui il ne l’est plus, car nous savons qu’il s’agit d’un animal sensible)
  • il n’hésite pas à dire son ignorance (à Orléans en 1022, à la question de leurs juges sur le caractère divin de Jésus, les clercs catharisants répondirent qu’ils ne pouvaient l’affirmer, car ils ne l’avaient pas vu eux-mêmes)
  • il peut aussi aider à expliquer des phénomènes que ni la science ni les autres religions n’ont expliqués jusqu’à aujourd’hui (comme la transcendance ou l’origine de la pensée humaine)

Essayons une étude comparative.

Méthodologie

La science Le catharisme
Procède par observation, analyse, expérimentation Procède par réflexion, étude et déduction
S’appuie sur des faits et des preuves tangibles S’appuie sur tout ce qui peut l’éclairer
Tolère des hypothèses en attente de vérification Tolère des hypothèses diverses sans choisir de façon dogmatique
Bute sur des inconnues Imagine des hypothèses pour expliciter les inconnues
Minimise les contradictions Accepte la contradiction argumentée et pourvue de sources

Cosmogonies comparées

Pour la science

La création du monde est à peu près aussi mystérieuse pour les religions que pour la science.

Le big bang (apparu vers 13,7 milliards d’années) est une illustration qui permet de proposer des hypothèses, mais dont aucun scientifique sérieux n’oserait dire qu’elle est l’explication de l’origine de l’univers[1].
La terre se forma il y a environ 5 milliards d’années
La vie apparut il y a environ 3,5 milliards d’années
La colonisation des eaux et des sols date de 350 millions d’années
La séparation des hominidés (pan, gorilla, homo) remonte à 7 millions d’années environ. Les fossiles de Ororin (8 millions d’années) et de Toumaï (7 millions d’années) sont des candidats possibles au statut de chaînon manquant entre hominoïdes et hominidés.
Les hominidés sont différenciés entre les Gorillinés (Gorilles) les Paninés (chimpanzés, bonobo, orang outan), les Australopithèques : (Lucy, Abel) et les Homo (2 millions d’années : Habilis, Ergaster). Les paranthropes sont situés à cheval sur les deux précédents sans qu’on puisse les relier à tel ou tel groupe.
– bipédie vers 4 à 5 millions d’années (Australopithèques : Lucy)
– premiers silex taillés vers – 3 millions d’années

Les premiers hommes (homo) apparaissent vers – 2 millions d’années :

  • évolution rapide des humains et relative stagnation du règne animal
  • premiers feux maîtrisés vers – 550 000 ans

Les plus récents sont : Naledi, Néanderthalien (- 350 000 ans) et Sapiens (- 300 000 ans)

  • premières sépultures vers – 100 000 ans (première évolution non positive)

Pour le judéo-christianisme

Genèse 1

Jour 1 : Création des cieux et de la terre (Gn 1, 1). La terre déserte et vide semble composée de ténèbres et de l’Abime (mer) (Gn 1, 2). La lumière est créée (Gn 1, 3). Élohim voit que la lumière est bonne et la sépare des ténèbres (Gn 1, 4)
Jour 2 : Création du firmament et séparation des eaux du ciel et de la terre (Gn 1, 6-8).
Jour 3 : Séparation des eaux terrestres et de la Sèche, pousse des végétaux. (Gn 1, 9-13)
Jour 4 : Création du soleil, de la lune et des étoiles. (Gn 1, 14-19)
Jour 5 : Création de tous les animaux. (Gn 1, 20-25)
Jour 6 : Création de l’homme et de la femme, simultanément et directement. Élohim leur donne tout pouvoir sur la terre et les animaux. (Gn 1, 28-31)

Genèse 2

Jour 7 : La création divine est finie et Élohim se repose. (Gn 2, 1-4)
Retour en arrière : avant que ne poussent les végétaux (J 3 ?) Iahvé Élohim forme l’homme qui est de la poussière du sol et lui insuffle une haleine de vie en ses narines ce qui en fait une âme vivante. (Gn 2, 7-8)
Création du jardin en Éden où Iahvé Élohim fait germer des arbres pour la vue et la nourriture ainsi que l’arbre de vie et celui de la science du bien et du mal. (Gn 2, 9)
Iahvé Élohim interdit à l’homme de toucher aux fruits de ce dernier arbre sous peine d’en mourir. (Gn 2, 17)
Il considère qu’il a oublié quelque chose et crée les animaux (jour 5).
Il fabrique la femme, secondairement à l’homme, à partir d’une côte. (Gn 2, 22-24)
Enfin, ce Dieu surprenant ressent le besoin d’un jour de repos après son travail un peu brouillon.

Pour les cathares

Le monde est d’origine maléfique : Le démiurge (diable), Lucifer ou satan, crée le monde pour « rivaliser » avec la « création » divine
Sa création est temporelle et non éternelle faute d’Être (au sens ontologique du terme) qui est la nature de Dieu.
L’homme : Initialement créé sans différence notable avec l’animal mais avec une évolution plus qualitative grâce à sa capacité d’adaptation
La part spirituelle (esprit-saint[2]) est une extension de l’émanation divine : l’Esprit unique
Une des extensions de l’Esprit unique non tombée dans la matière, le Logos ou Christ, est venue inspirer les hommes pour qu’ils rappellent notre origine réelle.
Avant toute chose est le Logos (parole et raison de Dieu) car il est éternel quand le monde est temporel (Jn 1, 1-2).
Tout ce qui est, vient d’elle, et ce qui ne vient pas d’elle, n’est pas (Jn 1, 3). Concept de l’Être selon Parménide.
Le Logos porte la vie et la vie est ce qui éclaire les hommes (Jn 1, 4). L’éveil spirituel nous rappelle notre origine éternelle et nous invite à revenir à notre source.
Cette lumière brille dans les ténèbres qui ne l’ont pas reconnue (Jn 1,5). Ceux qui préfèrent l’ombre à la lumière empêchent l’éveil et sont condamnés à recommencer vie après vie.

La chute des âmes est-elle compatible avec l’évolution ?

Les espèces Homo ne se succèdent pas et ne sont pas forcément descendantes les unes des autres. H. Habilis et H. Erectus sont « sœurs » et ont cohabité pendant environ 500 000 ans. Idem pour H. Neanderthalensis et H. Sapiens qui ont cohabité pendant environ 250 000 ans.

1 – L’Australopithèque (Toumaï ?) semble avoir inventé la bipédie, ce qui va lui procurer plusieurs avantages : meilleure survie, car il voit les prédateurs de loin, nouvelles compétences, car il libère ses pattes antérieures avec lesquelles il va pouvoir découvrir de nouvelles fonctions, développement cérébral lié à ces nouvelles activités et effet boule de neige.

2 – Il y a 4 à 2,5 millions d’années, ces singes que nous appelons australopithèques (Lucy, Abel) commencent à tailler des outils à partir de pierres. Cela va lui procurer également des armes qui vont lui permettre que passer d’un régime essentiellement végétalien (avec complément protéique via quelques insectes et cadavres de petits animaux) à une alimentation carnée (surtout les viscères plus faciles à mastiquer). Ce sont des animaux qui n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts.

3 – Aux environ de deux millions d’années, apparaît une nouvelle espèce : Homo qui est la branche dont nous descendons vraiment.

Il va découvrir le langage structuré, si utile pour s’organiser en groupe, puis l’homo erectus (Tautavel) ± 1 Ma va apprendre à domestiquer le feu, ce qui va lui permettre de faire cuire et d’attendrir les muscles de la viande, plus riches en énergie.

4 – Les premiers homo à concevoir la transcendance :

– H. Naledi (- 330 000 à – 236 000 ans) : il ne semble pas que ses sépultures soient guidées par une conception spirituelle, mais constituent une évolution par rapport à ses devanciers qui jetaient les cadavres dans des fosses naturelles, voire en mangeaient des parties.
– H. Neanderthalensis (- 430 000 à – 30 000 ans)
– H. Sapiens (- 300 000 à aujourd’hui)

H. Neanderthalensis et H. Sapiens furent des inventeurs comme leurs prédécesseurs.
Mais au lieu d’inventer de quoi se faciliter la vie, ils firent l’inverse !

  • Pendant plus de 200 000 ans, le rapport à l’après-vie semble inexistant
  • Apparition d’un changement majeur (entre 100 000 et 30 000 ans)
  • Premières sépultures avec objets et bijoux marquant un intérêt pour l’après-vie terrestre
  • Apparemment concomitant des peintures murales qui semblent indiquer aux chasseurs le choix de proies à offrir en offrande
  • Possible explication de l’évolution vers l’élevage (futures offrandes aux dieux) (R. Girard)

Spiritualisation de l’homme

Pour la science l’homme est un animal évolué grâce à son cerveau
Pour le judéo-christianisme, Dieu crée une âme pour chaque corps conçu
Pour le catharisme, le démiurge a incorporé des extensions de l’Esprit unique, émané de Dieu, dans des enveloppes charnelles pré-existantes.
C’est ce que l’on appelle la chute des esprits-saints.
La création et la chute des esprits-saints peuvent nous sembler naïves aujourd’hui.
Pourtant elles mettent en lumière un phénomène important :

  • La création du monde est antérieure à la chute des esprits-saints
  • La chute des esprits-saints modifie une partie de la création maligne

La vision scientifique est très cohérente à l’exception de deux moments :

  • Le big bang que nul ne peut expliquer scientifiquement, sauf dans l’hypothèse récente du temps stellaire
  • Le changement d’attitude des H. Neanderthalensis et H. Sapiens face à leurs morts qui intervient tardivement et est contre-nature !

Témoignages médiévaux

Contrairement aux manichéens (Épitre du Fondement), les cathares ne cherchent pas à donner une explication précise du premier contact entre le Mal et le Bien.
Dans le Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) :

  • Animosité du Mal envers le Bien
  • Création spirituelle
  • Dieu « tolère » l’action du Mal
  • Dieu n’a pas créé ce qui est du Mal

Création spirituelle :

Hébreux : « C’est pourquoi (en parlant des anges), l’Écriture dit que des esprits, Dieu en a fait ses anges, et que, des flammes ardentes, il en fait ses ministres » (Hébr., I, 7).

Livre des deux Principes :
« Il résulte de tout ce qui précède qu’il est absolument impossible de croire que le Seigneur vrai Dieu a créé, directement et dans le principe, les ténèbres et le mal, ni surtout qu’ils les a créés à partir du néant, comme nos adversaires le croient expressément, bien que Jean leur ait affirmé, dans la première épître : « Que Dieu est la lumière même et qu’il n’y a point en lui de ténèbres » (I Jean, I, 5), et que, par conséquent, les ténèbres ne sont point par lui. » Livre des deux principes Jean de Lugio (13e siècle)

« Le diable alla à la porte du Paradis… il resta à la porte pendant mille ans. Puis il entra par fraude. Il persuada les esprits et les âmes qui tombèrent du ciel pendant neuf jours et neuf nuits.

Le père céleste se leva de son trône et posa le pied sur le trou pour arrêter la chute des esprits. Dieu dit aux esprits tombés : «  Allez maintenant, pour le moment ! » » Inquisition de Pamiers – Jacques Fournier t II Sibylle Peire

Chute des esprits :

Lucifer va corrompre les esprits saints dans la création spirituelle pour les kidnapper.
Interrogatoires de l’Inquisition de Pamiers :

  • Lucifer pénètre au paradis et corrompt les esprits saints (Jean Maury de Montaillou)
  • Chute des esprits en raison du combat (réf. à Apo. 12,4)
  • Enfermement dans les tuniques d’oubli (corps humains)

« Mon père me dit, à l’époque où j’habitais avec lui à Montaillou, avant qu’il ne fût cité ou arrêté, que le diable était resté trente-deux ans à la porte du paradis; puis il entra au paradis, et y introduisit avec lui une femme. Et quand il fut au paradis, il dit à ceux qui y étaient qu’il leur donnerait une épouse de ce genre, qu’ils aimeraient leurs épouses et qu’elles les aimeraient beaucoup. Le diable leur dit aussi que leur seigneur ne leur donnait que le bien, mais lui leur donnerait le mal et le bien. Et eux crurent le diable, car le mal est en plus grande abondance que le bien, et a un plus grand renom. Il leur dit aussi qu’il leur donnerait d’être seigneurs les uns sur les autres, et de prendre une bête avec une autre, ou un oiseau avec un autre. »

« Puis le diable fit un ciel de verre, et quand il l’eut fait il dit qu’il était dieu. Dieu lui répondit qu’il était un dieu étranger. Et quand Dieu eut dit cela, le diable tomba du ciel avec son ciel de verre, avec la femme, et tous ceux qui avaient cru en lui – Et il eut le monde en son pouvoir, justes et pécheurs, et ils allaient en enfer. Et tout cela était l’œuvre du diable. » (Jean Maury Fournier t. 3 p. 737)

Apocalypse 12, 4 : « Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et elle les envoya sur la terre. »

Analyse cathare moderne

Les esprits-saints emprisonnés apportent une nette amélioration aux corps déjà créés, mais pas dans le sens pratique habituel.
C’est dans le domaine spirituel que se produit le changement.
Ce que la science ne peut expliquer, le catharisme peut en proposer une explication cohérente : la chute des esprits-saints a transformé l’animal humain préhistorique en Adam, le premier homme composé d’une part mondaine et d’une part spirituelle.
Cette incorporation n’a rien d’une osmose ; corps mondain, d’origine maléfique et esprit-saint, extension de l’Esprit unique cohabitent comme l’huile et l’œuf dans la mayonnaise. Il suffit d’un rien pour les séparer.
L’objectif du catharisme est de permettre à chaque humain de se rappeler cela pour accéder à l’éveil.
Ensuite, par un comportement adapté, chacun pourra développer sa part spirituelle au détriment de sa part mondaine.
Au final, quand le corps mondain mourra, l’esprit-saint libre et éveillé pourra retourner auprès du Père. C’est la résurrection de l’esprit-saint qui fera de chacun un Christ.
Cette progression ne peut débuter que par l’éveil qui est le moment où l’humain, dominé par sa nature mondaine, va faire sienne cette conception et n’aura plus d’autre urgence que de développer ses savoirs pour acquérir la connaissance qui est l’union des savoir de la foi et de l’éveil afin de pouvoir faire sa bonne fin et libérer sa part spirituelle.

Quels sont les enjeux scientifiques du catharisme d’aujourd’hui ?

  1. Proposer une analyse cohérente du début de l’univers (big bang, multivers, inflation, etc.)
  2. Proposer une réponse adaptée à la vie intelligente dans l’univers
  3. Imaginer une régulation des esprits-saints prisonniers ici-bas
  4. Faire de la science un outil pour la réflexion cathare, notamment dans le domaine cosmogonique
  5. Faire du catharisme une force de proposition quand la science bute sur des situations apparemment inexplicables

Car comme le disait Einstein : « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. »

Guilhem de Carcassonne – Prêche du 16 mars 2025


[1] Un reportage récent indiquait que l’Univers existait avant le big bang qui n’est que le début de l’ère stellaire de l’Univers, ce dernier étant auparavant strictement ténébreux et constitué de matière noire qui « tissa » une sorte de toile dont les intersections furent le support permettant l’éclosion des premières étoiles. Il indiquait également cette période stellaire, donc lumineuse, verrait sa fin lors de l’extinction de la dernière naine rouge qui pourrait survenir dans environ un millier de milliards d’années. Alors, les ténèbres reprendront toute la place. Cela ressemble à la conception cathare.

[2] Le terme esprit-saint est utilisé pour différencier cette extension de l’Esprit unique, appelée âme par les judéo-chrétiens, de l’ordonnatrice mondaine chargée de maintenir les parts spirituelles prisonnières de ce monde, que nous appelons âme mondaine.

Les chemins vers Dieu

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Les chemins vers Dieu

La lecture du Pentateuque, équivalent de la Torah juive, nous indique les règles à suivre pour être un bon juif aux yeux de Iahvé. De même, le chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu propose un sermon, dit sur la montagne, qui trace le comportement que doit avoir celui qui souhaite cheminer vers son salut.
La mise en exergue de ces deux textes devrait nous aider à confirmer ce qui vient du monde et ce qui vient du spirituel.

Le décalogue

Voici le texte issu du chapitre 20 de l’Exode :
« Élohim dit toutes ces paroles en ces termes :
« Je suis Iahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves :

  • Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
  • Tu ne te feras pas d’idole, ni aucune image de ce qui est dans les cieux en haut, ou de ce qui est sur la terre en bas, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre.
  • Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas. Car moi, Iahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, punissant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération, pour ceux qui me haïssent, et faisant grâce jusqu’à la millième pour ceux qui m’aiment et observent mes commandements.
  • Tu ne prononceras pas en vain le nom de Iahvé, ton Dieu, car Iahvé n’innocente pas celui qui prononce son nom en vain.
  • Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier : six jours tu travailleras et tu feras toute ta besogne, mais le septième jour est le Sabbat pour Iahvé, ton Dieu ; tu ne feras aucune besogne, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni ton hôte qui est dans tes portes, car en six jours Iahvé a fait les cieux et la terre et la mer, et tout ce qui est en eux, mais il s’est reposé au septième jour. C’est pourquoi Iahvé a béni le jour du Sabbat et l’a sanctifié.
  • Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur le sol que te donne Iahvé, ton Dieu.
  • Tu ne tueras pas.
  • Tu ne commettras pas d’adultère.
  • Tu ne voleras pas.
  • Tu ne déposeras pas de faux témoignage contre ton prochain.
  • Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain.
Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni tout ce qui est à ton prochain.»

Essayons de la résumer un peu, afin d’y retrouver les dix commandements :

  1. Tu n’auras pas d’autre dieux que moi ;
  2. Tu ne feras pas d’idole ou d’image de quoi que ce soit et tu ne les adoreras pas ;
  3. Tu ne prononceras pas le nom de Iahvé en vain ;
  4. Tu respecteras le Sabbat ;
  5. Tu travailleras six jours ;
  6. Tu te reposeras le septième ;
  7. Honore ton père et ta mère ;
  8. Tu ne tueras pas ;
  9. Tu ne déposeras pas de faux témoignage contre ton prochain ;
  10. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ni rien de ce qui est à lui.

Iahvé impose sa loi d’airain au juif et lui rappelle qu’il est jaloux et peut devenir méchant envers ceux qui ne respectent pas sa loi. Il interdit les conflits avec les prochains, c’est-à-dire ceux qui partagent la même foi, mais nous savons que lui-même ne se fixe pas de limite envers les juifs et qu’il les autorise, voire les incite à la violence envers les autres humains. Nous sommes clairement dans un contexte de loi positive. Le but est d’établir une justice dont le seul étalon est Iahvé lui-même.

On ne peut rejeter ce texte dans sa totalité, notamment pour les quatre derniers éléments.

Ce texte ne cherche pas à mettre en avant la spiritualité ; c’est un contrat qui impose des règles à suivre pour ne pas être sanctionné. En échange les juifs considéraient pouvoir tout attendre de Iahvé.

Cela rend cette loi facile à suivre, même si elle peut sembler difficile à respecter.

Le sermon sur la montagne

« Magnifiques les pauvres par esprit car le règne des cieux est à eux.
Magnifiques les endeuillés car on les consolera.
Magnifiques les doux car ils hériteront de la terre.
Magnifiques les affamés et assoiffés de justice car on les rassasiera.
Magnifiques les miséricordieux car on leur fera miséricorde.
Magnifiques les cœurs purs car ils verront Dieu.
Magnifiques les pacifiques car on les appellera fils de Dieu.
Magnifiques les poursuivis pour cause de justice car le règne des cieux est à eux.
Magnifiques, vous autres quand on vous injuriera et poursuivra, qu’on dira de vous, à tort, toute sorte de mal à cause de moi. »

Dans ce texte les choses sont très différentes. Il n’est plus question de contrat, mais d’état d’être. Encore faut-il bien le comprendre pour en saisir la profondeur, ce qui n’est pas toujours le cas des exégètes qui s’y sont essayés.

Notre approche spirituelle devrait nous aider à y parvenir.

Reprenons chaque élément :
Les pauvres par esprit (et non pas les pauvres d’esprit) sont ceux qui pratiquent l’humilité.
Les endeuillés sont les repentants qui seront alors accessibles à la consolation.
Les doux sont les non-violents qui n’auront personne pour les combattre.
Les affamés et assoiffés de justice sont ceux qui voudront toujours mieux pour tous.
Les miséricordieux sont ceux qui n’auront rien à reprocher à quiconque.
Les cœurs purs sont ceux qui auront su laisser leur esprit se libérer de sa gangue mondaine.
Les pacifiques sont ceux qui auront su éteindre en eux les passions commandées par la sensualité
Les poursuivis pour cause de justice sont ceux qui auront à subir, mais jamais à accuser.
Les injuriés et accusés à tort sont ceux qui suivront la voie de Christ quelles qu’en soient les conséquences.

Ce qui frappe de prime abord à la lecture de ces derniers versets est leur proximité avec la Règle de justice et de vérité qui suivaient et suivent les cathares consolés. Tout y parle de nous et jamais des autres, contrairement à la loi mosaïque. C’est en nous que nous devons régler les problèmes pour être en accord avec notre foi. C’est l’équivalent de la philosophie grecque qui n’était possible que si l’on vivait au quotidien en accord avec ses préceptes.

« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s’affadit, avec quoi le saler ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et piétiné par les hommes. »
Là encore l’exhortation porte sur ce que nous devons être du moment où nous avons conscience de notre état spirituel.

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut se cacher.
On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire, et elle brille pour tous dans la maison.
Qu’ainsi votre lumière brille devant les hommes pour qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient votre père qui est dans les cieux. »
Ce qui nous est rappelé ici est qu’il ne faut pas agir en secret, par volonté élitiste ou par peur, mais au contraire, savoir affirmer ce que l’on est sous peine de ne l’être plus. Pour autant ce n’est pas un appel à la vanité.

« Ne croyez pas que je suis venu défaire la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu défaire, mais remplir.
Car je vous le dis, si votre justice n’a rien de plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le règne des cieux. »
Ces deux versets peuvent interroger, mais une lecture précise permet de lever l’apparente ambiguïté.
Le but n’est pas de rejeter la loi mosaïque qui, du point de vue chrétien est accomplie, c’est-à-dire arrivée à son terme comme toute tâche accomplie.
Le but est de lui substituer la Bienveillance qui s’exprime à un niveau bien plus élevé.
Et pour confirmer les choses il est clairement précisé que suivre la loi mosaïque est insuffisant pour être sauvé. On retrouve cela dans l’épisode de l’homme riche venu demander à Jésus comment être un homme de bien, puis de préciser comment devenir un saint. Cela confirme aussi le verset 8, 44 de l’Évangile selon Jean où Iahvé est traité de diable, car sa loi égare les esprits-saints au lieu de les sauver.

« Et moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement… Sois vite arrangeant avec ton adversaire pendant que vous êtes en chemin ensemble, de peur que ton adversaire te livre au juge et le juge, au garde, et que tu sois jeté en prison. »
Ce précepte de l’arrangement amiable, y compris à perte est prégnant dans le catharisme et on en voit un exemple avec Pierre Authié qui met ses affaires en ordre avant de partir en Italie faire son noviciat avec son frère.

« Moi je vous dis que celui qui regarde une femme pour la convoiter est déjà adultère avec elle dans son cœur.
On a dit : Celui qui renvoie sa femme, qu’il lui donne une répudiation. Et moi je vous dis que quiconque renvoie sa femme, sauf cas de prostitution, la rend adultère, et celui qui se marie avec une répudiée est adultère. »
Là encore nous voyons deux points de la doctrine cathare : limiter les contacts avec l’autre sexe, par prudence et par humilité, car la sensualité par laquelle notre âme mondaine nous tient prisonniers ici-bas est très puissante. L’autre point sous-entendu est celui du respect des engagements de couple. On n’abandonne pas l’autre quand cela nous chante, mais uniquement quand les engagements sont accomplis ou quand l’autre nous en détache en toute liberté.

« Je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, ni par la terre. Ne jure pas non plus par ta tête ; que votre parole soit : oui oui, non non ; le surplus est du mauvais. »
Nous voyons ici pourquoi la règle cathare interdit toute forme de jugement et de serment. Qu’il s’agisse du jugement de l’autre ou de l’affirmation, c’est-à-dire de la vanité qui nous pousse à croire que nous détenons la vérité. Il conseille donc d’affirmer avec parcimonie, sans rien ajouter qui peut invalider notre témoignage. Au total la loi de ce monde, durera autant que durera le monde car les hommes ne peuvent s’en passer, mais cela ne veut pas dire qu’elle est éternelle. Seule la Bienveillance qui vient du seul Dieu sera éternelle. On ne doit donc rien retirer à la loi du monde, mais il faut lui ajouter beaucoup pour le rendre bienveillante.

« Je vous dis de ne pas vous opposer au mauvais.  Mais quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre ; et celui qui veut te faire juger pour prendre ta tunique, laisse-lui aussi le manteau. Quiconque te requiert pour un mille, fais-en deux avec lui. Donne à qui te demande et, si on veut t’emprunter, ne te détourne pas. »
Contrairement à la loi mosaïque qui prône une réponse adaptée à la violence reçue (la loi du talion), la Bienveillance prône le Bien en réponse au Mal.

« Vous avez entendu qu’on a dit : Tu aimeras ton proche et détesteras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent. »
Enfin vient le dernier point de l’enseignement. La Bienveillance n’est pas une monnaie ou un objet d’échange ; c’est un don gratuit qui ne se fixe aucune borne. Le Dieu des Juifs n’est donc pas parfait puisqu’il pousse l’homme à préférer son proche à son ennemi. S’il n’est pas parfait il n’est pas Dieu. Ce n’est donc pas lui que nous devons suivre, mais celui que Christ nous donne à connaître et à imiter.

J’espère vous avoir montré combien il est inadapté de lier l’Ancien et le Nouveau Testament, car ce qu’ils contiennent ne parle pas de la même entité spirituelle : Celle de la loi mosaïque qui n’est que le diable se faisant passer pour Dieu et le principe du Bien qui est le seul vrai Dieu qui ne prône que la Bienveillance absolue envers la part de son émanation momentanément tombée sous le pouvoir du Mal.

Publié le 23 février 2025 par Guilhem de Carcassonne

Notre apocalypse

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Notre apocalypse

Ce terme est porteur de deux acceptions très différentes. La plus commune évoque une catastrophe porteuse de la menace de la fin du monde ; la peur la plus importante qu’un être humain puisse concevoir. L’autre est de portée religieuse et nous parle d’une révélation que nous propose Christ.

Le titre de ce prêche est, selon l’acception antique ou moderne, selon notre compréhension cathare, à la fois le début et la fin. Je vous propose de vous en livrer ma compréhension afin que vous vous en imprégniez profondément, car de cette compréhension dépendra sans aucun doute le devenir de votre part spirituelle en ce monde malin.

La révélation

Le texte, attribué à Jean le disciple, qui figure dans le Nouveau Testament, révèle à ce dernier comment se passera la fin du monde et le devenir des hommes selon qu’ils auront suivi l’enseignement reçu de Christ ou qu’ils l’auront ignoré.

Mais la vraie révélation que Christ nous apporte est que pour atteindre le salut, il ne faut plus suivre seulement la loi mosaïque qui est faite pour vivre dans ce monde, mais suivre le seul commandement que Christ nous enseigne qui nous permettra d’être hors du monde, voire parfois en opposition avec le monde.

« Un chef lui demanda : Bon maître, qu’est-ce que je peux faire pour hériter de la vie éternelle ? Jésus lui dit : Pourquoi me dis-tu bon ? Personne n’est bon, que Dieu seul. Tu sais les commandements : Tu ne seras pas adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne témoigneras pas à faux ; honore ton père et ta mère. Il dit : J’ai gardé tout cela dès ma jeunesse. À cette parole, Jésus lui dit : Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. À ces paroles il devint triste, car il était fort riche. Jésus le vit et dit : Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le règne de Dieu ! Il est en effet plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le règne de Dieu. Ceux qui l’écoutaient lui dirent : Et qui peut être sauvé ? Il dit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et Pierre lui dit : Voilà, nous avons laissé nos affaires pour te suivre. Il leur dit : Oui je vous le dis, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants à cause du règne de Dieu, qu’il ne reçoive à l’instant plusieurs fois autant et, dans l’âge qui vient, la vie éternelle. » (Lc 18, 18-30 – Matth. 19, 16-26)

« Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés, vous aussi vous aimer les uns les autres. Par là tous sauront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 34-35).

La révélation qui nous est donnée n’est pas de ce monde en cela qu’elle ne nous impose pas des pratiques mondaines, comme le fait la loi mosaïque (aimer Dieu, aimer ses proches…). Elle nous montre que la seule loi qui nous donnera accès au salut est contraire aux pratiques du monde et qu’elle fera de nous des parias : aimer sans distinction et sans limite. Cela met en avant notre dualité : la première est notre part mondaine qui se fixe une morale en suivant la loi mosaïque et la seconde est notre part spirituelle qui ne connaît aucune règle, mais se contente d’aimer. C’est ce que les cathares appelaient laisser mourir en nous la part mondaine constituée d’un élément animal animé survalorisé par l’emprisonnement de l’esprit-saint (l’Adam primordial) et laisser ressusciter la part spirituelle détachée du monde et prête à rejoindre Dieu (le Christ).

La compréhension et l’adoption de cette révélation marque le passage entre l’état de sympathisant ou de croyant débutant et celui de croyant affirmé. Ce passage est, à mon avis, le plus difficile et générateur de souffrance de tout le cheminement cathare, car il exige l’acceptation pleine et entière que ce monde est du diable, malgré les points positifs que nous pouvons lui trouver, et qu’il faut donc le rejeter pour qu’il perde tout pouvoir sur nous et permettre à notre part spirituelle de guider nos pas. Cet abandon du monde est un crime aux yeux du monde qui ne manquera pas de nous le faire payer cher. C’est pour cela que, consciemment ou non, nous résistons violemment à cette obligation, car tout en nous : notre culture, notre inconscient, notre volonté s’oppose à un choix qui se présente comme une impasse sans possibilité de retour. En effet, faute de pouvoir expérimenter sans risque une telle hypothèse, notre mondanité nous enjoint de la refuser, comme nous refuserions de sauter d’un avion sans parachute ou de nager sans protection au milieu des requins.

Seuls ceux qui auront été éblouis par la puissance de cette révélation pourront envisager de la suivre comme le joueur de poker persuadé de sa main n’hésite pas à jeter tous ses jetons sur le tapis.

C’est ce que Paul fit en son temps et qu’il nous rappelle dans ses lettres :

« Le langage de la croix en effet est stupidité pour ceux qui périssent mais, pour nous qui sommes sauvés, il est puissance de Dieu, » (Première lettre aux Corinthiens 1, 18)

« Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent une sagesse, nous autres, nous prêchons un christ crucifié, embûche pour les Juifs et stupidité pour les nations, un christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour les appelés, Juifs ou Grecs ; car la stupidité de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (1 Cor. 1-23-25)

« J’aurais beau parler les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas de charité, je ne suis qu’un cuivre retentissant, une cymbale glapissante ; j’aurais beau prophétiser, savoir tous les mystères et toute la science, j’aurais beau avoir toute la foi au point de déplacer des montagnes, si je n’ai pas de charité, je ne suis rien ; quand je donnerais tous mes biens en pâture, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas de charité, cela ne me sert à rien. » (1 Cor. 13, 1-3)

Cet homme érudit et disposant d’une place éminente dans la société juive de son époque, n’a pas hésité à tout sacrifier sur la base d’une simple « vision » qu’il fut le seul à ressentir. Sachant ce que cela lui a apporté par la suite, qui sommes-nous pour penser qu’il aurait eu tort ?

C’est pourquoi j’insiste à dire que quiconque refuse de lâcher prise en ce monde se ferme la porte du salut, car ce monde n’est pas de Dieu et qu’il est fait pour nous maintenir prisonniers ici-bas. Cela nous concerne tous, que ce monde nous ai favorisés ou, au contraire, qu’il nous ai maltraité, car dans les deux cas il crée des liens fermes et quasi-indissolubles, soit pour améliorer la situation qui est la nôtre qui ne nous satisfait jamais réellement.

Abandonner le monde n’est pas un choix que l’on peut faire de façon partielle. Il faut être en état de quitter ce monde à tout instant comme nous le rappelle l’autre acception du terme apocalypse.

La fin du monde : échec ou salut

C’est aujourd’hui l’acception la plus commune d’apocalypse qui est synonyme de catastrophe majeure assimilable à la fin du monde, non pas comme élément malin auquel nous n’avons aucune part, mais comme le seul monde que nous connaissions faute d’éveil spirituel.

Cela explique le caractère terrible que revêt ce terme pour ceux qui ne se sont pas éveillés par la pleine conscience de la révélation. Ce terme porte aussi l’idée intrinsèque que l’événement dramatique est imprévisible pour nous qui devrons le subir et programmé par celui qui le déclenchera. En effet, pour les judéo-chrétiens, c’est la seconde parousie de christ qui enclenchera l’apocalypse. Pour les cathares les choses sont moins clairement datées. Si du point de vue humain le déclenchement du phénomène est également imprévisible, la responsabilité de ce déclenchement n’est pas imputable à une entité — que ce soit, Dieu, le christ ou le diable —, mais dépend d’un équilibre précaire qui sera rompu par une sorte d’usure.

Pour les chrétiens, ce caractère imprévisible est largement documenté dans Le Nouveau Testament :

« Mais le jour et l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais seulement le Père. » (Matth. 24, 36)

« Prenez garde, chassez le sommeil, car vous ne savez pas quand c’est l’instant. » (Mc 13, 33)

Pour répondre à ce phénomène aussi imprévisible qu’inéluctable il faut être prêt, comme le rappelle Matthieu :

« Alors le règne des cieux sera pareil à dix vierges qui ont pris leurs lampes et sont sorties au-devant du marié. Cinq d’entre elles étaient stupides et cinq, sensées. Les stupides avaient pris leurs lampes mais elles n’avaient pas pris d’huile ; les sensées avaient pris de l’huile dans des récipients en même temps que les lampes. Comme le marié tardait, elles se sont toutes assoupies et se sont endormies. Au milieu de la nuit, il y a eu un cri : Voilà le marié ! Sortez au-devant de lui ! Alors toutes ces vierges se sont levées pour garnir leurs lampes. Et les stupides ont dit aux sensées : Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent. Les sensées ont répondu : Cela ne suffirait pas pour nous et pour vous ; allez plutôt en acheter chez les marchands. Pendant qu’elles y allaient le marié est venu et celles qui étaient prêtes sont entrées avec lui aux noces, et on a fermé la porte. Enfin viennent aussi les autres vierges, qui disent : Seigneur, seigneur, ouvre-nous. Mais il leur répond : Oui je vous le dis, je ne vous connais pas. Réveillez-vous donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Matth. 25, 1-13)

Pour les cathares, nous ne quitterons ce monde que nous assimilons à l’enfer que lorsque nous aurons fait nôtre le commandement de Christ, la Bienveillance absolue et que nous l’aurons pratiquée jusqu’à notre dernier souffle. Faute de quoi nous reviendrons dans une nouvelle enveloppe charnelle, mais sans la moindre garantie que cette nouvelle vie permettra d’entrevoir cette possibilité de salut comme c’est le cas aujourd’hui, car il n’y a pas, du point de vue cathare, de progressivité et de mémorisation d’une vie à l’autre. Comme l’énonçait naïvement Bélibaste, l’« âme » libérée du corps erre nue et tremblante et se jette dans le premier corps naissant disponible.

En fait, comme je viens de vous le montrer, l’apocalypse — du point de vue cathare —, est l’alpha et l’oméga du cheminement cathare puisqu’elle marque à la fois l’éveil et le salut du croyant et du consolé.

Le point commun entre ces deux extrêmes est la compréhension de la nécessité de quitter le monde, dans ses œuvres en attendant la mort de la prison charnelle qui nous contraint, mais que nous pouvons surmonter.

Or, c’est le point crucial qui constitue la principale pierre d’achoppement pour tous ceux qui souhaitent s’engager dans la foi cathare. C’est donc au moment où la volonté d’engagement est la plus faible que cet obstacle se dresse devant vous.

Mais l’objectif en vaut la peine. Aussi, si vous découvrez le catharisme, ne vous inquiétez pas de ce passage, car quand il surviendra devant vous vous serez mieux à même de le surmonter. Si vous êtes déjà convaincu que le catharisme est la seule voie vers le salut pour vous, ne procrastinez pas et faites le ménage dans vos chaînes mondaines. Après coup vous en ressentirez les bénéfices immédiats comme le prisonnier à qui on vient de retirer ses entraves.

Contrairement à l’intention du texte judéo-chrétien qui clôt le Nouveau Testament, dont l’objectif était de terroriser les communautés pauliniennes pour les forcer à revenir au judéo-christianisme de Rome, l’apocalypse n’a que des significations positives : accéder à l’éveil d’une part et au salut d’autre part.

© le 19 janvier 2025 par Guilhem de Carcassonne

L’esprit souffle où il veut

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L’esprit souffle où il veut

« L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » Évangile selon Jean, chap. 3, 8.

Dans notre monde, les notions les plus naturelles sont celles que nous pouvons formaliser concrètement, toucher du doigt comme on le dit. Même la philosophie traite de choses concrètes que l’on peut formaliser. C’est pour cela que nous sommes réticents à accepter que des personnes semblent manifester des compétences extra-sensorielles, car on ne peut pas les formaliser, c’est-à-dire les intégrer dans une des cases du tiroir que nous construisons pour expliquer le monde.

Mais le croyant sait intuitivement qu’il existe autre chose.

L’entretien de Jésus avec Nicodème dans l’Évangile selon Jean est très intéressant pour comprendre ce qui différencie celui qui est encore prisonnier du monde de celui qui a déjà lâché prise.

Naître d’en bas et naître d’en haut

Dans cet entretien avec Nicodème, Jésus dit être né d’en haut quand Nicodème est — selon lui —, né d’en bas. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de différencier celui qui est issu de l’empyrée divin, domaine de Dieu si l’on peut dire, de celui qui est contraint dans le monde terrestre.

Cela interroge de la part d’un texte issu du document de référence de l’Église catholique qui a fini par s’imposer à toutes les communautés judéo-chrétiennes, à savoir le Nouveau Testament. En effet, il semblerait que cette différenciation évoque deux mondes, donc deux créateurs, ce qui est incompatible avec le dogme judéo-chrétien.

Cette différenciation radicale apparaît ici ou là dans le texte :

« Personne s’il ne naît d’en haut ne peut voir le règne de Dieu. » (Jn 3, 3), « Ce qui est de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. » (Jn 3, 6).

Pourtant le dogme judéo-chrétien, matérialisé dans le credo (ou symbole) de Nicée-Constantinople, fait de Dieu le créateur du ciel et de la terre. De même, l’Ancien Testament et des écrits apocryphes relatent des rapports directs entre Dieu et un homme (Abraham, Isaïe, etc.). Il faut alors s’interroger sur la fiabilité de ces textes et se demander si le Dieu qu’ils évoquent est le même que celui que Jésus présente dans les évangiles.

Si être né d’en bas signifie être prisonnier de la matière alors que l’esprit-saint est lui né d’en haut, il faut en conclure que la matière semble avoir un pouvoir supérieur sur l’Esprit. C’est une impression erronée qui oublie une règle fondamentale de la théorie des principes, telle qu’elle nous est expliquée par Aristote. D’ailleurs, ce dernier explique les choses de façon plus précise dans Les analytiques. Si les principes sont préexistants en leur qualité de cause, il faut pour les saisir, admettre l’antériorité d’une connaissance qui permet de les comprendre. Le philosophe considérait que cette connaissance intuitive n’était pas un principe, ce qui ne remet pas en cause la nature des principes, mais qu’elle est l’apanage d’une catégorie d’êtres vivants limitée. Bien entendu, il inclut l’homme dans cette catégorie, car il porte en lui cette capacité à identifier les principes et à les différencier. Dans sa nature provisoire de mélange, l’homme, s’il met en œuvre cette connaissance, accède à cette capacité de séparation des principes. Mais s’il s’abstient de la mobiliser, il se trouve dans le même état que les animaux qui en sont dépourvus et qui n’ont, comme seule référence, que ce monde auxquels ils attribuent toutes les conséquences, bonnes ou mauvaises.

On peut donc dire que cette connaissance préalable aux principes est ce que les cathares appellent l’éveil. Cette connaissance préalable est ce qui fait de nous des « nés d’en haut ».

L’Esprit ne s’adresse qu’à ceux nés d’en haut

Contrairement à l’imagerie populaire, il n’y a pas de dimension physique pour situer l’empyrée divin. Contrairement à ce monde que nous saisissons dans sa dimension physique, l’empyrée divin est partout où se trouvent les parcelles spirituelles que nous croyons détachées de l’Esprit unique. Contrairement aux dires le royaume de Dieu est au-dedans de nous (Lc, 17, 21).

Par conséquent nous devons comprendre que notre parcelle (l’esprit-saint prisonnier dans notre corps) n’est pas séparée de l’Esprit unique, mais qu’il en est une sorte d’extension, momentanément affaiblie par sa prison mondaine. Aussi, quand nous serons éveillés et prêts à aller vers le Père, ce cheminement sera spirituel et grandira d’autant plus que nous abandonnerons le monde comme l’homme qui fait remarquer que le respect des commandements vétéro-testamentaires ne suffit plus à son désir de salut. À la réponse qui lui est faite : « Une chose te manque : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. » (Lc 18, 22), l’homme renonce, préférant son inconfort spirituel à l’inconfort matériel. Et nous ne pouvons qu’y reconnaître notre propre démarche, car nous aussi sommes réticents à changer de comportement pour adopter celui du détachement, comme le fit le fils prodigue.

Pourtant nous ne pouvons pas chercher l’excuse de la non-réception du message divin, car comme le dit Jean : « Le jugement, c’est que la lumière est venue en ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Ce qui était vrai au premier siècle est toujours valable aujourd’hui. Aussi la plupart préfèrent suivre des guides qui proposent un système spirituel copié sur le système mondain avec des préférés et des rejetés, des saints et des impies, des croyants et des hérétiques en promettant le salut sans effort à ceux qui les suivent.

Donc, si l’Esprit souffle sur tous ceux nés d’en haut, il n’en atteint vraiment que très peu à chaque génération, « car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » (Matth. 22,14) et que les prédicateurs ne sont pas entendus, car comme l’a dit Christ : « aucun prophète n’est accueilli par sa patrie. » (Lc 4, 24). Cela explique très bien que les gourous de tout poil ont de grandes facilités à trouver des adeptes, alors que les prédicateurs humbles et respectueux n’attirent au mieux, que des quolibets. Mais, cela ne rend que plus respectables celles et ceux qui dans cette adversité arrivent à maintenir la qualité de leur foi et la rigueur de leur pratique spirituelle.

Cet échange entre Jésus et Nicodème met aussi l’accent sur la mission de Christ.

Faire le choix du salut

« Le peuple parla contre Élohim et contre Moïse […] Iahvé envoya contre le peuple les serpents brûlants et ils mordirent le peuple : beaucoup moururent du peuple d’Israël. […] Moïse intercéda pour le peuple et Iahvé dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une hampe : quiconque aura été mordu et le verra, il vivra ! » Moïse fit donc un serpent d’airain et le plaça sur la hampe. » (Nb 21, 6-9). Ce texte original de l’Ancien Testament montre un Dieu violent qui tue son peuple quand celui-ci se plaint de ses conditions de vie dans le désert, puis qui consent à proposer une solution pour limiter le nombre de victimes lié à son propre comportement. Le Nouveau Testament utilise ce document dans un tout autre usage. Il prétend que Christ doit être lui aussi utilisé comme antidote à la maladie mortelle des hommes : l’absence de foi sincère.

D’un point de vue cathare, cette vision sacrificielle est incompréhensible, car Christ est venu nous orienter par la raison et non nous sauver par magie et encore moins en se sacrifiant lui-même. Quant à la cause de notre situation, elle n’est pas le fait de Dieu, comme c’est le cas de Iahvé dans l’histoire du serpent d’airain, mais le fait du démiurge qui nous a emprisonné ici-bas.

Et ce salut que nous propose Christ n’est pas un jugement, car le jugement ne peut intervenir que si l’on agit en contradiction avec sa nature. Étant des parties de l’émanation divine, suivre la voie divine ne donne prise à aucun jugement alors que la renier porte en soi le jugement de l’erreur que nous commettrions. Le problème qui nous met en difficulté est la puissance de contrainte qu’exerce sur nous la part mondaine qui nous emprisonne et nous pousse vers le mal.

Pourquoi Nicodème, de par sa situation au sein du judaïsme, défend-il la vision victimaire des hébreux dans le désert ? C’est par son héritage polythéiste et anthropomorphique des religions égyptienne, babylonienne et de leur origine indo-européenne, qu’il ne peut concevoir l’organisation spirituelle que comme un miroir de l’organisation temporelle du monde. Et dans cette vision, il convient de choisir un camp et de s’opposer aux autres. Mais, il semble bien avoir été ébranlé dans ses convictions par cette pensée religieuse totalement détachée du monde et entièrement tournée vers la Bienveillance. Là où les judéo-chrétiens voient un sacrifice quand le juste est martyrisé par les autres, le chrétien authentique voit un accident inévitable pour qui met en œuvre la Bienveillance dans un monde qui ne connaît que la violence. On s’étonnait que les victimes des bûchers de la croisade et de l’Inquisition aient pu avancer vers leur supplice en chantant. Mais là où les ignorants croyaient voir du fanatisme, il n’y avait que la volonté de réussir le retour vers Dieu, malgré une méthode violente contre laquelle ils n’avaient que leur amour à opposer.

Choisir entre la lumière et les ténèbres

Nous aussi nous devons nous interroger sur ces deux points essentiels.

Devons-nous choisir de privilégier notre nature spirituelle dont nous sentons profondément la cohérence et l’évidence ou devons-nous continuer sur la voie des ténèbres qui nous pousse de plus en plus à devenir ce qui nous fait horreur ?

Devons-nous nous satisfaire des demi-mesures que nous proposent ces religions qui tentent de s’adapter au monde ou celles qui poussent à rejeter les autres au nom d’un élitisme égocentré ou devons-nous considérer que l’avenir n’est ni connu, ni prévisible au risque d’échouer si la mort vient nous saisir à l’improviste ou devons-nous considérer que notre travail vers le salut doit commencer ici et maintenant et se poursuivre sans interruption jusqu’à l’heure voulue par notre destinée mondaine ? Pour reprendre l’image néotestamentaire, prenons-nous le risque de nous endormir avec la lampe éteinte ou de l’approvisionner de façon insuffisante au risque d’être rejeté par le fiancé où faisons-nous le choix de la préparation et de la rigueur pour ne pas rester à la porte ? (Matth. 25, 1-13).

Si nous ne faisons pas le bon choix nous péchons contre notre nature spirituelle et ce péché nous oblige à échouer et à retomber dans la mal une fois de plus sans savoir quand nous pourrons être de nouveau en état de changer de vie.

Si nous voulons en finir avec ces cycles infernaux, nous devons changer de vie et renoncer au monde. Notre seule lanterne doit être le commandement unique de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. ». Le mettre en œuvre exige de ne pas cheminer seul, mais de mettre nos efforts en commun pour arriver à la connaissance du Bien (l’entendenza del Be des cathares médiévaux) et de poursuivre cet effort sans faiblir dans le cadre de notre ecclésia qui nous instruit et nous soutient.

Plus nous tarderons à faire ce choix, plus notre errance dans ce monde sera difficile, car la fuite des esprits-saints ayant réussi à partir provoque naturellement l’approfondissement de la nature maligne du monde ce qui rend le cheminement encore plus difficile et douloureux.

Publié le 15 décembre 2024 par Guilhem de Carcassonne

Nous ne sommes pas du monde…

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Nous ne sommes pas du monde…

« Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, mais parce que vous n’êtes pas du monde, parce que mon choix vous a tiré du monde, le monde vous hait. » Évangile selon Jean, chap. XV, v. 19.
Cette parole attribuée à l’apôtre et publiée dans un ouvrage de facture judéo-chrétienne, est fondamentale pour l’ecclésia cathare. En effet, le simple fait de croire sincèrement en Dieu et en la parole qu’il nous à faite parvenir, suffit à faire de nous des étrangers à ce monde matériel.

Nous ne sommes pas du monde ?

Il est pourtant extrêmement surprenant d’entendre l’apôtre nous dire que nous ne sommes pas du monde. En effet, si nous sommes enfants de Dieu et si Dieu est le créateur du monde, nous sommes forcément du monde. Nous avons là une contradiction essentielle entre les termes.

Qu’en pense l’envoyé de Dieu selon les textes judéo-chrétiens ?
Matthieu dit : « Le diable l’emmène encore sur une montagne fort haute, lui montre tous les règnes du monde et leur gloire et lui dit : Je te donnerai tout cela si tu tombes prosterné devant moi. » (Matth. 4, 8-9).
Comment comprendre cette affirmation selon laquelle le diable propose d’offrir à Jésus les royaumes du monde dont, a priori, Dieu est le créateur et par conséquent le propriétaire ? Surtout que Jésus ne dément pas cette affirmation.

Mais si le diable est bien le propriétaire du monde et le gérant de ce qui y vit — puisqu’il semble pouvoir en disposer à sa guise —, l’envoyé de Dieu ne peut accepter de se soumettre puisque lui vient de l’empyrée divin qui n’est pas du monde.
Et du coup, cela permet de mieux comprendre l’apôtre Jean qui nous dit dans son Évangile : « Vous avez pour père le diable et vous voulez ce que désire votre père. Il était homicide dès le principe, il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il ment il tire de son fond ce qu’il dit parce qu’il est menteur et père du mensonge. » (Jn 8, 44). Dans cette affirmation il s’adresse aux scribes et aux pharisiens venus l’interroger, donc aux représentant du peuple juif. Il leur dit aussi : « Vous êtes d’en bas, moi je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde. » (Jn 8, 23).

Il est clair que le maître de ce monde et de ceux qui ne se fient pas à l’envoyé de Dieu est le diable et non le Dieu qui par ailleurs correspond bien dans l’Ancien Testament à la description qui nous est faite de Iahvé. En effet, il ne manque pas d’épisodes où Iahvé tue les hommes ou les fait se tuer entre eux : Déluge, Sodome et Gommorhe, l’épisode du veau d’or, la prise de Jéricho, etc. De même il ment régulièrement aux hommes et ce dès le jardin d’Éden où il omet de dire à ses deux premières créatures qu’elles sont nues. En fait ce texte, fondateur du judaïsme et référence du judéo-christianisme, nous donne à voir une entité plus souvent maligne que bienfaitrice. Or, l’idée que l’on se fait de Dieu est celle d’une entité parfaitement bonne.

Donc, si nous suivons l’envoyé divin, Christ, comme lui nous ne sommes pas du monde et nous devons accepter que ce monde nous en tienne rigueur et nous punisse de notre rébellion.

… mais nous sommes dans le monde

Voilà comment les cathares voyaient la dualité de notre être mondain. Une partie issue de l’Esprit unique, émanation éternelle du principe du Bien et une partie, création maléfique destinée à maintenir la première prisonnière aussi longtemps que possible. Lors de son incorporation charnelle le mélange ainsi produit forme ce que nous appelons l’Adam primordial qui domine tout jusqu’à l’éveil spirituel, où la part spirituelle que j’appelle esprit-saint, provoque l’apparition de Christ en nous, vrai sens de la résurrection.
C’est bien cette conception qui différencie fondamentalement le catharisme des autres religions, dites du Livre.

Cet enfermement mondain est renforcé par l’âme mondaine qui maintient l’esprit-saint prisonnier dans l’ignorance de son état. Nous sommes dans le monde comme le prisonnier est dans sa cellule, mais les conditions de notre enfermement nous empêchent d’en avoir clairement conscience. Mais pourquoi le monde a-t-il voulu nous maintenir enfermé en son sein alors que nous sommes totalement étrangers à lui ? C’est tout simplement parce que notre nature divine, consubstantielle au principe dont nous émanons nous confère l’Être qui fait défaut à la création maligne, par définition limitée à la fois dans le temps et dans sa qualité.

Nous sommes des éléments stabilisateurs du monde, l’empêchant de s’auto-détruire et de retourner au Néant dont il est issu. On peut comparer cela à une aile volante, comme celle qu’utilisent certains parachutistes ou comme celle des parapentistes, qui permet à leurs utilisateurs de voler. Pour autant il n’y a rien de commun entre l’homme et le matériel qu’il utilise pour voler, mais tant qu’il parvient à manœuvrer ces matériels il peut croire qu’il a dépassé sa nature et qu’il est devenu un être volant.

Cette dépendance envers le monde connaît cependant une limite. Cette limite c’est la prise de conscience de notre enfermement. Quand la prison commence à nous apparaître, la manipulation dont nous sommes les victimes perd de sa qualité et nous commençons à nous demander comment faire pour nous évader. Certes, nous sommes très peu nombreux à chaque génération à réussir notre évasion car, comme il est dit par Matthieu (22, 14) : « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. ». En effet, la faute vient de nous puisque nous avons reçu l’invitation par le biais du messager divin, le christ, qui nous dit ce que nous sommes, où nous sommes, où nous devons aller et comment le faire. Mais notre enfermement nous semble plus confortable que les efforts à fournir pour revenir au Père.

Malgré tout, certains entendent et comprennent le message et font ce qu’il faut, ce qui leur permet de quitter définitivement cet enfer. Et même s’ils sont peu nombreux, leur flux est régulier et provoque un déséquilibre entre la partie divine prisonnière et la partie maligne qui la contraint, au bénéfice de celle-ci. C’est pourquoi le retour des esprits-saints vers le Père met en évidence le caractère malin du monde qui se « purifie » dans le Mal dont il est issu. Et cela nous le voyons quotidiennement. Que ce soit dans l’aggravation de l’état du monde sur le plan social, économique, politique et cela met en avant la violence et l’injustice du monde qui est la marque de son appartenance au Mal.

C’est donc en quittant ce monde pour revenir dans l’empyrée divin que nous dévoilons sa nature et confirmons que si nous sommes dans ce monde nous ne sommes pas de lui en quoi que ce soit. C’est la grande leçon qui marque le début du cheminement du croyant : être définitivement convaincu qu’il n’est pas du monde. Bien entendu, le monde ne reste pas passif face à cet éveil spirituel.

S’il fallait résumer cette analyse à une phrase choc, je dirais : Entre deux choix possibles, il faut considérer le pire comme le plus probable.

Pourquoi le monde nous hait ?

« Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous a en haine. » (Première lettre de Jean, 3, 13).
« […] et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse car il a aussi haï notre Seigneur, qu’il a persécuté ainsi que ses apôtres. » (Sermon de Pierre Authié à Pierre Maury[1]).

Pierre Authié est limpide dans son explication donnée au jeune croyant de Montaillou. Il faut cependant la compléter. Ce que le monde hait en nous ce n’est pas notre nature mondaine qu’il nous a donnée, mais notre fonds spirituel qu’il espérait avoir amoindrit au point qu’il ne se manifeste pas. Or, cette part spirituelle n’est pas de ce monde, mais elle nous vient de Dieu dont nous émanons de toute éternité. Et comme les principes du Bien (Dieu) et celui du Mal sont indissociablement étrangers l’un à l’autre, notre part spirituelle est, elle aussi, totalement incompatible avec le monde. C’est cette fracture entre le monde et nous qui explique la haine du monde à notre égard et notre certitude qu’il nous est totalement étranger.
Pour autant cette totale opposition entre part divine et part mondaine — donc maléfique —, ne suffit pas à expliquer l’importance de cette haine. Le monde pourrait ignorer ou mépriser ce qui lui est étranger. Pourquoi le haïr ?

C’est la certitude de son infériorité vis-à-vis du Bien qui fait que le Mal manifeste cette haine. En effet, malgré son apparente supériorité du moment, le monde sait que nous finirons par lui échapper ce qui aura pour conséquence inéluctable sa ruine et son retour au Néant. Cela lui rappelle sans cesse son incompétence à égaler Dieu alors qu’à l’instant donné les apparences sont en sa faveur.

La haine du monde envers nous se manifeste clairement dans la manière dont le monde se délite de plus en plus, comme nous pouvons le constater au quotidien. La souffrance de la plus grande partie de l’humanité, la destruction du monde végétal et animal par l’action de l’homme, mais aussi par l’évolution naturelle qui depuis cinq milliards d’années élimine régulièrement jusqu’à 95% des formes de vies sur la planète, sont autant de manifestation de cette haine. L’état de nature de l’humanité, résultat de notre enfermement, qui nous pousse presque systématiquement à choisir les mauvaises options, est également violent et destructeur ce qui montre que le monde n’est pas capable d’offrir une quelconque forme de stabilité à la flore et la faune et un équilibre bienveillant pour l’humanité. Comment s’étonner dès lors que les humains finissent par s’interroger et en arrivent à conclure que ce monde ne peut venir de Dieu, mais qu’il est l’œuvre du diable ?

Faute de pouvoir espérer une quelconque amélioration de l’œuvre du diable, car comme le disait Raymond Barre — citant Shakespeare — : « On ne dîne pas avec le diable, même avec une longue cuillère.[2] », il faut trouver un moyen de le tenir à distance.

On ne lutte pas contre la haine

Contrairement à ce que l’on pense généralement, la violence n’est pas une réponse durablement efficace face à la haine et à ses manifestations. Pourtant elle est satisfaisante sur le moment et peut même, dans certains cas, désarmer la violence des autres à notre encontre. Mais au lieu de protéger notre confort et notre intégrité physique il faut penser à protéger notre foi et notre intégrité morale. Donc, pour ne pas être considéré comme une proie sans devenir un prédateur, il faut préférer systématiquement la mise à distance et, dans les rares cas où cela sera impossible, renvoyer l’agresseur au risque réglementaire qu’il encourt, car le violent est toujours un lâche qui n’agit que quand il se croit à l’abri de toute sanction.

Si le monde nous hait alors que nous savons que nous ne lui devons rien, il faut résister à la tentation de nous mettre sous sa coupe.
La solution est le détachement vis-à-vis du monde. Pas un détachement ponctuel et partiel, mais un détachement permanent et complet. Si nous ne nous considérons plus comme dépendant du monde, il ne peut plus nous imposer sa haine. Pour cela il faut acquérir une indépendance vis-à-vis du monde en assurant nous-même nos besoins, soit par notre travail direct, soit par le fruit de notre travail. C’est une grande différence entre les chrétiens cathares qui prônent le travail quand d’autres religieux, chrétiens ou autres, prônent la mendicité ou la rémunération de leur activité spirituelle. Ensuite, il faut considérer le monde pour ce qu’il est et le laisser suivre sa route mortifère en allégeant la souffrance de ceux qu’il groie. C’est cela l’empathie. Admettre que le monde va à sa perte et que c’est inéluctable, mais que nous voulons aller vers notre salut, oblige à ne plus nous sentir impliqué dans le monde. Vouloir agir pour le détourner de sa voie est plus vain que de vouloir vider l’océan à la petite cuillère. Par contre, soutenir matériellement et moralement ceux qui sont les victimes du monde est notre manifestation de notre Bienveillance envers nos frères et sœurs d’esprit. Les engagements altruistes envers les personnes sont de cet ordre quand les engagements politiques et syndicaux sont voués à l’échec à terme.

Nous ne sommes pas du monde, mais nous sommes dans le monde. Tout est dit du détachement qui est la première marche que doit gravir le croyant et que nous appelons la lâcher prise.

Publié le 17 novembre 2024 par Guilhem de Carcassonne


[1] Déposition de Pierre Maury in Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier 1318-1325, transcrit et traduit par Jean Duvernoy, éditions Privat (Toulouse) – 1965 (version latine, tome 3, page 123, folio 249d) et éditions Mouton (Paris) – 1978 (version française, tome 3, page 924).

[2] La Comédie des Méprises, acte IV, scène III, Shakespeare (1592). Voici la version anglaise : Marry, he must have a long spoon that must eat with the devil (Marry, il doit avoir une longue cuillère celui qui veut manger avec le diable).

Le fils prodigue est-il un modèle ?

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Le fils prodigue est-il un modèle ?

Cette parabole que l’on ne trouve que chez Luc (chap. XV) est clairement construite en opposition totale aux préceptes de l’Ancien Testament.

La parabole du fils prodigue vient dans le même chapitre, après celle et de la brebis perdue et celle de la drachme perdue, comme si l’organisateur du chapitre voulait mettre en avant l’idée de la joie des retrouvailles, alors que pour le fils prodigue cet élément est bien secondaire comme je vais vous l’expliquer ci-après.

L’événement déclencheur

[…] Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de fortune qui me revient. Il leur a donc réparti son bien et, peu de temps après, le plus jeune fils a tout rassemblé et il est parti pour un pays lointain […]

La parabole nous dit que c’est à sa demande que le plus jeune des deux fils, nanti de la part de la fortune familiale qui lui revient, décide de quitter la maison pour aller vivre pour aller vivre au loin.

Dans le chapitre 3 de la Genèse, Iahvé chasse l’homme et la femme du jardin d’Eden (v. 23) de peur que leur connaissance du bien et du mal (v. 22) n’en fasse l’égal de la divinité et pour s’assurer qu’ils ne pourront revenir, il met en place une garde de Chérubins armés d’épées flamboyantes à la frontière est. Cette frontière est également celle par où partira Caïn après le meurtre d’Abel.

Dans la Genèse c’est le péché ou la faute commis par l’homme et la femme qui conduit Iahvé à les sanctionner. Et pour renforcer la sanction il met en place les moyens d’un impossible retour.

Dans Luc c’est le fils qui fait le choix de partir. Le père, qui n’est pour rien dans ce départ ne fait aucun reproche et ne ferme pas la porte de la maison familiale.

Ce départ volontaire est proche de l’idée que les cathares se faisaient de la chute des esprits-saints (âmes spirituelles) dans la matière mondaine. Eux aussi seraient partis de leur plein gré suite à une manipulation ou mensonge du diable, comme le rappelle la seconde partie du Père saint des croyants cathares que rapporte Jean Maury devant l’inquisiteur :

« … des miens qui sont tombés du paradis, d’où Lucifer les a tiré avec le prétexte de tromperie que Dieu ne leur promet que le bien, et du fait que le diable était très faux, et leur promettait le mal et le bien, et leur dit qu’il leur donnerait des femmes qu’ils aimeraient beaucoup, et leur donnerait seigneurie les uns sur les autres, et qu’il y en aurait qui seraient rois, et comtes, et empereur, qu’avec un oiseau ils en prendraient un autre, et avec une bête une autre ; (que) tous ceux qui lui seraient soumis et descendraient en bas auraient pouvoir de faire le mal et le bien, comme Dieu en haut, et qu’il leur vaudrait beaucoup mieux être en bas, pouvant faire le mal et le bien, qu’en haut où Dieu ne leur donnait que le bien. Et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre, et autant qu’ils y montèrent ils tombèrent et périrent…[1] »

Cela nous dit deux choses. Si une part de l’Esprit unique est tombée c’est qu’elle fut trompée par le diable qui l’a divisée, d’où son nom qui vient du grec diabòlos, du latin diabolus et de l’italien diabolo dont un des sens est celui de calomniateur mais aussi de diviseur. Mais aussi, il faut comprendre que cette expérience est impossible à reproduire, puisque désormais l’Esprit unique est informé de cette duplicité. C’est important à comprendre pour que l’épisode de la chute ne puisse être considéré comme reproductible.

La réalité de la nouvelle situation

[…] Là, il a dilapidé sa fortune en vivant comme un perdu. Il avait tout dépensé quand il y a eu une forte famine dans le pays ; et il a commencé à manquer. Alors il est allé s’attacher à un citoyen du pays, qui l’a envoyé dans ses champs faire paître des cochons. Et il convoitait de se remplir le ventre des caroubes que les cochons mangeaient, et personne ne lui en donnait. […]

 Le fils qui a quitté la sécurité de sa famille perd son bien en menant une vie de débauché et il se trouve dans une situation encore pire quand survient une famine. Il touche alors le fond, puisque s’étant mis au service d’un habitant du pays il en vient espérer pouvoir manger la même nourriture que les cochons qu’il garde.

Cette situation correspond à celle de l’humanité, tombée au pouvoir du Mal dans ce monde qui, dans un premier temps, profite des biens de ce monde, mais qui s’aperçoit un jour que cette vie semble sans objet, car elle n’offre pas d’espoir au-delà de la mort, ce qui fait que l’on vit au jour le jour une vie d’esclave de la matière qui nous contraint. Cet espoir d’au-delà nécessite une nourriture spirituelle. C’est ce qui se passe à l’occasion de l’éveil suscité par les savoirs accumulés et analysés qui conduisent à la connaissance.

La parabole met l’accent sur les motifs qui ont conduit le fils à tomber aussi bas, ce qui constitue le titre habituel de cette parabole : prodigue. Cet adjectif est la justification de l’état de déchéance, car il désigne le fait de ne pas avoir su gérer son bien et de l’avoir dilapidé. Mais les cathares voient les choses autrement. Les esprits-saints étant de substance divine sont ignorants du mal et n’ont pas les défauts qui sont notre lot ici-bas, comme la méfiance, la duplicité, le mensonge, etc. C’est pour cela que dès leur chute ils sont enfermés dans des prisons de matière, gérées par l’âme mondaine qui dispose notamment des la sensualité (les cinq sens) pour faire oublier aux esprits-saints leur situation carcérale.

Comme dans le film Matrix®, cette situation convient à la plupart, même si la vie en ce bas-monde n’est pas toujours agréable. En fait la promesse d’un mieux, comme dans les mythes grecs de Sisyphe ou de Tantale, suffit à maintenir l’enfermement. Comme dans la caverne de Platon, le fait d’entrevoir la lumière au bout du long chemin ascendant, ne suffit pas à créer la motivation nécessaire pour nous décider à l’emprunter.

Et nous restons dans notre fange en espérant obtenir mieux un jour.

La contrition et la pénitence

[…] Revenant à lui, il s’est dit : Combien de salariés de mon père ont du pain de trop, alors que moi, ici, je péris de famine ! Je vais me lever et m’en aller chez mon père ; je vais lui dire : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, fais de moi comme l’un de tes salariés. Il s’est levé et il est venu chez son père. […]

La contrition nécessite l’éveil qui permet de distinguer ce qui relève des manquements à la loi mondaine et ce qui relève des manquements à la Loi de Bienveillance. Le terme « revenant » est à ce point de vue très révélateur. Le revenant est certes celui qui est parti, mais aussi celui qui est mort et qui revient partiellement vers les vivants. Cela s’applique aussi à la foi. Les cathares disent qu’il faut laisser mourir en nous l’Adam primordial (l’homme mondain) pour permettre la résurrection du christ en nous (l’homme spirituel). On retrouve cette notion dans plusieurs textes canoniques et apocryphes (résurrection de Lazare, mort de Saphire et Ananias, etc.).

La contrition permet la reconnaissance des erreurs commises et leur considération comme des fautes, ce qui implique de faire preuve d’humilité, quand beaucoup cherchent des responsables extérieurs aux erreurs qui leur sont en fait imputables. Cette contrition est à la base de la démarche de retour au Père, car quand on ne sait pas d’où on vient, comment pourrait-on y retourner ?

Une fois le bilan des erreurs fait de façon complète et honnête, on peut commencer la pénitence. Je parle de pénitence, car il ne faut pas croire que l’éveil fait de nous des supérieurs aux autres. Contrairement à la caverne de Platon où ceux qui se sont détachés et qui voient comment ils ont été trompés, se moquent des autres toujours captifs. Pour nous, cathares, la non-violence et l’humilité imposent le refus de juger. Chacun chemine à sa façon et en son temps, sans esprit de vanité ou de compétition.

La pénitence demande des efforts pour réfréner notre égo en acceptant notre état, de la cohérence pour établir le chemin à suivre et de la constance pour ne pas être découragé par les efforts et les difficultés qui s’annoncent.

Le chemin sera donc long et difficile, sans oublier le doute qui nous taraudera régulièrement.

Le retour au Père

[…] Il était encore loin quand son père l’a vu, s’est ému et a couru se jeter à son cou et lui donner des baisers. Le fils lui a dit : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Et le père a dit à ses esclaves ; Apportez vite le meilleur habit et revêtez l’en, mettez-lui une bague au doigt et des chaussures aux pieds ; et amenez le veau gras, immolez-le et mangeons, faisons la fête, car mon fils que voilà était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé. Et ils ont commencé à faire la fête. […]

On retrouve dans cette partie l’implication du berger et de la femme des deux paraboles précédentes. Cela est destiné à motiver celui qui envisage de suivre l’exemple du fils prodigue et lui montrant l’impatience du Père à notre retour. Bien entendu, les choses sont sans doute différentes, car il n’y a pas d’émotion dans l’empyrée divin.

Ce qui est intéressant c’est la contrition déjà évoquée par le fils dans son exil, qu’il réitère devant son père. Car, c’est une chose de comprendre son erreur et c’en est une autre de la reconnaître officiellement devant celui que l’on a trahit.

Nous avons là le déroulé complet de notre histoire spirituelle. Tombés dans la matière par crédulité envers un diviseur, nous nous y sommes complus pendant des milliers d’années de vies perdues, puis nous avons pris conscience de notre erreur et avons décidé de faire amende honorable et de revenir vers le Père. Nous savons que nous serons accueillis, car le principe du Bien ne juge pas.

Ainsi, le christianisme nous donne l’explication de notre situation et le procédé à suivre pour mettre fin à notre exil. Encore faut-il vouloir le comprendre et agir au lieu d’attendre que notre Dieu fasse tout le travail comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue.

Le frère aîné

Le chapitre final de la parabole (v. 28 à 30) fait l’objet d’un rajout au texte initial, ce qui explique son incohérence avec le reste du texte.

[…] Son fils aîné était aux champs, mais à son arrivée, quand il a approché de la maison, il a entendu la musique et les danses ; il a appelé un des garçons pour lui demander ce que c’était. Celui-ci lui a dit : Ton frère est là et ton père a fait immoler le veau gras parce qu’il l’a retrouvé valide. Alors il s’est mis en colère, il ne voulait pas entrer. Son père est sorti l’appeler ; mais il a répondu à son père : Voilà tant d’années que je te suis asservi, sans jamais passer outre à ton commandement, et tu ne m’as jamais donné un bouc pour faire la fête avec mes amis ; et quand ton fils que voilà vient de dévorer ton bien avec des prostituées, tu lui immoles le veau gras ! Mais il lui a dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi ; mais il fallait faire la fête et se réjouir, car ton frère que voilà était mort et il revit ; il était perdu et il est retrouvé. […]

On comprend la volonté du scribe qui a rajouté ce final pour le faire coïncider avec la parabole de la brebis et de la drachme perdue. Il s’agit d’une remontrance envers le fils prodigue, dont le retour triomphal a dû choquer la hiérarchie judéo-chrétienne. En effet, son père ne lui reproche rien et le rétablit intégralement dans ses droits antérieurs sans l’ombre d’une punition. Or, quand vous passez au confessionnal, certes le prêtre vous absout, mais il exige une petite pénitence pour vous montrer combien vous étiez dans l’erreur. Là, la pénitence vient du fils et non du père, car c’est celui qui connaît ses fautes qui peut les évaluer et agir en conséquence, comme le faisaient les cathares lors du service mensuel.

Par contre, l’Esprit saint est unique et indivisible, qu’ils soit resté auprès du Père sans être enlevé par le démiurge ou qu’il soit tombé, comme est unique la communauté évangélique qui fait son service mensuel d’une seule voix et qui s’impose la pénitence qu’elle juge adaptée. Le diacre n’est là que pour constater le bon fonctionnement de la communauté.

Vous le voyez, les paraboles sont des leçons destinées à nous permettre de comprendre ce que nous devons savoir et ce que nous devons faire. Le problème est d’en retirer les scories accumulées par les hiérarchies judéo-chrétiennes.

Guilhem de Carcassonne


[1] Registre d’Inquisition de Jacques Fournier – 1318-1325. Déposition de Jean Maury devant l’Inquisition d’Aragon, tome II, pp 461-462 f° CCXIIIv° (version latine), tome III, p. 860 (version française). Jean Duvernoy 1965 (v. lat.) – 1976 (v. franç.).

Mon frère n’est pas mon prochain

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Mon frère n’est pas mon prochain

Qui doit-on aimer ?

Aimer son prochain

Si le livre de l’Exode (20, 2-18) et le Deutéronome (5, 6-21) qui détaillent le Décalogue (les dix commandements) ne le précisent pas aussi clairement, le Lévitique, lui, le précise clairement (19, 17) : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Matthieu (22, 39) et Marc (12, 31) reprennent ce point et en font le deuxième commandement le plus important.

Mais qui est mon prochain ? Le Lévitique le précise clairement : il s’agit des fils de ton peuple, c’est-à-dire les membres de la communauté juive ; les coreligionnaires.

Donc, pour les juifs l’amour doit être sélectif et ne peut concerner que les proches, et encore, les proches qui sont dans les petits papiers de Iahvé. Car, je vous rappelle les propos du livre de l’Exode (32, 10, 26, 28, 33, 35) où l’on voit Iahvé désireux d’exterminer les juifs. Moïse accomplit cette mesure avec l’aide des fils de Lévi et fait tuer environ 3 000 juifs, adorateurs du veau d’or. Ensuite, Iahvé valide ce comportement et le poursuit lui aussi.

Bien entendu, s’agissant des autres peuples, la question ne se pose pas. Les juifs, aidés de Iahvé, les exterminent jusqu’au dernier, incluant parfois les femmes, les enfants, les vieillards, voire les animaux.

Les chrétiens doivent-ils suivre Matthieu et Marc et n’appliquer que la loi de Iahvé ?

Aimez-vous les uns les autres

Dans Jean (13, 34), Jésus énonce ce qu’il appelle un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, vous aussi vous aimer les uns les autres. »

Est-ce que ce nouveau commandement est en opposition avec le vieux commandement de la Torah ? Cela dépend comment on le comprend. Si l’on se place dans le contexte local qui est décrit, une réunion entre Jésus et ses disciples, on pourrait croire ce commandement limité à ce groupe. Si l’on tient compte du contenu de la phrase : « …comme je vous ai aimés… », il est clair que Jésus n’a fixé aucune limite à son amour qu’il a dispensé très largement au-delà du cercle intime et même vers des populations considérées comme étrangères (samaritaine, officier romain, etc.).

Donc, on peut raisonnablement penser que Jésus va au-delà du commandement de Iahvé et élargi l’amour dû aux autres à tout le monde. C’est pour cela qu’il annonce que la loi de Moïse est accomplie. Comme toute tâche qui est accomplie, la loi ne s’applique plus aux hommes, selon Jésus qui va en proposer une autre, différente et parfois opposée.

Mais qu’en est-il des cas particuliers, comme ceux qui ne nous aiment pas ?

Matthieu (5, 43-48) confirme le rejet de la loi mosaïque au profit d’une loi d’amour universelle : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent. »

Luc (6, 27-28) confirme cela aussi : « Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous insultent. »

Là on est clairement dans une opposition totale avec la loi de Iahvé et avec la tradition humaine. Qui peut citer un peuple, à quelque période que ce soit, qui ai pratiqué ainsi ? Personne évidemment ! On comprend mieux que les judéo-chrétiens aient conservé la mauvaise habitude de la loi juive, le plus souvent renforcée par la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent, etc.) issue du code d’Hammourabi[1] (paragraphes 196 et suivants).

Pourtant aucun chrétien ne devrait s’abstenir de suivre la loi d’Amour universel, que je préfère appeler Bienveillance pour éviter les mauvaises interprétations. Mais cette obligation de Bienveillance universelle interdit-elle de mettre en place des gradations dans sa pratique ? Ai-je le droit de préférer ma femme à mon cousin, mon cousin à mon voisin, mon voisin à un étranger, etc. ? En clair existe-t-il des critères de préférence qui pourraient venir contredire les critères sociaux hérités de notre animalité ?

Qui doit-on aimer préférentiellement ?

Après avoir remis en question la loi d’appartenance sociale et religieuse de la Torah, Jésus va également s’en prendre à la loi d’appartenance familiale. Dans Matthieu (12, 48-49) et Marc (3, 33-34) il rejette la filiation et la parenté au profit de l’adhésion spirituelle : « Qui est ma mère ? Et mes frères ? Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

Là encore, le judéo-christianisme refuse d’appliquer cette parole, préférant largement en rester aux concepts de la loi mosaïque qui favorise le prochain à l’étranger. C’est pour cela que l’on bénit les canons, que l’on organise des croisades et que l’on brûle les hérétiques.

Mais le vrai chrétien doit savoir que sa Bienveillance ne peut s’autoriser de préférences. Elle doit s’appliquer à tous, de la même façon et avec la même intensité, c’est-à-dire autant qu’on le peut. Il n’est pas étonnant que les chrétiens qui ont mis cela en avant aient eu des problèmes. Dans l’histoire moderne, seul Gandhi a appliqué ce principe, allant jusqu’à confectionner des pantoufles pour le directeur de la prison où il était retenu indûment.

Qu’en est-il des relations sociales dans le christianisme ?

Le chrétien vit détaché du monde

On le voit, la stricte et simple application du commandement d’Amour de Christ et sa conception des liens sociaux remettent en cause ce que les hommes considéraient comme la norme avant lui.

Mais cela est-il limité à certains moments de la vie ou bien faut-il l’appliquer en permanence, y compris dans les temps particuliers des liens sociaux ?

Nous pouvons répondre à la question avec cette anecdote que vous trouverez dans Matthieu (8, 22). Alors qu’il s’apprête à partir avec ses disciples, Jésus est interpelé par l’un d’entre eux qui est requis pour l’enterrement de son père. Il lui répond : « Suis-moi et laisse les morts ensevelir leurs morts. ». S’il est un temps social majeur, c’est bien celui où le fils marque sa filiation et sa position sociale en participant activement aux obsèques de ses géniteurs. Or, Christ désigne cela comme une pratique mortifère pour le croyant. En effet, celui qui enterre un mort montre son attachement à l’idée que cela est nécessaire au devenir du mort dans l’au-delà. Cette pratique marque le passage entre l’animal et l’homme. Comme je l’ai expliqué dans de précédentes publications, les anthropologues ont observé l’apparition de l’ensevelissement rituel chez les homo-neanderthalensis et les homo-sapiens dans une période située entre 40 000 et 100 000 ans avant l’ère commune. Cette pratique marquerait le début de la religion chez les hommes. Cela rejoint le point de vue de René Girard[2].

Paradoxalement, s’il vit détaché du monde pour ce qui est des relations sociales, le chrétien est pleinement en communion avec les hommes en raison de sa nature à pratiquer la Bienveillance.

Nous sommes tous frères

Tous les chrétiens considèrent être des « créations » divines. Notre présence sur terre est la conséquence d’un événement fâcheux : la faute originelle pour les judéo-chrétiens ; la chute des anges pour les autres.

Les cathares ont poussé ce concept cosmogonique dans sa logique évidente : les hommes sont des parcelles divines tombées dans le monde par la faute du démiurge qui a « divisé » l’Esprit unique pour l’incorporer dans les corps de matière, les tuniques d’oubli, où ils sont à la fois prisonniers pour ne pas avoir la volonté de fuir ce monde, et pour servir d’outil permettant la persistance d’un monde qui est forcément limité dans le temps, alors que les parcelles divines, que j’appelle volontiers les esprits-saints, sont logiquement éternelles.

Cette idée est certes assez différente des autres, mais elle n’a rien d’excessif, si l’on se rappelle les vers de Lamartine : « L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux. »[3].

Donc, non seulement les cathares considèrent que les esprits-saints sont en fait des parcelles d’un même tout, ce qui en fait des entités parfaitement égales entre elles, des frères, mais ils rejettent toutes sortes de distinctions entre les esprits-saints tombés et ceux qui sont restés dans l’empyrée divin, fut-ce le Saint-Esprit consolateur ou le Christ.

Nous sommes donc détachés du monde mais liés en ce monde à nos frères de captivité et en attente de rejoindre l’Esprit unique par ce que les cathares appellent le mariage mystique. C’est pour cela que les cathares rejettent toute idée de différenciation entre les hommes (terme neutre incluant les femmes) y compris dans le cadre de responsabilités à assumer.

C’est pour cela que l’Église cathare dispose d’une hiérarchie fonctionnelle qui est totalement différente de la hiérarchie de pouvoir de l’Église catholique, même si les titres sont les mêmes. L’évêque cathare n’exerce aucune autorité de pouvoir sur les consolés qui dépendent de son diocèse, mais il est choisi par ces derniers pour administrer l’Église en plus de ses obligations de consolé. Le choix se porte sur celui que l’on considère comme le plus avancé dans le cheminement spirituel, car les obligations de la charge ne doivent pas empêcher la progression spirituelle.

Le rapport au monde

Le cheminement spirituel passe par un éveil de la part prisonnière : l’esprit-saint. Cet éveil vise à lui donner la capacité à surmonter la prégnance qu’exerce la part mondaine : l’âme mondaine, qui use de tous les moyens pour maintenir l’esprit-saint dans l’oubli de sa nature. Il est donc nécessaire qu’il soit capable d’agir malgré cette prégnance. Pour cela il doit se confronter au monde et non s’en cacher. Pour les cathares le consolé doit vivre dans le monde et non se cacher dans un monastère ou vivre en anachorète ou en ermite.

Il doit également agir en égal de tous les autres esprits-saints prisonniers ici-bas et non s’octroyer une situation sociale favorable. C’est pour cela qu’il doit gagner sa vie par son travail, même s’il a des charges ecclésiales à assumer en plus. Si au Moyen-Âge les femmes étaient exclues de fonctions nécessitant des déplacements hors des maisons cathares, c’est pour des raisons de sécurité, car les routes étaient dangereuses — y compris pour des hommes. Aujourd’hui cela n’a plus de raison d’être.

Mais comment le consolé peut-il mettre en accord sa foi et les obligations du monde ?

Comme c’est souvent le cas pour des pratiquants de religions, le cathare devra respecter les lois du pays où il vit et devra chercher des adaptations pour les lois qui s’opposent trop fortement à ses convictions. Heureusement, ces cas sont assez rares. L’obligation de non-violence conduira le consolé à refuser de participer à des activités violentes, comme les activités liées à la mise à mort d’animaux et, bien entendu, aux activités militaires. L’obligation d’humilité le conduira à refuser de participer à des activités pouvant le conduire à porter un jugement sur autrui. Il devra également s’abstenir de jurer ou de prêter serment. En fait, cela le conduira à rejet bon nombre de métiers en lien avec l’État.

Au final, il n’aura pas plus de mal à se fondre dans le monde actuel que les cathares médiévaux n’en avaient à le faire dans le monde de leur époque.

Conclusion

L’homme est un animal social, mais le cathare n’est plus complètement un homme. Si la Bienveillance le pousse à apporter son soutien aux autres hommes sans aucune distinction d’aucune sorte, l’engagement du consolé peut l’amener à privilégier sa foi aux règles sociales.

Pour simplifier, le cathare n’a que des frères et pas de prochain.

Guilhem de Carcassonne (15/09/2024)


[1] Roi de Babylone (environ 2000 ans avant l’ère commune) qui a fait installer des bornes aux limites de son royaume indiquant la loi qui devait y être respectée et les peines encourues. https://remacle.org/bloodwolf/erudits/amourabi/code.htm

[2] Des choses cachées depuis la fondation du monde – éditions Grasset & Fasquelle 1978.

[3] L’homme in Méditations poétiques – édition du Livre de poche

Le jugement

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Le jugement

Quand j’ai écrit mon texte concernant l’amour, j’ai fait à la fois un travail qui devait logiquement convenir à n’importe quel chrétien, même si certaines spiritualités qui s’en réclament peuvent ne pas partager totalement mon analyse. En effet, l’amour est a priori un élément central et commun à tous les chrétiens.

S’agissant du jugement, les choses sont différentes. En effet, selon que l’on accepte comme divins l’ensemble des commandements de l’Ancien Testament ou non, on sera amené à considérer certaines règles éthiques d’une façon ou d’une autre. C’est donc dans la droite ligne de ce que je crois et de ce que je retrouve dans la doctrine cathare que je vais exprimer ce que je pense de ce point de doctrine important du catharisme.

La règle de vérité et de justice

Et oui, le catharisme reconnaît une règle, car on ne saurait vivre dans le monde sans être astreint à vivre selon des règles. Le christ lui-même vivait selon des règles, même s’il avait su en limiter la prégnance autant que faire se peut. Quand le jeune homme riche vient lui demander conseil, il commence par lui rappeler que les règles issues de l’Ancien Testament sont à suivre, mais il en rajoute une autre, l’abandon de toute attache mondaine au profit d’une vie de disciple.

Chez les cathares l’ensemble des éléments à respecter pour mener une vie évangélique étaient regroupés sous la terminologie de « règle de vérité et de justice ».

J’ai déjà présenté cela dans d’autres documents, aussi me contenterais-je de redonner les éléments relatifs au jugement que l’on retrouve dans cette règle.

La vérité.

C’est en son nom que l’on s’abstient de juger. En effet, qui peut prétendre détenir la vérité au point de pouvoir émettre un jugement valable et durable ?

Quand la pécheresse est jetée aux pieds de Jésus afin qu’il valide la lapidation voulue par la foule, il ne remet pas la loi en cause, mais il en démontre le caractère inapplicable. En effet, pour définir la culpabilité, il faut plus que des preuves ; il faut que le juge soit lui-même exempt de toute faute, sinon au nom de quelle loi pourrait-il juger s’il est lui aussi coupable vis-à-vis d’un point quelconque de la même loi ? La vérité est donc que nous sommes inaptes à juger autrui, car, en notre situation de frère de misère, nous ne valons guère mieux. En outre, que savons-nous vraiment de la culpabilité de l’autre ? Est-elle une et indivisible ? Est-elle invariable et inaltérable ? Est-elle limpide et totale ? Nous n’en savons rien et ne pouvons que supputer. Risquerions-nous notre vie avec aussi peu de certitude ? Pourquoi risquer la probité et la vie des autres alors ?

C’est donc bien par amour de la vérité que l’on ne doit pas porter de jugement et bien par bienveillance, car cette vérité que l’on chérit, on la souhaite autant à autrui qu’à soi-même si l’on sait bien que cet espoir ne peut qu’être déçu en ce monde.

La justice.

Jugement et justice, deux mots si proches et pourtant si différents en ce monde. La justice veut ce qui est juste, c’est-à-dire ce qui n’est ni trop ni trop peu ; ce qui est équilibre et mesure comme l’explique si bien Aristote[1]. La justice, aurait-il dit également, est la vertu de la vérité. En effet, la vérité ne peut aboutir qu’à la justice en toutes choses. Là encore, nous retrouvons Jésus et la pécheresse quand il constate que nul n’a jeté la première pierre, il lui dit que lui non plus ne la juge pas. Pourtant nous pourrions croire qu’il était le seul à disposer de la vérité et donc en mesure d’appliquer la loi. Mais, s’il connaît effectivement la vérité puisqu’il lui enjoint de ne plus pécher — ce qui confirme qu’elle est bien pécheresse — il ne la juge pas pour deux raisons. D’abord, il connaît les failles de la loi juive, soi-disant loi de Moïse gravée dans l’argile par le doigt de Dieu, dont il va lui-même éprouver sous peu la totale injustice et il va la confondre en forçant ceux qui se réclament de Dieu à mettre à mort celui qui est envoyé par Dieu. Ensuite parce qu’il applique la loi d’amour, la loi qui ne juge pas, la loi qui ne connaît pas les degrés hiérarchiques, pas plus en matière de justice qu’ailleurs. La loi d’amour ne juge pas, ne pardonne pas, elle excuse et mieux, elle ne ressent pas l’offense.

La justice, en raison de sa nature d’équilibre, ne peut reconnaître aucune supériorité de quiconque sur autrui. Donc, si nous sommes tous égaux, dans notre nature divine, dans notre incarnation mondaine et dans notre nature pécheresse, comment pourrions-nous porter un jugement sur quiconque ?

Pouvons-nous éviter le jugement ?

Le jugement arme mondaine contre l’Esprit

Nous sommes tous comme Pierre. Quand le danger est loin, nous protestons notre fidélité et notre courage, mais qu’il nous frôle et, sans même y réfléchir, nous n’avons pas assez de salive pour renier ce qui nous semblait si indispensable quelques minutes plus tôt. Et ce n’est pas trois fois ou même dix fois que nous nous renions mais des milliers de fois.
Nous protestons de notre justice en affirmant notre désir de ne juger personne, mais peu ou prou, nous jugeons tout le monde, nous exceptés. Pourquoi sommes-nous à ce point victime de la volonté de juger ?

Je pense que le jugement est en fait une des armes de l’âme mondaine pour maintenir l’esprit divin prisonnier du corps de boue.

En effet, comme la sensualité, le jugement est un outil qui permet de valoriser celui qui en use. En outre, c’est même un outil de survie puisque c’est grâce au jugement que nous tentons de nous hisser dans la catégorie des prédateurs et d’échapper ainsi à celle des proies. Comme je l’ai déjà dit, celui qui juge se considère comme détenteur de la vérité et donc comme disposant d’une supériorité manifeste sur celui qu’il juge. Il se conforte lui-même dans sa conviction de supériorité et tente de tromper ceux qui le suivent en faisant de sa vision personnelle un élément de nature à dominer les autres.

Comme Pierre nous jugeons en prétendant ne pas le faire et, pires que lui, nous le nions dès que le coq de notre conscience nous signale notre faute contre l’esprit qui nous habite. Nous nions par fierté et arrogance au lieu de nous enfuir et de pleurer comme il le fit.

Comment ne pas juger ?

Mais, nous qui portons l’espoir d’emprunter un jour ce chemin de vérité et de justice, ne pouvons-nous donc rien faire ? Comme nous le faisons vis-à-vis de la sensualité, nous pouvons nous efforcer de réduire la prégnance du jugement sur notre pensée et sur nos comportements.

Certes, cela n’est pas facile et l’ascèse morale est bien plus difficile à suivre que l’ascèse physique. Jeûner, la belle affaire ! Mais ne pas juger voilà qui est compliqué. C’est pourquoi il nous faut appliquer une technique d’évitement comme le faisaient nos bons chrétiens médiévaux. Et oui, si l’Église cathare était « l’Église qui pardonne et qui fuit » c’était en application stricte de la règle de vérité et de justice. La fuite n’est une honte que pour les prédateurs qui ont peur que cette attitude les ravale au rang de proies. Le bon croyant fuit la confrontation susceptible de le faire pécher. Il fuit, car il se sait faillible et, n’étant pas certain de pouvoir se contrôler, il choisit d’éviter une situation incontrôlable. Il fuit par amour, pour ne pas faire subir à l’autre ce que la bienveillance qu’il lui porte lui impose de lui épargner. Et je trouve que je ne fuis pas encore suffisamment, ou plutôt pas assez tôt.

Ne pas juger n’est pas s’interdire de donner un avis

Quand tel ou tel commence à glisser du terrain de la discussion argumentaire vers celui du jugement de l’individu, je devrais m’interdire la moindre réponse et le laisser se complaire dans ses certitudes. J’arrive à ne pas enchaîner critiques et jugements à l’infini, mais pas encore à m’empêcher de les commencer.

Nous pouvons éviter de juger, mais le voulons-nous vraiment ? Car le jugement est doux à notre humanité. À ceux qui disent justement que pour atteindre le salut nous devons mourir en ce monde, je dis mon accord et j’ajoute que cette mort commence par l’anéantissement du prédateur qui ne demande qu’à dominer en nous.

Mais n’y a-t-il rien de possible entre le jugement et la fuite ?
Comme nous le faisons dans nos études, nous pouvons user de l’analyse. Dire que tel argument, tel propos ou telle affirmation sont inexacts, faux ou malhonnêtes n’est pas un jugement si nous pouvons apporter des éléments probants à l’appui de notre analyse. Dire qu’une personne ment quand nous constatons dans ses propos des contradictions flagrantes et démontrables n’est pas juger la personne, mais critiquer et dénoncer ses propos et ses affirmations. Par contre, catégoriser une personne de façon péjorative est un jugement ad hominem et est à prohiber absolument.

Comme vous le voyez, la frontière est ténue et cela sert souvent d’argument aux personnes dont vous critiquez les arguments pour prétendre que vous les jugez ou à celles qui jugent les autres pour dire qu’elles ne font que de l’analyse. La mauvaise foi a toute sa place dans un domaine où l’égo prend souvent le pas sur la raison.
Aller j’en ai assez dit pour le moment. Je n’ai plus qu’à appliquer au quotidien ce que je sais si bien exprimer sur la page blanche. Pour vous, je n’ai rien à dire, car le catharisme est la spiritualité où l’on ne peut sauver que soit, et encore très difficilement.

Guilhem de Carcassonne le 11 août 2024 dans Cultes publics.


[1]. « Éthique à Nicomaque »

Gnose et gnosticisme

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Gnose et gnosticisme

Introduction

À force d’entendre le catharisme se faire traiter de religion gnostique sans qu’aucun de ceux qui l’affublaient de ce qualificatif soit capable de me dire précisément ce qu’il entendait par là, j’ai fini par trouver nécessaire d’essayer de rationaliser cela afin d’en tirer des conclusions dignes d’intérêt.

En effet, si beaucoup trouvent normal d’affirmer sans plus argumenter ou d’argumenter sans proposer des références consultables et comparables, voire se réfugient dans les limbes d’un ésotérisme de façade appuyé sur un verbiage et une sémantique volontairement absconse afin de ne pas se sentir à l’étroit dans des théories qu’ils ne savent jamais expliquer clairement, pour ma part je ne veux ni me tromper de voie, ni entraîner quiconque sur des chemins de fortune.

Après tout, le gnosticisme ne devrait pas être obligé de se cacher si ce qu’il prône est digne d’intérêt.

C’est pourquoi après avoir été quelque peu déçu, voici quelques années, par une première tentative d’incursion dans ce secteur de la spiritualité — notamment en lisant le travail de Henri-Charles Puech[1] — j’ai décidé, cette fois, d’être plus exhaustif et de faire sérieusement le tour du sujet de la période apparente de son apparition jusqu’aux plus récentes publications.

La Gnose, qu’es acco ?

Selon les périodes et les auteurs la gnose s’est vue attribuer des origines variées : chrétienne tout d’abord dès le IIe siècle, puis juive quand il s’est avéré que ceux que l’on qualifiait de gnostiques rejetaient la Torah et même préchrétienne, voire orientale quand on croyait découvrir des textes gnostiques considérés comme préchrétiens. Charles-Henri Puech précise même qu’il y a autant d’Églises gnostiques que d’évêques !

Dans son ouvrage[2], François Decret dit d’elle : « À la différence de la connaissance rationnelle et discursive, qui aboutit au concept et opère par déductions et propositions théoriques, la gnose, qui échappe aux mécanismes de la logique et à ses démarches spéculatives, propose son enseignement sous forme de mythe. » Ainsi la connaissance acquise dans la gnose serait en fait acquise par une sorte d’intuition sans base logique et incapable de se plier à l’argumentation rationnelle.
Pourtant, bien des courants de pensée et bien des religions se sont vues classées dans la gnose alors qu’elles proposaient au contraire une connaissance logique et rationnelle. Dans le christianisme, le marcionisme, le paulicianisme et le catharisme pour ne citer qu’eux furent victimes de cette classification manifestement erronée puisque justement leur argumentaire était fondé en logique et rationalité et que la connaissance à laquelle ils ouvraient était même parfois plus cohérente et logique que celle de l’Église de Rome.

Il faut donc chercher ailleurs une définition de la gnose qui soit acceptable. Simone Pétrement[3] propose de chercher les origines de la gnose chez Paul : « Si ce renversement s’est produit dans et par le christianisme, la crucifixion du Christ, la théologie paulinienne de la croix est une réponse. La condamnation d’un juste est une condamnation du monde, un jugement sur le monde. » Cette analyse, pour pertinente qu’elle soit, pose néanmoins un problème. En effet, la lecture des évangiles et des Actes des apôtres montre clairement que cette conception est déjà présente, notamment quand Jésus affirme son rejet des obligations de la Torah concernant le sabbat ou quand il affirme aux juifs que leur père est le diable. Donc, si même en dehors de l’Évangile selon Jean, on trouve des indications d’une opposition à la Torah dans d’autres évangiles, cela veut dire que cette interprétation est entièrement chrétienne et ne peut constituer une base pour le gnosticisme. Ou alors il faudrait laisser entendre que la gnose est une partie du christianisme.


Effectivement, Simone Pétrement a raison quand elle voit dans le christianisme paulinien et johannique le ferment de la gnose mais elle omet de franchir le dernier pas quand elle continue à penser que la gnose est sortie du christianisme pour mener une existence propre.


Dès lors comment peut-on comprendre la gnose ? Si les pères de l’Église (Clément, Origène, Irénée) ne font aucun obstacle à reconnaître l’origine chrétienne de la gnose, c’est tout simplement parce qu’elle l’est d’évidence. Sinon ils auraient sauté sur l’occasion de le signaler. Ce qui les intéresse bien davantage c’est de dissocier la gnose du christianisme qu’ils défendent, et c’est là qu’il faut chercher la clé de la compréhension de la gnose. Ce n’est pas une hérésie chrétienne qui s’est extériorisée, mais une voie chrétienne originelle et authentique que l’on a cherché à tout prix à exclure du christianisme que l’on voulait rendre uniforme et entièrement soumis à l’approche catholique de Jérusalem et de Rome. Ce christianisme déchu est celui de Damas et d’Antioche, c’est le christianisme porté par Paul dès la première moitié du premier siècle et confirmé par les adeptes de Jean dès la fin de ce siècle. Aussi, quand Marcion et Valentin vont venir raviver et amplifier ce schisme initial en le présentant comme le seul christianisme authentiquement valable, la seule solution sera de les exclure en donnant à cette doctrine un autre nom et en lui cherchant des origines douteuses, mais cela n’empêchera pas Marcion de constituer son Église et de la faire prospérer au-delà de tout ce qui était imaginable dans un monde où l’Église de Rome ne disposait pas des moyens de la museler. Il me semble probable que, contrairement à Marcion, Valentin ait pu voir dans cette option extérieure au christianisme une voie possible et souhaitable qui lui permettait de recréer une cosmologie propre à sa conception des choses. Mais cette éventuelle dérive resta très modérée et ce n’est que beaucoup plus tard que les disciples de Valentin développèrent cette conception en créant un Plérôme pléthorique et finalement très anthropomorphique.


Donc la gnose est en fait une création ex nihilo destinée à combattre un schisme qui bénéficiait en Paul et Jean d’un support scripturaire autrement plus dangereux que la tradition orale. Cela permettait de l’évacuer du christianisme sans avoir à combattre sérieusement ses théories, largement validées dans les textes chrétiens qui allaient constituer le canon, tout en favorisant le rejet des fidèles et ce d’autant plus quand les valentiniens s’en emparèrent pour en faire de fait une nouvelle religion, chose que n’auraient jamais espéré les pères de l’Église dans leurs rêves les plus fous.

La Gnose ; essai de définition et recherche d’origine

La seule définition que l’on a de la Gnose est celle qu’en donnent les Pères de l’Église de Rome. Sont considérés comme gnostiques ceux qui nient que ce monde puisse être la création du Dieu d’Abraham et de Moïse, qui réfutent que Jésus se soit incarné par Marie et qui rejettent la Sainte Trinité. En clair sont gnostiques ceux qui ne sont pas catholiques romains.

S’il n’est pas étonnant de voir des responsables de l’Église chrétienne catholique et apostolique romaine chercher à évacuer du christianisme ceux qui ne partagent pas leur opinion, il est surprenant de voir ces exclus se satisfaire de cette situation, voire de l’amplifier.

En fait cela est dû à la contraction temporelle que nous subissons quand nous étudions ce sujet.

En effet, les premiers à s’être vu nier le droit d’être chrétiens n’ont jamais accepté d’autre appellation que celle de chrétiens et c’est bien plus tard que leurs disciples ont parfois décidé de faire de cette exclusion une sorte de tremplin pour proposer une nouvelle approche religieuse qui va, très rapidement, retomber dans les travers du judéo-christianisme.

Mais le phénomène s’est en quelque sorte emballé quand la Gnose s’est attribuée également le quasi-monopole de la connaissance. En effet, le terme de gnostique fut alors utilisé dans d’autres religions pour rejeter ceux qui ne suivaient pas le dogme principal et qui prétendaient à la connaissance. En fait, il est clair qu’aucune religion ne revendique d’être ignare, mais ce terme de connaissance (gnosis) est l’arbre qui cache la forêt d’un rejet doctrinal disparate selon les religions qui cherchent à l’appliquer à des opposants qu’il est difficile de contredire.

Je pense qu’il faut donc suivre, au moins partiellement, Simone Pétrement quand elle dit que le gnosticisme est d’origine chrétienne car aucun document ne permet de le dater antérieurement à la seconde moitié du premier siècle et, même le plus souvent, au début du deuxième. Les documents qui furent mis en avant pour lui donner une plus grande antériorité s’avèrent, à l’occasion d’études philologiques ou théologiques, être eux-mêmes fort douteux ou postérieurs au christianisme. En outre, les critères de définition de la Gnose sont clairement chrétiens.

Enfin, on remarque que les opposants à la Gnose n’hésitent pas à y inclure des auteurs et des textes canoniques chrétiens tant leurs arguments les y obligent au risque d’être critiqués compte tenu des critères qu’ils utilisent. Ainsi voit-on Paul de Tarse et Jean l’évangéliste traité, au mieux, d’inspirateurs de la Gnose et, au pire, de gnostiques eux-mêmes. Or, effectivement, Paul de Tarse et Jean l’évangéliste sont les premiers à rappeler que le message christique n’est pas judéo-chrétien. Paul n’utilise d’ailleurs jamais le terme Jésus qui fut rajouté à ses lettres par Clément de Rome lors d’une des multiples interpolations que subirent les textes de celui que Tertullien qualifiait d’apôtre des hérétiques, mais dont la diffusion de la pensée interdisait de les rejeter du canon comme le furent les travaux de Marcion.

Par contre, Paul ne poussa pas sa pensée jusqu’à exclure formellement le Dieu de la Torah, Yahvé, du statut de Dieu unique. Cela explique que Valentin et Marcion qui vinrent après Paul et à une époque où le pagano-christianisme triomphait — après la chute de Jérusalem et surtout après le recentrement du judaïsme pharisien à Yavne, qui signa la fin du christianisme juif des ébionites — purent choisir de rester dans une voie médiane ou de se radicaliser. Là où Valentin faisait encore du démiurge un être subordonné à Dieu, Marcion choisit de le rattacher à un autre principe différent du Dieu bon. Cela ne peut manquer de nous rappeler que les cathares étaient eux-mêmes divisés sur ce point entre les monarchiens et les dyarchiens.

La Gnose ou les gnoses

Après Valentin, dont l’approche religieuse semble avoir cherché à maintenir des ponts avec le catholicisme, ses disciples firent le choix de la rupture dont le gnosticisme est la forme la plus développée. On trouve là une sorte de nouvelle religion qui reprenait beaucoup d’éléments préexistants dans les religions polythéistes. D’une certaine façon, en voulant rompre avec une situation donnée à une période précise, ils semblent être revenus à une situation antérieure. Nous avons un autre exemple de ce comportement avec l’instauration du culte de l’Être suprême par Robespierre qui voulait ainsi contrer les Hébertistes et leur culte de la Raison tout en stoppant l’athéisme révolutionnaire de la Terreur, mais en maintenant un contrôle de l’État sur la population pour éviter la rechute dans le catholicisme jugé abêtissant. L’Être suprême venant compenser la recherche d’un dieu par la population, s’appuie sur Aristote qui formulera une entité supérieure sous la forme de principe. Une façon de vouloir aller de l’avant en revenant en arrière !

Aujourd’hui il faut comprendre la Gnose comme une connaissance intime acquise, en partie par une intuition et en partie par l’acquisition de savoirs, dont la maîtrise permet d’accéder à une révélation personnelle qui conduit à une voie spirituelle qui n’est pas forcément formalisée dans une religion. Mais cela englobe également les voies spirituelles religieuses.

Donc, tout un chacun peut suivre une gnose différente de celle des autres, et en cela on en revient à la définition de Charles-Henri Puech, car à l’extrême chaque diffuseur de pensée spirituelle constitue une gnose spécifique. On comprend mieux ainsi la sous-titre de l’ouvrage d’Irénée de Lyon, Contre les hérésies, qui dénonce les gnoses au nom menteur, puisqu’il était persuadé que la sienne — la gnose catholique — était la seule valable. Ainsi, après avoir servi à exclure du christianisme romain les autres chrétiens, la gnose devient désormais une valeur ajoutée d’un courant de pensée spirituelle ou religieuse.

Tous gnostiques ?

Dans l’absolu, la réponse est positive. Quand on dispose de savoirs, même s’ils se limitent à très peu de documents, sur lesquels on a basé une démarche spirituelle associée à une foi, qu’elle soit individuelle ou qu’elle regroupe des foules, on est gnostique dans la mesure où cet ensemble constitue une connaissance, c’est-à-dire une gnose.

Certains sont gnostiques tout seul sur des bases réduites à quelques documents qui les ont fortement impressionnés et d’autres sont gnostiques en groupe, ce qui les rassure, et dispose d’un ensemble documentaire impressionnant dont tous les ouvrages les aident à construire leur connaissance.

Les cathares étaient donc des gnostiques dans le sens que je viens d’expliquer et non dans celui qui transparaît dans les dictionnaires ou chez leurs adversaires. Ils étaient gnostiques chrétiens, car leurs savoirs venaient de documents écrits et développés par des chrétiens, même s’ils ne sont pas tous issus du canon judéo-chrétien et que c’est sur cette base et avec leur foi qu’ils ont élaboré leur connaissance logique et cohérente. Mais les traiter de gnostiques en raison des différences évidentes entre leur connaissance et celle des judéo-chrétiens n’est qu’une façon moderne de les ostraciser faute de pouvoir contester efficacement leurs arguments.

Et vous ? Sur quoi avez-vous bâti votre connaissance ? Vos bases sont-elles solides ou fluctuantes ? Votre foi est-elle réelle ou passez-vous votre temps à vous questionner sans raison, notamment sur des points qui ne sont que des conventions et non des vérités, comme la cosmogonie ? Voilà les questions que vous devez résoudre avant de vous inquiéter de savoir si vous pouvez vous intégrer à une religion ou si vous ne devez pas préférer être votre propre « Église ».

[1]. En quête de la gnose, Henri-Charles Puech. Bibliothèque des sciences humaines, NRF, éditions Gallimard, Paris (1978).

[2]. Mani et la tradition manichéenne. François Decret, éditions du Seuil 1974 (Paris)

[3]. Le Dieu séparé, les origines du gnosticisme. Simone Pétrement, éditions du Cerf 1984 (Paris), ré-édition en 2012.

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