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Le monde, la mort, la vie et le cathare

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Le monde, la vie, la mort et le cathare

La philosophie n’est pas un système de raisonnement déconnecté du réel, réservé à une élite auto-proclamée, qui finit par accoucher d’une souris. Au contraire, c’est une façon d’avancer les yeux ouverts, là où beaucoup se mettent la tête dans le sable, afin de répondre aux trois questions existentielles qui agitent l’humanité depuis toujours : D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je finir ?

D’où venons-nous ?

En général, les hommes voient le monde comme un champ d’expérience mit à leur disposition, soit par le fruit du hasard, soit par une divinité plus ou moins bienveillante. Dès lors, l’idée de s’interroger sur sa raison d’être profonde devient caduque et nous nous contentons d’y cheminer tant bien que mal en essayant d’oublier qu’au bout du chemin il y a la mort.
Plus la science progresse dans son savoir, plus nous comprenons que cette vision est égocentrée et, à bien des égards, fausse.
Mais la plupart des religions ne se sont pas dotées de la capacité d’évolution dont bénéficie la science, même si cette dernière a aussi des limites insurmontables.

Les hypothèses de l’origine du monde

La vision anthropomorphique, élaborée à Babylone au 6e siècle avant l’ère commune[1], rend l’approche religieuse puérile et manipulatrice. L’idée d’un Dieu créant un univers en six jours, sous la forme que nous lui connaissons, ne résiste pas aux découvertes scientifiques qui montrent une apparition progressive où des milliards d’années ont été nécessaires, ne laissant à l’homme que le dernier million d’année pour apparaître et se développer. Mais la science est elle-même incapable de proposer une explication démontrable concernant l’origine de cet univers, issu paraît-il d’une masse infiniment petite et infiniment dense qui serait toujours en expansion. Certains en viennent même à refuser d’y réfléchir partant du principe que si le big-bang est le début de l’univers, il ne saurait y avoir un avant big-bang ! Du coup cette masse initiale, apparue à l’origine n’aurait, elle aucune origine ?

Je vous passe les deux interrogations majeures concernant l’Homme. Celle induite par la relation de la Genèse — premier chapitre de la Torah, que nous appelons Pentateuque —, qui propose d’abord une création de l’homme et de la femme ex nihilo, par un Dieu, parfois unique (Yahwé), parfois multiple (Élohim), souvent unitaire au sein groupe multiple (Yahwé Élohim). Au deuxième chapitre, ce Dieu réitère ce qui n’est plus vraiment une création, mais plus un façonnage à partir de la glaise, rendue vivante par un souffle divin. Souffle dont seul l’homme bénéficie, la femme étant cette fois façonnée à partir de la côte de l’homme, même si des chercheurs plus récents préfèrent la traduction à côté et non de la côte. Bien entendu, la recherche scientifique réfute largement et avec toutes les preuves nécessaire cette vision idyllique. Mais la science fait à peine mieux. Si elle nous propose une évolution lente des mammifères, favorisée entre-autre par la disparition des dinosaures, et un développement amélioré, lié notamment à la nécessité vitale d’échapper à un grand nombre de prédateurs, par des avancées physiologiques et techniques qui ont toutes permis une amélioration des conditions de vie de cette espèce, elle fait l’impasse sur un moment décisif qui bat en brèche ce processus naturel. En effet, dans une période, qui pour l’instant ne peut être datée que grossièrement (entre – 40 000 et – 100 000 ans), l’homme, représenté par deux espèces à peu près concomitantes : l’homo-neanderthalensis (-300 000 à – 150 000 ans environ) et l’homo-sapiens (- 300 000 à nos jours environ), va faire une découverte qui, non seulement ne lui apportera aucun bénéfice en termes de survie ou de conditions de vie, mais va au contraire lui compliquer la vie. Cette découverte est celle de la transcendance, c’est-à-dire de l’existence d’une entité suprahumaine qui a tout pouvoir sur l’humanité. Et c’est pour la satisfaire que l’homme va modifier son mode de vie en se basant sur des humains capables de communiquer avec la ou les divinités : les chamanes, inventant des obligations restrictives appelées tabous et des obligations rituelles, les sacrifices. René Girard[2] a bien compris que cette modification est apparue sans doute à l’occasion du regroupement des cellules familiales nucléaires en petites communautés plus efficientes en matière de protection et de production alimentaire et que ces tabous et rituels avaient pour objectif de limiter le risque de conflits mimétiques potentiellement destructeurs pour ces communautés. Mais si le monde animal est lui aussi soumis aux conflits mimétiques et à leurs « remèdes » connus chez l’homme, ce dernier est le seul du genre animal à les avoir étendus à la sphère intellectuelle, voire spirituelle. La question qui se pose alors est de savoir ce qui a changé dans la physiologie ou dans la psychologie humaine qui l’a poussé à mettre cet élément au premier plan, ce que n’ont pas fait les autres animaux.

La compréhension cathare

Pour les cathares les choses sont plus simples. L’univers est la création du Mal, principe éternel strictement contraire à Dieu et totalement dépourvu d’Être, c’est-à-dire de Bien absolu. Désireux d’affirmer sa toute-puissance, il aurait élaboré une création, temporelle et corruptible, dont la durée dans le temps nécessitait un mélange partiel avec l’émanation divine : l’Esprit, consubstantiel au principe du Bien et doté de l’Être. L’homme serait donc ce composé entre une matière animale issue de la création maligne, incluant la chair mais aussi l’âme mondaine qui lui insuffle sa volonté de vivre et son égo, et un composé divin « aspiré » dans l’univers pour lui assurer un peu plus de durabilité. S’agit-il d’un vol, ce qui semblerait surprenant ou d’une projection volontaire destinée à montrer au Mal que sa création est malgré tout sans avenir en raison de sa nature maligne, je ne saurais le dire. La seconde hypothèse aurait le mérite de mettre en avant la Bienveillance absolue de Dieu et l’ignorance atavique du Mal. Cela correspondrait en outre parfaitement à l’image utilisée par les cathares médiévaux d’un principe du Bien, symbolisé par le soleil, étendant ses rayons, symboles de son émanation (l’Être), sur une création vouée à sa fin, comme le soleil réchauffe les planètes sans pouvoir éviter qu’à terme elles se dissoudront dans son expansion.
Les cathares sont donc aptes à accepter les découvertes scientifiques, voire à compléter les « trous » qu’elle y trouve, au moins jusqu’à ce que les scientifiques les comblent par de nouvelles découvertes. D’où vient le big-bang ? Dans quoi l’univers est-il en expansion ? D’où viennent les ténèbres au sein desquelles Yahvé crée la lumière ? Pourquoi deux races d’homo déjà anciennes ont complètement modifié leurs comportements au lieu de suivre une évolution qui leur était favorable jusques là ?

C’est donc l’infusion partielle de l’Esprit dans l’enveloppe matérielle des homo-neanderthalensis et des homo-sapiens qui serait responsable de ce changement de nature profonde de l’animal humain à cette époque.
Mais ce nouveau composé humain va développer, au sein de sa prison charnelle, des interrogations et des concepts dont certains sont clairement dus à sa nature mondaine et d’autres laissent entrevoir sa nature spirituelle.

Qui suis-je ?

C’est une chose de s’entendre dire que nous sommes issus d’un monde composé par une entité maligne dans lequel nous sommes prisonniers d’une enveloppe charnelle et une autre de découvrir que nous ne sommes pas de ce monde, mais d’une autre origine inconnue à ce jour.

Le point de vue judéo-chrétien

Je passe volontairement sur le point de vue athée, puisqu’il recouvre simplement ce que je viens de dire dans le début du chapitre précédent. Cependant, je pense que ce point de vue n’est pas aussi fermement ancré dans l’inconscient des athées qu’ils le croient. En fait, leur « esprit » profond en conduit la plupart à être plus proches de l’état agnostique, c’est-à-dire prêt à accepter une entité supérieure, mais sans pouvoir en imaginer une acceptable. Cela vient, me semble-t-il pour l’essentiel des images que les principales religions renvoient. Ces images très anthropomorphiques conviennent peu à une divinité que l’on voudrait imaginer parfaite en tout et incapable d’avoir la moindre responsabilité dans le mal, directement ou non, ce qui interroge sur son origine.
D’un point de vue judéo-chrétien, nous sommes des descendants d’Adam et d’Ève et notre âme divine nous est donnée à l’instant de la conception. Ce ne fut pas toujours ainsi. Initialement l’Église considérait que l’âme était la marque de l’adoption divine que nous conférait le baptême, mais cela posait le problème des enfants mourant avant le baptême. C’est donc pour le résoudre que les catholiques sont passés de l’adoptianisme au créationnisme. Ainsi, même l’embryon le plus petit dispose d’une âme, ce qui explique l’élément dogmatique de l’interdit de l’interruption volontaire de grossesse et, par extension, de l’interdiction de contrôle des naissances par la contraception. Ce n’est pas à l’homme de décider si une âme doit apparaître ou si une âme en gestation doit disparaître. Même si beaucoup de catholiques notamment semble ne pas comprendre ce point, il est clair que le refus de ces deux interdits vous place ipso facto en dehors de la communauté catholique.
Une fois né, l’être humain est donc voué à profiter de la nature tout en assumant le « karma » de son aïeul Adam dont la faute originelle impose à tous ses descendants d’en baver gravement tout au long de leur vie dans un espoir assez faible d’atteindre le Salut. La difficulté de ce parcours a d’ailleurs obligé l’Église à inventer le purgatoire pour éviter que la majorité des âmes finissent en enfer, car selon le dogme judéo-chrétien nous n’avons droit qu’à un essai sur cette terre. Comment justifier cela de la part d’un Dieu plein d’Amour pour ses créatures, omniscient et omnipotent ? Comment imaginer qu’un être humain issu de ce Dieu parfait ait pu choisir le mal qu’il ne connaissait pas — et dont on se demande comment il a pu apparaître sans la permission divine —, au lieu du bien qui était son fonds naturel ? Enfin, comment imaginer que Dieu puisse tolérer qu’en cas d’échec les hommes soient voués à un enfer éternel, qu’ils aient eu une vie longue ou brève, facile ou difficile, dans un environnement apte à les aider à choisir la bonne voie ou, au contraire, dans un environnement totalement délétère ?
En fait, cette approche est totalement anthropomorphique et n’a rien de divin.

Le point de vue cathare

Dès le début de ce qui allait devenir le christianisme des hommes ont refusé ce schéma dramatique. Paul a commencé par remettre en question la Loi de Yahvé, comme cela apparaît dans les textes, y compris ceux retenus par l’Église de Rome. Après lui, Apollos sans doute, Ménandre, Satornil et Marcion ont remis en cause le caractère de Dieu bon du créateur de ce monde, le démiurge, émettant l’hypothèse que notre origine serait autre.
Les cathares sont les héritiers de ceux qui refusent la vision juive du Dieu de la Torah et des textes annexes aujourd’hui réunis dans l’Ancien Testament. Ils ne se posent pas comme des concurrents des juifs dans l’Amour de Dieu et n’ont de ce fait aucune acrimonie ni aucune accusation à formuler à leur endroit.
Pour eux nous sommes des « extensions » de l’Esprit unique, faussement et en apparence séparées les unes des autres, disposées dans ce monde selon un modèle ségrégationniste (homme, femme, riche, pauvre, puissant, misérable, etc.) et enfermés dans des corps de matière maligne, sous la direction de l’âme mondaine dont l’objet est d’empêcher l’éveil de cette part spirituelle en la maintenant dans l’ignorance de sa nature et de son état au moyen d’outils de sujétions réunis sous le nom de sensualité au sens large ou de perception sensorielle.
Notre part animale, guidée par cette âme mondaine se comporte naturellement comme chez n’importe quel autre animal de cette création. L’instinct nous pousse à vouloir survivre à tout prix, à prendre le pouvoir sur les autres tout en restant dans le groupe protecteur et pourvoyeur d’opportunités. Cette partie, fortement prégnante, ne voit pas plus loin que cette vie qu’elle feint de croire éternelle et est sans cesse à la recherche d’un conflit mimétique susceptible de conforter un état de prédateur, afin d’éviter de se retrouver dans celui de la proie. Mais le cathare, ou plutôt le découvreur du catharisme entrevoit une autre vérité. Comme dans le film américain, Le Truman show[3], nous sommes dans un univers fabriqué sur mesure pour nous maintenir prisonnier tout en nous laissant croire à notre totale liberté de choix. Une version luxe du labyrinthe d’un rat de laboratoire. La vérité est époustouflante ! Depuis notre naissance tout est faux et ceux qui se laissent prendre à cette illusion sont condamnés à revivre sans fin cet emprisonnement, retardant d’autant la possibilité de retourner à leur origine.
Pour en sortir, il n’y a qu’un moyen : refuser la fiction, en chercher les failles, se convaincre de la manipulation et comprendre où est la réalité de notre Moi profond. Alors, l’éveil viendra nous révéler la voie à suivre pour atteindre notre but.

Où vais-je finir ?

Là où le judéo-chrétien est plutôt pessimiste quant à sa capacité de mériter le paradis, plutôt qu’à se retrouver éternellement en enfer, le cathare est franchement optimiste, même s’il a conscience que son cheminement pour s’évader de ce monde sera long et difficile. En effet, convaincu que Dieu est bon et bienveillant, même s’il espère réussir son passage dès la fin de cette vie, il sait cependant qu’à la fin des temps, toutes les parcelles d’Esprit retourneront au Père et que ce monde, lui, retournera au néant dont il est issu.
Cette différence de vue représente le point fort du catharisme sur toutes les autres religions et philosophies. En effet, pas de crainte d’enfer ou de disparition définitive ; le meilleur est à venir. Le catharisme c’est le pari gagnant, le gros lot garanti. Si la conviction cathare devait s’avérer erronée, le croyant n’aurait rien perdu et subirait le sort tragique des autres hommes, mais si elle s’avère juste, il pourra réussir son passage et retourner à l’empyrée divin dont il a été éloigné. Là où tout un chacun voit dans le catharisme une religion difficile et pessimiste, les cathares ne voient au contraire qu’un choix magnifique et parfaitement heureux.
Le seul problème est d’acquérir en ce monde le savoir nécessaire à la compréhension de la manipulation maligne dont nous sommes les victimes. C’est ce savoir qui va profondément nous perturber au point de provoquer l’éveil de la part spirituelle prisonnière et, une fois cet éveil acquis, il faudra simplement agir en accord avec cette nouvelle certitude. Comme c’est souvent le cas pour les projets importants de notre vie, la réussite avec son émerveillement nécessite des efforts et une persistance dans l’effort qui n’est difficile, voire insurmontable qu’avant de l’avoir entamé.

Guilhem de Carcassonne.

12/03/2023


[1] Voir La Bible dévoilée, Israël Finkelstein et Neil Asher Silbermann

[2] Des choses cachées depuis la fondation du monde, René Girard : recherches avec Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort

[3] Film américain de Peter Weir (1998)

Le corps, l’’âme et l’Esprit

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Le corps, l’’âme et l’Esprit

« Si nous avons une âme, elle est faite de l’amour que nous portons aux autres. » Oblivion (2013).

La grande variété qu’induit la manipulation des concepts aboutit régulièrement à une grande confusion. Le corps, l’âme et l’Esprit en sont une illustration saisissante, au point qu’aujourd’hui un micro-trottoir sur ce sujet donnerait des résultats extravagants.
Je voudrais donc essayer ici de les penser et de les étudier de façon à comprendre ce qu’ils définissent individuellement et de cerner les contours de leurs interactions éventuelles, voire de leurs relations.

Comment appréhender l’« espace » spirituel ?

De tous temps les hommes sont restés ignorants de ce que la notion d’« espace » spirituel pouvait représenter. Pour essayer de le comprendre ils ont alors cédé à la facilité d’en faire une représentation comparable à l’espace mondain.

Mais si les démêlés conjugaux de Zeus et Héra nous ont souvent distrait, si l’idée de cieux organisés en mille-feuille à sept (hebdomade) ou huit (ogdoade) niveaux nous donne une idée du salut comparable à l’escalade d’une montagne enneigée, nous savons au fond de nous que ces idées ne sont absolument pas représentatives de ce qui nous attend après la mort.

Cela démontre à la fois l’extrême pauvreté de l’imagination humaine, qui ne peut concevoir l’extraordinaire qu’en se référant à ses expériences personnelles, et la richesse de l’ouverture que propose l’éveil en matière de compréhension de notre environnement.

Le film dont je cite un des derniers dialogues en début de ce prêche est une représentation de cela. Au départ nous avons deux humains, un homme et une femme, en mission sur terre pour surveiller le bon fonctionnement de stations de pompages destinées à produire de l’énergie pour alimenter la population humaine, exilée sur la lune de Saturne Titan, à la suite d’une apocalypse nucléaire causée par l’attaque d’une entité extraterrestre. En fait les extraterrestres pillent les ressources en eau des planètes qu’ils croisent après avoir éliminé la population indigène. Cela nous dit que ce qui nous est directement et facilement perceptible est une illusion, projetée à nos yeux pour nous rassurer et nous maintenir dociles et confiants.

Pour appréhender l’espace spirituel il faut donc être disposé à abandonner la fausse sécurité de ce que nos sens et notre intellect nous donnent à voir… il faut lâcher prise.

Ce qu’il faut retenir c’est que l’espace spirituel n’est pas un espace au sens où nous l’entendons, puisqu’il ne semble pas avoir de dimensions, du moins comparables aux nôtres, et que ce faisant il n’a pas de localisation à proprement parler. Le royaume de Dieu, le paradis, n’est pas en haut ou en bas, mais il est autour de nous et en nous. Nous verrons plus loin comment nous nous situons par rapport à cet espace spirituel.

Le corps

D’un point de vue général, du moins au regard des religions qui nous intéressent, de la société et de la philosophie, le corps est un élément matériel visible et palpable. Son origine est issue de l’organisation d’éléments atomiques selon les chercheurs mondains et est une création totale ou partielle selon les juifs et les judéo-chrétiens. L’Ancien Testament nous propose en effet deux options pour la création de l’homme : soit une création ex nihilo (Gen. 1, 27) et une autre réalisée à partir de la poussière du sol et par insufflation d’une âme (Gen. 2, 7) sans oublier la fabrication secondaire de la femme à partir de la côte de l’homme, mais sans insufflation d’une âme cette fois (Gen. 2,22).

La première « création » indique que Iahvé fait l’homme et la femme simultanément et à son image. Cela pose des problèmes. Si nous considérons Dieu (Iahvé pour les juifs) comme parfait en toute chose, il est difficile de nous croire à son image. Cette « création » semble n’être que l’œuvre de la volonté toute-puissante de Dieu. Rien d’autre ne semble nécessaire pour rendre l’homme et la femme « opérationnels ».

La seconde création est encore plus problématique. On est là dans une sorte de création artistique, de travail manuel d’un Dieu clairement ouvrier façonnier de son œuvre. En outre, la création de la femme, nettement plus tardive, laisse entendre qu’elle n’a pas eu droit à un souffle divin, d’où l’interrogation qui s’est poursuivie pendant des siècles pour savoir si les femmes étaient dotées d’une âme et pour confirmer que, en tout état de cause, elles ne pouvaient être les égales des hommes puisque crées à la demande d’Adam pour assister l’homme.

Ce qui ressort de tout cela c’est que le corps est un outil destiné à rendre l’homme adapté à son environnement. Si l’on en croit les scientifiques, l’homme est en fait un animal, résultat d’une évolution génétique qui s’est étalée sur plusieurs millions d’années depuis les premières cellules apparues dans l’eau.

Donc, le corps ne semble pas porter en lui le moindre élément susceptible d’être d’origine spirituelle. Mais les cathares médiévaux avaient noté ces différences entre les deux chapitres de la Genèse. Ils en avaient conclu que le premier chapitre traitait de la « création » spirituelle et le second de la création mondaine

L’âme et l’esprit dans le monde matériel

On s’aperçoit qu’en fait le sujet de l’âme et de l’esprit est assez étranger au monde où nous vivons. Ce monde est matérialiste et ses références le sont logiquement aussi.

C’est pourquoi rares sont ceux qui savent trouver les mots pour exprimer ce que serait l’âme et l’esprit d’un point de vue non spirituel. Ou plutôt leur définition se superpose et s’approche de l’idée d’une essence primordiale. L’âme serait en quelque sorte l’élément princeps de la matière et l’esprit en serait le concept abstrait. Mais dans le même temps l’âme conserve une sorte de préciosité qui fait que beaucoup répugnent à accepter d’en doter des objets sans vie, y compris parmi les plus rationalistes et athées : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » (Alphonse de Lamartine « Milly ou la terre natale »).

En fait, comme le fait entendre le poète, la dotation d’une âme à la matière serait surtout un comportement réflexif visant à expliquer les élans émotionnels de la nôtre.

Dans cette approche l’âme serait donc l’apanage des éléments animés — le mot n’est pas anodin — et cependant, même sous cet angle, l’attribution de l’âme semble être dépendante du degré de comparaison que nous attribuons à ces éléments animés. L’âme du ver de terre nous pose question quand celle de notre animal de compagnie nous paraît évidente.

L’âme chez les philosophes et les croyants

On trouve à peu près autant de définitions que de théories philosophiques ou religieuses.

Chez les philosophes antiques l’âme serait l’élément animateur du corps, intimement liée à ce dernier et souvent assimilée au sang. L’âme meurt donc en même temps que le corps.

Chez les judéo-chrétiens l’âme est le souffle divin insufflé dans la matière inerte par Dieu lors de la création mais cependant liée à ce corps qu’elle anime au point qu’à la mort de ce dernier elle demeure “veuve” de ce dernier jusqu’à la fin des temps où le corps sera recomposé ou glorifié selon les cas et l’âme lui sera de nouveau associée. Cette idée initiale est remplacée aujourd’hui par le concept d’une âme créée par Dieu à chaque conception.

Pour nous, croyants cathares, il y a deux âmes. C’est du moins ainsi que nos prédécesseurs médiévaux imaginaient un composé tripartite spirituel qui était le pendant du composé tripartite mondain : esprit, âme et corps.

Ainsi, lors de la chute des âmes — également appelée grande perturbation —, c’est l’âme spirituelle qui est entraînée (ou qui suit volontairement selon les cas) par le démiurge qui l’incorpore dans le corps mondain où se trouve déjà l’âme mondaine, animatrice de ce dernier. Dans cette nouvelle situation l’âme spirituelle devient l’esprit-saint prisonnier de ce monde. Sur le plan spirituel, le corps spirituel n’est pas affecté et l’esprit spirituel est resté fermement ancré dans la création divine dans l’attente du retour de l’âme spirituelle qui signera le mariage mystique.

Comme nous le voyons, chez les cathares âme et esprits sont étroitement liés, quel que soit le plan dans lequel on les imagine. C’est d’ailleurs le sujet principal de l’histoire de la tête d’âne que racontaient les cathares médiévaux et que j’ai traité sur le site et dans mon livre.

Chez les philosophes et les judéo-chrétiens, l’esprit ne semble pas directement lié à l’âme. Il est le plus souvent considéré comme une sorte d’inspiration supérieure, divine à l’occasion, voire comme une forme d’interventionnisme divin dans le plan mondain.

Les cathares, eux, firent appel à la philosophie, et notamment à Aristote, pour expliquer la cosmogonie initiale. Le concept de « Principe » présente le double intérêt de définir clairement la position de l’élément de référence sans tomber dans l’anthropomorphisme. Dieu n’a pas à être défini avec des qualités humaines et il n’a pas à être doté d’éléments qui se rapporteraient forcément à une anatomie humaine. Il en va de même du Mal.

Une fois réglé le problème du Principe se pose le problème créationniste. Si dans un système désincarné il est assez simple de concevoir l’idée de consubstantialité, c’est plus compliqué de l’appliquer à une création matérielle. C’est pourquoi les théories créationnistes attachées à la mise en œuvre de ce monde tombent toutes dans l’imagerie naïve d’un Dieu bricoleur constituant ses créatures par accumulation d’éléments.

Les cathares ne furent pas plus efficaces de ce point de vue car, si leur concept initial était assez intelligent, dès qu’ils se sont attaqués à la création — aussi bien spirituelle que mondaine —, ils sont tombés dans ce travers anthropomorphique.

Du coup il devenait nécessaire de doter la création spirituelle d’un statut corporel comparable à celui que l’on imaginait ici-bas.

C’est sur cette dérive que reposent entièrement les propositions concernant la chute des âmes et l’incarnation.

Les problèmes des conceptions anthropomorphiques

La lecture des différentes versions de la chute montrent nombre d’incohérences ou laissent dans l’ombre des points essentiels.

D’abord il y a hésitation pour savoir si la chute intéresse un tiers des créatures divines ou la tierce partie de toutes les créatures divines. Ce point révèle une faille majeure qui est celle de la compréhension de l’interaction entre le Mal et le Bien.

Dans un système ordonné et clair comme la création divine par émanation consubstantielle, l’apparition du Mal crée un trouble ingérable. Qu’il existe un Principe du Mal comme il existe un Principe du Bien peut s’imaginer à la rigueur. Il devient même nécessaire à la vue des conséquences et c’est ce qu’explique bien Jean de Lugio dans son Livre des deux Principes. En fait c’est la notion d’Être qui permet de différencier le Bien du Mal. Déjà nous observons là un glissement sensible entre la conception judéo-chrétienne des attributs divins qui place le pouvoir de création en première position, alors que le système cathare y met l’Être.

Jean de Lugio avait déjà fortement entamé le caractère divin de la création et la science d’aujourd’hui menace de le mettre définitivement à bas quand on voit à quel point les scientifiques approchent de cette compétence créatrice qui devrait être surmontée dans quelques années.

Si nous en restons à l’approche cathare, une fois admis que seul Dieu — ou plutôt le Principe du Bien — dispose de l’essence divine que représente l’Être, et que c’est grâce à cela qu’il peut laisser émaner de son Être une « création » disposant du même attribut que lui et ce de toute éternité, se pose la question du Mal. Question insoluble quant à l’origine du Mal puisqu’il est aussi un Principe mais plus facile à comprendre concernant son incapacité à créer quoi que ce soit de durable. L’absence d’Être est son handicap, d’où sa mise en avant dans le Prologue (chapitre premier) de l’Évangile selon Jean.

Mais alors, comment le Mal va-t-il s’y prendre pour concevoir ce monde où nous vivons et qui semble bien réel pourtant ?

Les écrits nous montrent que les hommes n’ont jamais su ou pu se dégager d’une approche plus ou moins anthropomorphique mettant en œuvre des sentiments, des modifications caractérielles, des actions visant à séduire et à combattre avant de provoquer des séparations de type physique.

Il va sans dire que cela n’est pas très satisfaisant.

Comment le Mal fait-il pour séduire des entités divines forcément parfaites, donc inaltérables ? Si le Mal n’a pas la capacité de produire une création durable, faute d’Être, comment peut-il créer des esprits démoniaques dépourvus d’âme divine comme certains auteurs le pensaient ? S’il peut le faire pourquoi a-t-il besoin de dérober des âmes divines ?

Si le Bien ne s’oppose pas au Mal, pourquoi ce dernier n’a-t-il dérobé qu’une partie de la création divine ?

Pourquoi ce vol ne se serait-il produit qu’une fois et pourquoi devrait-il cesser un jour ?

Comme nous le voyons les problèmes relatifs à la création, à la chute et à l’incarnation sont légion. Du coup la réalité de l’âme et de l’esprit l’est tout autant.

Mais peut-être que l’on peut essayer de réfléchir autrement.

L’Esprit, les esprits-saints et l’empyrée divin

Tout d’abord je serais tenté de refuser toute division au sein de l’empirée divin. Le Principe du Bien est un et indivisible, donc je considère que son émanation est à son image. Nous sommes des éléments non séparés d’un tout unique. Ce concept apparemment contradictoire et abscons s’explique mieux si on l’image avec la parabole du soleil. Le Principe est le soleil et nous sommes ses rayons, à la fois apparemment séparés de lui et en même temps totalement et intimement liés à lui. Nous émanons de lui et nous nous étendons à de grandes distances sans jamais nous séparer, ni de lui, ni des autres rayons. L’Être est donc symbolisé par les réactions thermonucléaires et le Mal par l’espace froid qui l’entoure.

Or cet espace n’est pas vide. Mais son contenu n’a aucune capacité à évoluer sans l’action solaire.

La vie serait donc en quelque sorte la conséquence de la captation de la chaleur solaire comme cet univers serait la conséquence de la captation de l’Être émanant de la création divine. Mais si la chaleur se retire, la vie disparaît aussi et ne reste que des éléments froids et inertes comme on peut imaginer que si l’Être se retire, la création maléfique redeviendra ce néant qu’elle était à son origine.

Donc nous avons dans cette hypothèse une certaine cohérence qui permet de comprendre comment l’âme spirituelle (expression de l’Être) devient dans ce monde l’esprit-saint (vie spirituelle).

De la même façon nous pouvons imaginer qu’une certaine forme de création maléfique ait pu préexister à la création mondaine et puisse demeurer après la fin de ce monde. Il est même possible d’imaginer qu’il y ait un mélange — et non une osmose —, entre la part spirituelle et la part maléfique en chacun de ceux qui sont habité par l’âme divine, mais cela est-il possible pour ceux qui ne le seraient pas ?

Cela est aussi intéressant pour imaginer les interactions entre les esprits affaiblis et les âmes divines auxquelles ils restent liés dans l’Esprit unique. C’est ainsi que je conçois la grâce divine, une sorte d’intervention de l’ensemble de l’unité Principe du Bien et création divine qui rend à la partie éloignée la capacité à demeurer ferme dans sa nature. Et quand le rayon retourne à son origine, l’élément maléfique sur lequel il appliquait son action vivificatrice revient à son étant antérieur néantisé.

Si l’on peut comprendre le changement de dénomination entre Esprit et esprit-saint, simplement lié à un changement de situation, il faut aussi comprendre que cela n’est qu’une facilité de langage.

L’Esprit est unique et uniforme. Il n’y a pas en lui de division ni de sous-unités spirituelles. Quand une partie de l’Esprit fut incorporée dans la création maligne, l’Esprit n’a pas été séparé, mais simplement déplacé partiellement, comme on le voit dans le film Abbyss®, où l’entité extraterrestre se « matérialise » en modifiant la structure de l’eau pour lui donner une apparence humaine. Les esprits-saints sont donc une forme d’extension de l’Esprit hors de son espace naturel, sans modification de structure (il n’en a pas) ni de substance (elle est inaltérable). C’est pour cela qu’une fois révélé au sein de la matière, il peut revenir à son étant initial pour peu que ce qui le retient le libère. Mais cela ne peut se faire que si cette « extension » temporaire a retrouvé la conscience de son état. Dans le cas contraire ce qui le contraint peut le manipuler sans pour autant le modifier. J’image souvent cela en comparant l’Esprit unique à un réservoir rempli d’eau. Si l’on introduit des séparations étanches on divise l’eau de façon apparente, mais le retrait des cloisons suffit à lui rendre son unité naturelle.

C’est la leçon que nous enseigne le catharisme. L’esprit-saint prisonnier doit s’éveiller dans la matière et y demeurer éveillé jusqu’à l’instant où la matière le libèrera de sa prison et où il pourra revenir à son état initial. Pour s’éveiller il doit acquérir la connaissance de son état de prisonnier de la matière, ce qu’il ne peut faire que par l’acquisition d’un savoir de l’organisation des principes et de la vraie nature du monde qui nous est cachée.

La réflexion sur les éléments qui nous sont inconnus s’appuie sur une imagerie forcément inexacte, mais comme en géométrie, point n’est besoin que l’image soit juste pour que la réflexion le soit. Cette réflexion est un élément d’un savoir dont l’accumulation mènera à l’acquisition de la connaissance précise de ce qui est vrai et de ce qui est mensonger. Cela permettra l’éveil dont l’approfondissement conduira à vouloir maintenir l’état d’éveillé par le retrait, le plus complet possible, de la vie mondaine afin d’être disposé au mieux le moment venu pour retourner à notre source que nous n’avons jamais vraiment quittée.

Guilhem de Carcassonne.
Le 19/02/2023

La vérité historique : Christ et Jésus

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La vérité historique : Christ et Jésus

Nous ressentons le besoin viscéral d’être assurés connaître toute la vérité sur tous les sujets. Cela en arrive même au point que, de nos jours, la remise en question de toute information — y compris quand elle est confirmée par les spécialistes du sujet —, est devenue un sport planétaire. Nous oscillons entre la peur de la manipulation et l’envie de disposer d’une information indiscutable.
L’homme est-il allé sur la Lune ? La terre est-elle ronde ou plate ? Fut-elle le fruit d’une évolution naturelle de type darwinien ou a-t-elle été créée en sept jours ?

Aujourd’hui je vais essayer d’ouvrir avec vous un dossier beaucoup plus épineux sans prétendre vous proposer une réponse univoque et encore moins vous faire adopter mon avis.

La vérité historique

Samuel Noah Kramer titre son ouvrage : « L’histoire commence à Sumer ».
La justification de cette affirmation tient au fait que cette science humaine permet de fixer la mémoire, d’un peuple, d’un pays, d’un continent, etc. Or, Sumer étant, en l’état actuel de nos connaissances, la région où est apparue la première forme d’écriture (vers – 3300), qui évoluera vers l’écriture cunéiforme, elle devient logiquement le premier lieu où les événements furent « fixés » par ce nouveau moyen de transmission de la mémoire.

La vérité historique repose donc sur deux éléments qui la définissent sans garantir en aucune façon l’authenticité de ce qu’ils affirment : l’honnêteté du récit qui est liée à la subjectivité de celui qui le raconte et l’existence d’un moyen de transmission fixe, l’écriture.

La fiabilité des sources

La fiabilité des sources est d’autant plus douteuse que l’un de ces deux éléments peut être pris en défaut. Les Romains comme les juifs, considéraient qu’un témoignage unique était sans valeur (testis unus testis nullus), ce qui nécessitait donc deux témoignages concordants pour avoir valeur de preuve. Donc, si un fait est relaté par un témoin unique, sa fiabilité est forcément douteuse, sans que cela soit un jugement de valeur sur le témoin. Pendant des siècles, nous avons eu des Gaulois l’image que nous en transmis par écrit un seul témoin Jules César, dans son ouvrage : La guerre des Gaules. Nous savons aujourd’hui, grâce à d’autres axes de recherche, que ce témoignage n’est pas fiable. De même, les sources orales ont toujours fait l’objet d’adaptations au fil du temps, ce qui leur ôte toute fiabilité.

Le concept de vérité historique

L’histoire est écrite par les vainqueurs. Cette affirmation de Robert Brasillach dans son livre Frères ennemis, pose en fait la volonté que l’histoire soit le ciment d’une nation et qu’elle doive donc proposer un récit univoque pour souder des peuples après des troubles. Mais, les vaincus ont leur propre histoire et la conservent sous différentes formes dans le but de ne pas laisser s’éteindre leur vérité historique.
La vérité historique se heurte souvent à des contradictions issues d’autres sciences, comme ce fut le cas de l’archéologie pour le récit de la Torah ou de la philologie pour l’attribution du contenu de certains documents écrits, comme les Lettres de Paul par exemple.
Ainsi, les peuples dominants ont souvent falsifié, de manière intentionnelle ou culturelle, le récit qu’ils ont retranscrit pour orienter l’image qu’ils voulaient donner des événements. Les juifs ont inventé une antériorité de leur histoire d’environ six siècles (- 1200 ans au lieu de – 600 ans), car l’ancienneté d’un récit renforçait sa validité. Aujourd’hui, la tendance s’est quasiment inversée. Il en va de même du christianisme qui est devenu l’histoire du groupe judéo-chrétien, institué comme groupe chrétien de référence par Théodose 1er et doté d’un droit de répression qui lui a permis de réduire, voire de détruire les groupes dissidents, généralement pagano-chrétiens. Ainsi, plus rien ne s’opposait à ce que leur vérité devienne la vérité de toute la chrétienté.

Le récit historique

Si l’utilisation de l’histoire est si importante pour un peuple c’est qu’elle permet de créer une cohésion basée sur des événements, réels ou fictifs, qui servent de socle à l’établissement d’un récit national. Or nous savons comment la référence nationale est toujours un ciment puissant pour les peuples en leur permettant de reconnaître ses membres et d’en exclure les autres. Cela fonctionne aussi dans la plupart des religions. Malheureusement, comme nous le voyons aujourd’hui, c’est aussi l’occasion de violences qui visent à imposer un état de fait qui ne s’appuie que sur ce récit historique, comme c’est le cas en Palestine ou en Ukraine.

La vérité historique doit donc rester à l’état de concept pour le chercheur, même si ses convictions personnelles le poussent à vouloir valider tel récit historique qui correspond à sa culture.

L’histoire chrétienne et Jésus

La situation du christianisme au premier siècle

Le proto-christianisme s’est développé dans une région où deux religions coexistaient : le judaïsme hébreu et le mithraïsme romain. Les populations concernées étaient juives et le judaïsme était composé de nombreux courants de pensée appelés sectes : pharisiens, saducéens, zélotes, esséniens, etc. L’apparition de ce nouveau courant, qui ne rejetait rien du judaïsme traditionnel n’a donc pas provoqué de choc culturel susceptible de justifier des écrits clairs et concordants, du moins jusqu’à ce qu’il devienne gênant et justifie des rétorsions. Du point de vue romain, une secte juive de plus ou de moins était sans intérêt.
On retrouve ce schéma avec le catharisme en Languedoc : tant qu’il est resté dans la discrétion de la vie quotidienne personne n’en parlait et il fallut attendre le 13e siècle pour qu’il apparaisse dans les textes, alors qu’il existait dans les écrits d’autres régions (Bulgarie, Cologne, Champagne, Orléanais, etc.) depuis un siècle, puisqu’il y a fait l’objet de répressions.
Le christianisme présente en outre la particularité d’être une religion dont les courants internes n’ont jamais cessé d’être en conflit pour s’imposer comme seule référence globale. Comme je l’ai expliqué dans mon livre[1], un premier schisme s’est produit en 49 quand Paul s’est insurgé de la volonté des représentants (colonnes) de Jérusalem d’imposer le strict respect des règles juives aux prétendants se réclamant de Christ. De ce schisme sont apparus deux groupes, le premier soumis au judaïsme (juifs-chrétiens puis judéo-chrétiens) et le second affranchi de tout lien avec le judaïsme (pagano-chrétiens). Bien entendu, ces termes ne furent employés qu’après l’attribution du sobriquet « chrétiens » aux marcionites d’Éphèse au début du 2e siècle[2].

Le personnage de Jésus

La tradition orale judéo-chrétienne était initialement centrée sur la Passion, incluant la crucifixion et la résurrection. S’adressant à des populations juives pour la plupart, bercées de récits fantastiques issus de la Torah, il se devait d’être au moins aussi merveilleux, d’autant qu’il évoquait un personnage falot, sans pouvoir et éliminé de la façon la plus misérable qui soit. Cela était bien éloigné du récit juif du Messie guerrier qui viendrait un jour délivrer son peuple prisonnier des ennemis de Iahvé ancré dans l’imaginaire juif.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le récit de la mort et de la résurrection soient empreints d’éléments extraordinaires. Sans oublier qu’à l’époque personne n’imaginait que deux millénaires plus tard des chercheurs disséqueraient ces textes pour y séparer la réalité des fantasmes.

Les hypothèses sur le Jésus historique

Si l’on prend au pied de la lettre le récit issu des évangiles synoptiques de Matthieu et de Luc, la conception, la naissance et la reconnaissance de Jésus comportent plusieurs éléments fantastiques plus proche des récits mythologiques grecs, romains et sumériens que de la réalité commune de l’époque. Tout y est assemblé de façon à faire de ce Jésus, un moins que rien, né dans les pires conditions d’une mère réprouvée puisque fille-mère. Cela est contrebalancé par les signes divins et l’affirmation de la virginité de Marie, nullement affectée par la naissance de Jésus !
Cet individu va se faire remarquer dans les textes jusqu’à son douzième anniversaire où il surprend les maîtres juifs du temple de Jérusalem, avant de disparaître sans laisser de trace pendant dix-huit ans. Certains ont bien essayé de combler ce vide gênant en inventant un voyage en Égypte ou un long séjour auprès des sectes juives des esséniens ou des thérapeutes. En fait, cette enfance semble très peu crédible, ce qui explique peut-être que deux des quatre évangélistes se soient abstenus d’en parler.
La vie adulte de Jésus, consacrée à sa prédication, dure de un à trois ans selon les auteurs qui la relatent, ce qui est un nouveau problème pour sa validité. Elle est l’occasion d’événements plus ou moins merveilleux qui peuvent être passés inaperçus pour les guérisons, mais dont on ne peut comprendre qu’ils n’aient laissé aucune trace pour les résurrections. Ajoutons les apparitions et disparitions de Jésus d’assemblées comptant des juifs opposants, les événements suivant la mort de Jésus en croix (atteintes du temple, résurrection des morts sortant des cimetières, etc.), sans parler de la résurrection qui aurait dû provoquer des rapports écrits des autorités juives et romaines. En fait le seul témoignage écrit concernant l’existence physique de Jésus vient du général juif Flavius Josèphe[3]. Mais ce document est largement considéré, soit comme une forgerie, soit comme une interpolation d’un scribe judéo-chrétien.
Donc, rien dans l’existence physique d’un Jésus historique n’est vérifiable, de très nombreuses incohérences émaillent son histoire et sa mort est elle-même plus proche d’une forme de mythologie chrétienne que d’autre chose. Je vous invite à lire l’ouvrage de Jacques Giri : Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, aux éditions Karthala (4eédition à Paris en 2011) qui fait le point de façon exhaustive sur tous ces éléments douteux.
L’hypothèse la plus réaliste sur l’origine de ce texte est celle d’une forgerie du 2e siècle, réalisée en opposition à Marcion de Sinope, dans son Evangelion, qui faisait de Jésus un être apparu miraculeusement à l’âge adulte (cf. Évangile selon Luc chap. 3).

Les hypothèses sur le Jésus mythique

Face aux incohérences et aux manipulations visant à donner un caractère historique à Jésus, de nombreuses voix se sont élevées pour faire de Jésus un personnage mythique destiné à porter la crédibilité du christianisme.
On pourrait les regrouper en trois catégories :
1 – Jésus est un homme dont l’attitude a justifié son élévation par Dieu (adoptianisme).
2 – Jésus est un homme ayant reçu l’inspiration divine et qui l’a reprise à son compte, se faisant passer ou étant assimilé au messager divin.
3 – Jésus est un personnage inventé ou calqué sur un personnage historique antérieur à la période considérée qui a servi de support à la prédication judéo-chrétienne.
Ce qui explique l’hypothèse d’un Jésus mythique, outre les nombreuses incohérences de son histoire figurant dans les textes judéo-chrétiens comme le Nouveau Testament, est le fait que Paul indique avoir été l’objet d’une inspiration divine sur le chemin de Damas qui va provoquer son éveil spirituel et sa conversion, suivis d’un baptême par imposition des mains, reçu d’Ananias, responsable de la communauté pagano-chrétienne de cette ville.
Donc, si Paul a pu recevoir le message de Christ sans jamais connaître Jésus et sans aucun intermédiaire, pourquoi les premiers disciples auraient-ils eu besoin d’un Jésus en chair et en os pour si mal comprendre le même message ?
Mais dire à l’époque que Jésus était un mythe conduisait sans aucun doute à la mort. C’est pourquoi apparut le concept d’adombration, c’est-à-dire d’apparition dans l’ombre d’autre chose, qui permettait de laisser croire à une apparence charnelle sans pour autant qu’elle existe. Nous qui voyons quotidiennement des illusionnistes réaliser des tours encore plus extraordinaires pouvons comprendre qu’une apparition divine ait pu facilement berner les hommes de l’époque.

Aujourd’hui, je préfère imaginer une inspiration divine à la façon de Paul, avec par ailleurs une construction mythique autour du message reçu ; car ce qui compte c’est le message et en aucun cas le messager.

Le Christ et Jésus de nos jours

Maintenant que les hommes sont suffisamment éduqués pour comprendre des concepts simples, il faut choisir des hypothèses réalistes plutôt que de céder à des fantasmes incohérents.
Imaginer un Jésus en chair et en os ou une apparition d’apparence humaine présente des inconvénients équivalents. Dans le premier cas, comment expliquer les phénomènes où la matière semble disparaître opportunément au profit d’une entité immatérielle, comme lorsqu’il échappe aux juifs en traversant les murs et les portes de lieux clos ? Dans le second cas, comment justifier qu’une entité immatérielle mange avec les disciples ? Comment expliquer la nécessité d’une forme apparente pour les disciples et pas pour Paul ?

Personnellement, l’hypothèse qui me convient le mieux — dans le champ cosmogonique cathare —, est celle d’une inspiration divine qui s’est manifesté chez une ou plusieurs personnes qui l’ont enjolivée d’une identité mondaine ou qui l’ont endossée à titre personnel, un peu comme fit Manès en son temps qui se prétendait nouveau Jésus. Paul n’a pas jugé utile d’user de tels artifices et a laissé les disciples à leurs choix, ce qui explique qu’il ai mis trois ans avant de revenir à Jérusalem où il n’en a rencontré que deux d’entre eux.
Par contre, je crois en la réalité d’un envoyé divin que j’appelle Christ qui fut porteur du message de Bienveillance et qui nous a laissé aux bons soins du Saint-Esprit paraclet pour nous guider vers notre salut.

Guilhem de Carcassonne.

Le 11 décembre 2022


[1] Catharisme d’aujourd’hui, Éric Delmas, éditions Catharisme d’aujourd’hui (2014-2015).

[2] Orthodoxie et hérésies aux début du christianisme, Walter Bauer, éditions du Cerf en 2009 (première édition en allemand en 1934).

[3] Antiquité juives, Livre 18, 63-64.

Le cheminement cathare

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Le cheminement cathare

Nous avons vu le mois dernier que l’éveil est ce qui détermine l’état de croyant cathare. Je voudrais vous parler aujourd’hui de la façon dont se fait le cheminement qui peut mener de sympathisant à l’état de croyant et ensuite à atteindre l’état de consolé.Read more

L’éveil spirituel cathare

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L’éveil spirituel cathare

Il est un point qui est souvent très difficile à comprendre quand on n’est pas consolé ou croyant. En effet la dialectique moderne tend à dénaturer le sens des mots qui sont alors utilisés à tort et à travers. On observe que nombreux sont les domaines intellectuels, existentialistes et plus ou moins spirituels qui utilisent le terme d’éveil à des fins très variées, voire contradictoires.

En matière de catharisme, ce terme est strictement spirituel et implique des concepts qui sont propres à cette religion. C’est pourquoi je tiens ici à vous présenter ce sujet de façon aussi complète que possible.

L’éveil dans la mondanité

L’éveil, une affaire d’esprit-saint

Dans sa déposition devant l’Inquisition, Pierre Maury raconte un prêche de Philippe d’Alayrac, chrétien consolé à propos de la différence entre l’âme et l’esprit. Nous connaissons ce texte sous le nom de parabole de la tête d’âne. En voici le texte figurant dans le registre inquisitorial :

« Il y avait une fois deux croyants à côté d’un ruisseau. L’un d’eux s’endormit. L’autre resta éveillé, et il vit quelque chose qui ressemblait à un lézard qui sortant de la bouche du dormeur traversa subitement le ruisseau par une planche ou une tige qui était tendue d’un côté du ruisseau à l’autre.

Il y avait là une tête d’âne décharnée, dans laquelle la chose entrait et sortait, en courant par les trous de la tête. Puis elle revenait par la planche jusqu’à la bouche du dormeur. Cette chose fit cela une ou deux fois. Ce que voyant, celui qui était éveillé, alors que la chose était passée de l’autre côté du ruisseau vers la tête, enleva la planche, pour l’empêcher de passer et de revenir à la bouche du dormeur. La chose, sortie de la tête d’âne et arrivée au ruisseau, ne pouvant traverser, parce que la planche était enlevée, et le corps du dormeur s’agitant fortement sans pouvoir se réveiller, bien que celui qui était éveillé le secouât, ce dernier finit par remettre la planche. La chose traversa par la planche et entra dans la bouche du dormeur.

Il s’éveilla aussitôt, et dit alors à son compagnon qu’il avait beaucoup dormi. L’autre lui dit qu’en dormant il avait eu un grand trouble et s’était beaucoup agité. Le dormeur répondit qu’il avait beaucoup rêvé. Il avait rêvé en effet qu’il avait traversé un ruisseau par une planche, puis qu’il était entré dans un grand palais, où il y avait beaucoup de tours et de chambres ; quand il avait voulu revenir, la planche avait été enlevée du ruisseau, et il ne pouvait pas passer ; mais il venait au ruisseau, et reculait, de peur de se noyer ; il en avait été très troublé, jusqu’à ce que la planche soit remise sur le ruisseau, et qu’il ait traversé. Celui qui était resté éveillé lui raconta ce qu’il avait vu, et les deux croyants en furent dans un grand étonnement.

Ils allèrent ensuite trouver un bon chrétien (c’est-à-dire un hérétique), et lui racontèrent la chose. Il répondit que l’âme de l’homme restait toujours dans son corps jusqu’à la mort du corps, mais l’esprit de l’homme entrait et sortait, comme ils avaient vu ce lézard sortir de la bouche du dormeur, entrer dans la tête d’âne, et rentrer dans la bouche du dormeur. »

Le point qui nous intéresse aujourd’hui dans ce texte est la notion qui veut que si l’âme mondaine — nous parlerions plutôt de système de commande du corps —, est fixée à ce dernier et disparaît à la mort de ce dernier, l’esprit tombé dans la matière — que j’appelle esprit-saint —, n’est pas attaché à la matière et dispose d’une relative capacité d’autonomie. C’est fondamental si l’on veut comprendre la possibilité d’un éveil spirituel.

C’est en raison de cette relative indépendance de l’esprit-saint qu’il s’avère possible de l’informer de son état de prisonnier et de lui ouvrir, ou plutôt entrouvrir la porte qui lui permettra de développer sa spiritualité. Dans le film Matrix®, que je prends souvent en exemple, la scène culte des deux pilules est très stricte et sert d’ailleurs de références aux milieux complotistes. En effet, le personnage de Morphéus propose au héros Néo de choisir entre le confort de l’ignorance (la pilule bleue) et le merveilleux univers de la connaissance et de la vérité (la pilule rouge). C’est en fait un choix entre la lâcheté et le courage. Dans le catharisme, les choses sont différentes. Nous avons au cours de notre vie des moments où nous sommes absorbés par nos obligations et où nous ne sommes pas intellectuellement disponibles pour autre chose. On pourrait dire en référence au mythe de la tête d’âne que ce sont des moments où l’esprit-saint n’est pas dans la tête d’âne. À d’autres moments, nous nous interrogeons, car l’esprit-saint influe sur l’intellect dans le sens où il crée des moments d’interrogations qui ne sont pas forcément clairement identifiés, mais qui manifestent une certaine opposition avec l’âme mondaine. Ce sont des moments où l’esprit-saint est dans la tête d’âne.

L’éveil, un moment de retournement spirituel

Dans ce moment de conflit relatif, nous confrontons notre savoir intellectuel avec la connaissance spirituelle qui diffuse de l’esprit-saint. Celui-ci est sensible à nos interrogations, à notre psychologie et à notre approche philosophique qui bien qu’étant des compétences intellectuelles sont en mesure de lui ouvrir une voie d’émergence partielle. Le contrôle de la pensée profonde a toujours été un rêve des dictatures et l’âme mondaine n’y fait pas exception.

Chez la plupart d’entre nous et depuis longtemps ces émergences partielles retombent vite sous la prégnance de l’âme mondaine, ce qui explique que nous n’ayons toujours pas réussi à quitter cet enfer mondain.

Par contre, dans de rares cas, cette émergence est interprétée intellectuellement comme une évidence spirituelle. Pour que cela soit possible, il faut que l’intellect soit capable de comprendre ce qu’est la spiritualité, ce qu’est l’éveil et ce qu’est la connaissance. Alors un terreau favorable à l’éveil spirituel va se mettre en place. Pour autant tout n’est pas gagné.

L’esprit-saint est encore sensible aux injonctions de l’âme mondaine qui par le biais des outils que lui donne la sensualité va pouvoir le tromper sur la validité de son ressenti ou le dériver vers des notions mondaines parées d’attributs spirituels. Ce dernier cas est à mon avis clairement exprimé dans les extrémismes religieux qui appliquent à la religion les constantes morales de la mondanité : égocentrisme, vanité, violence morale et physique, etc. Dès lors l’argutie religieuse sert de support aux pires comportements mondains.

Mais, dans de rares cas, l’intellect bien formé par l’acquisition d’une connaissance éprouvée peu se trouver en adéquation avec l’esprit-saint prisonnier. Dès lors, ce dernier va pouvoir se libérer partiellement de sa gangue mondaine et commencer un travail de révélation qui imprégnera la part intellectuelle malgré les tentatives de l’âme mondaine et les incompétences du corps. On passe d’un état de dépendance du spirituel au mondain à celui d’une indépendance et même d’une forme de prise de contrôle partiel de certains éléments mondains, sans quoi atteindre le salut est illusoire. C’est un retournement total du système initial qui maintenait l’esprit-saint prisonnier.

L’éveil spirituel à proprement parler

Ce sujet qui, vous l’avez compris est central puisqu’il détermine la possibilité pour l’esprit-saint d’emprunter la voie du salut n’apparaît pas dans les sources. Du coup, les historiens — même ceux qui ont des compétences en philosophie — ne l’abordent pas dans leurs écrits ! Cela démontre les limites de la recherche sur un sujet comme la religion qui nécessite un travail approfondi de la part de chercheurs ayant une maîtrise des sujets spirituels. Malheureusement, la plupart étant très imprégnés de judéo-christianisme, on en trouve peu qui savent faire abstraction de leurs propres convictions pour se mettre à la hauteur de celles des cathares.

Cela vous expliquera pourquoi j’ai consacré un chapitre complet à l’éveil dans mon livre[1] et pourquoi je l’ai lié à la connaissance et au salut.

Les prémices de l’éveil

Pour les cathares, l’éveil ne s’acquiert pas de façon exogène ; c’est petit à petit qu’il se fait jour en nous, grâce à l’étude du catharisme spirituel. Contrairement au concept judéo-chrétien de la foi du charbonnier qui dès le 16e siècle considérait que le croyant devait se contenter de croire « ce que l’Église croyait », le catharisme milite pour une foi éclairée et une conviction intime appuyée sur des arguments solidement étayés par des sources.

C’est pour cela que les cathares faisaient tout leur possible pour éduquer les auditeurs, que nous appelons sympathisants, par le biais de prêches et qu’ils traduisaient en langue vernaculaire les documents mis à disposition de ceux qui pouvaient les lire.

Aujourd’hui nous ne faisons rien d’autre. Le site au titre éponyme du livre offre de nombreux documents qui permettent de découvrir et d’approfondir le catharisme, car il est essentiel que chacun puisse le comprendre à la hauteur de son intellect personnel et ne jamais admettre quelque notion que ce soit de façon automatique.

Ce travail d’étude et d’information permet d’acquérir un savoir qui permettra à chacun de savoir précisément pourquoi il pense et dit ce qu’il veut du catharisme. Mais cette acquisition de savoir est insuffisante. Comme pour toute construction de qualité elle n’est que la fondation de la connaissance qui se construira en mettant en accord le savoir et l’intime conviction. C’est la mise en accord de l’intellect et de l’esprit-saint prisonnier dont je parlais plus haut.

La mort de l’Adam primordial

La cosmogonie judéo-chrétienne nous parle d’Adam comme le premier homme. Bien entendu il s’agit d’une présentation imagée qui marque l’apparition d’un animal spécifique, porteur d’un souffle divin, au sein d’un monde déjà doté d’animaux dépourvus de cette étincelle divine. D’un point de vue cathare, il s’agit de l’illustration de la chute des esprits-saints dans la matière démoniaque. Cet Adam est donc un animal, dominé par son instinct et sa sensualité, doté d’une part spirituelle qu’il peut mettre en avant s’il en a conscience et s’il en ressent la nécessité.

L’Adam primordial est adapté à ce monde et rejette ce qui tendrait à mettre en danger cet équilibre dont il ne perçoit pas la malignité. Pour en revenir à Matrix®, c’est le Néo, trafiquant de logiciels informatiques et employé peu docile qui cherche à échapper à ce qu’il croit être une sorte de police qui le traque pour ces motifs.

C’est par l’étude et l’acquisition de savoirs que le sympathisant va remettre ses évidences et vérités antérieures en question. Or, cela va lui montrer que les règles mondaines de pouvoir, de volonté de vivre et de représentation vaniteuse sont sans objet. Cela revient à une sorte de suicide que de suivre la voie qu’ouvre la pilule rouge. Dans un de mes textes antérieurs, je présentais cela sous l’image de deux hommes pris dans un tourbillon aquatique et incapables de distinguer quoi que ce soit d’utile. L’un va s’accrocher à son statut, d’autant qu’ayant pu accrocher une souche d’arbre il espère que cela le sauvera. L’autre fait un choix apparemment incohérent, puisqu’il lâche la souche et nage à contre-courant pour tenter de rejoindre la rive. Ce faisant il va se sauver, car le tourbillon aboutit à un siphon qui va tuer son compagnon.

Nous aussi nous devons faire spirituellement ce choix de laisser mourir en nous notre nature mondaine, notre Adam primordial, car il ne peut nous mener au salut.

L’éveil : résurrection du Christ

Le savoir acquis va, chez certains d’entre nous, provoquer un choc intellectuel qui nous permettra de voir l’inanité de ce que nous pensions infaillible jusque là. De ce choc vont émerger de nouveaux paradigmes qui vont annuler nos anciennes convictions et faire de la voie de cheminement cathare la seule adaptée à notre propre salut. J’insiste sur l’importance de différencier un sentiment de la justesse de la voie cathare en raison de sa doctrine sensée et logique et de sa pratique cohérente, et la conviction personnelle que cette voie spirituelle est la seule capable de nous assurer le salut. On retrouve très clairement ce dernier sentiment dans les interrogatoires d’Inquisition de croyants cathares médiévaux.

Ce sentiment absolu distingue le sympathisant du croyant, car l’adhésion à une spiritualité ne peut être valide que si elle n’accepte aucune autre option pour soi. C’est ce que nous appelons la résurrection de Christ en chacun de nous. En effet, pour les cathares Jésus — s’il a existé —, n’a jamais eu de corps physique et sa crucifixion est donc un leurre au mieux et une forgerie judéo-chrétienne destinée à émerveiller les populations crédules au pire. Mais la résurrection, inutile pour un Jésus jamais mort doit être comprise dans le sens de la foi. L’épisode de Lazare dans le Nouveau Testament reprend ce concept. Lazare, ancien ami et proche de jésus, frère de Marthe et Marie Madeleine, est déclaré mort. Jésus survient et le ressuscite. En fait, c’est la foi en Jésus de Lazare qui était morte et qui est ressuscitée. Certes, c’est moins claquant que la résurrection charnelle. De la même façon la mort de Saphire et Ananias dans les Actes des apôtres est également un signe d’exclusion de la communauté et non pas une mort provoquée par Dieu.

Le croyant : un sympathisant cathare éveillé

Quand survient cet éveil spirituel cathare, que rien ni personne d’autre que l’intéressé ne peut provoquer, ce dernier quitte le statut de sympathisant pour devenir un croyant. Lui seul en prend conscience, spontanément ou à l’occasion d’un échange avec un chrétien consolé qui a su observer son changement mieux qu’il ne l’a fait lui-même.

Quels sont les changements qui vont affecter ce nouveau croyant débutant ?

D’abord, la certitude qu’il n’y a pas d’autre voie spirituelle pour lui que le catharisme. Ensuite, l’impérieuse nécessité de tout mettre en œuvre pour cheminer selon cette voie. Enfin, la recherche du salut qui ne peut se faire qu’au sein d’une Église cathare organisée et efficace.

Le croyant cathare en chemin

Dès qu’un croyant cathare comprend la réalité de son éveil, il sait qu’il va devoir entamer un long et parfois difficile cheminement.

Il va devoir se livrer à une introspection personnelle pour déterminer les points de sa personnalité et de son mode de vie qu’il va devoir mettre en priorité afin de les rendre compatibles avec le catharisme. Mais il ne s’agit pas pour lui de se forcer à agir ou de feindre d’agir comme il sait qu’il faut le faire. Tout le cheminement du croyant sera consacré à étudier, comprendre la justesse et appliquer petit à petit les préceptes cathares afin qu’ils deviennent pour lui évidents et nécessaires et non pas forcés et feints.

On le voit, ce cheminement risque d’être long puisque rien n’est forcé, mais une fois que le croyant aura acquis des éléments de la Règle de justice et de vérité, il sera bien mieux à même d’éviter les échecs et les tentations contrairement à ce que l’on voit dans d’autres religions qui imposent des comportements au lieu de laisser leurs adeptes les intégrer à leur rythme.

Le cheminement cathare

Le croyant va donc cheminer dans son for intérieur et il va continuer à acquérir des savoirs afin de pouvoir être les porte-paroles de l’Église auprès de sympathisants et de curieux désireux de mieux s’informer. Par contre, il devra s’abstenir de tout prosélytisme, car les cathares savent qu’il y a d’autres possibilités de salut et que chacun doit trouver la sienne.

En effet, à titre personnel, l’étude du catharisme, le suivi des prêches et des échanges internes et l’introspection spirituelle vont transformer des savoirs en connaissance. Et c’est cette connaissance qui permettra au croyant de progresser dans son cheminement.

En outre, le croyant va pouvoir associer certaines pratiques rituelles et un mode de vie qui lui sembleront convenir à son nouvel état. Tout cela est libre et mobile à l’exception de l’Amélioration que tout croyant doit effectuer quand il est en présence d’un chrétien consolé, si l’environnement le permet.

Attention à ne pas trop en faire, car l’excès de zèle est aussi néfaste que l’absence d’action.

La recherche du salut

Le croyant cathare sait et ressent que son salut passe obligatoirement par un noviciat et une Consolation. Le succédané de Consolation aux mourants, mis en place au Moyen Âge, ne garantit rien, car pour être en état de recevoir la grâce divine il faut un travail spirituel intense qui est difficile à mener en dehors d’une vie évangélique.

Donc, le croyant cathare sait qu’en se mettant tout entier au service de l’Église il participe à son propre cheminement vers le salut. Pour autant il ne peut pas abandonner ses obligations mondaines si ces dernières sont susceptibles de causer un dommage à des personnes innocentes envers qui il se serait engagé précédemment.

J’espère que ce prêche vous aura permis de mieux comprendre ce qu’est l’éveil spirituel cathare et qu’il vous servira, si le moment se présente, à évaluer votre propre situation spirituelle.

Guilhem de Carcassonne.


[1] Catharisme d’aujourd’hui – Éric Delmas, éd. Catharisme d’aujourd’hui à Carcassonne (2015).

Principe du Mal et chute des esprits saints

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Principe du Mal et chute des esprits saints

Comme nous l’avons vu le mois dernier à propos du Bien, il est difficile d’exprimer des concepts spirituels avec des mots sans tomber dans l’anthropomorphisme. En outre, la cosmogonie explore des domaines qui sont hors de portée des connaissances et de l’expérimentation humaines.
Si le Bien — au sens spirituel du terme —, est impossible à préciser, car Dieu est pour nous étranger et inconnu dans ce monde, voulu et édifié par le Mal, ce dernier n’est pas plus définissable, mais nous pouvons apprécier ses œuvres.

Le principe du Mal

Il faut différencier la terminologie chrétienne en ce domaine : le principe du Mal est généralement appelé Satan[1], mais son démiurge est indifféremment appelé diable ou satan. Le terme Lucifer est réservé aux judéo-chrétiens qui en ont fait une référence de leur cosmogonie.
Comme je l’ai fait le mois dernier pour le principe du Bien, je différencie les termes Mal qui désigne le principe mauvais et mal qui désigne ses effets en ce monde.
Ce principe est donc premier et totalement « pur » dans sa malignité, ce qui impose d’admettre que le Mal ne peut ni ne veut produire rien de bien et que le mal de ses œuvres ne peut en aucune façon être amendé et devenir du Bien.
Comme nous sommes prisonniers dans le monde voulu par le Mal et mis en œuvre par le démiurge, nous observons en permanence les résultats de ces œuvres. Mais nous devons essayer de comprendre les notions de mal direct et indirect.
Si je ne vous ai pas parlé de la substance du Mal, comme je l’ai fait pour le Bien, c’est tout simplement parce qu’il n’en a pas à proprement parler. On définit le Mal comme un néant d’Être, mais ce n’est pas comme une sorte de manque ou d’absence qu’il faut le comprendre, mais plutôt comme le fait que le Mal ne peut s’exprimer dans aucun domaine relevant de l’Être.

Le bien et le mal, deux faces d’une même pièce ?

Comment accepter, quand on est prisonnier d’une enveloppe charnelle et d’une âme mondaine, qu’il ne peut y avoir de bien réel en ce monde ? C’est contraire à nos sens et à notre espérance. Et pourtant, même si on pense que quelque chose est bon, le plus souvent on s’aperçoit qu’un bien ici est, ou devient vite, un mal ailleurs. Prenons un exemple historique qui montre que faire un acte apparemment bénéfique peut provoquer un mal non voulu. Le pape Jean-Paul II, en accord avec le président américain Ronald Reagan ; s’est évertué avec succès à la chute du régime communiste soviétique dans l’espoir de libérer des peuples prisonniers depuis plusieurs générations. Que s’est-il passé ensuite ? Et bien, après une période de désordre et de violence, le peuple a accueilli comme un sauveur un homme qui a installé un régime autocratique qui pourrait bien conduire le monde à sa perte, de façon plus risquée que cela n’avait jamais été le cas avant.
En fait, dans un espace détenu par le Mal et dédié au mal, il est risqué de chercher à modifier quoi que ce soit en affirmant que le résultat ne pourra jamais être pire.
Les cathares l’avaient bien compris, tout comme cela apparaît dans le Rituel du Nouveau Testament cathare occitan[2], concernant ce qu’il faut faire face à un animal pris au piège.
Deux cas sont proposés : dans le premier l’animal peut être libéré sans dommage corporel grave et l’on doit indemniser le chasseur ; dans le second, l’animal est mort ou trop gravement blessé ; dans ce cas on ne fait rien et on passe son chemin. Certes, le premier cas comporte un risque de dérive. Le chasseur qui récupère un animal dans son piège va certainement le rapporter à la maison et offrir à manger à sa famille, alors que s’il trouve de l’argent il peut être tenté d’aller le boire au café du coin.
Nous sommes tous, sans exception, amenés à commettre un mal pensant faire un bien. En faisant un cadeau sans savoir comment et par qui il a été fabriqué, comment il sera ou pas recyclé, si ce cadeau ne va pas créer un déséquilibre autour de celui qui le recevra, etc. Notre objectif en ce monde ne peut ni ne doit jamais être de le transformer, car sa nature est maligne et rien n’y changera quoi que ce soit.
Le mal est attiré par le néant comme ceux qui le servent et qui ne connaissent rien d’autre. Rappelez-vous l’histoire de la grenouille et du scorpion acculés à une rivière par l’incendie d’un champ. Quand le scorpion demande à la grenouille de lui faire traverser la rivière sur son dos, elle veut refuser de peur qu’il ne la pique et ne la tue. Mais le scorpion lui montre qu’il perdrait tout à le faire et la convainc donc de l’aider. Au milieu de la rivière, il la pique et devant la stupeur de la grenouille, il ne peut que répondre : « C’est ma nature ».
Le mal n’est pas une substance au même sens que l’Être ; il est un penchant irrépressible de ce qui ne dispose pas de l’Être. C’est un peu comme un corps céleste qui s’approche d’un trou noir et est attiré par lui, non pas par sa propre volonté, mais par la nature même du trou noir qui n’existe que pour anéantir ce qui l’approche.

La chute des esprits saints

Les interrogatoires d’Inquisition regorgent de récits abracadabrants concernant cet épisode que nous ne parvenons à expliquer dans son origine et son déroulement, mais dont nous constatons les effets concrets : notre emprisonnement en ce monde.
Essayons d’y réfléchir avec notre logique moderne.
Comment expliquer qu’un principe puisse accaparer une partie issue d’un autre principe sans manifester ainsi sa supériorité ? Comment un principe peut-il retenir prisonnière une entité qui lui est totalement étrangère sans agir sur elle puisque la théorie des principes l’en rend incapable ? Comment une entité peut-elle se scinder, se dissocier puis se reconstituer petit à petit sans agir sur ce qui la retient ? Comment prédire que cet épisode restera unique ? Mais avant tout, la question la plus importante est de savoir pourquoi cette chute a été rendue nécessaire.

Les raisons de la chute

Le principe du Mal, que l’on appelle communément Satan, à ne pas confondre avec son émanation démiurgique, satan que l’on appelle le diable[3] depuis le Moyen Âge, ne dispose pas de cette substance assurant maintien de la perfection et stabilité dans l’éternité que l’on appelle l’Être. Il a voulu profiter de sa manifestation à proximité du domaine du Bien pour retarder la néantisation de sa création, un peu comme on soutient par un tuteur un arbrisseau récemment planté. Cette solution ne peut être que temporaire, car si la plante grossit sans parvenir à s’implanter dans le sol, viendra forcément le moment où le tuteur sera incapable de l’empêcher de tomber. C’est pour cela que notre monde, malgré la présence d’esprits-saints, ne peut s’empêcher de dépérir et de retourner au néant.

La chute proprement dite

Les anciens séparaient les cieux en huit niveaux (ogdoade) dont les sept premiers (hebdomade) abritent des anges de qualité croissante pour se terminer par le firmament où règne le Christ. Paul nous dit aussi avoir été enlevé au troisième ciel qu’il appelle le paradis[4]. Dans l’apocryphe chrétien, l’Ascension d’Isaïe, le personnage nous parle d’un ange venu du septième ciel[5].
Ce qui m’intéresse dans ces textes est l’idée que le « ciel » comporterait plusieurs zones, ce qui permettrait d’envisager que certaines soient plus éloignées du centre de l’émergence (Dieu) et plus fragiles face à une attraction extérieure que d’autres. Bien entendu, j’ai parfaitement conscience du ridicule à vouloir imaginer spatialement le domaine spirituel qu’est l’empyrée céleste.
Dans l’Apocalypse de Jean la chute est représentée par un balayage de la queue du dragon qui entraîne le tiers des étoiles du ciel[6]. On retrouve là aussi l’idée que la chute s’est opérée de la « périphérie » vers le centre. Si l’on combine ces trois textes on peut penser que les deux premiers cieux sont les plus vulnérables à l’attaque maline. Le paradis, zone stable ne commence qu’au troisième ciel, les anges des premiers cieux ne connaissent pas Christ (Isaïe) qui vient du septième ciel, et les deux premiers cieux représentent approximativement le tiers des cieux angéliques ; le septième étant celui de Christ et le huitième celui de Dieu. Comme quoi, même avec des outils inappropriés nous pouvons nous faire une idée de ce qui a pu se passer.

Une chute fortuite

Les cathares évoquent également l’idée que les esprits tombés ont été victimes de leur inexpérience qui les a poussés à se laisser abuser par les promesses du démiurge et de leur curiosité. Cela évoque l’hypothèse que le cheminement que nous suivons sur terre pourrait n’être qu’une resucée de celui que les esprits-saints font de leur côté dans l’empyrée divin. Cela pose forcément la question du rapport entre les esprits-saints et l’Esprit unique. Et là encore cela évoque des correspondances mondaines. Prenons l’exemple d’un essaim d’abeilles sauvages. Nous avons la reine au centre entourée des abeilles les plus proches qui gèrent les couvains, autour on trouve des abeilles ouvrières et des abeilles soldats qui approvisionnent l’essaim et défendent la colonie. Forcément, ce sont celles qui sont à la périphérie qui sont les plus sensibles aux influences extérieures, mais chaque abeille dispose d’une relative indépendance pour effectuer ses tâches avant de revenir à l’essaim qui est un tout en soi.
Au final, il est clair qu’il est impossible de savoir comment s’est effectuée la chute des esprits-saints emprisonnés dans la matière charnelle. Ce que j’aurais tendance à retenir est que l’Esprit unique n’est pas forcément monolithique et qu’une certaine latitude existe dans un espace spirituel déterminé par l’avancement spirituel de chacun des esprits-saints qui se trouvent au sein de ce tout unique. Les esprits-saints susceptibles de tomber sont, soit des éléments revenus au Père, mais encore trop fragiles pour progresser dans leur cheminement, soit des esprits-saints initialement demeurés fermes, mais qui continuent à tomber sous l’effet de l’attraction démiurgique.

Un phénomène temporel

La création maline et les esprits-saints sont issus de deux principes différents ce qui leur interdit tout espoir de symbiose. Leur « union » est instable comme l’est celle de l’huile et de l’œuf dans la mayonnaise. La matière se dégrade et périt alors que l’esprit-saint reste stable et éternel. Cette différence de temporalité, ou plutôt l’absence de soumission à la temporalité d’un des deux éléments, amène régulièrement l’esprit-saint à se libérer de sa contrainte. S’il est conscient de son état il ne pourra sans doute pas être trompé une nouvelle fois et retournera à l’empyrée divin pour y poursuivre son cheminement. Sinon, il se retrouvera de nouveau prisonnier d’une nouvelle incarnation.
Cela nous interroge sur la puissance de cette incarnation et les outils dont elle use pour maintenir l’esprit-saint prisonnier.

Les tuniques d’oubli

Comment fonctionnent les prisons mondaines dans lesquelles nous sommes enfermés ? Elles sont composées de deux éléments : l’un est totalement matériel afin d’être sensible à son environnement mondain, qui est totalement étranger à l’esprit-saint qui ne dispose pas des outils pour l’appréhender. L’autre est une interface directe entre la part spirituelle et la part matérielle, que l’on pourrait définir comme l’intellect, cette capacité à raisonner en dehors de tout instinct animal dans le but d’utiliser ou de produire ce qui nous est utile en ce monde. Cette part intellectuelle les cathares l’appelaient l’âme mondaine, par opposition à l’âme spirituelle que j’appelle communément l’esprit-saint. L’âme mondaine est conçue pour empêcher autant que faire se peut l’esprit-saint d’avoir conscience de son état et donc de s’échapper de sa prison charnelle. Les cathares appelaient l’ensemble mondain (corps physique et âme mondaine) la tunique d’oubli[7]. Pour maintenir l’esprit-saint éloigné de tout désir de se rebeller et même d’avoir conscience de son état, l’âme mondaine utilise un élément du corps que l’on appelle la sensualité. Cet élément utilise cinq sens destinés à nous faire prendre conscience de notre imbrication dans le monde et de nous faire croire que nous ne désirons rien d’autre. Ces sens agissent isolément ou en synergie les uns avec les autres. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’acte charnel le plus important pour notre espèce puisqu’il permet la reproduction utilise les cinq sens simultanément. Ainsi la reproduction offre de nouvelles tuniques d’oubli pour remplacer celles qui disparaissent.

Le Mal dans ce monde

Les esprits-malins

Lucifer est l’invention facile de cosmogonies incapables de comprendre le concept de l’étant et celui des principes. Mais, sachant qu’aucun esprit au service du Mal ne peut être issu du Bien, comment reconnaître ces esprits et comment fonctionnent-ils ?
Nous avons vu que l’on pouvait avoir une idée duelle des esprits-saints, à la fois relativement indépendants et en même temps partie intégrante d’un tout unique. Peut-on dire la même chose des esprits-malins ?
Rappelons-nous que les esprits-malins ne disposent pas de l’Être, mais qu’ils sont une émanation du néant. Cela leur interdit toute notion de permanence. Sont-ils émanés de façon ponctuelle et brève pour réaliser une mission ou bien arrivent-ils à durer, notamment quand ils sont associés à un esprit-saint prisonnier ? J’aurai tendance à penser qu’effectivement le Mal génère au besoin un esprit-malin selon ses besoins, car d’une façon générale la création maline n’a pas besoin d’intervention extérieure pour se développer comme l’ont largement démontré les savants qui étudient l’évolution de l’univers et de tout ce qui vit sur terre.
Bien entendu, il faut modérer mon propos à l’aune de l’idée que nous nous faisons du temps. Le ponctuel, hors du monde, peut se mesurer éventuellement en millions ou milliards d’années, ce qui n’est rien à l’échelle de l’éternité, mais qui nous semble incommensurable à celle des miettes de notre propre existence.
Ce qui me semble importer c’est de comprendre que le Mal ne peut rien générer de durable au sens des émanations divines, sinon il n’aurait pas eu besoin d’en dérober une partie pour « soutenir » sa création. Le démiurge est donc, soit présent dans sa propre temporalité limitée, soit absent au sens où l’univers s’auto-gère suffisamment tout en descendant inexorablement sur la pente qui le mène au néant.

Le bien dans le Mal

Le bien que l’on observe est-il du Bien ou n’est-ce qu’une inflexion transitoire et locale du Mal ?
C’est un point essentiel à comprendre, car c’est souvent la dernière grille[8] à franchir pour entrer en catharisme. En effet, nous constatons tous que dans ce monde il y a aussi du bien. Le point de vue cathare semble dès lors extrêmement pessimiste, presque nihiliste. Mais c’est souvent un problème d’échelle.
Prenons un exemple concret. Un jour j’ai reçu un courriel contenant une photo représentant un chalet suisse posé sur sa pelouse fleurie par jour de beau temps. Cette dame m’écrivait qu’elle m’envoyait cela pour me montrer combien j’étais dans l’erreur en disant que ce monde émanait du Mal. Je lui ai répondu que sa photo était trompeuse et qu’en zoomant fortement sur la pelouse elle pourrait voir la lutte que se livrent plantes et animaux pour survivre, ce qui ne manquerait pas de la convaincre que l’image idyllique du plan large n’est rien d’autre qu’une réclame trompeuse.
Dans ce monde la plupart des biens que nous ressentons comme tels n’en sont pas. En effet, le plus souvent un bien ici est un mal ailleurs. L’alimentation en est la meilleure illustration. Si nous mangeons un bon rosbif c’est grâce à l’élevage d’animaux qui gaspillent sept fois plus de ressources végétales qu’ils ne produisent de ressources carnées, et je passe sur leur souffrance. Donc, en mangeant des produits trop coûteusement produits nous participons à la famine qui concerne au minimum les deux-tiers de la planète. Et je peux multiplier les exemples à foison. Il ne faut donc pas nous illusionner sur notre capacité à faire le bien et Christ l’expliquait fort bien en disant : « Toi, quand tu fais l’aumône, que ta gauche ignore ce que fait ta droite. » (Matth. 6, 2). Se réjouir du bien que l’on pense faire c’est faire œuvre de vanité. L’afficher c’est montrer combien nous sommes éloignés de l’éveil spirituel.

Voici ce que je peux vous dire de ce que je crois savoir du Mal et j’espère que nous pourrons échanger ici ou sur les forums du site.

Guilhem de Carcassonne, le 11 septembre 2022.


[1] Le choix des majuscules pour Satan et satan, Bien et bien, Mal et mal, n’est pas anodin.

[2] Ouvrage écrit par des cathares occitan au 13e siècle à Italie du Nord et destiné aux consolés revenant prêcher aux croyants restés en Languedoc sous l’Inquisition. Un seul original nous est parvenu et se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon.

[3] Son étymologie semble venir de l’italien diabolo qui signifie, le diviseur.

[4] Deuxième lettre de Paul aux Corinthiens : 12, 2-4.

[5] Ascension d’Isaïe : 1, 13.

[6] Apocalypse selon Jean : 12, 3-4.

[7] Par référence à un prêche cathare qui illustrait comment le diable avait empêché les esprits-saints tombés en son pouvoir de revenir au Père.

[8] Que nous appelons l’éveil.

Dieu, principe du Bien et l’Être

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Dieu, principe du Bien et l’Être

Guilhem de Carcassonne, le 14 août 2022

Le catharisme présente une particularité unique au sein du christianisme qui est de considérer deux principes dont l’un est Dieu et l’autre Satan. Très mal comprise des chrétiens, cette conviction lui valut d’être traité de dualiste, ce qui n’a pas de sens. En effet, tous les christianismes et tous les monothéismes sont dualistes puisque tous proposent un système associant deux entités, l’une positive et l’autre négative, mais seule la première est parée de l’attribut divin. L’accusation de polythéisme est donc inadaptée, tant pour le catharisme que pour le manichéisme qui respectent tous deux cette différenciation. Le dualisme cathare est sans objet également, car non différenciant du catholicisme à l’exception du fait que chez les cathares le dualisme initial qui soumet l’homme aux deux principes, l’un dans sa nature spirituelle et l’autre dans sa prison charnelle cesse lorsqu’il obtient son salut. Dans le judéo-christianisme par contre, c’est l’inverse ; initialement moniste, le chrétien est soumis au diable et peut terminer par être damné éternellement, ce qui est une vue dualiste particulièrement négative et qui fait de Dieu un père pervers.

Mais la différence entre catharisme et judéo-christianisme va bien au-delà de cette notion dépassée. Je vais essayer de vous l’expliquer sans trop plonger dans des notions philosophiques qui peuvent en dérouter certains d’entre vous.

Le principe du Bien

Les cathares emploient indifféremment les termes Dieu et principe du Bien.

Si j’écris Bien avec une majuscule c’est pour le différencier d’un autre bien qui est en réalité un épiphénomène lié au Mal et qui s’oppose ponctuellement à un mal de même niveau.

Le Bien tel que l’entend un cathare, qu’il soit croyant ou consolé, désigne ce qui ne peut en aucune façon produire un mal, aussi minime soit-il et sous quelque forme qu’on puisse le considérer, prouvant ainsi sa nature originelle. Cela nous est clairement précisé par Matthieu quand il fait dire à Jésus : « Ainsi tout bon arbre fait de beaux fruits, et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri porter de beaux fruits. Tout arbre qui ne fait pas de beau fruit sera coupé et jeté au feu. Et bien, vous les reconnaîtrez à leurs fruits[1]. » Cette tirade détaillée vient préciser ce qu’il avait fait dire à Jean baptiste, plus tôt dans son Évangile : « Déjà la cognée est à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne fait pas de beau fruit est coupé et jeté au feu[2]. » Il réitère son propos dans les mêmes termes en 13, 13. Luc aussi reprend ces deux présentations, ce qui faire penser à une copie[3].

Pourtant cette notion semble totalement hors du champ mondain tel que nous le connaissons. Ici-bas nous trouvons des fruits bons ou pourris sur le même arbre et aucun arbre n’a une propension particulière à produire tel type de fruit. Il s’agit donc d’une illustration évoquant le domaine du Bien et non notre monde.

Pour comprendre cela il nous faut rejoindre un philosophe bien connu et parfois redouté : Aristote. En effet, dans l’œuvre constituée de textes épars — qui ne pouvaient être attribués à un autre de ses thèmes favoris : l’éthique et la physique —, qui fut appelé Métaphysique (littéralement : à côté de la physique), il démontre le concept de principe.

Le principe est, selon Aristote, ce qui est à l’origine de tout ce qui est de même nature que lui. Le principe est la forme première dont tout découle. Il s’agit donc d’une compréhension relative à la nature et au temps. Le principe est le concept d’une nature pure dans son essence et unique dans sa composition. Le principe est univoque et sans la moindre corruption. Il est également à l’origine de tout ce qui relève de la même nature ; il est donc premier. Mais rien ne dit que, d’un principe donné — cause de tout ce qui relève de lui —, ne doit se produire quoi que ce soit d’identique. En effet, ce qui a pour cause un principe est au moins différent du lui sur le plan de la temporalité puisqu’il survient après lui. Rien n’interdit de penser qu’il puisse également être corruptible. Si on limitait le principe du Bien au concept principiel, rien n’interdirait que ce qui émane de lui puisse être corrompu par le Mal, comme semblent le croire une grande partie des religions que nous connaissons. Pour reprendre l’image néotestamentaire ci-dessus, le bon arbre peut produire de mauvais fruits tout en étant bel et bien le principe de ces fruits. Il faut donc réfléchir à un autre concept pour rendre cette image crédible. Ce qui fait que l’arbre et le fruit sont et ne peuvent être rien d’autre que bons, ce n’est pas la nature principielle de l’arbre, c’est sa substance unique.

L’Être, substance du bon principe

L’évêque cathare italien, Jean de Lugio, expliquait l’existence du Mal en faisant valoir qu’il était impossible qu’un être issu du Bien, qui n’avait d’autre référence que le Bien et ne connaissait rien d’autre, put se mettre à lui préférer le Mal qu’il ne connaissait pas. Il en tirait la conséquence logique qu’il fallait bien admettre alors qu’il devait y avoir une cause au Mal distincte de la cause du Bien[4].

Je voudrais essayer d’aller plus loin dans cette analyse.

Nous savons bien qu’il ne suffit pas qu’une chose nous soit inconnue à un moment donné, pour qu’une fois connue nous ne puissions pas la préférer à ce que nous connaissons. Jean de Lugio était un cathare appartenant initialement à une Église monarchienne[5], c’est-à-dire cherchant à unifier la vision catholique à la vision cathare, qui, lorsqu’il vint à remplacer son évêque changea totalement de point de vue et pencha pour une vision dyarchienne, c’est-à-dire dissociant totalement la vision cathare de la vision catholique. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait dans sa compréhension quelques éléments rattachés au catholicisme.

Non, ce qui importe dans notre lecture c’est de comprendre que le principe du Bien dispose dans sa propre substance spirituelle d’un attribut essentiel et unique que l’on appelle l’Être.

Le premier philosophe à avoir tenté d’expliquer l’Être est Parménide qui introduisit dans son explication un concept qui allait créer une branche de la philosophie que l’on appelle l’ontologie qui prétend étudier l’être en tant qu’être. Or c’est là qu’est la difficulté pour nos esprits humains limités. Parménide nous donne pourtant une piste intéressante : l’Être est ! Cela peut sembler abscons de prime abord, mais en réalité c’est lumineux. L’« Être est » suppose une permanence inaltérable et inamovible d’un état totalement étranger au monde. L’Être est la substance unique, profonde et permanente du principe du Bien et de toutes ses émanations qui lui sont consubstantielles.

L’Être ne connaît ni temporalité ni fluctuation. Rien de temporel ou de fluctuant ne peut émaner du principe du Bien, car l’Être leur assure la même stabilité et la même permanence qu’au principe lui-même.

Rapporté à notre arbre, on comprend mieux désormais que le fruit ne peut être que de la même substance que l’arbre lui-même, c’est-à-dire bon. De même ; l’émanation divine ne peut en aucune façon devenir mauvaise puisque son principe lui transmet de façon consubstantielle son Être qui est le Bien. L’hypothèse de Lucifer fils préféré de Dieu devenant jaloux de lui et choisissant le Mal est donc totalement absurde d’un point de vue cathare.

Par contre le Mal, qui est aussi un principe, ne dispose pas de l’Être. C’est même un néant d’Être, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir en lui la moindre parcelle d’Être, non pas en raison de sa substance maligne, mais surtout en raison de sa nature principielle qui ne peut être mélangée. C’est pourquoi les cathares comprennent le troisième verset de l’Évangile selon Jean de cette manière :

« Tout a existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle[6]. »

Dieu, par son verbe est au principe de toute ce qui existe, c’est-à-dire qui dispose de l’Être, et rien peut disposer de l’Être en dehors de lui.

L’ontologie reste un domaine de la philosophie parménienne totalement insoluble par les strictes voies philosophiques, mais une approche ouverte sur la religion peut la résourdre.

Et Dieu dans tout ça ?

J’espère que vous avez tenu le coup jusqu’ici et que mes explications que j’ai voulues aussi abordables que possible pour le grand public vous ont permis de mieux comprendre ces concepts souvent abscons.

Maintenant, il nous reste le plus facile à expliquer : Qu’est-ce que Dieu ?

En fait Dieu est notre façon de dénommer une entité totalement étrangère et inconnue dans l’espace temporel et corruptible qu’est notre univers. Cette entité — terme que j’emploie faute d’en avoir un plus précis à proposer —, est principielle par nature et dotée de l’Être par substance.

Principielle en cela qu’elle n’émane de rien et existante en cela qu’elle est, sans passé et sans avenir, permanente et stable dans le Bien absolu de toute éternité.

C’est tout ce que nous pouvons dire de Dieu en n’oubliant pas d’ajouter que notre part spirituelle émane de lui et lui est consubstantielle.


[1] Évangile selon Matthieu : 7, 17-20.

[2] Évangile selon Matthieu : 3, 10.

[3] Évangile selon Luc : 3, 9 et 6, 43-44.

[4] Liber de duobus principiis (Livre des deux principes) in Écritures cathares – René Nelli et Anne Brenon, éd. du Rocher (Paris) 1996. Plusieurs éditions préalables signées de René Nelli, notamment chez Denoël (1959)

[5] Les cathares monarchiens et dyarchiens — improprement appelés mitigés et absolus —, avaient des divergences concernant les hypothèses cosmogoniques de la création du monde matériel : les monarchiens pensant que le Mal avait perverti une matière créée par Dieu et les dyarchiens considérant que rien en ce monde, y compris la matière, n’était l’œuvre de Dieu.

[6] Évangile selon Jean in Le nouveau Testament – Collection La Pléiade, éditions Gallimard (Paris) 1972.

De la chute au salut

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De la chute au salut

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Qu’as-tu fait de ton talent ?

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Qu’as-tu fait de ton talent ?

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