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La fin d’un monde ?

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La fin d’un monde ?

Il est un point que l’on voudrait éviter d’évoquer quand on a choisi de vivre l’essentiel de son temps dans la spiritualité, mais la prégnance mondaine est forte et ne s’en laisse pas compter. En effet, nous sommes soumis à ce monde quand bien même nous aspirons à retrouver notre origine spirituelle éternelle.

En outre nous sommes tous différents. Certains, les mondains, sont totalement voués à ce monde et n’ont aucune idée qu’ils ont une essence spirituelle ce qui les pousse dans tous les travers de la violence mondaine. D’autres, parmi lesquels je place les sympathisants cathares, ont conscience et espèrent en un autre monde, mais ne veulent pas lâcher celui-ci, tant cela leur semble dépasser leurs propres capacités. Les croyants, qu’ils soient cathares ou non, ne veulent pas revenir en arrière et cherchent comment résister à la prégnance mondaine quand le monde devient fou. Enfin, les spirituels comme les consolés, se moquent de cela car leurs choix leur font considérer les conséquences de la violence du monde comme sans importance vu qu’ils sont déjà hors du monde. Ils sont en quelque sorte avantagés par rapport aux trois autres catégories.

Le temps cyclique

Les Grecs considéraient le temps comme cyclique au sens strict du terme, c’est-à-dire qu’un événement du passé se reproduira indéfiniment dans l’avenir. Aujourd’hui nous considérons le temps comme linéaire, quitte à inventer un temps négatif quand l’événement s’est produit antérieurement à la date de référence.

Mais je pense qu’on peut mélanger les deux concepts, non pas en raison d’un état chronologique cosmogonique, mais en raison de la nature humaine qui reproduit sans cesse ses actions antérieures faute de les avoir suffisamment mémorisées, analysées et conceptualisées. Nous en faisons l’expérience sans cesse sans toujours le comprendre.

L’expérience du 20e siècle

Nous vivons des événements en Europe que la plupart ne regardent que par le petit bout de la lorgnette au lieu de les replacer dans un contexte dont nous avons déjà fait l’expérience. Certes, vous me direz à juste titre qu’un événement du passé ne se reproduit jamais exactement de la même façon deux fois de suite, ne serait-ce qu’en raison du fait que les humains changent individuellement et que les motivations elles aussi évoluent.

Pourtant, dans les grandes lignes, nous voyons aujourd’hui un État dont le dirigeant, légitimement élu, est devenu un autocrate et devient maintenant un dictateur dans le sens où il ne se contente pas de manipuler les élections-plébiscites qu’il organise à sa gloire, mais en précise d’avance les résultats précis qu’il veut obtenir. Les dictateurs n’ont que deux manières de prendre le pouvoir aujourd’hui : l’élection démocratique secondairement confisquée et le coup d’État. Nous pouvons citer pour mémoire concernant les élections les cas de Bonaparte et de Hitler et pour le second cas celui de Pinochet et de Franco. Les Romains, quand la situation devenait critique et que les institutions s’avéraient incapables d’y faire face, faisait le choix de désigner un dictateur parmi la population et lui donnaient tout pouvoir pour une période limitée. Une fois sa mission réussie, il retournait à ses affaires antérieures et, en cas d’échec, il restait la roche tarpéienne.

Mais cela ne suffit pas à parler de temps cyclique. Comme je l’ai déjà détaillé précédemment, la seconde guerre mondiale fut précédée d’événements dont nous retrouvons aujourd’hui équivalents troublants. En 1938, l’Allemagne nazie a multiplié les actions visant à réaliser ses objectifs d’annexion : en mars l’invasion et l’annexion de l’Autriche (Anschluss) se fait au motif supposé de mauvais traitements infligés au nationaux-socialistes autrichiens. Ni la France, ni l’Angleterre ne réagissent au-delà de quelques protestations diplomatiques. En 2014, ce sont des motifs similaires qui sont avancés par les Russes pour envahir ces provinces ukrainiennes. En 1938, suite aux troubles qu’elle organise depuis le printemps dans les Sudètes de Tchécoslovaquie, l’Allemagne envahit et annexe cette province avec l’accord de l’Angleterre, de la Russie et de l’Italie mussolinienne et l’abandon de la France qui s’était engagée dans la préservation des frontières tchécoslovaques. La réunion de Munich qui s’est tenue 4 jours plus tôt avec l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie et la France, acte cet abandon en l’absence de l’ambassadeur tchécoslovaque qui n’est même pas invité. Cela fait penser à la situation survenue à la chute de l’URSS (1991), dans la région moldave, située sur la rive gauche du Dniestr, auto-proclame son indépendance du reste de la Moldavie, sans qu’aucun autre pays ne la reconnaisse. Seules deux régions de Géorgie (l’Abkhasie et l’Ossétie du Sud Alanie), ainsi que la province à majorité arménienne du Haut Karabagh en Azerbaïdjan reconnaissent cette indépendance. Les révoltes intervenues en Géorgie, indépendante depuis 1991 et en Transnistrie furent largement soutenue sur un plan logistique par la Russie désireuse d’affaiblir ces pays frontaliers. En 1938, l’absence de réaction ferme lors de la conférence de Munich fit dire à Churchill devant le Parlement anglais : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. Ce moment restera à jamais gravé dans vos cœurs » Ces paroles prophétiques devraient nous inquiéter, car Hitler, loin de se contenter de ces victoires faciles continua en envahissant la Pologne en septembre, sans déclaration de guerre et malgré un accord de non-agression signé au printemps. En Europe, si la France et l’Angleterre déclarèrent la guerre à l’Allemagne, la plupart des autres pays européens se dirent neutres. La France trop tardivement alertée n’arrivera pas à contenir les troupes allemandes et la drôle de guerre se terminera en avril par l’entrée de envahisseurs dans Paris.

Alors, que devons-nous craindre ? L’annexion de la Crimée et des quatre régions situées à l’est du Dniepr (Luhansk, Donetsk, Zaporizhia et Kherson) par la Russie est déjà effective. La Transnistrie demande son rattachement à la Russie et des troubles liés à des actions cyber touchent tous les pays opposés à la Russie. Attendrons-nous l’équivalent de l’invasion de la Pologne pour prendre conscience de la répétition de l’Histoire ?

Vous me direz que ces ressemblances sont uniques et relèvent des habituels conflits inter-Étatiques. En sommes-nous sûrs ?

L’expérience médiévale

Regardons l’Occitanie médiévale.

Une tentative d’émancipation politico-religieuse des populations locales va déboucher sur une guerre de religion qui provoquera une guerre classique dirigée dès 1228 par le roi de France.

Ce mélange politico-religieux crée de fait plusieurs groupes de population :

  • Les croisés, qui agissent autant par intérêt personnel que par conviction religieuse ;
  • Les faydits qui se battent pour leur indépendance des pouvoirs royaux et accessoirement pour une religion qui ne leur impose aucune contrainte ;
  • Les croyants cathares qui doivent à la fois se protéger des dangers qui les menacent eux et leur famille et qui doivent protéger les chrétiens cathares non-violents ;
  • Les chrétiens cathares dont la Règle de vie en fait des proies faciles.

Quand le pouvoir papal agit pour éradiquer une alternative religieuse qui met en danger son pouvoir temporel, la plupart des croisés cherche à effacer ses dettes et acquérir des biens sans avoir à lutter en Terre sainte où le déplacement est aussi coûteux que dangereux depuis que Saladin taille des croupières aux armées croisées.

La situation géopolitique actuelle n’est guère différente. D’un côté nous avons un pouvoir dont la ligne de conduite est le profit et le pillage qui cherche à s’étendre pour augmenter sa population déclinante et acquérir des profits nouveaux. Face à lui des pays se sont organisés pour s’auto-protéger, mais ont démantelé leurs forces militaires pour investir dans le commerce et le confort.

S’en prendre à des pays situés à l’extérieur de cette alliance permet de jauger les forces et les volontés tout en éloignant la menace et en récupérant des moyens supplémentaires.

La question essentielle est d’estimer jusqu’au aller trop loin sans déclencher une réaction tellement puissante qu’elle provoquerait qui serait fatal aux membres du pouvoir russe.

En Occitanie médiévale aussi nous pouvons observer que la première réaction fut de tenter de s’adapter en essayant de se blanchir vis-à-vis de la croisade, ce que réussit Raimond VI mais pas Raimond Roger Trencavel.

Face à la poussée des troupes croisées certains se tinrent à relative distance, quasiment neutres, comme le comte de Foix alors que d’autres y virent une occasion de prendre à leur compte les droits féodaux sur l’Occitanie.

Il va sans dire que les populations, toutes religions confondues, n’avaient aucun intérêt, ni pour les uns, ni pour les autres. Le massacre de Béziers le montre clairement.

Ce que nous impose le monde

Approche générale

La fin des guerres dans les pays développés nous a laissé croire qu’un temps était passé et que la civilisation nous ouvrait d’autres horizons. Cette vision autocentrée était aussi ridicule que géographiquement inexacte. La montée des extrémismes aurait dû nous alerter, mais étions-nous prêts à en tenir compte ?

Même en Europe, comme nous l’avait montré le conflit issu du démembrement de la Yougoslavie, le fait que les pays et les peuples ne sont pas géographiquement superposés, rend tout équilibre impossible. L’illusion d’une paix ou d’armistices, qui n’ont pas respecté les peuples, n’a pas tardée à s’effondrer avec les Bosniaques et les Serbes. Espérer qu’un accord entre la Russie et les anciens satellites soviétiques allait réussir sans mesure de sécurité était tout aussi illusoire.

Peu importe les motivations, seuls les intérêts personnels assurent la cohésion des groupes. Que cet intérêt soit religieux, ethnique ou vénal, tant que ceux qui le partagent se sentent unis par quelque chose qui les dépasse, ils seront impossibles à dissocier, que ce soit par un régime politique ou une frontière.

Mais quand on est attiré par une croyance spirituelle, qui n’a pas pour objet de dominer le monde, comment faire pour supporter les crises et les soubresauts que déclenchent les autres groupes ?

Les sympathisants

Les sympathisants effleurent à peine la spiritualité, mais cela leur permet cependant de comprendre que certains impératifs de notre société ne sont pas les bons : la violence légitime et le pouvoir. Au quotidien, ils se construisent une morale qui met en avant les éléments positifs, mais ne s’interdisent pas d’agir de façon mondaine s’ils considèrent que leurs intérêts fondamentaux sont en jeu. La protection de leur mode de vie fait généralement partie de ces fondamentaux ce qui fait qu’en cas de nécessité ils peuvent être amenés, à regret, à prendre les armes pour la défendre.

Les croyants

Pour les croyants, notamment cathares, la foi et l’espérance qu’elle porte priment sur bien des impératifs et des priorités de ce monde. Leurs engagements pris ici-bas les amènent à agir dans le cadre mondain même s’ils savent que la vérité est ailleurs. Pour éviter de devoir s’opposer frontalement, comme le font les objecteurs de consciences qui agissent par engagement politique, ils vont tout faire pour agir dans un domaine où ils n’auront pas à porter les armes, mais où ils pourront aider ceux qui le font et soulager les souffrances.

Les spirituels

Par la force des choses, les consolés cathares sont souvent plus âgés que la moyenne de la population. En outre, leur forte implication spirituelle les amène à considérer qu’aucun des malheurs susceptibles de se produire dans ce monde n’a d’importance à leurs yeux parce qu’ils savent qu’ils sont inévitables dans un monde dominé par le Mal et que leur aspiration à le quitter ne peut en aucune façon les empêcher de subir la violence qu’on pourrait leur infliger. Certains s’étonnaient que les cathares se rendant au bûcher chantaient, pensant qu’ils le faisaient pour se donner du courage. Il n’en est rien ; s’ils chantaient c’est tout simplement parce qu’ils n’étaient déjà plus de ce monde.

La fin d’un monde ?

Il ne faut pas croire que notre monde est le monde et encore moins que son devenir peut avoir une influence sur celui de l’Univers. La fin du monde interviendra quand toutes les parcelles de Bien prisonnières ici-bas se seront éveillées et auront rejoint l’Esprit unique.

Aussi les soubresauts actuels, s’ils devaient atteindre un point de non-retour, pourraient signer la fin de notre monde qu’on le considère sur le plan moral et politique ou qu’on le considère sur le plan géographique. Par contre, le monde — les mondes devrais-je dire —, continueront bien après nous, car le temps au sens où ne le considérons s’il nous semble extrêmement long, représente moins qu’une goutte dans l’océan si on le considère à l’aune de l’éternité.

Guilhem de Carcassonne

L’écharde dans la chair : un pas vers le salut ?

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L’écharde dans la chair : un pas vers le salut ?

Aujourd’hui, je voudrais évoquer devant vous un point qui est peu développé dans la réflexion cathare, souvent trop orientée vers les considérations hautement intellectuelles, voire métaphysiques.

Deuxième lettre de Paul aux Corinthiens (chap. 12) :
7 – Et de peur que ne m’élève l’excellence de ces dévoilements, une écharde dans ma chair, un ange de Satan m’a été donné pour me souffleter, de peur que je ne m’élève.
8 – Trois fois j’ai fait appel au Seigneur pour qu’il l’éloigne de moi.
9 – Il m’a dit : ma grâce te suffit, car ma puissance est accomplie par la faiblesse. Je prendrai encore plus de plaisir à me vanter de mes faiblesses pour que la puissance du Christ m’abrite.
10 – Voilà pourquoi je suis content des faiblesses, des outrages, des nécessités, des persécutions, des angoisses pour le Christ, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Pour avancer vers la grâce qui ouvrira la porte du salut, nous devons créer un clivage entre notre part mondaine et notre part spirituelle. Pour y parvenir, nous avons deux axes de progression : l’un qui relève de notre intellect et l’autre qui relève de notre corps.

Comme nous l’avons déjà évoqué, le premier portera sur l’assimilation intégrale de concepts qui nous posent souvent problème au début, comme la non-violence absolue ou l’abandon de tout espoir de sauver ce monde.

Aujourd’hui, je voudrais évoquer le second dont on croit que l’ascèse seule peut vaincre l’obstacle, ce qui nous paraît finalement abordable. Cependant, il ne faut pas oublier que notre corps suit sa propre route vers la déchéance et vient nous le rappeler régulièrement.

La souffrance asservit

Nous le savons bien pour l’avoir tous vécu, la douleur physique vient vite à bout de notre volonté de résistance. Mais la douleur comporte des éléments divers qui vont du ressenti au pressenti.

En effet, la douleur aiguë nous submerge momentanément, mais nous avons des moyens de l’atténuer, voire de la supprimer. Si elle atteint des niveaux paroxystiques, elle peut dépasser nos moyens de résistance au point que, dans les cas extrêmes, certains patients se suicident pour lui échapper.

La douleur chronique introduit un autre champ d’action, celui de la psychopathologie, car sa durée et sa puissance finissent par venir à bout de notre résistance. En outre, l’expérience de la douleur crée un état de pressenti par lequel ce que l’on appelle le seuil de déclenchement du ressenti douloureux est abaissé, car la peur de la douleur en favorise l’apparition.

L’expérience douloureuse, quand elle dure ou qu’elle se répète sans pouvoir être contrecarrée, crée un véritable asservissement qui obscurcit les capacités intellectuelles tant elle devient prégnante, que la douleur soit effectivement présente ou qu’elle soit simplement crainte et attendue. Nous en avons certainement tous fait l’expérience.

Mais Paul nous dévoile une fonction nouvelle de la souffrance que peu d’entre nous auraient pu imaginer. Alors que notre nature mondaine tend à nous pousser vers la vanité et l’égotisme, la douleur vient stopper cet élan en nous rappelant notre misérable condition humaine d’être pantelant soumis à une incarnation imparfaite et corruptible. Mais cette approche n’est pas celle de tout le monde ; seuls ceux qui savent intellectualiser leurs ressentis peuvent l’envisager sous cet angle. Et c’est là que Paul remplit pleinement son rôle d’apôtre et de guide. En nous ouvrant la porte qui dépasse la douleur comme un ressenti pathologique pour en faire un outil d’inversion de notre nature mondaine au profit de notre aspiration spirituelle, il nous montre que notre appartenance à l’empirée divin supplante en tout point les vicissitudes de notre incarnation maligne.

La souffrance permet l’avancement vers le salut

Comme nous le savons, celui qui souffre à tendance à se recroqueviller sur sa douleur et à s’isoler des autres. Celui qui n’a pas encore atteint le stade de l’éveil se trouve alors dans une impasse. En effet, l’animal humain est un être grégaire ; sans les autres, il n’est rien et s’il s’isole il dépérit. Le spirituel au contraire sait profiter de l’isolement pour approfondir son cheminement. Certes, il est plus facile de le faire quand l’isolement est choisi et non subi, mais plutôt que laisser la souffrance nous enfermer dans une bulle négative, en faire une occasion d’introspection permet de lui donner un sens.

En effet, notre nature charnelle, notre sensualité — dans l’acception des stimulations issues des cinq sens —, et notre situation sociale tendent à nous éloigner des considérations spirituelles, d’autant plus que le monde moderne nous crée bien des obligations et de nécessités qui s’y opposent. C’est pourquoi nous voyons de moins en moins de personnes prêtes à considérer leur état d’être spirituel et donc à consacrer du temps et des efforts à approfondir leur réflexion sur cette nature spécifique à l’homme et encore moins à chercher comment faire pour se préparer à l’inéluctable moment où sa prise en compte deviendra prégnante.

Cette situation crée naturellement un profond déséquilibre entre notre double situation : charnelle et spirituelle, qui est le fonds de la majorité d’entre nous. Et nous le voyons bien au quotidien quand nous échangeons avec nos semblables sur des points aussi essentiels que la réalité d’une transcendance, le devenir de notre être au-delà de la mort et les conditions requises pour aborder cet instant essentiel de notre vie que beaucoup d’entre nous auront la chance de vivre pleinement, contrairement à notre naissance dont personne n’a conservé le moindre souvenir puisque le développement neurologique de l’homme rend impossible toute conservation mémorielle avant l’âge de trois ans minimum.

Il ne faut donc pas négliger cette chance que nous donne la douleur de mettre paradoxalement à l’écart notre nature mondaine au profit de notre part spirituelle.

En outre, la douleur étant un phénomène régi par notre système nerveux et conceptualisé par notre cerveau, introduire dans notre intellect une réflexion tournée vers le spirituel permet de mobiliser ce cerveau, au moins partiellement, pour autre chose que le ressenti physique et émotionnel de la douleur.

Certes, la douleur à elle seule ne saurait nous faire avancer vers le salut, contrairement à ce que pensent certains groupes religieux qui, au fil des siècles, ont fait de l’auto-administration de souffrances un outil de reconnaissance et d’avancement accéléré vers le salut. L’avancement vers le salut relève de bien d’autres nécessités et le seul bénéfice de la douleur est juste de nous permettre de détourner notre attention vers ce sujet.

La douleur, un vécu personnel

Quand la religion permet d’unir des individus qui se reconnaissent dans une même spiritualité, la douleur ne peut être partagée. Elle nous est personnelle, tant par sa nature en termes de ressenti que par la gestion pratique que nous lui appliquons. Nous sommes uniques dans notre nature mondaine.

Et d’ailleurs, si j’aborde ce sujet aujourd’hui, ce n’est pas hasard. Ayant eu une expérience douloureuse intense ces derniers jours, j’ai résisté à qui en d’autres temps m’aurait sans doute poussé à exiger une prise en charge ultime en secteur hospitalier, comme cela m’est arrivé dans le passé, ce qui me montre combien ma nature mondaine est aujourd’hui plus influencée par ma nature spirituelle qu’elle ne l’était auparavant.

Mon expérience professionnelle dans la santé et ma relative maîtrise du sujet de la douleur — que j’ai même enseignée à des collègues à une période —, en raison de mon activité dans le domaine de l’anesthésie, me donne des outils intellectuels pour mieux comprendre ce qui se passe et pour apprécier la profondeur et les risques que ma propre douleur provoque en moi. En outre, j’ai accompagné dans ses dernières semaines un ami que vous connaissez peut-être, Yves Maris, qui avait réfléchi de son côté et dans le cadre de ses compétences en matière de philosophie, sur ce sujet en utilisant le même extrait de Paul dont il était un spécialiste. Je n’ai pas retrouvé son article sur le thème de l’écharde dans la chair, mais je sais que son expérience en ce domaine a largement accompagné sa vie mondaine depuis le début de l’âge adulte.

C’est pourquoi j’ai souhaité apporter ma modeste pierre à l’édification de ce sujet dans sa dimension spirituelle. En effet, les philosophes l’ont étudié dans tous les sens, de Socrate aux stoïciens comme Épictète, et je n’ai donc rien à rajouter à ces éminents penseurs d’hier à aujourd’hui. Par contre, le spirituel étant un domaine personnel, je pense pouvoir m’exprimer avec une légitimité qui ne prétend pas s’appliquer aux autres, mais qui cherche à s’ancrer dans la compréhension cathare du rapport entre le corps et l’esprit.

Nous connaissons tous ce que l’on appelle l’effet placebo, c’est-à-dire la capacité du corps à stimuler ses propres capacités quand on lui fait croire qu’une aide médicamenteuse extérieure vient à son secours. Cet effet psychosomatique est puissant et bien utile, mais il n’est pas isolé. L’effet psychologique de la volonté de vivre et de sortir d’une situation critique est également très puissant. Comme bien de mes confrères, je l’ai observé souvent dans mes activités professionnelles en réanimation. On avait même coutume de dire entre nous, mais aussi aux patients, que cette volonté de guérir pouvait compter pour un tiers dans l’évolution de leur état. Dans le domaine de la douleur, il existe un phénomène pratiqué par toutes les mamans, sans qu’elles en aient conscience, que l’on appelle l’effet gate control (terme anglais que l’on peut traduire par contrôle de passage des stimuli douloureux). Il s’agit de tromper le cerveau qui reçoit une information douloureuse transmise par des fibres nerveuses de gros calibre et dénuées de gaine de myéline, ce qui ralentit la transmission de l’influx, en lui envoyant, via des fibres plus fines et myélinisées, un stimulus sensoriel à grande vitesse de propagation qui va saturer partiellement les récepteurs de transmission de la moelle épinière et du cerveau. Ainsi, le stimulus douloureux sera atténué, voire annulé. C’est typiquement le fait de souffler sur une zone douloureuse ou de frotter la peau entre la zone douloureuse et la racine du membre concerné.

Je ne sais pas si l’intellectualisation de la douleur comme moyen de détourner l’attention vers la spiritualité peut se rattacher à une ou plusieurs des méthodes décrites ci-dessus, mais cela importe peu si le résultat est là.

Et je dis qu’à titre personnel j’ai pu constater l’efficacité de ce détournement d’attention du corporel au spirituel et que cela m’a permis de passer ce cap très difficile sans avoir recours à des médicaments dont je savais qu’ils n’auraient fait qu’entretenir le cercle vicieux qui s’était mis en place.

La douleur est une opportunité occasionnelle

Pourquoi ai-je cru que ce sujet pouvait présenter de l’intérêt pour d’autres que moi ? Si Socrate pensait que le daemon qui le torturait lui donnait la capacité d’améliorer sa philosophie et si Paul pensait que l’écharde que Dieu plantait dans sa chair l’aidait à développer son humilité, pour ma part et plus modestement, j’ai trouvé dans mes douleurs un moyen supplémentaire de consacrer du temps à mon avancement spirituel.
Ce n’est donc pas par volonté de glorification de ma pratique que je souhaite agir, car elle n’a rien qui le justifie, mais comme un simple témoignage d’une pratique qui m’a aidé dans un cheminement souvent chaotique et régulièrement ressenti comme plutôt lent.

J’ai découvert dans la douleur une opportunité occasionnelle de sortir d’une expérience mondaine désagréable et d’en faire un passage vers une expérience spirituelle positive. D’ailleurs, les cathares relataient un témoignage selon lequel le christ ayant proposé à ses apôtres d’émettre un vœu les concernant pour qu’il le leur accorde, avait répondu à leur demande unanime de les mettre à l’abri de toute souffrance : « Vous ne voudriez pas que le disciple soit mieux traité que son maître ? Mais je vous promets que de toutes les souffrances que vous auriez à endurer en mon nom, je vous supprimerai les plus difficiles et, la moins difficile je l’adoucirai tant qu’elle vous semblera supportable. » Est-ce pour cela que les cathares ne craignaient pas le bûcher, au point de refuser d’abjurer ? Je ne sais pas, mais je veux croire que la seule douleur qui me semblerait insurmontable serait celle de quitter la voie spirituelle qui, je l’espère, me mènera vers mon salut.

Alors oui ! Pour moi, sans jamais la rechercher, ce qui serait une forme de vanité, j’accepte l’écharde que ce monde plante dans ma chair, car à mes yeux elle participe un peu à me guider dans la voie qui mène au salut.

Guilhem de Carcassonne.

Pratiquer, enseigner, critiquer

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Pratiquer, enseigner, critiquer

Le monde moderne n’a rien à envier au Moyen Âge ou à l’Antiquité en matière de brutalité, de violence, de mépris et de bassesse humaine.

Au contraire, je trouve que, sous des dehors apparemment plus policés, ces tares sont en constante progression, confirmant ainsi la vision cathare selon laquelle le monde s’appauvrit en Bien et se « purifie » dans le Mal.

Dans le respect de la ligne directrice de cette chronique de la pensée cathare adaptée à notre époque, je voudrais traiter des deux sœurs jumelles dans le Mal que sont la vanité et l’intolérance. Sachant à quel point elles me taraudent régulièrement et tous les efforts que je dois fournir pour les contrer, avec un succès dont je vous laisse juges, je me sens plutôt bien placé pour les étudier, en quelque sorte.

Agir, enseigner ou critiquer ?

George Bernard Shaw avait livré une de ses réflexions incisives sur le sujet sous la forme suivante : Celui qui peut, agit, celui qui ne peut pas, enseigne.

Un anonyme que je n’ai pu retrouver avait précisé : Celui qui ne sait pas écrire enseigne et s’il ne sait pas enseigner, il devient critique.

Cette maxime résume bien le monde. Celui qui agit prend le risque de se tromper et de le montrer clairement, et souvent durablement. Sa certitude devient donc une erreur et lui-même régresse dans l’échelle des compétences humaines. Celui qui enseigne évite de se mettre directement en danger et ne risque que la moquerie s’il est pris en flagrant délit de faute dans son enseignement. La honte est la même, mais son champ d’action est restreint. Par contre, celui qui critique ne risque pas grand-chose. S’il s’avère que sa critique est fausse, il s’en tire le plus souvent en feignant de ne pas avoir critiqué ou s’il ne peut le cacher en prétendant avoir été mal compris. Au pire, il se fait oublier quelque temps avant de recommencer de plus belle. Surtout, personne ne saurait s’aviser de lui demander de prouver qu’il a raison en réussissant là où ceux qu’ils critiquent auraient peut-être échoué.

C’est pour cela que l’on remarque que plus il y a de risque à agir, plus on trouve de critiques.

J’en veux pour exemple un champ d’action très à la mode en ce moment, la politique. Le politique doit réussir quand tout le monde à échoué, quand les conditions extérieures rendent la réussite impossible et s’il échoue il est responsable, alors que s’il réussit c’est forcément grâce à de bonnes circonstances et non en raison de ses talents.

Certes, on trouve à foison chez les politiques des vaniteux et des intolérants. Ils le sont tous au moins autant que le reste de la population. Par contre, ceux qui franchissent le pas de l’action prouvent qu’ils sont les moins malins — dans tous les sens du terme — car ils se mettent immédiatement dans le camp des victimes dont les autres vont se repaître. Cela me rappelle un film si terrible que je n’ai jamais pu en regarder la moindre rediffusion : Ridicule, de Patrice Leconte, avec Charles Berling. Dans ce film, un petit noble de province monte à Paris pour proposer au roi un projet de nature à améliorer sensiblement la vie des paysans de sa région. Mais, il se trouve pris dans le piège des pratiques courtisanes nécessaires pour approcher les décideurs. Or, la principale règle de la cour consiste à tourner quiconque en ridicule sur quelque sujet que ce soit afin de défaire les meilleures réputations et de monter en épingle les pires vices. Cela provoquera sa perte et l’échec de sa mission.

Aujourd’hui, les courtisans sont en général les journalistes et quelques politiques aigris qui prennent un malin plaisir à détruire toutes les tentatives susceptibles d’être bénéfiques avant qu’elles aient eu le temps de produire des effets pour mieux regretter qu’elles n’aient été menées à bien dès que leur mort fœtale est constatée. Mais, ces mêmes critiques se gardent bien de se lancer en politique pour montrer que leurs critiques étaient fondées et qu’ils sont capables de réussir là où leurs victimes ont échoué, souvent par leur faute.

Certes, on ne peut agir efficacement sans avoir pris la peine d’apprendre, car alors on va à l’échec et ses conséquences peuvent impacter d’autres que soi. Mais, si l’on veut critiquer, il faut alors proposer de mettre en œuvre ce que l’on pense être la meilleure alternative. La critique sans action est un poison destructeur et n’apporte aucune capacité d’apprentissage et d’évolution. De même, enseigner sans avoir pratiqué est un non-sens. Je me souviens avoir suivi un enseignement de secourisme et avoir désiré devenir enseignant en la matière. Je me suis donc inscrit à la formation de moniteur national. Mais dès que j’ai commencé ma formation, j’ai compris l’inanité qu’il y avait à vouloir enseigner ce que l’on n’a pas pratiqué. Aussi me suis-je immédiatement inscrit dans les équipes de secours de la Croix-Rouge française afin de vérifier sur le terrain la validité de ce que je prétendais enseigner. Pour autant, tout bon praticien n’est pas forcément un bon enseignant et il n’est pas nécessaire d’être le meilleur praticien pour être le meilleur enseignant. Ces deux disciplines ayant leurs propres particularités et exigences font que l’excellence n’est pas forcément superposable entre elles.

La vanité et l’intolérance : un cercle vicieux

Beaumarchais, dans sa pièce sulfureuse, Figaro, prête ces paroles à son personnage :

« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »

Pour autant, avant de s’autoriser à blâmer qui que ce soit, il convient de s’assurer que l’on n’est pas soi-même accessible à la critique justifiée. Cela nous renvoie à la parabole de la femme adultère. Qui de nous se croit sans péchés et s’autorise à jeter la première pierre ?

Car la question la plus profonde est là. Notre incarnation nous met dans un tel état de dépendance vis-à-vis du monde qu’il nous donne à voir pour valable ce qui n’a d’autre but que d’empêcher l’émergence de l’esprit qui est maintenu contraint dans notre corps de boue. Et pour y parvenir, le plus efficace est de nous donner à croire que nous ne sommes pas prisonniers et que nous sommes même un individu au-dessus de la moyenne qui a donc le droit de juger les autres. Cette disposition intellectuelle est la vanité.

Cette vanité est, avec la sensualité, le plus puissant levier utilisé par le monde pour nous empêcher de nous éveiller à notre état spirituel.

La vanité flatte notre égo, nous fait croire capable de grandes choses ou magnifie à l’excès les petites choses que nous entreprenons. Or, l’égo est l’opposé de la Bienveillance ; il veille à notre seul intérêt, y compris au détriment de tous les autres, qu’ils soient meilleurs et plus utiles au groupe que nous.

Du coup, la vanité va nous pousser à développer une autre arme antisociale : l’intolérance.

L’intolérance est ce qui nous permet de rejeter les autres pour diverses raisons. Ceux qui en savent plus que nous sont des fats, même si nous passons notre temps à monter en épingle les rares savoirs dont nous disposons. Ceux qui ont ce que nous envions sont des profiteurs, des vaniteux, voire des voleurs alors que si nous avions ce que nous leur envions, ce serait par simple justice sociale, tant nous méritons mieux que ce que nous avons. Et cela n’a aucune limite. Plus nous sommes privilégiés par la vie et plus nous déplaçons le critère de notre nécessité vers le haut. Le smicard rêve d’avoir le double pour vivre mieux, mais celui qui a atteint ce niveau espéré rêve lui aussi d’augmenter fortement ses revenus, tant il est convaincu d’en avoir un besoin vital. Et les plus riches, les plus reconnus n’en ont pas assez, car perdre leur superflu leur semble être une régression sociale insupportable.

Donc, nous rejetons ceux qui diffèrent ou qui nous rappellent que le partage permet de réduire la misère et l’intolérance. Et notre égo justifie tout, y compris de rejeter ceux dont la souffrance, qui est parfois due à notre mode de vie, nous rappelle combien nous sommes loin de la Bienveillance.

La religion et la philosophie

La philosophie est en constante dégradation : pratiquée intellectuellement et au quotidien chez les Grecs, les Romains en ont fait une nouvelle présentation (néo-) en se contentant d’enseigner ce que faisaient les Grecs. Les catholiques ont poussé cette approche scolastique au seuil de la critique en rejetant toute philosophie qui ne validait pas leurs thèses. Aujourd’hui, on appelle philosophie ce qui n’en est pas réellement et les enseignants sont plus proches de la sophistique que critiquait Socrate (Protagoras) à juste titre.

En matière de religion chrétienne, on peut constater une même évolution. Initialement, voie de vie en vue du salut, elle fut appauvrie afin de correspondre aux exigences impériales et devenir ainsi dominante sous sa forme judéo-chrétienne. Ensuite, elle devint une approche intellectuelle détachée de la pratique, car en l’imposant aux nouveau-nés le christianisme a perdu son sens essentiel : le choix intime d’une vie spirituelle. En outre, la séparation des populations entre ceux qui se « sacrifient » dans la pratique religieuse — destinés à remplacer les martyrs disparus avec l’officialisation de l’Église —, et ceux qui leur confient leur salut personnel en échange d’une prise en charge de la vie quotidienne (denier, du culte, etc.) a créé une différence de statut qui n’existait pas à l’origine. Aujourd’hui, elle est devenue une sorte d’auberge espagnole où chacun s’arroge une appartenance religieuse, voire un statut ou un titre, tout en rejetant ce qui ne lui convient pas, quand bien même cela constitue la colonne vertébrale de ladite religion.

Or, le principe essentiel de la religion et de la philosophie est de nous rappeler qu’il ne faut pas contenter de vivre comme les animaux évolués que nous sommes, mais que nous devons rechercher en nous ce qui peut nous élever au-dessus de la mêlée. Or, toute nouvelle voie à suivre oblige à acquérir un savoir adapté, c’est-à-dire à étudier sérieusement et profondément le sujet que l’on prétend maîtriser. La philosophie est l’école de la modestie et la religion, celle de l’humilité. « Tout ce que je sais est que je ne sais rien » disait Socrate. C’est pourquoi la résurgence du catharisme crée un choc après sept siècles d’oubli. En effet, cette voie chrétienne est la preuve que l’on peut — et je dirais même que l’on doit —, être chrétien en vivant dans la règle de l’Église au quotidien. Pourtant, s’il est évident que chacun ne peut pas vivre en chrétien, tant la prégnance mondaine pèse sur nous, il faut cependant y tendre sur les principes essentiels, comme la non-violence, l’humilité, la tolérance, l’honnêteté, etc. En effet, s’extraire de ces bases développe des comportements comme l’intolérance et la vanité qui éloignent de la part spirituelle qu’il nous faut éveiller en nous et qui installent un cercle vicieux extrêmement difficile à rompre.

Comment être un « honnête homme ? »

Ce terme, issu du siècle des Lumières, désigne celui qui vit dans le monde en maintenant au mieux un comportement compatible avec ses aspirations personnelles.

Mais il faut différencier les gens selon leurs convictions morales, philosophiques, voire religieuses. Nous savons qu’elles sont très variables selon les cultures et les pays et qu’elles peuvent aussi être influencées par les idées politiques et religieuses, notamment. L’anthropophagie est universellement rejetée, sauf dans quelques tribus indigènes, on y voit une façon de s’approprier le courage de l’ennemi.

Sur le plan moral, ce sont donc souvent les règles sociales qui définissent le cadre à respecter. Elles dépassent le cadre des lois et règlements, car ces derniers ont une portée générale alors que la morale est individuelle, c’est-à-dire qu’elle peut nuancer et dépasser les lois. Si l’on n’a que la morale comme guide, on peut certes vivre honnêtement, mais dans un cadre restreint qui se limite à un monde où elle s’applique. Il suffit parfois de passer une frontière pour que notre morale devienne inapplicable ou illégale.

Sur le plan philosophique, ce sont des règles intellectuelles qui viennent au secours ou à l’encontre de la morale. Ces règles émanent d’une construction logique et cohérente qui place l’homme au-dessus du monde quotidien et le pousse à réfléchir d’une façon globale ayant pour objet le bien de l’homme en ce monde. La philosophie veut diriger l’homme comme la politique veut diriger la société. Elle cherche à réduire les impulsions au profit de la réflexion, mais en conservant cependant un cadre qui, par définition, est limité par des bornes.

Sur le plan spirituel, ce sont des règles doctrinales qui viennent remplacer les bornes légales et intellectuelles. Parfois, elles sont en accord avec ces dernières, parfois elles sont plus libérales et parfois elles sont plus strictes. Le but de ces règles est de permettre à l’homme de s’approcher, autant que faire se peut, de l’idéal qu’il vise. Cela met donc cet idéal au-dessus des lois du monde selon que la religion de référence considère le monde comme issu de la transcendance visée, inférieur en qualité à cette transcendance ou, parfois, contraire aux objectifs de cette transcendance.

L’homme peut donc vivre au mieux selon ses aspirations qu’elles soient simplement morales ou qu’elles y adjoignent des considérations intellectuelles, voire religieuses. Et c’est ce que nous devons viser tout en nous rappelant que personne d’autre que nous ne peut réaliser cet objectif. Celui qui critique vit hors de sa réalité ; celui qui enseigne admet ne pas pouvoir l’atteindre malgré ses espoirs et celui qui agit est le seul qui soit capable de mettre en adéquation ce qu’il croit et ce qu’il est. Mais celui qui agit dans l’humilité et la bienveillance doit les conserver quand il enseigne ce qu’il fait et s’il est amené à critiquer des arguments insuffisamment fondés, parce qu’il a pris soin de rendre les siens aussi puissants que possible.

Guilhem de Carcassonne

L’équilibre

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L’équilibre

Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur et quand il croit ouvrir ses bras, son ombre est celle d’une croix, et quand il croit serrer son bonheur, il le broie, sa vie est un étrange et douloureux divorce. Louis Aragon – Il n’y a pas d’amour heureux in La Diane française (1944).

Qu’est-ce que l’équilibre ?

Déf. : état stable où aucune force n’agit plus, ni dans un sens ni dans l’autre.

L’équilibre dans ce monde n’existe pas

D’un point de vue matériel (physique et chimique), l’équilibre est une illusion. En effet, sur le plan physique, en raison de la pesanteur et de la rotation de la Terre, tous les corps sont en mouvement et doivent compenser ces forces pour se maintenir dans un état apparent d’équilibre. Vous pouvez facilement le vérifier en vous mettant debout et en observant le comportement de votre corps. En fait, il compense en permanence une chute en avant ou en arrière pour rester droit. Mais, me direz-vous : « Si l’on place un objet sur un autre et qu’il demeure stable, on peut dire qu’il est en équilibre. » Pas du tout, car comme je viens de le dire, les forces qui s’exercent sur lui le poussent à se rapprocher du noyau terrestre d’une part et à compenser une chute en arrière du fait de la rotation terrestre. C’est donc une illusion d’équilibre. Comme l’a montré Galilée, laisser tomber une pierre du haut d’un mât de bateau — que celui-ci soit à l’arrêt ou en mouvement —, produit apparemment le même résultat : la pierre tombe au pied du mât. Sauf, que quand le navire est en marche, la pierre se déplace en tombant au même rythme que le bateau et parcourt ainsi une distance identique à celle du bateau. Quand le bateau est à l’arrêt, c’est le déplacement de la terre que celui-ci et la pierre suivent.

Sur un plan intellectuel et psychologique, les choses sont comparables. Ce qui provoque une forme de « déplacement » de notre mental est ce que j’appelle la sensualité, c’est-à-dire l’ensemble des réactions liées à chacun de nos cinq sens : le goût, la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat. Nous leurs sommes soumis en permanence au point de ne plus nous en rendre compte. En fait, ils assurent une activité permanente de notre mental pour l’empêcher de se tourner complètement vers une perception extra-sensorielle. Comme nos muscles, nos nerfs et nos os, quand nous sommes debout, ils compensent en permanence la tendance naturelle de notre mental à échapper aux lois de ce monde.

Les cathares disaient que notre corps est une prison dans laquelle notre parcelle divine, l’âme divine ou l’esprit-saint comme je l’appelle, est maintenue prisonnière et empêchée de tenter de s’évader vers une perception conforme à sa nature, mais contraire aux desseins du démiurge maître de ce monde.

Pourtant, si nous ne pouvons pas obtenir un équilibre parfait sur le plan physique, faute de pouvoir lutter contre la gravité et le déplacement de la terre, nous pouvons nous en approcher dans le domaine mental.

L’ataraxie est ce qui se rapproche le plus de l’équilibre dans ce monde.

D’un point de vue général l’homme qui cherche à s’extraire des contraintes du monde, à mettre ses cinq sens au repos, se trouve alors en repos intellectuel et accède à une forme de sérénité que l’on a tenté de reproduire dans des caissons d’isolation très à la mode il y a quelques décennies.

On peut aussi tenter de se rapprocher de cet état par étapes. Des exercices de relaxation existent qui aident à mettre une partie de nos sens au repos.

En fait cet état de détachement est ce qui nous protège du chaos mondain. Il peut être obtenu également par la saturation des sens. Cela peut sembler incohérent, mais cela fonctionne. Que ce soit en vous mettant au milieu d’un champ balayé par le vent ou dans une foule d’un grand magasin, la saturation des perceptions de vos sens va engendrer la possibilité de vous extraire mentalement de votre environnement.

C’est d’ailleurs une méthode que l’on retrouve dans beaucoup de spiritualités.

La spiritualité permet de se rapprocher de l’équilibre.

La médiation récitative

La méditation est souvent présentée comme une façon d’atteindre l’équilibre mental. C’est vrai, mais cela ne se limite pas à la méditation silencieuse qu’utilisent les bouddhistes. D’ailleurs, ils utilisent aussi d’autres formes de méditation, comme celle qui consiste à psalmodier des versets d’un livre sacré tout en faisant tourner des cylindres maintenus par une tige leur servant d’axe vertical et que l’on appelle des moulins à prières.

Dans le monde chrétien, les rituels associent souvent la multiplication rapide de prières enchaînées, comme c’est le cas du rosaire ou du chapelet catholique et du rituel des heures cathare. L’enchaînement rythmé des phrases, d’autant plus efficace quand elles sont rimées, permet de saturer nos sens, ce qui laisse la part spirituelle plus à même de s’exprimer.

L’erreur que commettent souvent les croyants cathares est de réciter leur Père saint de façon assidue, ce qui mobilise les sens au lieu de les saturer, alors qu’ils savent très bien que ce texte n’est pas une prière au sens strict puisque Dieu est inconnu et étranger, donc absent, à ce monde.

Le jeûne

Les communautés évangéliques, qui réunissent à plein temps les consolés et les novices, pratiquent eux aussi un rituel, dit de l’Oraison dominicale, où le Pater remplace le Père saint des croyants.

Mais elles pratiquent aussi une méthode plus profonde de dissociation spirituelle : le jeûne du rituel des Jours.

En effet, le jeûne cathare est une façon de s’entraîner à atteindre l’équilibre, même si cela peut sembler étonnant de prime abord.

En effet, si le jeûne strict cathare (c’est-à-dire la limitation à 100 g de pain) d’un jour perturbe peu ses pratiquants assidus, quand on dépasse ce seuil, l’organisme ressent un fort déséquilibre et manifeste sa souffrance due à la privation de nourriture.

La semaine de jeûne strict, qui dure huit jours au début des trois carêmes) permet de passer par les divers états de l’équilibre. Au début, sur une période d’environ trois jours, le pratiquant ressent le déséquilibre important que cause la privation. Je rappelle d’ailleurs qu’autrefois ces trois jours de jeûne étaient si difficiles à supporter qu’on les dénommait trépasser (passer trois), ce qui aujourd’hui est assimilé à la mort.

Ensuite, l’organisme s’adapte et puise dans ses réserves pour ne plus souffrir. Le pratiquant ressent une certaine euphorie et découvre le temps que lui donne l’absence des pratiques alimentaires. Ce temps, le cathare le met à profit pour approfondir son introspection spirituelle.

L’approfondissement culturel et spirituel

Le catharisme est une religion qui accorde une grande part à l’étude qui est la première marche menant — via la foi et la connaissance — à l’éveil spirituel grâce auquel le nouveau croyant commence son cheminement spirituel. Or, pour chercher l’équilibre il faut d’abord avoir connaissance de son absence. Le constat repose sur une analyse fine d’éléments que nous avons tendance à négliger, car notre culture nous les présente comme acquis.

Le fait que le monde est la création de Dieu est de nature à nous pousser à négliger sa réalité objective et à traiter comme des interférences tout ce qui pousse logiquement à croire qu’il n’en est rien. Le fait que l’homme est responsable du mal en ce monde, du fait de son libre-arbitre, nous conduit à considérer que ce monde est amendable et perfectible et que c’est de nous que viennent les problèmes. Au final, on peut nous donner à croire que l’équilibre est naturel dans ce monde et que le chaos est de notre fait, soit exactement l’inverse de la réalité.

Pourtant le chaos est bien antérieur à l’homme. Depuis son origine apparente, voici près de quatorze milliards d’années, c’est par des bouleversements gigantesques que se sont formés les soleils, les planètes, les galaxies et même les trous noirs. Sur notre planète, vieille de cinq milliards d’années, ce sont aussi des bouleversements qui ont modifié la planète et son atmosphère la rendant propre à la vie. Ces bouleversements ont également effacé la vie de façon quasiment totale à cinq reprises avant même que l’homme n’apparaisse. Depuis ces soixante-cinq millions d’années qui nous séparent du dernier grand bouleversement lié à la chute d’une météorite, selon l’avis quasi-unanime des chercheurs, l’activité volcanique, tectonique et maritime a largement participé au chaos que vit l’humanité. Pourtant, aucun de ces phénomènes n’a été le fait de l’homme. Alors, qui en est responsable ? Si l’homme a modelé la planète, ce n’est pas par malignité, mais simplement pour essayer de s’y faire une place vivable. En était-il conscient ? Pas davantage que la taupe n’est consciente des dommages qu’elle inflige à notre pelouse.

Alors, qui faut-il croire ? Ceux qui accusent l’homme du mal sur la terre ou ceux qui pensent que le mal a une autre cause ?

Accéder à l’équilibre

Une fois constaté la réalité du mal en ce monde et l’innocence de l’homme dans la plupart de ses manifestations, il convient de chercher à savoir si l’équilibre est accessible.

C’est là que le catharisme a montré que, parallèlement à une pensée judéo-chrétienne orientée vers la recherche du pouvoir, il a existé une pensée chrétienne orientée vers la recherche d’une vérité compatible avec l’inspiration divine, qu’on l’attribue à un individu venu nous apporter un message ou qu’il s’agisse d’une inspiration ayant trouvé un terreau fertile dans la pensée de certains hommes exceptionnels.

Sortir du chaos mondain

Pour accéder à l’équilibre qui est absent de ce monde, il faut logiquement s’extraire du monde. Cela commence par séparer ce qui produit le chaos de ce qui produit l’équilibre. C’est ce que les cathares ont fait en attribuant le chaos au principe du Mal et l’équilibre au principe du Bien.

Ensuite, il faut définir la place de l’homme entre ces deux pôles irréconciliables. Là encore les cathares ont eu cette inspiration de concevoir que l’homme est composé d’une part éternelle issue du Bien et d’une part charnelle et corruptible issue du Mal.

Enfin, il faut proposer une solution, accessible à l’homme dans son état de soumission mondaine, pour lui permettre de s’extraire du chaos à la recherche de l’équilibre. C’est ce que proposent les cathares avec leur doctrine basée sur la Règle de justice et de vérité et sur le cheminement progressif qui va de l’état mondain à l’éveil, de l’éveil au détachement du novice, de la mise en pratique approfondie du novice au passage à l’état de consolé et de l’état d’équilibre fragile du consolé à celui définitif du salut. Bien entendu, et les cathares le disent sans cesse, c’est une solution et non pas LA solution. Ce qui définit quelle solution nous conviendra relève de notre culture et de nos savoirs. À condition qu’au final celui qui cherche l’équilibre mette en œuvre des actions qui lui permettent de s’éloigner du chaos mondain, peu importe le cheminement qu’il choisit.

Les niveaux d’accomplissement

Ce qui va poser problème est de passer de l’état mondain à l’état d’éveil. En effet, cela nécessite la remise en question de ce qui fait notre nature en ce monde. Pour cela il faut acquérir des savoirs qui vont nous montrer les failles des certitudes qui nous été inculquées depuis des siècles. C’est souvent très difficile tant nous sommes imprégnés par cette culture qui n’a d’autre but que de donner un sens au chaos. Au lieu de suivre aveuglément des directives qui prétendent nous offrir un salut clé en mains, il nous faut tout reprendre à zéro. Interroger à la fois les sources pour y détecter des erreurs, des approximations, voire des mensonges et interroger notre intuition pour voir si les deux peuvent coïncider. Si nous rencontrons des doutes et des incohérences dans ce que les sources nous donnent à voir, il faut les approfondir, mais le plus important que nous devons rechercher c’est de savoir si Dieu est celui que nous décrit les sources ou celui que nous propose notre intuition. Il est vraisemblable que dans le premier cas le catharisme n’a pas l’ombre d’une chance de nous convenir.

Si parmi les sources, celles qui nous viennent des cathares nous semblent les plus cohérentes et les mieux construites, nous devons nous interroger pour savoir si la totalité des éléments essentiels du catharisme (philosophie, doctrine, praxis) nous semblent convenir à notre conception de la vie en ce monde et à ce que nous espérons pour après notre mort. Une réponse affirmative à ces questions ne peut que nous conduire à la certitude que le catharisme est notre voie spirituelle. C’est là la limite des savoirs.

Celui qui vient de mettre un pied dans la voie du croyant va devoir faire appel à des outils bien moins faciles à manier s’il veut aller plus loin. Aucune philosophie ni religion de dispose d’un système de pensée complet, sans faille et parfait, pour la bonne raison que la spiritualité n’est que le reflet de ce qui n’est pas de ce monde. Arrive un moment où le croyant va devoir abandonner le terrain ferme et sûr des certitudes pour entrer dans celui de la foi. Or, la foi demande d’accepter une part de doutes, mais de considérer que ces doutes sont moins importants que notre intuition. Je ne peux pas détailler la foi, car elle dépend de chacun. Souvent on la découvre a posteriori, alors que l’on est déjà bien engagé dans une voie spirituelle. C’est en se retournant sur le chemin que nous avons parcouru entre le moment où nous avons réussi à ordonner et valider nos savoirs et celui où nous comprenons que nous avons désormais acquis la connaissance, c’est-à-dire la certitude irrépressible que la voie que nous avons choisie est la seule possible pour nous. Cet ensemble de savoir et de foi ouvrant sur la connaissance s’appelle l’éveil.

Je n’irai pas plus loin, parce que la majeure partie d’entre-nous ne sera pas en capacité de dépasser ce stade en raison des obligations mondaines qui nous sont faites et que nous devons respecter pour suivre la Règle cathare. Mais le croyant éveillé n’a rien à envier au consolé. Ce n’est pas le consolé qui est la cheville ouvrière du catharisme, c’est le croyant !

La recherche de l’équilibre, par la méditation et la spiritualité se moque bien du statut mondain de celui qui l’atteint, même momentanément. Les sources inquisitoriales nous montrent que bien des croyants étaient au moins au niveau d’avancement des derniers consolés souvent formés à la hâte.

La seule conclusion que je puisse vous proposer est donc de trouver votre voie vers l’équilibre.

Guilhem de Carcassonne, le 10 décembre 2023

Où est Dieu ?

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Où est Dieu ?

J’ai conscience du caractère iconoclaste de cette remarque. Pourtant je ne peux m’empêcher de me la poser quand je vois combien ce monde semble fonctionner sur le concept de l’élimination de Dieu. En effet, le mal est omniprésent et le monde souffre de nombreuses imperfections sans que l’on puisse dire clairement qui est responsable de cette situation.

Pourtant il est courant d’entendre les rescapés d’une catastrophe humaine ou naturelle remercier Dieu de les avoir épargnés. Faut-il en conclure qu’ils pensent que ce dernier est responsable de l’événement, ou seulement de leur salut ? Et que dire des religions qui font de Dieu le facteur (créateur) du monde au sens large tout en le considérant comme absolument parfait ?

Qui est Dieu ?

Le point de vue cathare

Nous avons déjà tenté d’apporter des éléments de réponse à cette question. Un croyant définit Dieu comme une « entité » spirituelle omnisciente, omnipotente et bonne.

D’un point de vue cathare, les choses sont encore plus définies. Dieu est le principe du Bien, c’est-à-dire à l’origine du Bien absolu, inaltérable et éternel. Il dispose de l’Être ce qui l’élève au-dessus du simple état principiel et en fait le seul et unique vrai Dieu.

Qu’en pensent les autres ?

Les judéo-chrétiens en font le créateur du ciel et de la terre et ils considèrent qu’il nous a créés à son image. Cela interroge. Comment un être totalement tourné vers le Bien, omnipotent et omniscient peut-il être à l’origine de créations imparfaites, indifférentes aux maux qu’elles causent, voire volontairement tournées vers le mal ? La réponse de ces courants religieux chrétiens est que le mal est dû au péché originel. Mais comment expliquer le mal antérieur à l’homme ? Plusieurs extinctions massives des espèces vivantes se sont produites avant même que l’homme n’apparaisse sur terre. La dernière et plus connue a provoqué la disparition des dinosaures voici 65 millions d’années. Le péché originel ne saurait être incriminé. C’est bien le caractère chaotique et imprévisible de la création de ce monde qui favorise et provoque des cataclysmes responsables de ces catastrophes dont rien ne nous dit que la prochaine pourrait être à l’origine de notre propre disparition.

Les hommes sont capables du pire comme du meilleur et l’actualité récente nous le confirme malheureusement de façon claire et indiscutable. Comment imaginer que Dieu ait pu nous créer à son image ? Ou alors ces religions, auxquelles nous pouvons ajouter l’islam et le judaïsme, considèrent que Dieu serait comme nous capable du pire comme du meilleur, ce qui invalide totalement l’idée princeps que l’on se fait de lui. Il ne serait plus la référence absolue du Bien inaltérable et éternel comme cela était mis en avant dans les religions polythéistes qui faisaient des dieux des entités supérieures certes, mais dotées des mêmes qualités et défauts que l’humanité. Il va sans dire que les cathares s’opposent fermement à cette idée, ce qui explique qu’ils aient énoncé la réalité d’un principe du Mal, dépourvu d’Être et seul responsable du mal dans une création imparfaite et corruptible dont il est le seul auteur.

Pourquoi le mal ?

Si certains philosophent sur le fait que le mal est indispensable au bien, on est droit de chercher un peu plus loin. Un ami philosophe, Yves Maris, disait avec une pointe d’humour que « Le mal c’est ce qui fait mal ». Certes, mais cela ne nous fait guère avancer.

Pour sortir des schémas anthropocentriques et géocentriques, voyons comment analyser le mal. Il y a le mal qui ne doit rien à l’humanité, comme la chute d’un corps céleste ou une éruption volcanique et le mal que l’on peut attribuer à l’homme, comme les violences individuelles et collectives ou le dérèglement climatique. Mais dans le cas des maux que l’on impute à l’homme, nous pouvons rétorquer que si l’homme est à l’image de Dieu, c’est ce dernier qui doit porter la responsabilité de ses actions.

En fait, la question qui se pose est de savoir si le mal est inéluctable et indispensable à l’univers. Sans la violence du big bang et ses conséquences sur les matières et les gaz qu’il a libéré, jamais les étoiles et les planètes n’auraient pu apparaître et s’organiser en galaxies. La violence de la nature modèle la terre et sélectionne les espèces pour favoriser les plus aptes et pour terraformer notre monde qui est devenu humainement vivable grâce à ces bouleversements. Il est donc raisonnable de considérer que le mal est indispensable à la création et, d’une certaine façon, qu’il lui est même consubstantiel.

C’est d’ailleurs ce que pensent les cathares. Mais au lieu de faire le grand écart en l’attribuant, directement ou non, à Dieu, ils ont eu la cohérence et la logique de considérer que cet univers était la création du démiurge, Deus ex machina du principe du Mal.

Alors, si l’univers est la création du Mal, la question qui se pose est de savoir où est Dieu ?

Dieu est un anachronisme en ce monde

Quelle est la part divine ici-bas ?

En fait, cette question est strictement humaine. Car à un moment de leur évolution, les espèces homo néandethalensis, naledi et sapiens, nos ancêtres du point de vue phylogénétique, se sont mises à rechercher une transcendance hors du monde au lieu de la vénérer dans les objets et les phénomènes climatiques. Ce changement psychologique, même s’il obéissait aussi à des impératifs mimétiques, liés au regroupement des cellules familiales nucléaires du paléolithique, signe une modification sélective et profonde d’espèces pourtant déjà installées depuis longtemps.

Pour les cathares, cet instant signerait possiblement l’infusion d’une part de l’Esprit unique — émanation divine — créant de fait un composé humain comportant, d’une part un corps et un système d’organisation appelé âme humaine et, d’autre part une parcelle spirituelle issue sans être séparée de l’Esprit unique que j’appelle l’esprit-saint pour ne pas le confondre avec le saint Esprit consolateur. C’est cette infusion qui a donné à ces animaux terrestres des capacités nouvelles qui leur a profité sur le plan intellectuel et organisationnel, même si sur le plan pratique, elle leur a plutôt compliqué la vie, contrairement aux autres « inventions » précédentes comme la bipédie et la taille des silex. On retrouve cette idée dans un film de science-fiction : 2001, l’Odyssée de l’espace où l’on voit un groupe de singes, en compétition plutôt défavorables avec leurs congénères, découvrir un monolithe noir et lisse de forme parallélépipédique dont le simple contact favorise leur évolution intellectuelle.

Si c’est cette infusion spirituelle qui a fait de nous ce composé humain, à la fois issu du mauvais et du principe du Bien, c’est que Dieu n’est pas impliqué dans ce monde ni même dans ce qui fait ce principe malin. Comme le disent les cathares et leurs prédécesseurs, Dieu est étranger et inconnu dans ce monde. Cela explique que les hommes échouent systématiquement à imaginer que Dieu puisse avoir quelque responsabilité dans l’existence du mal.

À la recherche de Dieu

Si les hommes sont sans cesse à la recherche d’un Dieu perceptible c’est sans doute parce qu’ils ont conscience qu’ils sont issus d’un ailleurs indéfinissable où Dieu serait la référence unique. Comme le disait le poète : « L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux ». Cela pourrait expliquer que nous soyons si fortement attirés par l’hypothèse d’une vie extraterrestre, sous la forme d’êtres qui seraient à l’origine de notre création ou qu’ils seraient débarrassés de nos tares congénitales et que leur sagesse pacifique les aurait portés à un niveau de savoir tel qu’ils viendraient à nous pour en partager une partie. Mais, notre nature étant ce qu’elle est, nous imaginons aussi qu’ils puissent être désireux de nous éliminer pour profiter des produits de notre planète ou qu’ils se soient fait passer pour Dieu afin de nous manipuler comme cela est proposé dans le film Stargate, la porte des étoiles.

Mais nous commettons l’erreur géocentrique la plus commune qui est d’imaginer que l’univers où nous vivons et celui où est Dieu sont séparés d’un point de vue dimensionnel. En fait, comme essaie de le rendre le film de science-fiction, Interstellar, nous devons considérer que l’empyrée divin n’est pas soumis aux dimensions que nous connaissons et qu’il est à la fois autour de nous et en nous, puisque la parcelle d’Esprit unique qui donne à notre corps-prison l’illusion de la durée, reste indissolublement rattachée à son origine.

Dieu n’est donc ni dans, ni hors du monde : il est ailleurs.

Le bien et le mal sont étrangers à Dieu

Une fois posée cette hypothèse, nous devons nous demander si malgré son « éloignement » Dieu peut avoir une influence sur ce monde. La réalité est claire ; Dieu ne peut agir contre le Mal pour la bonne raison que le principe du Bien et celui du Mal sont tous les deux totalement étrangers l’un à l’autre et ne peuvent agir dans la sphère d’influence de l’autre, car ils sont dépourvus de ce qui est l’essence de l’autre principe. Dieu n’a pas de mal à opposer au Mal et le Mal ne peut interférer sur la part divine qui est prisonnière ici-bas.

Dans ce monde, le bien et le mal sont toujours relatifs. Un mal peut déboucher sur du positif (un accouchement par exemple) et un bien peut déboucher sur du négatif (gagner au Loto® par exemple). Or Dieu n’est pas relatif, il est absolu ; il est donc étranger au mal dans ce monde et même au bien relatif. Cependant, il faut introduire une nuance à mon propos démoralisant. La parcelle divine qui est notre fonds réel, même enfermée dans cette enveloppe de chair et soumise aux agissements de l’âme mondaine qui cherchent à l’empêcher de revenir à Dieu, peut s’exprimer quand elle parvient à supplanter ces contraintes. Cela peut être exceptionnel ou plus régulier.

Les cathares appellent cela l’éveil, c’est-à-dire le moment où nous découvrons la réalité de notre situation mondaine et où nous décidons de changer de paradigmes, comme lorsque le héros du film Matrix, choisit la gélule rouge qui ouvre sur la vérité de son état au lieu de la pilule bleue qui lui procure un confort relatif au sein de la matrice.

Quand un être humain, cathare ou non, spirituel ou non, décide d’agir en accord avec son intime conviction d’être étranger au mal, il peut produire des choix qui produisent du bien sans provoquer en contrepartie le moindre mal. Cela est rare, mais pas exceptionnel.

Donc, quand nous voyons un bien relatif émerger d’un mal absolu, comme lors d’une catastrophe humaine ou liée à la nature, cessons de louer Dieu des vies sauvées en oubliant les vies perdues, et tentons de nous élever au-dessus des considérations bassement mondaines pour étudier les causes et les aboutissants de ce qui nous entoure. C’est par le savoir que nous pouvons accéder à un niveau de compréhension suffisant pour titiller notre part spirituelle et favoriser l’éveil. Cela ne peut venir que de nous. Alors nous saurons où est Dieu.

Guilhem de Carcassonne, le 05 novembre 2023.

Monothéisme et dualisme

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Monothéisme et dualisme[1]

La philosophie et la théologie cathares — même si ce terme peut sembler impropre s’agissant d’une spiritualité où Dieu est inconnaissable — font appel à des concepts extrêmement forts car ils ont fait l’objet d’études poussées jusqu’à leurs limites argumentaires, logiques et rationnelles.
Ces concepts sont nécessaires à la juste compréhension d’une spiritualité qui a toujours voulu que ses adeptes avancent les yeux grands ouverts afin que leur foi soit une volonté consciente et non un engagement aveugle.
Pour autant tous n’ont pas la formation générale ou plus simplement l’appétence pour de tels sujets. Il est donc nécessaire et utile de les expliquer correctement et complètement.

L’être en soi et les principes

Comme Socrate dans Phédon[2] de Platon ou comme Aristote dans Métaphysique[3], il convient de réfléchir sainement et sagement à ce que l’on pense quand on veut exprimer le plus haut niveau de manifestation d’un élément. Il s’agit donc à la fois de ce qui est premier, et de ce qui ne peut connaître quoi que ce soit d’antérieur ou de supérieur à lui. Ne dit-on pas : « Au principe de toutes choses… » ?
Qu’on l’appelle être en soi et pour soi ou principe, l’élément ainsi désigné est considéré par Platon, qui donne la parole à Socrate, comme ce qui est naturellement composé[4] et qui ne peut être décomposé — sous entendu en parties dont la réunion produirait le composé désigné — ou par Aristote, comme une cause la plus haute qui relève de ce qui est une nature par soi[5].

Ce qui ressort de cette étude c’est que le principe est donc invariable puisque de nature unique[6].

Les cathares médiévaux s’appuyaient clairement sur la philosophie d’Aristote — qui lui-même développe les théories socratiques — pour définir cette notion de principes[7]. Voici les concepts qu’on y trouve :
« … pourquoi certains êtres sont-ils corruptibles et d’autres non, s’il est vrai qu’ils sont formés des mêmes éléments ? […]… les principes ne sauraient être les mêmes.[8] ». L’analyse de la différence entre les éléments corruptibles et les éléments incorruptibles conduit nécessairement au constat de la différence fondamentale entre ces éléments.
De la même façon : « … ces principes seront-ils incorruptibles ou corruptibles ?[…]… tout ce qui périt revient aux éléments dont il est formé…[…]… comment les êtres corruptibles existeront-ils si leurs principes sont supprimés ? » la détermination d’un élément comme principe tient à son unicité indivisible.
Enfin : « Les contraires se ramènent à des principes : l’être et le non-être, l’un et le multiple.[9] » la séparation entre les principes s’étend à leurs causes et est intangible. Cet axiome est appelé principe de non-contradiction : « […] il est impossible que le même appartienne et n’appartienne pas en même temps à la même chose et du même point de vue.[10] »

Cette analyse n’est pas totalement spécifique aux cathares puisqu’on la retrouve dans les évangiles : « Ainsi tout bon arbre fait de beaux fruits, et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri porter de beaux fruits.[11] »

Aristote nous dit également que vouloir avoir toutes les significations en même temps (dont nous venons de voir que c’était impossible), revient à n’en avoir aucune. C’est un élément qui permet de comprendre le néant de ce monde qui prétend être à la fois bien et mal alors qu’il s’agit de principes contraires et opposés.

Conclusion : Je laisse à tout un chacun le choix de s’adonner à la philosophie en reprenant ces ouvrages afin d’accéder à ces informations dans leur contexte. Pour celles et ceux que ce sujet ne passionne pas, je résumerai en disant qu’un principe ne peut accepter qu’une valeur et ne peut en aucune façon être dissocié en éléments qui le composeraient. Que de ce fait ses causes ne peuvent être liées qu’à lui et qu’il ne peut accepter des causes provenant de principes différents et a fortiori contraire. Enfin que ce qui émet l’hypothèse d’un étant qui disposerait de toutes les substances, et particulièrement de substances contraires, ne disposerait en fait d’aucune et serait un néant.

Application au Bien et au Mal

Le catharisme parle du principe du Bien et du principe du Mal préférentiellement à Dieu et diable. En effet, si l’anthropomorphisme a toujours cours car il rend les éléments transcendants plus compréhensibles du commun des mortels, il est trompeur car il laisse supposer à une forme définie de principes qui ne sauraient être réduits à cela.

Ce qui nous importe est de considérer le Bien et le Mal absolus comme indivisibles dans leur unité et comme opposés, ce qui ne veut pas dire égaux. La différence majeure qui fait du Bien le seul principe divin, est qu’il existe en positif — c’est-à-dire qu’il dispose de l’élément divin fondamental, l’Être — alors que le Mal n’existe qu’en négatif. Ce dernier est révélé lorsque la création divine émanant de toute éternité de son créateur, le principe divin, laisse transparaître le néant d’Être.

Pour simplifier ce concept je propose une image parabolique simple. Imaginons un boulanger qui veut fabriquer du pain. Il met dans une jatte tous les ingrédients nécessaires : farine, eau, sel et levure. Il remplit si bien le récipient (qui ne participe pas à la démonstration) que celui-ci est plein à ras bord, au point que rien ne puisse être ajouté sans le faire déborder. Il mélange alors les ingrédients afin d’en faire une pâte homogène et, quand le mélange est terminé, apparaît entre la boule de pâte et les bords du récipient un espace vide qui n’existait pas auparavant. C’est le néant de pâte !

Sans prétendre que ma démonstration soit indemne de critique, elle permet de comprendre deux choses. Le Mal est aussi éternel que le Bien et il n’a rien en lui du Bien ou de sa création.
On retrouve dans les rares écrits cathares disponibles cette idée du Mal nécessaire pour expliquer ce qui est perceptible en ce monde sans pouvoir être attribué au Bien, sauf à lui retirer ce qui le caractérise[12].
Le principe du Mal est logiquement éternel puisque la création divine dont il est l’image négative l’est aussi. Doit-on pour autant lui accorder le statut divin, c’est-à-dire les compétences et les qualités du principe du Bien ? Non bien évidemment puisque tout ce qui fait la qualité divine, l’Être en soi, est réservé au principe du Bien et à son émanation.

Le faux problème du dualisme

Le christianisme que nous connaissons aujourd’hui a ceci de commun avec le judaïsme et même l’Islam qu’il considère Dieu comme le seul créateur de l’univers. De fait il fallait trouver une explication à l’incohérence qui voulait qu’un Dieu parfait dans le Bien et inaccessible à quelque altération que ce soit, puisse dans le même temps créer des éléments corruptibles et tolérer le mal.
La réponse la plus couramment proposée, qui permet d’accepter à la fois un tel paradoxe et d’exonérer Dieu de toute responsabilité, est d’en faire porter la responsabilité à l’homme. Ainsi le système théologique donnait l’impression d’une cohérence, qui pourtant fut largement remise en cause au cours de l’histoire du christianisme. À partir du Ve siècle, devenu seul courant chrétien autorisé, il élimina les critiques en faisant subir à ses opposants le même martyre dont il avait été victime durant les siècles précédents.

Pour les chrétiens issu du courant paulinien, qui refusaient cette conception cosmologique, la seule réponse possible, qui n’entachait ni Dieu ni sa création — logiquement de même substance —, était d’admettre l’existence d’une autre entité entièrement vouée au mal. Mais ils n’acceptèrent jamais de considérer cette entité à l’égal de Dieu, ce qui exclut de fait les accusations de dithéisme, voire de manichéisme qui leur collèrent si longtemps à la peau. Encore aujourd’hui, que ce soit du côté des historiens ou des chercheurs en religion, ce monothéisme est déclaré dualiste afin de le différencier du monothéisme judéo-chrétien.
Pourtant le catharisme, qui est dans la même lignée théologique, n’est pas dualiste, ou plutôt devrais-je dire, il n’est pas plus dualiste que le judéo-christianisme, c’est-à-dire les christianismes mêlant judaïsme — via les éléments constitutifs de la Torah regroupés dans l’Ancien Testament — et le message christique regroupé pour partie dans le Nouveau Testament.

En effet, l’apparent dualisme du catharisme qui sépare dès l’origine le Bien et le Mal pour finalement en arriver à l’anéantissement du Mal, ne l’est pas plus que celui du judéo-christianisme qui permet au Mal de dominer l’humanité au point que la plus grande partie des hommes sont voués à l’enfer si l’on en croit les critères assurant le salut en cette vie terrestre. Certes, à la fin des temps le Mal sera vaincu mais rien ne dit que les damnés seront sauvés, bien au contraire.
Le catharisme pourrait même être considéré comme moins dualiste puisqu’il considère qu’à la fin des temps tous les esprits prisonniers rejoindront la création divine — réalisant ainsi une unité retrouvée —, ce qui n’est pas le cas des créatures du Dieu judéo-chrétien qui maintient l’exil infernal de façon éternelle semble-t-il.

En réalité, la différence porte davantage sur l’attribution ou non d’une capacité de création pure[13] au Mal et c’est en fait cela qui différencie les cathares dits monarchiens qui ne reconnaissent qu’à Dieu un tel pouvoir quand les cathares dits dyarchiens l’autorisent aussi au Mal.
Cette compétence, apparemment divine par essence, fut l’objet de longues controverses et d’ailleurs un évêque cathare du XIIIe siècle, Jean de Lugio, en proposa une explication logique très convaincante[14]. En outre, de nos jours, l’homme a déjà réussi à très petite échelle des expériences qui approchent de près cette capacité. Voilà qui réduit d’autant le caractère « divin » de cette compétence de démiurge.


[1] Étude figurant dans son intégralité dans Catharisme d’aujourd’hui de Éric Delmas, disponible dans la bibliothèque du site : www.catharisme.eu

[2] Phédon, Platon. Cet ouvrage montre Socrate, au seuil de sa propre mort, discutant de la nature et de la destinée de l’âme avec ses amis et disciples.

[3] Métaphysique, Aristote. Cet ouvrage rassemble des textes d’origines diverses mais ayant une convergence thématique. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux parties traitant de l’étude de l’Être ainsi qu’à celles traitant des principes et des causes.

[4] Phédon, op. cit., Chapitre : Les objets des sens et les objets de la pensée. Ne pas confondre, naturellement composé, c’est-à-dire réalisé directement de ce qui a été composé, c’est-à-dire qui peut donc être décomposé.

[5] Métaphysique, op. cit. Livre Γ : La science de l’être, en tant qu’être.

[6] « Ce qu’est chacune de ces choses, l’unicité en soi et par soi de son être, cela garde-t-il toujours identiquement les mêmes rapports et admet-il jamais, nulle part, d’aucune façon, aucune altération ? — Cela, c’est forcé, Socrate, garde identiquement les mêmes rapports ! dit Cébès. » Platon, Phédon.

[7] Aristote, Métaphysique (éditions Flammarion 2008). Il explique que les principes relèvent de la science de l’être, en tant qu’être (ontologie) et qu’ils ne peuvent être principes uniques de choses qui seraient contradictoires entre elles (Livre Γ). Il établit donc que des choses contradictoires doivent avoir des principes contradictoires eux aussi (Livre Δ) et que rien ne peut précéder un principe.

[8] Métaphysique, Livre B

[9] Métaphysique, Livre Γ

[10] Ibid.

[11] Matthieu (VII, 17 – 18). La Bible. Nouveau Testament, collection Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard NRF 1971.

[12] Jean de Lugio, Le Livre des deux Principes dans Écritures cathares, René Nelli aux éditions du Rocher 1995.

[13] J’emploie ce vocable qui désigne la production d’une émanation consubstantielle par différentiation avec l’acception courante du terme création qui désigna la fabrication ex nihilo ou à partir d’un substrat, comme on le voit dans les deux premiers chapitre de la Genèse.

[14] Jean de Lugio, Le Livre des deux Principes, op. cit.

Le croyant ne mange pas à la carte

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Le croyant ne mange pas à la carte !

Présentation

Cela fait longtemps que l’on me pose les mêmes questions sur l’intérêt de la religion, sur la foi, sur la définition du croyant cathare et sur les rapports entre les religions. Cela donne parfois motif à débats enflammés et à ruptures durables.

Mais il est très difficile d’expliquer à des personnes qui n’ont pas eu l’expérience de la foi intime, ce que cela recouvre. Je prends souvent l’image de l’adolescent et de l’adulte pour tenter de l’expliquer : le premier croit savoir ce qu’est la vie d’adulte et le second sait qu’il n’en est rien, mais il n’a pas les moyens de le faire comprendre au premier.
De même, dire à quelqu’un qu’il est sympathisant quand il se pense croyant ou qu’il est croyant alors qu’il se pose des questions et doute, est un exercice difficile et peut s’avérer source de conflit.

À la façon des orateurs médiévaux et même du premier siècle, je vais utiliser le principe de la parabole pour que chacun puisse mieux visualiser ce que souhaite vous faire passer comme message.

Choisir sa table

Imaginons deux personnes désirant manger dans un restaurant un peu particulier. En effet, ce restaurant propose, comme ses confrères, de manger à la carte ou au menu. Première particularité : si vous mangez à la carte, ce sera en mélangeant des mets qui figurent sur des menus différents, et si vous choisissez un menu vous ne pourrez refuser ou modifier aucun des mets qui y figurent. La seconde particularité est que si vous mangez selon les règles d’un menu, vous occuperez une place dans la salle et à la table du menu choisi, alors que si vous choisissez la carte, vous devrez vous asseoir à une table où ne se trouvent que des personnes comme vous. Et ce, même si votre choix de mets ne diffère d’un des menus que sur un seul plat.

L’avantage de la carte, que beaucoup se voient déjà choisir, est que l’on peut manger ce que l’on veut et rejeter ce que l’on ne veut pas. De ce choix peut découler un repas nourrissant et équilibré ou, au contraire, un repas mauvais pour votre santé, c’est-à-dire pour le salut de votre intestin. L’inconvénient est que vous ne pourrez pas vous intégrer à ceux qui auront choisi un menu, même si cela correspond à vos aspirations.

L’avantage du menu est que vous êtes assuré, si vous le suivez scrupuleusement, qu’il vous apportera une alimentation saine et équilibrée tout à fait utile à votre santé. En outre, vous serez à table avec des personnes qui partagent toutes vos aspirations et vos convictions. Vous serez entouré de convives qui, bien qu’installés à d’autres tables, car leur menu diffère plus ou moins du vôtre, pourront partager avec vous sur certains points et débattre éventuellement sur des sujets où vous différez, comme le choix de certains plats, la disposition des couverts, la façon de se tenir à table, etc.

Choisir la carte ou le menu ?

Certes, nous l’avons dit, choisir la carte semble le choix le plus évident : on met dans son assiette uniquement ce qui nous convient ou nous demande le moins d’efforts et ainsi on est assuré que tout le repas se déroulera de façon assez agréable. Mais le but du repas est de manger correctement, pas de se faire plaisir. Il ne faut pas confondre les activités. Et c’est d’ailleurs le problème principal de notre époque où l’on tente de nous faire croire qu’une activité sans plaisir est mauvaise et que le plaisir est la base de nos nécessités. Il vaut mieux manger bien, quitte à consommer certains mets moins faciles à manger ou d’un goût moins agréable que d’autres et être certain de la qualité de notre alimentation, que de n’ingérer que ce qui fait plaisir et de risquer l’indigestion ou une maladie sur le long terme.
Par contre, la carte nous astreint à manger séparé de ceux dont nous pensions être proche, mais qui eux ont choisi un menu. Menu qui nous plaît aussi globalement, mais dont nous voulions rejeter certains plats qui ne nous permettent pas d’affirmer notre droit au plaisir. Cette séparation, maintenant qu’elle apparaît clairement, nous met mal à l’aise, voire nous insupporte et, au lieu de nous interroger sur les motifs de nos choix, nous considérons que la faute en revient aux autres et nous fustigeons ceux qui mangent ainsi à l’écart de nous et nous mettent le doigt sur nos différences.
Il suffirait donc de choisir le menu, mais il impose des contraintes qui peuvent nous poser problème. Déjà, chaque menu nous conduit à choisir une table spécifique et pas une autre. Certes, les menus chrétiens nous placent à des tables proches les unes des autres, car les différences peuvent être très faibles parfois : la table cathare et la table gnostique ont certes une nappe et des couverts différents, mais c’est à peu près tout, même si à la table gnostique on peut éventuellement refuser un convive s’il se prénomme Paul.

Parfois, les différences sont plus marquées. La table catholique et la table protestante se supportent, mais la table musulmane veut que tous reconnaissent que son installation est la meilleure, ce que contestent la table catholique et la table orthodoxe, sans parler de la table juive où l’on sourit en coin en pensant que ces jeunes trublions ne sont que des avatars manqués de ses propres convives.
De même, les plats peuvent fortement différer d’une table à l’autre. Ces plats sont d’ailleurs parfois l’objet de polémiques violentes : l’homosexualité est absente de presque toutes les tables, la planification des naissances, l’avortement, la PMA, le mariage des ministres du Culte, etc. Ce sont d’ailleurs souvent ces points qui ont poussé d’autres convives à choisir la carte.

Les convives

Ceux qui veulent un menu précis et qui mangent à la même table

Pour ceux-là, les choses sont claires ; ils acceptent de manger tous les plats de leur menu et ils sont en harmonie avec les autres convives de la même table. Il peut arriver qu’ils jettent parfois un œil sur les tables adjacentes ou plus éloignées et s’étonnent ou raillent les choix d’organisation de ces autres tables ou les plats de leur menu.
Mais ils savent que le respect de leur menu les conduira à un repas de qualité qui, sauf accident ou changement de cap, leur assurera le salut de leur santé future.
Ils peuvent être un peu tristes de voir au loin, dans l’autre salle, des amis qu’ils croyaient proches d’eux manger à la carte faute d’avoir pu comprendre l’intérêt du menu qu’ils ont choisi.
Pour manger ainsi il faut être au courant de ce qu’implique ce menu et l’avoir suffisamment étudié et comparé pour être certain de ne pas faire d’erreur.

Ceux qui veulent manger à la table d’un menu en le modifiant

Ces amis justement auraient bien voulu manger à leur table, mais certains plats leur semblaient trop indigestes ou trop contraignants et ils ont finalement opté pour la carte, faute de pouvoir modifier le menu. Ils sont donc insatisfaits globalement, même si leurs choix les contentent sur le moment. Ils se doutent que s’en tenir à un menu doit offrir quelque chose d’important qu’ils ne peuvent saisir et dont ils ont peur que cela leur fasse défaut à terme. Alors, soit ils sont moroses, soit ils deviennent vindicatifs. Moroses, ils vont perdre un peu du plaisir qu’ils auraient dû éprouver en consommant ces mets choisis sur mesure et ils vont profiter de toutes les occasions pour se lever de table et passer à proximité de la table réservée au menu qu’ils ont finalement refusé. Vindicatifs, ils vont exprimer haut et fort leur indépendance et critiquer ceux qui les ont rejetés, ce qui est à leurs yeux une forme de mépris et d’extrémisme.
En fait, ces convives sont tiraillés par leurs envies et refusent cependant d’être à l’écart, car l’isolement les inquiète.

Ceux qui ne veulent pas de menu et qui préfèrent la carte

Mais à leur table se trouvent des personnes qui ont délibérément choisi de ne se nourrir qu’à la carte. Tout simplement parce qu’ils considèrent que la qualité nutritionnelle des menus est une fable et que leur organisme peut supporter tout ce que leur plaisir leur commandera de manger. Que ces personnes croient à une règle nutritionnelle judicieuse sans savoir l’identifier dans les menus proposés, parce qu’ils n’ont pas encore la connaissance nécessaire, ou qu’ils ne croient à aucune règle nutritionnelle et considèrent même cette croyance comme avilissante pour le libre arbitre de chacun, chacun est là pour une bonne raison. Ils l’acceptent volontiers et s’ils regardent les tables des menus, c’est davantage pour en rire ou pour plaindre ceux qui s’imposent de telles contraintes que par envie.
Pour autant, ils choisissent dans la carte des plats qui figurent dans certains menus, ce qui amoindrit un peu leur sensation d’indépendance.

La qualité du repas

Exprimer un point de vue sur la qualité du repas est un exercice difficile. En effet, ayant fait le choix d’un menu, j’ai logiquement tendance à être convaincu de l’importance de la qualité du repas et de préférer le mien à celui des autres.

Essayons néanmoins d’être pragmatiques dans notre réflexion.
De deux choses l’une : soit la qualité des repas n’aura aucune incidence sur l’état futur de notre santé et pour le salut de notre bien-être, soit il est essentiel d’avoir des repas équilibrés et de qualité pour espérer sauver notre peau.
Dans le premier cas de figure, où l’on s’installe et quoi que l’on mange, notre santé n’a pas à en souffrir. Du coup, ceux qui mangent à la carte n’ont rien à redouter et les menus non plus en fait. Certes, les cartes vont se moquer de leurs efforts et contraintes finalement inutiles. Mais ce qui compte c’est d’être en bonne santé.
Dans le second cas de figure, ceux qui mangent à la carte vont au-devant de gros ennuis et quand ils finiront par s’en rendre compte et par l’admettre, ils devront suivre un traitement et un régime draconiens pour espérer rejoindre l’état de santé des autres ; s’il est encore temps de la faire. Ceux qui auront choisi un menu, pour autant que le cœur du menu — c’est-à-dire l’équilibre alimentaire — y soit respecté, auront de bien meilleures chances d’être en bonne santé et de se sauver.

Cela correspond à la discussion que je peux avoir avec des personnes qui ne comprennent pas mes choix spirituels et qui voudraient les moquer, mais craignent mes arguments. Pour ma part, je me contente de leur expliquer que mes choix sont strictement pragmatiques. En effet, ayant choisi la voie que m’indique ma foi et le comportement qu’approuve ma morale, je n’ai que deux issues possibles :

  • soit je me trompe et il n’y a rien après la mort, auquel cas je n’aurais rien perdu puisque j’aurais vécu en accord avec mon point de vue ;
  • soit il y a bien un au-delà de la mort, auquel cas je serai satisfait d’avoir suivi ma voie.

Pour mon interlocuteur qui fait le choix de ne pas avoir la foi, il y aussi deux hypothèses :

  • soit il n’y a rien après la mort et il n’aura rien perdu non plus ;
  • soit si son comportement n’a visé qu’à satisfaire ses pulsions et qu’il y a un au-delà, il court le risque d’en supporter les conséquences.

Au final, je me trouve plutôt bien avisé d’agir comme je le fais, surtout que ce qui est vécu comme une contrainte par les autres n’en est pas une pour moi.

Conclusion

Comme dans toute parabole, il convient de proposer une courte analyse afin d’expliquer clairement les choses à celles et ceux qui hésiteraient encore sur l’interprétation à donner à ce texte.
Quand on est croyant, on accepte la doctrine de sa foi sans réserve. Si l’on veut commencer par arranger le menu à sa guise on n’est plus croyant, mais au mieux sympathisant.

Le croyant ne mange pas à la carte !

Certes, beaucoup de personnes, qui ont perdu le sens de ce que croyant veut dire, se pensent croyantes et laissent leur mondanité et leur sensualité dicter des choix qui, de fait, les remettent hors de la foi à laquelle elles prétendent appartenir. On voit notamment cela dans le catholicisme où les croyants critiquent le célibat des prêtres, le rejet de la contraception et de l’avortement, la PMA et que sais-je encore. Il est tout à fait légitime d’être choqué par certains choix de l’Église catholique ; la seule voie honnête est alors de s’en séparer au lieu de vouloir imposer ses choix.

Concernant le catharisme, c’est la même chose. Nous avons maintenant une idée précise de ce qu’est la doctrine cathare. Soit on la fait sienne et l’on est croyant, soit on voudrait en modifier certains points et on n’est, au mieux que sympathisant.

Enfin, cessons de nous focaliser sur des points secondaires. L’habitude du judéo-christianisme est de nous faire croire que tout est doctrine. C’est faux ! La doctrine est l’ensemble des points qui définissent l’attitude du croyant en vue de son salut. La cosmogonie n’est pas doctrine ; c’est tout au mieux une tentative de compréhension ou d’explication fortement limitée par les capacités de notre cerveau mondain à se projeter dans un espace qui lui sera à tout jamais totalement étranger et inaccessible.

Cependant, la cosmogonie ne peut s’opposer à certains éléments doctrinaux fondamentaux, sous peine de nullité de la doctrine et, par nécessité, de la religion elle-même. Selon les religions concernées, peu importe que l’on pense que Dieu est créateur de l’univers ou pas, que Jésus a vécu en homme ou pas, que Marie fut vierge et mère ou pas. Ce qui compte, c’est que l’on suive la doctrine de façon à pouvoir accéder au salut. Et si l’on ne peut se fixer sur une foi, cette doctrine qui est généralement à peu près la même dans toutes les religions, peut s’appliquer globalement hors de la religion et elle devient alors une morale de vie, ce qui permet à un athée de vivre aussi bien qu’un croyant.

Pour le catharisme, la cosmologie ne peut faire de Dieu le créateur d’un monde imparfait ou de Jésus un être humain volontairement déchu de son état spirituel. Mais outre le minimum cosmologique cohérent avec la doctrine, ce que le catharisme nous rappelle, comme le faisait la philosophie grecque, c’est que la doctrine seule est insuffisante ; il faut vivre au quotidien en accord avec sa doctrine si l’on veut avancer sur deux jambes et non boiter bas.

Fort de cette réflexion, je vous invite à vous interroger sereinement et en toute conscience, puis à vous comporter en accord avec le résultat de votre propre réflexion.

Guilhem de Carcassonne.

Les trois mondes

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Les trois mondes

Le démontrable et le reste

Nous sommes habitués à définir les choses selon deux critères : ce qui est scientifiquement démontrable et ce qui ne l’est pas. Les progrès de la science poussent les athées à considérer que ce qui ne l’est pas le sera un jour, ce qui leur évite de s’interroger sur les raisons qui rendent certains phénomènes indémontrables. C’est un peu la même démarche que l’on retrouve chez les religieux dogmatiques qui, face à des phénomènes incompréhensibles dans leur conception de la divinité, se content de déclarer que les desseins de Dieu sont impénétrables.

En fait, ces deux visions interdisent finalement aux hommes, croyants ou athées, de chercher à comprendre et d’avancer dans leurs recherches. Pour les cathares, l’acquisition du savoir et son analyse fine sont à la base de la justification de leur croyance qui se transformera à terme en connaissance, porte d’accès à l’éveil. Mais, si ce qui est démontrable est facile à définir, il n’en va pas de même pour ce qui n’est pas démontrable : existence de Dieu, capacités supra-sensorielles, etc.

La théorie des trois mondes

Une question que l’on me pose souvent, et que je me suis également posée, est de savoir distinguer ce qui relève de la création mondaine maléfique de ce qui relève de l’empyrée divin en ce monde sensible. D’autant que dans ce monde certaines personnes ou certains phénomènes semblent pouvoir accéder à une dimension non sensorielle.

C’est pour expliquer cela que j’ai élaboré la théorie des trois mondes.

Imaginons trois mondes : un sensoriel et visible, que nous côtoyons au quotidien, un spirituel et éternel, que nous essayons d’imaginer sans tomber dans l’anthropomorphisme et un situé entre les deux. Ces trois mondes seraient séparés par l’équivalent de membranes perméable, pour l’une, qui permet des échanges réciproques, comparable à celle que l’on trouve dans une « bobine » de rein artificiel et une semi-étanche unidirectionnelle que l’on pourrait comparer à celle posée sur la surface d’une maison, afin de permettre la sortie de l’air en empêchant la pénétration de l’eau.

Mais ces trois mondes sont difficiles à délimiter. Il peut y avoir du Mal dans le monde sensible, qui est son domaine d’excellence, mais aussi dans le monde intermédiaire et il peut y avoir du Bien dans le monde intermédiaire et, plus rarement, dans le monde sensible.

Pour évoquer ce sujet difficile il faut d’abord définir ce que sont le bien et le mal, car cela est différent de l’idée communément admise. Le bien est la manifestation sensible — et non pas simplement spirituelle — de l’action de la Bienveillance divine. Le mal, au contraire, est tout ce qui vient perturber, atténuer ou abolir cette action, manifestant ainsi l’action du Mal. Pour définir si une action relève du Bien il faut donc s’interroger pour vérifier si cette action ne peut être l’occasion d’un mal ici ou ailleurs. Les exemples pullulent où le bien pour les uns est en fait un mal pour les autres. Dans le monde sensible cela est assez facile à appréhender, mais dans le monde extrasensoriel c’est bien plus difficile. Or, justement, c’est dans ce domaine mal connu et peu accessible à la plupart d’entre-nous, que la frontière entre le bien et le mal est la plus difficile à estimer. Ce qui est clair, est qua dans un monde où le Mal domine largement, l’expression du Bien est extrêmement limitée et qu’il suffit d’un rien pour qu’un bien apparent ne soit en fait un mal. Cela est souvent refusé car, considéré comme trop restrictif, ce qui fait dire des cathares qu’ils sont trop négatifs.

Le monde sensible

Le monde le plus facile à étudier est clairement celui que nous pouvons appréhender par nos cinq sens et que nous pouvons démontrer grâce à la science ou à la philosophie.

Dans le monde sensible tout semble facile à comprendre, mais encore faut-il faire attention à la façon dont on le regarde. En effet, comme le loup revêtu d’une peau de mouton pour tromper le berger, un regard superficiel ou mal habitué peut nous faire prendre une chose pour son contraire. Il y a quelques temps déjà, suite à une de mes publications où j’expliquais que ce monde sensible étant créé par l’envoyé du Mal, qu’on l’appelle le démiurge ou le diable, une dame m’adressa une carte postale représentant un chalet suisse confortablement posé sur une prairie verdoyante. En guise de commentaire, elle m’écrivait que je ne pouvais pas honnêtement prétendre voir dans ce « tableau » une création maligne. Je lui répondis qu’elle regardait mal sa photo. En effet, vue de loin elle paraissait paisible et merveilleuse, mais si l’on zoomait sur la prairie au point de se retrouver à l’échelle des brins d’herbe, les choses étaient très différentes. Ce monde, que nous ignorons le plus souvent, n’est rien d’autre qu’un immense champ de bataille. Que ce soit les végétaux ou les animaux, ce ne sont que combat à mort pour survivre et prendre le dessus sur l’autre. Par émission de produits chimique pour les plantes et pour certains animaux ou par des luttes sanglantes, chacun cherche à se faire la meilleure place et, s’il y parvient, il continue la lutte pour la conserver. Finalement, les hommes qui sont constamment en guerre, ici ou là, paraissent presque pacifiques comparés aux autres espèces animales et végétales. La seule différence notable est que nous luttons ou tuons pour des motivations rarement vitales, voire pour le plaisir.

Il faut dire que le monde sensible est caractérisé par son incapacité à conserver un état d’équilibre qui serait propice à sa stabilité. Comme l’homme qui se déplace ou tente de rester debout de façon statique, son organisme lutte en permanence contre la perte d’équilibre, compensant une fois la chute en avant et tout de suite après la chute en arrière.

Mais il peut arriver que, dans ce monde malin, l’on puisse observer ce qui semble s’apparenter au Bien. Pourtant une analyse sérieuse nous montre clairement que ce bien s’obtient au détriment d’autre chose qui produit du mal, souvent dans des proportions plus importantes que le bien apparent. Il y a des exemples évidents : tel qui gagne le gros lot du Loto® n’y parvient qu’en raison de l’échec d’un grand nombre d’autres dont les mises lui reviennent partiellement, puisque l’État et la Française des Jeux prélèvent leur part ; un vêtement bon marché ne l’est qu’au détriment de personnes dont le travail mal rémunéré permet d’obtenir ce prix attractif, sans parler des désastres écologiques ayant présidé à sa confection. Et pour la nourriture, je ne m’étendrai pas sur la souffrance animale qu’elle nécessite, y compris pour les produits ne nécessitant pas la mise à mort, comme on peut l’observer pour les produits lactés, le miel, etc. Et la production animale, consommant en moyenne 7 fois plus de protéines et bien plus d’eau encore, aggrave la progression de la malnutrition, alors qu’une alimentation végétalienne générale permettrait de nourrir cinq à sept fois plus de population sans risque en matière sanitaire ou de développement.

Désolé de vous avoir dépeint ce monde sous un tel jour, mais la réalité, une fois dévoilée, est rarement attirante.

Le monde spirituel

Comment définir ce monde spirituel dont personne n’est jamais revenu pour nous le décrire, et même comment le nommer sans tomber dans l’anthropomorphisme et ce que je pourrais nommer le géomorphisme[1] par néologisme ? J’utilise souvent le terme d’empyrée divin qui est à peine plus clair que celui de monde spirituel. En fait, il est impossible de désigner ce qui n’a pas de réalité physique que l’on puisse appréhender, car notre imagination n’est pas assez puissante pour ce faire. Non seulement nous ne savons pas le nommer précisément, mais nous ne pouvons le définir et le situer. La raison en est simple, le monde spirituel n’a pas d’aspect physique ni de position dans l’espace et le temps. En fait, il est partout et nulle part ou, plus précisément, il est là où se trouvent ce qui constitue sa raison d’être.

Comme vous le comprenez nous entrons dans le domaine de la cosmogonie qui, en ce qui concerne le catharisme, est assez souple pour autant que sa description ne vienne pas contredire les éléments fondamentaux de la foi cathare.

Nous connaissons la cosmogonie judéo-chrétienne qui propose deux zones : le paradis et l’enfer, avec un cas peu clair appelé le purgatoire. La répartition des âmes fait penser à une sorte de gare de triage où chacun est jugé et dirigé vers le lieu adapté à son cas. Je vous invite à ce propos à lire l’inénarrable Curé de Cucugan[2] dans lequel le bon curé audois, imaginé par Alphonse Daudet, visite le paradis, le purgatoire et l’enfer à la recherche de ses anciens paroissiens. La vision populaire imaginait aussi, au début du christianisme et notamment dans le gnosticisme, un empilement de cieux de verre qui allait du moins pur au plus parfait, avec le christ occupant le septième niveau et Dieu le huitième. Paul de Tarse dit avoir été enlevé au troisième ciel qu’il appelle le paradis. De même les cathares médiévaux imaginaient que christ était descendu de son ciel en cachant sa nature (kénose) pour ne pas alerter les forces du Mal qui occupaient la terre et les premiers cieux.

Je vais donc vous donner ma vision du monde spirituel et en préciser la nature et les contours. D’abord, c’est à la philosophie que je m’en remets pour formaliser intellectuellement ce qui ne peut pas l’être. Le monde spirituel est la façon dont nous pouvons « situer » Dieu et son émanation consubstantielle, l’Esprit unique. Or, nous qui sommes « exilés » en ce monde sensible, sommes également parties du monde spirituel, ce qui montre son extrême laxité. La meilleure façon que j’ai pu trouver pour le représenter est tirée du film Interstellar[3] dans lequel le héros se retrouve dans une dimension qu’il assimile à la gravité et qui lui permet de se déplacer et d’agir sur le monde classique qu’il aperçoit au travers des rayonnages de la bibliothèque de sa fille, sans être limité dans le temps, mais sans pouvoir interagir avec elle directement. De la même façon j’entrevois que l’émanation divine est capable de pénétrer dans notre monde physique, sans pour autant y agir sur les éléments mondains ni en être affectée. Notre part spirituelle, prisonnière de notre corps physique et de notre âme mondaine, est donc à la fois contrainte en ce monde et rattachée au monde spirituel. Bien entendu, le monde spirituel n’a pour seule référence que l’Être, au sens ontologique, lequel ne peut s’exprimer que dans le Bien absolu.

Mais me direz-vous, comment situer le Mal dans tout cela ? Je dirais que l’espace d’expression du Mal est à mes yeux sa création : l’univers et tout ce qu’il contient.

L’autre approche est spirituelle et dépend de notre position vis-à-vis de la foi. Pour ma part, depuis l’adolescence, je n’ai cessé de m’interroger sur ce qui est bien ou mal, sur ce que je faisais dans ce monde, sur les raisons de ma naissance et la justification de ma mort, sur la mission qui pourrait justifier tout cela et sur l’orientation que je souhaitais donner à mes choix de vie en fonction de ma conception de l’au-delà. J’en suis arrivé à la conclusion que la morale devait guider ma vie, morale personnelle sur ma conception de ce qui est bien et de ce qui est mal, morale sociale pour définir et appliquer ma morale personnelle à mes échanges sociaux, morale spirituelle pour guider mes choix en fonction de l’idée que je me fais de Dieu.

Le monde intermédiaire

Nous abordons là la partie la plus difficile de ma réflexion. En effet, alors que nous ne disposons d’informations relativement fiables que sur un seul des deux mondes déjà présentés, comment faire pour délimiter ce monde intermédiaire ?

Tout d’abord, je suis partie du principe que ce monde ne devait pas relever du sensible et du démontrable et qu’il devait se situer un cran en dessous de ma conception du monde spirituel. Ainsi, je vois deux domaines qui pourraient relever de ce monde intermédiaire : celui de l’imagination et du rêve et celui de l’extrasensorialité.

Le premier m’est difficilement accessible, n’ayant pas une imagination débordante et n’ayant aucun souvenir de mes rêves et le second m’est encore plus étranger, n’ayant jamais eu de telles expériences. Mais j’ai côtoyé des personnes qui m’ont relaté leurs propres expériences en ce domaine et je lis régulièrement des ouvrages de personnes dont l’imagination dépasse largement la moyenne habituelle.

Comme je viens de le faire à propos du film cité ci-dessus, l’imagination conduit certains d’entre-nous à envisager des possibles permettant de faire un lien entre notre monde et ce qui pourrait relever d’un autre espace dont les dimensions et les lois physiques sont sans aucun rapport avec le monde sensible. Cette imagination hors-norme est-elle le signe d’une interaction entre le monde physique et le monde spirituel ? Je ne peux l’affirmer à tout coup ; cela dépend des conséquences de cette imagination. Ainsi le monde d’Orwell[4] qui nous est présenté dans 1984, met le Mal en évidence, ce qui me semble incompatible avec une origine spirituelle. Pour autant on ne peut ignorer certaines fulgurances dans l’imagination des auteurs de science-fiction. Ainsi, Matrix[5] est clairement plein de références à l’éveil, même s’il est peu probable que ses auteurs en aient eu conscience du point de vue cathare.

J’ai également connu plusieurs personnes ayant affirmé disposer de compétences extra-sensorielles, notamment de type précognition, qui m’ont interrogé sur la nature de ces dons. Là aussi, il faut se poser la question de savoir si ces dons sont uniquement tournés vers le Bien, ce qui semble peu probable pour différentes raisons : leurs détenteurs se trouvent ainsi favorisés par rapport aux autres, ce qui est incompatible avec la Bienveillance divine et l’Esprit unique, et ces dons peuvent être utilisés à des fins mauvaises selon la nature de leurs détenteurs. Il n’est donc pas possible de les considérer comme émanant du Bien.

Enfin, il y a le concept des réminiscences. Là aussi nombres de personnes m’ont raconté avoir eu la « vision » de leurs vies antérieures, notamment celles où elles étaient des cathares revêtus. Il est clair que cela ne peut venir du Bien, car ces visions cherchent à égarer ceux qui les ressentent en leur faisant croire à une forme de supériorité. En outre, si l’on est un cathare revêtu à une époque, on ne doit pas avoir l’occasion de vivre d’autres vies, sauf à s’être déchu de ce statut.

Ainsi, j’en conclus que ce monde intermédiaire est plus proche du monde physique que du monde spirituel. C’est à mon avis l’action de l’âme mondaine qui crée ce monde afin de mieux nous leurrer, et de nous empêcher de tendre, dans notre emprisonnement en ce monde, vers un cheminement entièrement tourné vers notre retour au Père.

Conclusion

Si j’ai pris le temps de vous faire part de mes réflexions sur ces sujets, c’est au cas où vous auriez eu, vous aussi, l’occasion d’y réfléchir et dans l’intention de vous proposer des pistes de réflexions auxquelles vous n’auriez peut-être pas pensé, mais aussi pour vous rappeler que la doctrine cathare est sans ambages sur l’effacement mémoriel qui précède notre transmigration et sur le fait que le Bien ne peut tolérer la moindre trace d’amoindrissement dans ses effets.

Guilhem de Carcassonne, le 11 juin 2023.


[1] Néologisme créé à partir du préfixe géo (la Terre) pour exprimer l’habitude que nous avons de vouloir comparer des « espaces » qui nous sont inconnus avec des références de notre vie sur Terre.

[2] Le curé de Cucugnan in Lettres de mon moulin, par Alphonse Daudet (1869) d’après un sermon recueilli par Auguste Blanchot de Brenas en 1858.

[3] Interstellar, film de Christopher Nolan (2014) réalisé sur la base de plusieurs films de science-fiction et des travaux du physicien Kip Thorne.

[4] Eric Arthur Blair, dit George Orwell, écrivain et journaliste britannique, né le 25/06/1903 en Inde et mort le 21/01/1950 à Londres, est l’auteur de livres fantastiques et philosophiques comme La ferme des animaux et 1984.

[5] Matrix, film des frères Larry (devenu Lana en 2012) et Andy (devenu Lilly en 2016) Wachowski (1999).

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