Mettre le pied à l’étrier
Souvent j’entends parler de l’excellence et de la difficulté d’être chrétien cathare consolé. Sans fausse modestie, je suis en totale contradiction avec cette conception. Le consolé atteint un niveau d’avancement qui est le résultat d’une série d’événements et d’épreuves qui sont derrière lui et le dernier palier qu’il a franchi n’est que la suite logique de l’engagement qu’il a pris bien longtemps auparavant.
Si l’on prenait comme exemple un cavalier. Je dirais que l’effort fourni par l’athlète de parcours complet est le résultat d’un travail assidu qui concerne une personne hautement motivée pour cet objectif. Mais cet effort n’aurait jamais pu se produire si quelque chose était venu bloquer celui ou celle qu’il était le jour où il a décidé de mettre le pied à l’étrier pour la première fois et de se lancer dans l’aventure de l’équitation. Car il sait à ce moment que cela le forcera à maîtriser les bases de ce sport, ce qui lui demandera de lourds efforts. Ce n’est pas pour rien que l’on emploie cette locution : « mettre le pied à l’étrier » dans de nombreux domaines.
Les stades de l’avancement en catharisme
Tout le monde connaît cette expression et en comprend le sens : on ne peut pas maîtriser une pratique si l’on n’a pas pris la peine de faire les choses dans un ordre logique d’apprentissage.
Or, je dois dire que, concernant le catharisme, c’est exactement le contraire que je constate. Nombreux sont ceux qui veulent manifester un savoir qu’ils n’ont pas pris la peine d’acquérir et une compétence en matière de religion sans n’avoir jamais manifesté le moindre avancement spirituel personnel en la matière.
De curieux à sympathisant
Dans le catharisme, le premier pas est celui qui consiste à passer du statut de curieux à celui de sympathisant. Ce passage est entièrement lié à l’acquisition du savoir. Le curieux découvre le catharisme, mais n’en connaît pas grand-chose. La plupart du temps, cet intérêt sera de courte durée et se basera sur des informations incomplètes, voire erronées.
Cependant, il peut arriver qu’il ressente l’utilité de mieux connaître le sujet. Alors il se met à étudier les historiens et les philosophes, les anthropologues et les théologiens. Le but étant d’accumuler du savoir sur ce sujet.
Mais qu’est-ce que le savoir ? C’est un ensemble de données qui permettent de comprendre la façon dont les humains qui vivaient en ce lieu et à cette époque se sont comportés vis-à-vis des religieux cathares. Cela nécessite également d’acquérir des données sur les éléments doctrinaux et philosophiques de ces religieux cathares.
C’est un cheminement qui se fait sans carte ni boussole et qui demande des efforts, donc du temps, deux notions fortement dévalorisées à notre époque. Les nouvelles technologies donnent l’illusion que le savoir est à portée de clic alors qu’en fait tout ce que nous étudions est de main d’homme, donc orienté, voire falsifié. Pour acquérir un savoir de qualité, il faut donc multiplier les études, les croiser pour mettre au jour les erreurs, les altérations voire les forgeries destinées à orienter notre étude dans le sens que l’auteur désire. Plus on a de sources et plus on peut en retirer un savoir neutre dans lequel on trouvera les informations utiles à notre avancement.
Le principal danger à ce stade est soit de se décourager et d’abandonner ou de se contenter du peu déjà acquis en pensant que cela suffira. L’autre est de se perdre en route, attiré par un savoir qui résonne en nous et nous donne envie de suivre une voie plus facile que celle qu’impose la rigueur. J’avais parlé de cela dans un texte où je comparais le chercheur au marcheur du désert qui, dans l’hémisphère Nord, dérive toujours vers la gauche, car il est influencé à son insu par la force de Coriolis.
Accéder au savoir pour avancer est une démarche essentielle comme l’est le fait de commencer par construire des fondations pour élever un bâtiment, même si ces dernières seront invisibles ensuite.
De sympathisant à croyant
Une fois que l’on a décidé de mieux connaître le catharisme, il va falloir accepter que le savoir acquis de la façon la plus complète possible soit essentiel à ce cheminement. C’est cette démarche qui nous permettra d’emprunter la bonne route.
Quand j’étudiais les origines du catharisme au premier siècle, travail débuté à la suite d’un ami qui l’avait lui-même initié, j’ai compris que je ne devais faire aucune impasse, y compris quand le sujet qui se présentait à moi ne me passionnait pas outre mesure. Ce fut le cas des gnostiques. Je me suis donc imposé de lire tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet, soit une quarantaine d’ouvrages issus d’une quinzaine d’auteurs, et cela m’a permis de trier entre des informations souvent contradictoires et confuses. J’en ai retiré un savoir utilisable que j’ai résumé ensuite pour le rendre accessible à mes lecteurs. En effet, mes années d’enseignement dans les domaines du secourisme et de la médecine d’urgence m’ont appris que l’enseignant doit en savoir dix fois plus que ce qu’il enseigne s’il veut pouvoir apporter à son auditoire la substantifique moelle nécessaire et répondre aux interrogations qu’il ne manquera pas de lui poser.
Ce travail de Romain se heurte à des obstacles, à commencer par la force de l’inertie individuelle qui nous retient de faire des efforts dont nous ne voyons pas clairement la finalité. Il faut aussi être intimement convaincu de l’importance du savoir, ce qui nous donnera la force de continuer nos efforts. Des obstacles vont perturber ce travail, à commencer par la logique imparable du christianisme qui, depuis deux mille ans, nous fait prendre des vessies pour des lanternes et qui fait tout ce qu’il peut pour nous empêcher de l’étudier et ainsi éviter que l’on découvre la supercherie. En effet, même si les textes, dits sacrés, sont en fait relativement incohérents, leur valeur pour les judéo-chrétiens tient à une interprétation très orientée qui apparaît de façon évidente lors d’une lecture libre. C’est sans aucun doute un des motifs qui a conduit l’Église catholique à interdire leur traduction en langue vulgaire, ce qu’ont pourtant fait les cathares pour donner à leurs prêches une valeur vérifiable pour tout un chacun.
J’espère vous avoir fait toucher du doigt la difficulté pour le sympathisant de se lancer dans les études approfondies qui lui donneront un accès large à un savoir étendu sur tous les plans relevant de ce monde et qui lui ouvriront les yeux sur une compréhension plus spirituelle susceptible de bouleverser ses croyances. En effet, comme certains appareils de sécurité sont calibrés pour déclencher une alerte à partir d’un certain niveau de danger (avertisseurs d’incendie par exemple), notre intellect dispose d’une marge de sécurité destinée à nous empêcher d’aller trop loin dans nos réflexions pour ne pas courir le risque de sortir la part spirituelle qu’il maintient sous contrôle pour l’empêcher de provoquer l’éveil de notre conscience.
Or, c’est justement ce que recherche le sympathisant quand il décide d’étudier la religion. En effet, quand ses études le mettront face à des situations complètement incompréhensibles dans la logique mondaine, il risque s’il persiste d’en arriver à la conclusion que la logique mondaine n’est pas logique. Dès lors il cherchera une autre logique et s’apercevra que les cathares en proposent une très attrayante. On le voit très bien dans l’étude de l’origine du Mal qui, chez les judéo-chrétiens, est liée au « péché originel » de l’homme au jardin d’Eden. Mais, comme je l’ai montré dans mon étude de ce sujet dans la Genèse, en fait cet épisode incohérent à la lumière de l’étude judéo-chrétienne, devient clair sous l’angle cathare.
Dès lors, ce hiatus insurmontable ne peut déboucher que sur deux hypothèses : l’abandon de la recherche de peur qu’elle détruise l’échelle de valeurs admise de tout temps ou la compréhension de la manipulation dont nous sommes les victimes et la recherche d’une autre voie. Grâce à ces études élargies, le sachant va pouvoir, en toute liberté, choisir la voie qui lui conviendra le mieux.
S’il pense intimement que seul le catharisme peut constituer sa voie de Salut et s’il décide d’avancer sur cette voie, il se révèlera être devenu un croyant cathare.
La suite du cheminement
J’ai déjà traité ailleurs les deux étapes suivantes, à savoir le passage de croyant à novice et de novice à Consolé.
Comme ce n’est pas le sujet de ce prêche, je n’y reviendrai pas.
Comment se lancer dans le catharisme ?
Contrairement à d’autres religions où l’on vous demande de croire sans comprendre, la fameuse foi du charbonnier des catholiques, le catharisme met l’acquisition du savoir avant la foi.
De ce fait, n’importe qui peut s’essayer à l’avancement cathare sans risque puisqu’il s’agit uniquement d’acquérir des savoirs qui, soit vous donneront envie d’aller plus loin, soit ne vous conviendront pas et vous conduiront à arrêter vos études, soit vous conduiront sur d’autres voies.
J’ai dans mes connaissances une personne que l’étude approfondie du catharisme depuis son plus jeune âge a finalement conduite à découvrir qu’elle est gnostique et non cathare. Une autre, très avancée dans le catharisme a finalement découvert une autre spiritualité qui l’a complètement éblouie et l’a poussée à nous quitter pour suivre cette nouvelle voie. Le cas qui m’a le plus marqué est celui d’une personne qui fut la première acheteuse par correspondance de mon livre. Après lecture elle m’a recontacté pour me dire merci, car grâce aux informations qu’elle avait trouvées dans mon livre elle en avait conclu que le catharisme n’était pas sa voie personnelle.
Cela est très important et très positif. Le catharisme n’a pas vocation à accumuler les foules, mais sa façon de procéder permet d’éviter que des gens se bloquent sur une spiritualité qui, au final, s’avèrera ne pas leur convenir. Il vaut mieux s’en rendre compte le plus tôt possible !
Acquérir des savoirs par les écrits
Ce qui différencie le curieux du sympathisant c’est l’appétence de ce dernier pour acquérir des savoirs via les publications traitant du catharisme. Ces publications sont tout ce qui nous reste de la mémoire de l’époque. Elles sont parfois des témoignages des cathares (sympathisants, croyants et consolés), plus souvent de leurs détracteurs et aussi de quelques témoins non impliqués directement. Ces documents ont été l’objet d’études dont les contenus sont très intéressants même s’il faut les considérer à l’aune de leurs auteurs. Au final, entre les témoignages directs influencés ou partiels et les analyses empreintes des sensibilités de leurs auteurs (athées et religieux divers) nous avons une matière difficile à travailler et qui sera imprégnée de nos propres prérequis. Mais il ne s’agit pas de faire œuvre d’objectivité — l’objectivité n’existe pas. Il s’agit d’acquérir des savoirs qui englobent toutes les sciences humaines (histoire, philosophie, sociologie, psychologie, etc.) et qui dépassent le strict cadre du catharisme pour s’étendre à l’ensemble du christianisme des origines à nos jours sans oublier les auteurs issus d’autres confessions qui ont eu à donner leur avis sur les cathares et leurs prédécesseurs.
Ces documents devront être étudiés pour en faire sortir l’authenticité que ceux qui les rapportent ont souvent masquée, voire falsifiée au moyen de la science qui, comme la philologie permet de retracer l’origine des textes et les moyens utilisés pour les falsifier ou les détourner de leur objet initial. Le croisement des textes issus de groupes divers permet de retrouver le fonds originel que même les opposants les plus violents n’ont pas cru possible de dissimuler.
Rechercher le message originel
Une fois ces savoirs acquis, ce qui demandera beaucoup de temps, il convient de mettre en exergue la pensée profonde des cathares. Cela revient à retrouver par leur intermédiaire le message christique originel et le faire sien afin de réaliser l’objectif que vise tout croyant sincère : tuer en nous l’Adam primordial pour permettre la résurrection du Christ que nous sommes. Ainsi s’ouvrira, pour celui qui devient ainsi un croyant cathare, la porte du cheminement qui mène au Salut. Ce chemin qui mène au mariage mystique entre la part spirituelle tombée en cet enfer et celle demeurée stable dans l’empyrée divin. Ou, comme disent les gnostiques : faire le deux un ! Cette étape constitue l’éveil tel que les cathares l’entendent. Elle est la base de la démarche qui conduira le croyant à rechercher les moyens de faire sa bonne fin.
Pour cela il va conduire deux actions parallèles : approfondir la doctrine cathare afin de la faire sienne et de l’appliquer au mieux dans sa vie quotidienne et participer de son mieux au développement de l’Église cathare puisque c’est en son sein qu’il cheminera et fera sa bonne fin.
La doctrine cathare ne peut être recherchée qu’à partir du message originel qui en est le fondement et en veillant qu’à chaque étape et pour chaque critère ce soit ce message originel qui soit mis en application. Nous appelons cela la Règle de justice et de vérité que nous avons reconstituée à partir de très nombreux documents dans lesquels transparaissent les éléments qui la constitue. Là encore, l’acquisition des savoirs préalable est essentielle à la construction de la spiritualité et de l’Église.
C’est pour cela que je considère que cette acquisition des savoirs est l’élément fondateur à une démarche chrétienne cathare ; elle permet de mettre le pied à l’étrier du sympathisant pour qu’il puisse aller plus loin si c’est son choix.
Guilhem de Carcassonne, le 14/04/2024