5-1-Histoire du catharisme

Découvrir l’histoire du catharisme

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Une approche de l’histoire du catharisme inédite

Si vous arrivez sur ce site par hasard il est possible que vous ayez déjà une idée préconçue du catharisme.

Vous découvrez ce site et vous désirez savoir ce qu’est ce catharisme dont on entend parler régulièrement dans des domaines très différents. Cela va du tourisme (les châteaux cathares) à l’accusation d’hérésie, voire à sa négation.

Les historiens ont limité leurs recherches à la période du Moyen-Âge pour ne pas trop s’aventurer dans le domaine — forcément sulfureux — de l’étude doctrinale du christianisme. Aujourd’hui, certains essaient même d’effacer le catharisme des livres d’histoire, comme le bolchéviques gommaient d’une photo, un des leurs tombé en disgrâce.

Face à ce constat où l’acculturation le dispute au négationnisme, ce site veut vous donner toutes les informations nécessaires pour vous permettre de comprendre ce christianisme authentique du point de vue historique et dans le domaine de sa doctrine et de sa pratique. À partir de ces bases il vous reviendra d’abandonner si cela ne vous intéresse pas ou de vous abonner si vous voulez approfondir le sujet.

Histoire du christianisme et genèse du catharisme

Histoire du catharisme des origines au Moyen Âge

Même les historiens les plus honnêtes ont arrêté leur étude des origines du catharisme au 10e siècle, en se basant sur un document qui laissait déjà entrevoir une ancienneté plus lointaine.
Il était donc nécessaire de quitter les voies étroites de la recherche historique qui s’accordent mal avec l’étude d’une religion, pour essayer un savant mélange entre étude historique et étude doctrinale et théologique.

Les articles que vous trouverez ci-dessous ont tenté cette difficile alchimie :

  1. Préhistoire et Antiquité
  2. Pré et Proto-christianisme :
    1. du judaïsme à Jésus
    2. Paul, Marcion et les autres
  3. Période médiévale
    1. les pauliciens
    2. les bogomiles
    3. le «catharisme» occidental

La période du 12e au 15e siècle n’a pas été traitée, car c’est celle qui est la mieux documentée par les historiens modernes (Michel Roquebert, Jean Duvernoy, Anne Brenon, etc.). Il vous suffit de vous procurer leurs ouvrages pour la découvrir à votre rythme.

Histoire du catharisme du 19e au 21e siècle

Beaucoup de tentative de compréhension du catharisme ont eu lieu depuis qu’il est redevenu un sujet d’intérêt pour les chercheurs.
De grands noms s’y sont essayés et nous tenterons de vous les présenter, avec leurs atouts et leurs faiblesses.

Pour commencer il me semble important de vous conseiller d’appréhender ces travaux avec la distance nécessaire, car notre époque fourmille de candidats à l’intoxication intellectuelle, notamment en raison de la facilité qu’il y a à occuper une place sur certains sites internet et réseaux sociaux sans avoir jamais fait la preuve de ses compétences.

Comprendre l’Histoire

Le catharisme aujourd’hui

L’Église cathare de France. Rien n’interdit au catharisme de reprendre une position sociale dans le monde d’aujourd’hui. Une association s’est créée dans ce but et demandera sa reconnaissance selon la loi de 1905, dès qu’elle remplira les conditions requises. Cependant, elle ne peut vivre sans que les  croyants et les sympathisants n’y participent. L’Église c’est avant tout l’ecclésia, c’est-à-dire l’assemblée des fidèles.
Au-delà de cette présentation, vous trouverez les études et les travaux concernant l’aspect religieux dans le menu qui lui est dédié.

Autres documents

Visiter les sites en lien avec le catharisme

Dans cette rubrique nous vous proposerons des circuits de visite grâce auxquels vous pourrez toucher du doigt l’histoire du catharisme. En effet, les articles présenteront des lieux en rapport avec un moment qui a marqué l’histoire du catharisme dans la région occitane et vous donneront la possibilité d’y accéder, même si les vestiges sont rares. Enfin, au lieu de traiter des grands moments historiques, largement présentés dans la littérature, nous vous révèlerons des anecdotes qui n’ont pas forcément intéressées les historiens.

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Déposition de Pierre Maury de Montaillou

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Pierre Maury de Montaillou, dont l’histoire nous est relatée dans sa déposition, faite devant l’inquisiteur de Carcassonne, nous donne le meilleur témoignage disponible à ce jour des derniers temps du catharisme en Languedoc. Faite en juillet 1323, soit presque deux ans après la mort de Guilhem Bélibaste, elle relate la vie des communautés de croyants cathares exilés en Aragon qui se désagrègeront petit à petit sous les coups de butoir de cette arme terrible que fut l’Inquisition papale.

Au début de sa déposition, Pierre Maury reconnaît avoir été croyant des cathares pendant 17 à 18 ans.

Quinze jours après que j’aie commencé à demeurer avec Raimond Peyre, il m’adressa la parole par ces mots : « Pierre, que penses-tu des deux Églises ? Il y a en effet deux Églises, l’une qui fuit et pardonne, l’autre qui possède et qui écorche. Laquelle des deux crois-tu être la meilleure ? » Je répondis qu’il me semblait que celle qui pardonne devait être meilleure que celle qui écorche. Il ajouta : « C’est celle-là que nous considérons et qui est la nôtre ». Je dis : « Moi, je ne sais pas ce que c’est, mais je crois Dieu et les saints apôtres ». Raimond Peyre répondit : « Et nous aussi, nous croyons Dieu et les saints apôtres ».

Nous voyons ici l’origine de cette phrase qui fut prononcée par un croyant cathare en charge de l’éducation cathare de Pierre Maury.
Il est ensuite mis en présence de Pierre Authié, ancien notaire du comte de Foix, parti en Italie faire son nociviat avec son frère Guilhem, puis revenu auprès des croyants du Languedoc afin d’assurer la mission apostolique qui s’imposait aux chrétiens cathares consolés.

La nuit de ce jour-là, ledit Raimond m’amena à une chambre de sa maison où se trouvait Pierre Authié, l’hérésiarque (cathare consolé dans le langage inquisitorial), qui me reçut d’un air riant et avec bienveillance, et me demanda si je voulais être croyant, de lui-même et des autres de sa secte (Église cathare selon le langage inquisitorial). Finalement, je le lui accordai. Et Pierre Authié me dit que je ne pouvais pas être croyant, à moins de lui témoigner la révérence que les croyants sont tenus de témoigner aux principaux de sa secte. Et il me dit qu’il était un saint homme, et vivait d’une vie sainte, au point qu’il ne disait jamais un mensonge ; s’il lui arrivait de mentir, il lui faudrait jeûner trois jours de sorte qu’il ne mangerait ni ne boirait pendant ces trois jours (endura) ; et s’il lui arrivait de toucher une femme, il lui faudrait jeûner neuf jours de suite au pain et à l’eau. Lui ne faisait pas comme les Prêcheurs et les Mineurs, et les autres qui sont de cette Église qui possède et écorche. (car eux tournent tout à leur intérêt ; ils écorchent et n’épargnent personne. Mais lui, il ne veut rien de personne, il épargne (les gens) et il remet à tous les péchés.
Je lui demandai quelle révérence il voulait que je lui témoigne. Et alors, sur l’ordre et les instructions de ce Pierre Authié, je fléchis les genoux et adorai, disant ces mots dont j’avais été instruit par lui : « Bon crestia, la benedictio de Dieu e de vos ». Et il répondit : « De Dieu la haiatz e de nos ». Et alors il m’embrassa.

Puis Peyre Maury va être mis en présence de Pierre Authié qui lui tint ce prêche :

L’hérétique me dit alors : « Pierre, cela me fait un grand plaisir ! On m’a dit que tu seras bon croyant, si Dieu le veut, et moi, je te mettrai dans la voie du salut de Dieu, si tu veux me croire, comme le Christ (y) a mis ses apôtres, qui ne mentaient ne trompaient. C’est nous qui tenons cette voie, et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse car il a haï aussi notre Seigneur, qu’il a persécuté, ainsi que ses apôtres. Nous sommes haïs et persécutés à cause de sa loi, que nous gardons fermement. Ceux qui sont bons et veulent garder une foi constante se laissent crucifier et lapider quand ils tombent au pouvoir de leurs ennemis, comme le firent les apôtres, et ils ne veulent pas renier un mot de la foi constante qu’ils gardent. C’est qu’il y a deux Églises : l’une fuit et pardonne, 1’autre retient et écorche. Celle qui fuit et pardonne suit la droite voie des apôtres, elle ne ment ni ne trompe. Et cette Église qui retient et écorche est 1’Église romaine. »

Et l’hérétique me demanda laquelle de ces Églises je tenais pour la meilleure. Je lui répondis qu’il était mal de retenir et d’écorcher. Il ajouta alors : « Nous sommes donc ceux qui suivent la voie de la vérité, nous qui fuyons et pardonnons ! » Je lui répondis : « Si vous suivez la voie de la vérité et des apôtres, pourquoi ne prêchez-vous pas, comme le font les curés, clans les églises ? » Il me répondit : « Si nous prêchions dans les églises, comme les curés, nous serions aussitôt brûlés par l’Église romaine, qui a une grande haine pour nous. » Je répondis : « Et pourquoi l’Église romaine vous hait-elle ainsi ? » Il répondit : « Parce que si nous allions en public et si nous prêchions, l’Église romaine ne serait pas estimée ; les gens préféreraient notre foi à la sienne, car nous ne disons et prêchons que la vérité, mais l’Église romaine dit de grands mensonges. »

Concernant le baptême, voici l’opinion de Pierre Authié :

Pour cette raison, disait l’hérétique, il n’accordait aucune valeur au baptême de l’Église romaine, car ce n’était pas l’enfant en personne qui promettait d’être bon et fidèle chrétien, mais un autre pour lui. Et ainsi, ceux de l’Église romaine disent de grands mensonges. « Mais (chez) nous, quand un homme a déjà 12 ans, et nous préférons qu’il en ait 18, quand il peut avoir l’intelligence du bien et du mal, veut recevoir notre bonne foi et être notre croyant, après avoir reçu de lui la promesse qu’il sera notre croyant, nous lui disons nos bonnes et solides paroles. Il nous promet alors d’être bon et fidèle pour nous, de nous procurer le bien et non le mal, et de faire son possible, par lui-même et par d’autres, pour que de nombreux croyants et croyantes soient amenés à notre Église, qui se tient dans la justice et la vérité. » Car, disait-il, c’était un grand bien que développer leur Église, et un tel baptême était bon et solide, car c’était le croyant lui-même qui promettait de leur être bon et fidèle.

Voilà un court extrait de cet échange destiné à vous faire comprendre la logique de la prédication cathare. Ici, pas de bourrage de crâne ; l’auditeur peut intervenir et donner son avis et le chrétien  s’en sert pour argumenter son point de vue.

Voilà une façon de faire pour ne pas choquer les sympathisants.

Guilhem de Carcassonne.

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Période médiévale – Le «catharisme» occidental

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3 – 3 – Période médiévale

Il est impossible de comprendre quoi que ce soit au christianisme et aux religions qui s’en réclament si l’on n’étudie pas l’histoire et les religions qui ont participé à son avènement.

Le « catharisme » occidental

Nous l’avons vu, le développement du catharisme en Europe occidentale semble avoir suivi deux voies de propagation. L’une fut le fait des pauliciens intégrés aux armées grecques en Italie du sud et à celle de Raymond IV en Languedoc. L’autre semble avoir suivi les routes commerciales entre Europe centrale et Europe de l’ouest. C’est celle qui est le mieux documentée et qui sert de référence aux historiens modernes. Elle passe de Bulgarie en Rhénanie, puis en Champagne, en Flandre, en Orléanais et en Occitanie. C’est cette vision qui fit croire à ces historiens que le courant mitigé[1] fut premier et qu’il fut ensuite supplanté par le courant absolu. Pour cette même raison, il fut admis que l’Italie du Nord fut touchée avant le Languedoc.

Je pense pour ma part qu’un courant absolu était déjà en place avant l’arrivée des « cathares » du nord de la France. Pour ce qui est de l’Italie du Nord, on peut imaginer aussi qu’une partie des pauliciens de l’armée de Raymond IV, revenue soutenir son héritier après sa mort en Terre Sainte, ait pu essaimer dans cette zone forcément traversée sur le chemin du retour. Mais il est aussi possible que ceux qui étaient installés en Occitanie aient diffusé à l’est compte tenu de l’appartenance de l’Italie du Nord à l’Occitanie. Peu importe en fait. Ce qui compte c’est que la tendance mitigée ne semble pas avoir touché le Languedoc alors qu’elle provoqua de nombreux remous en Italie du Nord où elle divisa l’Église de Concorezzo. Cela ne peut m’empêcher de comparer le mouvement mitigé italien avec celui de Valentin. Là aussi, face à un dualisme strict, il semble bien que Valentin ait introduit une approche plus conciliante avec l’orthodoxie catholique de son époque. Et même si cette approche ne connut pas de lendemain en raison de la dérive gnostique de ses successeurs, elle signe une volonté de retour à la « norme », d’une partie des chrétiens authentiques, peut-être un peu inquiets face à l’orthodoxie catholique dont la doctrine était en outre moins contraignante.

Mais plus que les tribulations du catharisme italien, je voudrais insister sur le fait qu’en France on observa divers épisodes que les historiens ont rapprochés du catharisme sur le simple critère de leur opposition au catholicisme.

XIe et XIIe siècles

Aux environs de l’an mil, à Vertus en Champagne, un dénommé Leutard[2], paysan analphabète, se fait remarquer en dénigrant l’Église catholique, en répudiant sa femme et en brisant les croix. Condamné et expulsé par l’évêque de Châlons, il se suicida en se jetant dans un puits. Vers 1015 l’évêque de Limoges signale des « manichéens » sans plus de précision. En 1022 un bûcher fut dressé à Toulouse contre des « manichéens » dont nous ne savons malheureusement rien d’autre. Cependant, c’est à Orléans[3], la même année, qu’intervint l’affaire la plus retentissante. Des prélats de haut rang, dont le confesseur de la reine Constance — femme de Robert II le pieux —, propagent une doctrine typiquement cathare. La rumeur voulait que ces idées avaient été introduites en Orléanais par une italienne et un paysan périgourdin. Dénoncés par un chevalier qui avait infiltré leurs rangs, après que leurs agissements furent découverts par un clerc tombé sous leur influence, ils furent interrogés en public par l’évêque de Beauvais à la tête d’un collègue épiscopal réuni pour l’occasion sous l’autorité du roi. Ce dernier les fit périr sur un bûcher le 25 décembre 1022. Leur nombre de dix présente une légère imprécision quant à la présence en leur sein d’une nonne qui n’aurait pas été brûlée, de même qu’un jeune clerc. En 1025 des hérétiques abjurèrent devant le synode d’Arras. En 1027-28 le concile de Charroux (Vienne) dénonça les hérétiques à la demande du duc d’Aquitaine, Guillaume III. En 1049 le concile de Reims prit des mesures de portée générale qui amenèrent à des exécutions à Arras[4] et Châlons. Pourtant en 1048 le prince-évêque de Liège[5], Wason, avait interdit la mise à mort des hérétiques en se basant sur la parabole du bon grain et de l’ivraie (seul Dieu est apte à séparer le bon grain de l’ivraie). Vers 1050 son successeur, Théodwin, prend le contre-pied exact de sa position en en appelant au bras séculier contre Bruno évêque d’Angers et Béranger évêque de Tours convaincus d’hérésie. À Goslar en Allemagne, des hérétiques sont démasqués en 1052 par le test du poulet — soucieux d’observer le commandement divin les hérétiques refusent de tuer, même un poulet — et pendus le jour de Noël. Face à cette violence, le concile de Toulouse (1056) fait place à l’amendement des hérétiques sans préciser ce qu’il faut faire des impénitents et des relaps. Il ne sera pas suivi. Vers 1077 le prêtre Ramihrd[6], vivant à proximité de Douai, est dénoncé par l’évêque de Cambrai comme hérétique, car il refuse les sacrements issus de simoniaques (dont l’évêque lui-même). Il sera brûlé par les gardes et la foule. Il fut soutenu par le pape Grégoire VII qui excommuniera la ville. En 1083 le Pape sermonne le comte de Flandre pour sa collusion avec l’hérésie. La seconde moitié du XIe siècle est quasiment muette sur l’implantation et le développement du catharisme.

Mais ces épisodes ne sont qu’une partie des mouvements qui apparurent au XIe et XIIe siècle, soit en réaction aux comportements de l’Église catholique et de ses membres les moins rigoureux, soit en raison de la réforme grégorienne. Ce qu’il faut distinguer, afin de ne pas attribuer au catharisme ce qui n’en est pas et de ne pas mettre dans un fatras de divergences ce qui constitue une rupture totale avec le judéo-christianisme, c’est le contenu doctrinal. Et alors on constate effectivement que beaucoup des mouvements contestataires sont des mouvements de réforme du catholicisme, car ils conservent les mêmes fondamentaux que l’Église catholique, alors que d’autres sont des mouvements de rupture qui poussent leurs adeptes à changer radicalement de fondamentaux doctrinaux, ce qui revient à changer de religion aussi sûrement que s’ils s’étaient fait juifs ou musulmans. Ainsi le paysan Leutard ne peut en aucune façon être considéré comme cathare alors que les prélats d’Orléans confessent un catharisme indiscutable. Ceux de Goslar sont également fortement suspects de catharisme alors que Ramihrd est vraisemblablement plus un réformateur catholique qu’autre chose.

L’autre question importante est le fait que l’on trouve souvent des clercs catholiques dans les rangs de ceux qui sont jugés pour leurs idées hérétiques. Cela peut-il être un frein au fait que ces religieux aient pu renier leur foi initiale pour embrasser un nouveau christianisme ? Je ne le crois pas, car si la révélation de l’éveil peut toucher tout le monde, les clercs de l’époque étaient les mieux placés pour acquérir la connaissance nécessaire à cette conversion. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient été les premiers touchés, tout comme les historiens n’ont pas manqué de noter la forte proportion de nobles parmi les cathares médiévaux, qui n’est pas liée à un quelconque phénomène de mode, mais bien au fait qu’ils étaient eux aussi en mesure d’acquérir les connaissances nécessaires à leur adhésion.

XIIIe et XIVe siècles

Le XIIIe siècle est l’époque la mieux connue du catharisme[7], tant languedocien qu’italien et même français, notamment en Champagne. En Italie, les cathares se répartissent en deux écoles, celle des albanenses (albanistes) qui sont les tenants du christianisme authentique transmis par les pauliciens. L’ouvrage qui présente le mieux leur doctrine nous vient, directement ou non, de leur évêque Jean de Lugio et s’appelle le Livre des deux principes (Liber de duobus principii). L’école de Concorezzo qui semble avoir été instituée par l’Église bogomile de Bulgarie, prône un catharisme mitigé et met en avant un ouvrage qualifié d’apocryphe bogomile : La cène secrète de Jean (Interrogation Johannis). Une troisième école, issue de l’Église de Slavonie, propose une théologie légèrement différente, notamment sur la place de Marie, mais néanmoins rattachée à l’approche bulgare.

La répression fut relativement sporadique pendant tout le siècle en raison de l’opposition entre le pape et l’empereur Frédéric Barberousse, par ailleurs tous deux clairement disposés à éradiquer le catharisme italien. Ce n’est que dans le dernier quart du siècle, suite à la victoire du parti guelfe sur celui des gibelins, que la répression put prendre un tour plus systématique. L’arrestation des cathares de Sirmione et le bûcher de Vérone en 1278 signa la fin du répit pour le catharisme en Italie. Mais nous avions parlé de cathares en Italie du sud et en Sicile. Leur existence débordera sur le XIVe siècle puisque nous savons que de nombreux languedociens s’y rendirent pour être formés, dont Pierre Authier et son frère Guilhem. Pour autant nous disposons de peu d’informations sur son fonctionnement et son développement excepté que, manifestement, elle devait être proche de l’école des albanistes.

En Languedoc le XIIIe siècle est dominé par le début de la répression de l’hérésie cathare. Tout d’abord, objet de tentative de contradictions théologiques par le biais des fameuses disputatio, ces controverses publiques à laquelle participa Dominique de Guzman, le futur créateur de l’ordre des dominicains, elle fut ensuite militaire par l’intermédiaire de la croisade contre les albigeois et enfin religieuse à l’occasion de la mise en place du tribunal de l’Inquisition qui se poursuivra jusqu’à la mort du dernier consolé, Guillaume Bélibaste exécuté à Villerouge en Termenès en 1321. L’association de ces deux derniers modes de répression trouvera son expression la plus forte lors de la reddition de Montségur qui se terminera le 15 mars 1244 après dix mois de siège par l’exécution des derniers représentant de l’Église cathare du Languedoc. Mais, même après la fin de la tentative de reprise de la prédication des consolés mise en place par Pierre Authier, il restait de nombreux croyants et quelques bonshommes, notamment en Quercy où les réseaux étaient mieux segmentés. Que sont-ils devenus ? Les textes manquent à leur sujet. Sont-ils restés sur place ou ont-ils été capturés et éliminés sans que nous le sachions ? Troisième hypothèse ; peut-être sont-ils partis avec leurs croyants dans cet exode commencé dès le début de la croisade par ceux qui n’avaient plus de raison de rester en Occitanie et qui se sont installés à ses frontières sud-ouest, au Pays basque avant de disséminer sur la côte atlantique, en Espagne et même en Amérique du sud sous le nom infamant de cagots ou d’agotes comme l’a si bien expliqué Kepa Olaizola[8] dans son travail de recherche.

J’ai volontairement choisi de ne pas alourdir ce texte en évoquant la (les ?) croisade contre les albigeois, déclenchée à la demande du pape innocent III au début de l’été 1209 et l’Inquisition, créée suite à l’échec partielle de la croisade, en 1233 à Carcassonne et à Toulouse qui éliminera l’hérésie en tuant Guilhem Bélibaste. Il ne manque pas d’excellents ouvrages retraçant ces périodes, notamment la somme historique de Michel Roquebert, l’épopée cathare en cinq volumes.

Conclusion

Les tentatives modernes visant à refuser « l’unité » du mouvement cathare médiéval au motif des variantes cosmogoniques, voire de quelques divergences superficielles dans la doctrine sont donc liées à une totale méconnaissance de l’Église chrétienne authentique que j’espère avoir un peu réduite dans cette présentation des origines. De même, la mode de faire du catharisme médiéval une divergence du catholicisme est totalement ignorante des divergences insurmontables entre les fondamentaux doctrinaux de ces deux christianismes. Fondamentaux qui remontent au premier siècle, même s’ils ne furent finalisés qu’entre le deuxième et le septième siècle. Chercher à subordonner le catharisme au catholicisme est aussi peu sérieux que le fut le fait de l’attacher au manichéisme ou à l’arianisme, voire à l’origénisme.

Comme toujours, vous êtes invités à venir en discuter sur le forum dédié.


[1] Le catharisme fait l’objet de diverses séparations selon les critères doctrinaux touchant à la cosmogonie. Les mitigés considèrent notamment que Dieu a créé la matière que le diable a corrompue et les absolus pensent que c’est le diable le créateur de la matière.

[2]. Edmond Pognon. L’an mille. Œuvres de Raoul Glaber, Adhémar de Chabannes , etc. Éditions NRF Gallimard (Paris) 1947.

[3]. Ibid.

[4]. M. Grisard. Les Cathares dans le Nord de la France in Revue du Nord, tome XLIX, n°194, Juillet-Septembre 1967. Université de Lille.

[5]Ibid.

[6]. M. Grisard. Les Cathares dans le Nord de la France. Op. cit.

[7]. La religion des Cathares et l’histoire des Cathares. Le Catharisme (t. 1 et t. 2) op. cit.

[8]Agot, cagot. L’après Catharisme. Kepa Olaizola. Op. cit.

Paul, le marcheur du christianisme

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Paul, le marcheur du christianisme

Les affirmations ou hypothèses présentées ci-après sont argumentées et s’appuient sur des sources que vous trouverez listées dans les notes en fin d’article.
Ainsi vous pourrez vérifier par vous-même la validité des propos tenus ici.

Maintenant que nous avons montré que le premier siècle ne fut pas aussi lisse que ce que notre éducation nous a donné à croire, nous allons tenter de démêler le vrai du faux concernant ce courant chrétien, apparu en pleine lumière suite au « schisme » entre la vision judéo-chrétienne et la vision pagano-chrétienne.

Il est très difficile de trouver des auteurs capables de prendre de la distance avec la vision judéo-chrétienne. Nos sources sont donc à étudier finement et à croiser, autant que faire se peut avec d’autres pour éviter les manipulations.

État des lieux

La séparation de fait par accord tacite (48), devenue un « schisme » à l’occasion de l’incident d’Antioche[1] et confirmée par le concile de Jérusalem en 49, nous révèle clairement l’existence de deux groupes distincts de « proto-chrétiens », même si les textes de l’Église chrétienne officielle en minimisent largement la portée, en en faisant plus une licence donnée à Paul et aux païens qu’une véritable rupture. Cela a abouti à la mise en présence de deux visions chrétiennes différentes :

  • Le courant judéo-chrétien s’est imposé par le soutien impérial au début du 4e siècle (Constantin 1er)[2], avant de devenir la loi religieuse incontournable à la fin du même siècle avec la christianisation obligatoire de l’Empire romain (Théodose 1er)[3] et le pouvoir de justice religieuse donné à l’Église de Rome quelques années plus tard[4].
  • Le courant pagano-chrétien a d’abord dominé grâce à son extension large sur tout le bassin méditerranéen, mais la mise en action de la « loi judéo-chrétienne » l’a poussé à la clandestinité et l’a fait disparaître aux yeux de tous. Des initiatives manifesteront sa réalité, mais les chercheurs les traiteront le plus souvent comme des phénomènes isolés et non la continuité d’un mouvement initial.

Vous-mêmes qui suivez cette conférence avez, souvent sans vous en douter, des convictions qui ne sont que la suite logique d’un enseignement et d’une lecture du christianisme qui est totalement infléchie par cette domination quasiment sans faille.

Aussi allons-nous tenter de vous montrer ces failles et de vous éclairer, à travers elles, un chemin différent qui révèle ce christianisme très vite réprimé, mais jamais totalement éteint. Et c’est dans ce christianisme que vous retrouverez, petit à petit les fondamentaux du catharisme.

Deux courants proto-chrétiens

Ces deux groupes sont en fait très différents :

  1. les judéo-chrétiens sont plus des sectaires[5] juifs, comme il en existe de nombreux (esséniens, zélotes, sadducéens, pharisiens, thérapeutes, etc.) qui font de Jésus le messie davidique venue sauver le peuple élu de Iahvé. Ils sont, pour l’essentiel, installés à Jérusalem, puisque jusqu’à la chute du temple, ce dernier était le lieu de culte par excellence des juifs orthodoxes. Ils ne lanceront des missions apostoliques que plus tard.
  2. les pagano-chrétiens sont initialement des juifs qui considèrent que la mission christique étend la portée du message christique à toute l’humanité, ce qui met un terme à la domination de la loi juive et qui ouvre la voie à une autre loi, celle mise en place par le commandement d’Amour absolu initié par Jésus. Ils sont essentiellement issus de la diaspora juive, extérieure à Jérusalem, donc beaucoup moins attachés à l’orthodoxie juive. Leurs rangs se grossissent rapidement de païens — c’est-à-dire de non-juifs — des régions plus éloignées qui rejoignent le groupe, notamment sous l’impulsion de la prédication paulinienne. Leur prédication va se répandre vite et largement puisqu’elle s’adressera sans distinction à tous les peuples.

Paul, que ce certains chercheurs présentent à tort comme le « créateur » du christianisme, n’est pas non plus l’initiateur de ce mouvement.
En effet, il rejoint des communautés déjà installées, à l’occasion de sa conversion sur le chemin de Damas[6].
Elles sont le résultat de l’implantation des proto-chrétiens qui ont fui Jérusalem après la mort d’Étienne.
Mais c’est lui qui va les développer dans les communautés installées tout autour de la Méditerranée, qui se réclament de sa prédication, et il va instaurer une doctrine par ses activités apostoliques que l’on retrouve dans ses lettres.

Paul, le semeur de la foi

Nous avons vu que Paul, né à Tarse, venu à Jérusalem enfant sans doute puisqu’il y est instruit, à un âge qui à l’époque se situait entre 5 et 15 ans, par un rabbi célèbre, mène ensuite la vie d’un pharisien classique, même si l’on peut penser que sa double culture accentuée par un véritable bilinguisme (hébreu et grec), faisait de lui quelqu’un d’assez important.

Mais, nous n’avons pas parlé de son activité missionnaire. Or, Paul est connu pour ses fameux voyages à la rencontre de communautés juives et proto-chrétiennes.
Nous allons rapidement parler de ces trois voyages relatés dans les Actes des apôtres, dans certaines de ses lettres, ainsi que du voyage le menant en captivité à Rome, mais aussi d’un potentiel quatrième voyage missionnaire moins connu.Tout d’abord il faut s’interroger sur un point concernant la vision de Paul dans les Actes des apôtres qui est clairement anti-paulinienne alors que les judéo-chrétiens tentent de faire croire le contraire, notamment en rappelant qu’ils auraient été écrits par Luc, ami de Paul et auteur d’un évangile.

On constate dans les Actes nombre de remarques à l’encontre de Paul et des tentatives visant à faire croire que Paul était soumis à l’autorité des apôtres de Jérusalem (les colonnes), ce qui largement démenti par Paul lui-même.

La manipulation des textes

Ainsi, concernant ce qui suit la conversion de Paul à Damas et son baptême, d’abord par imposition des mains, puis par immersion (Ac. 9, 17-18), il est écrit que Paul se rendit à Jérusalem et, grâce à l’entremise de Barnabé, rencontra les apôtres avec qui il resta quelques temps avant d’être exfiltré vers Césarée et Tarse en raison d’une menace que faisaient peser sur lui les juifs hellénisants de Jérusalem. Que faut-il en penser ? Il est clair qu’il y a là une volonté d’amoindrir Paul en laissant croire qu’il n’arrivait pas à se faire reconnaître et que c’est comme un aspirant, mené par un disciple, qu’il fut mis au contact des apôtres. Ensuite, menacé, c’est toujours grâce à eux qu’il put échapper, non pas aux juifs orthodoxes, mais aux hellénisants, c’est-à-dire à ceux de la diaspora, installés à Jérusalem.

Mais Paul conteste ce récit des événements. Dans l’Épitre aux Galates, il reconnaît son passé de juif orthodoxe et ardent contre la secte chrétienne (Ga. 1, 13-14), mais précise que sa conversion lui vient de christ (Ga. 1, 12) qui le missionne directement (Ga. 1, 15-16) pour un apostolat universel (aux nations), en précisant que cela n’est en aucune façon soumis aux humains (Ga. 1, 15), ce qui veut dire qu’il ne se considère en aucune façon lié aux apôtres de Jérusalem ni au Jésus d’avant la résurrection. C’est de christ ressuscité et de lui seul, qu’il prétend tenir sa légitimité[7]. C’est donc de façon parfaitement logique qu’il indique être parti en Arabie et être revenu à Damas, sans jamais aller à Jérusalem pendant les trois premières années qui suivirent son baptême (Ga. 1, 17). Après ce délai, il indique être effectivement à Jérusalem pour rencontrer Pierre, auprès de qui il est resté deux semaines seulement, ce qui explique qu’il n’ait croisé que Jacques le mineur dans cette période et aucun autre apôtre.

On devine déjà, en filigrane, la volonté de récupération opérée par les responsables de l’Église de Rome quand ils firent rédiger les Actes à la fin du premier siècle, après la mort de l’apôtre. En effet, ses lettres sont antérieures et ne peuvent donc constituer une réaction aux affirmations des Actes. C’est en fait le contraire qui se produisit. Les Actes ne doivent pas être lus comme un livre d’histoire ; ils sont un livre visant à faire la propagande d’un courant proto-chrétien particulier et leur liaison avec le troisième évangile (Luc) n’est sans doute pas un hasard. Là où certains auteurs[8] voient, dans la répétition de l’épisode de l’ascension, sans tenir compte des différences entre les deux textes, une confirmation du lien et de l’auteur unique, je vois plutôt une récupération d’un texte visant à en authentifier un autre. L’adresse à Théophile, surprenante puisque ce personnage est inconnu, pourrait même suggérer que ce livre est une sorte de vade-mecum, rédigé à l’intention des judéo-chrétiens débutants, pour donner une version uniforme de cette période.

Comme dans tout mouvement naissant, le besoin de légitimité pousse à asseoir la littérature sur des personnages importants (pseudépigraphie) et à se référer à des origines lointaines. Le judéo-christianisme a largement pratiqué ainsi, mais les groupes pagano-chrétiens l’ont fait aussi. Il faut donc se méfier à la fois de la tentation de valider les attributions de textes aux personnages qui nous sont indiqués et de prêter fois aux liens faits entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament.

Premier voyage missionnaire (45-49 ?)

   Si l’on s’en tient à la version de Galates, Paul serait donc parti en Arabie avant de revenir à Damas.
Ce voyage en Arabie — qui comprenait alors toute la péninsule — peut s’expliquer de deux façons individuelles ou concomitantes.
D’abord, cet éloignement favorise la méditation de l’apôtre sur sa mission et la façon de la mener.
Ensuite, l’Arabie est largement dominée par les Nabatéens (capitale Petra), dont le cheik, Arétas roi de Damas, est en guerre avec Hérode Antipas en raison de la répudiation, par ce dernier, de sa première femme, fille du cheik.
Paul est donc à l’abri des poursuites des juifs de Damas qu’il a dû fuir précipitamment.

De retour à Damas, Paul s’installe à Antioche de Syrie où il enseigne avec Barnabé, Syméon, Mucius de Syrène et Manaen (Ac. 13, 1). Antioche est le centre religieux de ceux qui ont fui après la mort d’Étienne (Ac. 11, 19).
Paul qui est toujours dénommé Saul est désigné par l’Esprit saint pour effectuer une mission en compagnie de Barnabé (Ac. 13, 2-3). Ils partent donc à Séleucie où ils s’embarquent pour Salamine (Chypre) d’où ils évangélisent toute l’île jusqu’à Paphos. Là, convoqués par le proconsul Sergius Paulus, Paul aveugle le mage Élymas qui tentait de s’opposer à lui. Cela provoque la conversion du proconsul.
À partir de maintenant, les Actes appellent Saul de son nom romain Paul. Ensuite, Paul et son équipe, dont nous savons qu’elle compte en outre Jean, qui est aussi appelé Marc, s’embarque pour le continent et arrive à Pergé (Pamphylie) où Jean les abandonne et retourne à Jérusalem. La prédication de Paul, à la synagogue le jour du sabbat, connaît un grand succès et leur attire de nombreux adeptes. Il recommencera le sabbat suivant, ce qui finira par créer des jalousies de la part des juifs orthodoxes qui réussirent à les faire chasser de la ville.
Ils se rendirent à Iconium, sans précision sur l’itinéraire emprunté, où leurs prêches leur valent des menaces de mort qui les poussent à se déplacer dans les villes voisines de Lystres et Derbé (Lycaonie).
Là une guérison miraculeuse opérée par Paul amène la foule à les confondre avec leurs dieux greco-romains, ce qui irrite fortement les deux apôtres. Leurs tentatives d’expliquer leur foi aux habitants est mise à profit par des juifs venus d’Antioche et d’Iconium qui persuadèrent la foule de lapider Paul.
Laissé pour mort, hors les murs, il est récupéré par son équipe et partent vers Derbé. Malgré tous ces déboires, ils vont revenir sur leurs pas dans toutes les villes visitées précédemment où cette fois ils seront mieux accueillis.
Ils partent ensuite en Pisidie (Antioche), redescendent en Pamphylie d’où ils s’embarquent à Attali en direction d’Antioche de Syrie. Cela clos ce voyage estimé à 3 ou 4 années.

Deuxième voyage missionnaire (50-52)

Quelques temps après leur retour ils constatent que des envoyés de Judée viennent tenter d’imposer les obligations juives (circoncision) aux membres de leurs communautés. Ils se rendent donc à Jérusalem pour trancher cette question. Pierre les soutient et Jacques le mineur fixe les termes d’un accord autorisant les disciples d’Antioche à ne pas suivre la loi mosaïque. Cette présentation modérée des Actes cache mal en fait une rupture majeure (schisme) dont nous verrons qu’elle perdurera ensuite.

De retour à Antioche, Paul propose à Barnabée de retourner vers les villes évangélisées lors du premier voyage.
Un désaccord concernant Jean, qui les avait laissés à Pergé, provoque la séparation entre Barnabée et Jean d’une part et Paul et Silas d’autre part. Les deux premiers partent pour Chypre alors que Paul et Silas rejoignent la Cilice (Tarse) par voie terrestre.
De là ils se rendent dans les villes de Derbé et Lystres où ils rencontrent Timothée qui s’est fait remarquer des communautés constituées à la suite du premier voyage. Le voyage s’étend vers l’ouest, en Phrygie et en Galatie, semble-t-il en raison d’une forte opposition à leur prédication dans les villes de l’est (Asie) où ils avaient prévu de se rendre initialement.
Également empêchés de se rendre en Bythinie (Nicomédie et Nicée) sur le pont Euxin et en Mysie, ils se rendent directement à Troas située à la frontière sud de cette dernière. À la suite d’un songe, ils s’embarquent pour la Grèce où ils passent par l’île de Samothrace et Néapolis, port de la ville de Philippes en Macédoine. C’est là qu’ils convertissent Lydie et qu’une servante, avec des dons de divination, les loue publiquement sans cesse, au point qu’ils la libèrent de ce don pour qu’elle arrête, de peur que cela puisse leur nuire.
Pourchassés par les maîtres de la servante ainsi privée de ce don, ils sont lynchés et jetés en prison. Miraculeusement libérés dans la nuit, ils convertissent le geôlier et ses proches et, finalement acquittés, ils purent reprendre leur route. Suivant la côte, ils rejoignent Thessalonique (Salonique), capitale de la Macédoine, par Amphipolie et Apollonie. Leurs prêches efficaces leur valurent des poursuites des juifs locaux qui tentent d’ameuter les autorités civiles contre eux. Ils partent donc pour Bérée. Toujours en butte aux juifs de Philippes, Paul est exfiltré vers Athènes où pour la première fois il va également s’adresser aux philosophes grecs locaux en plus des juifs de la synagogue.
Il profite de la découverte d’un autel consacré à un « Dieu inconnu » pour prêcher son Dieu qui n’habite pas dans les sanctuaires des dieux grecs. Son discours passe difficilement en raison du concept de résurrection des morts que les grecs n’entendent pas.
D’Athènes il se rend à Corinthe où il rencontre Aquilas et sa femme Priscille déportés de Rome par édit de Claude évinçant les juifs de Rome. Il prêche les juifs et les grecs locaux, mais sans succès apparemment. Rejoint par Silas et Timothée, il convertit jusqu’au chef de la synagogue. Convaincu par une vision il reste sur place un an et demi pour installer des communautés. Finalement, poursuivi par les juifs locaux qui tentent de le faire condamner sans succès et qui agressent les nouveaux convertis, il choisit de s’embarquer pour la Syrie avec le couple Priscille et Aquilas.
Arrivé à Éphèse, il refuse de rester et s’embarque pour Césarée d’où il rejoignit Antioche de Syrie.

Pendant ce temps, il semble qu’à Éphèse, Aquilas et Priscille accueillirent un jeune converti d’Alexandrie nommé Apollos. Ses compétences et ses qualités d’orateur compensaient le fait qu’il n’était pas encore baptisé selon le rite de l’imposition des mains. Sur sa demande, il fut mandaté auprès des communautés grecques (Corinthe) où ses compétences furent remarquées.

Troisième voyage missionnaire (53-58)

Paul reparti rapidement en direction de la Galatie et de la Phrygie et finalement revint à Éphèse. Là il convertit et baptise des membres qui n’avaient reçu que le baptême de Jean (par immersion seulement). Il y resta deux ans à faire des miracles et des conversions.
Paul décide de retourner à Athènes par la même voie que lors du voyage précédent, envisageant même d’aller à Rome.
À Éphèse, après des problèmes avec des adorateurs d’Artémis, Paul quitte la ville, passe en Macédoine et descend à Athènes. Au moment de s’embarquer pour la Syrie il est contraint de retourner en Macédoine en raison d’un complot juif contre lui.
De Philippes ils rejoignent Troas où Paul sauve un jeune homme mort lors d’une chute d’un étage d’une maison. Paul rejoint son groupe à Assos d’où ils prennent a mer pour Mitylène, puis Chio, Samos et enfin Milet au sud d’Éphèse. Le voyage par mer reprend en direction de Cos, Rhodes et Patara. Après un changement de navire, Paul repart en direction de Tyr où il demeure une semaine.
Enfin, le bateau les mène à Ptolémaïs et à Césarée où Paul est averti d’une menace l’attendant à Jérusalem, par un juif venu de Judée. Paul s’y rend néanmoins et fait rapport de ses voyages aux apôtres, Jacques en tête. Là le texte nous apprend que les judéo-chrétiens de Jérusalem insistent auprès des juifs locaux sur le fait que Paul ne fait pas respecter les prescriptions mosaïques à ses adeptes.
Comment ne pas penser qu’en fait ce sont les judéo-chrétiens qui ont participé aux troubles qui allaient survenir les jours suivants et qui faillirent coûter la vie à Paul. Arrêté par un tribun romain averti du trouble, Paul obtient de s’adresser au peuple. Il raconte son histoire, mais en invoquant la mission que lui a donné christ envers les nations, il déchaîne de nouveau la colère des juifs présents.
Paul fait valoir sa citoyenneté romaine, ce qui lui vaut le respect des soldats qui le protègent. Le lendemain il est présenté devant le sanhédrin où son discours provoque des troubles importants. Remis à l’abri par les romains, il échappe à une conjuration juive et est envoyé chez le gouverneur Félix à Antipatris.

Voyage et captivité à Rome (58-62)

Devant le gouverneur, Paul est confronté au grand prêtre Ananie venu demander sa condamnation. Paul affirme que les accusations sont sans preuve et qu’il est respectueux de la loi juive.
Paul demeura là deux années durant, assigné à résidence chez le gouverneur Félix. Son successeur organisa un procès à Césarée.
Paul fait encore valoir sa citoyenneté romaine et le gouverneur Festus, ne trouvant rien qui justifie de le livrer au juifs décida de l’envoyer à Rome.
De Césarée, le bateau fait escale à Sidon, puis rejoint Myre en Lycie. Ayant changé de navire, ils font route sous la Crète et s’arrêtent momentanément à Beaux-Ports.
À peine repartis, une tempête menace le navire, mais Paul prophétise que les marins ne mourront pas. Après deux semaines de dérive, ils s’échouent sur l’île de Malte. Là encore Paul réalise des miracles pendant les trois mois d’immobilisation sur place. Ils repartent sur un autre navire en direction de Syracuse. Ils continuent leur route par Rhégium et rejoignent finalement Pouzzoles.
De là ils rejoignent Rome accompagnés par des coreligionnaires de Paul. Paul est alors placé en résidence surveillée chez des partisans pagano-chrétiens.
Cela nous révèle plusieurs choses. D’abord, les charges pesant contre Paul sont faibles et fragiles, ce qui explique qu’il soit placé sous le régime de détention le plus souple, un ou deux soldats seulement assurant sa surveillance dans le lieu où il réside, sans doute des amis ou des coreligionnaires pagano-chrétiens.
Il est libre de ses mouvements et peut recevoir à son aise. Ensuite, cette relative détention est limitée à deux ans qui est le délai légal, prévu par le droit romain, pour que les protagonistes puissent venir plaider leur cause à Rome.
Mais les accusateurs ne viendront pas, car le même droit romain prévoit qu’au cas où l’accusation ne pourrait fournir suffisamment de preuves, l’accusateur sera puni de la peine encourue par l’accusé s’il avait été condamné[9].
Cela explique sans doute que les Actes se terminent de façon inattendue et ne mentionnent ni le procès, ni la mort de l’apôtre.

Quatrième voyage missionnaire (62-67 ?) et martyre à Rome (68 ?)

Il est donc probable que Paul fut libéré au terme des deux ans requis et qu’il ait quitté Rome.
L’hypothèse qui semble privilégiée est qu’il soit parti pour l’Espagne[10]. Cette hypothèse est détaillée dans Actes de Pierre et de Simon, où Paul reçoit mission christique de se rendre en Espagne et ce malgré le désespoir de ses soutiens romains qui demandent que son voyage ne dure pas plus d’une année[11].
Plusieurs écrits de Pères de l’Église attestent ce voyage qui, s’il commença en Espagne, se serait poursuivi en Asie Mineure[12]. Il est difficile de préciser ces points à partir des Actes, sauf si certaines parties relatent en fait ce dernier voyage.
Les lettres pastorales pourraient être le récit de ce dernier voyage et de l’arrestation de Paul qui, cette fois, se trouve emprisonné dans des conditions beaucoup plus dures. On ne sait si cette seconde arrestation est due aux juifs de Rome ou aux judéo-chrétiens qui revenant à Rome auraient vu l’influence de Paul leur causer des dommages dans leurs propres communautés.
Les Actes évoquent aussi un grief de subversion à l’encontre de l’armée romaine dont certains soldats l’auraient rejoint. Enfin reste le grief de magie et de philosophie que Néron utilisait régulièrement et qu’il aurait pu appliquer à Paul, suspect de ressusciter les morts.
À l’issue d’une première comparution où l’apôtre est abandonné à son sort par la communauté chrétienne de Rome (2 Tm. 4, 16-17), peut-être affolée par l’implication de l’empereur (la gueule du lion), Paul comparaît une seconde fois, signe que les accusations sont graves. Cette comparution aboutit à la condamnation et à l’exécution de l’apôtre.
Le martyre de Paul est évoqué dans les lettres pastorales et celle aux Philippiens. Clément de Rome, dans sa lettre aux Corinthiens[13] en parle également et le détail, fortement romancé, en est donné dans les Actes de Paul (cf infra). L’exécution eut lieu hors les murs de la ville, au lieu-dit Aquae Salviae, sur la Via Laurentina, dit Tre Fontane en raison d’un miracle prétendu selon lequel la tête décapitée rebondissant trois fois sur le sol, aurait provoqué l’émergence de trois fontaines. Une autre tradition parle d’un lieu plus cohérent, sur la Via Ostiensis où il aurait été inhumé. C’est là que fut érigée, deux cent cinquante ans plus tard la basilique à sa mémoire.

Eusèbe de Césarée situe la mort de Paul à la quatorzième année du règne de Néron (68), car la reconstruction de Rome après l’incendie (64) prit du temps et ce n’est qu’après qu’il accusa les chrétiens face à l’hostilité de la population envers sa passivité[14].


[1] Nouveau Testament – Actes des apôtres, chap. 15, 1-31

[2] Constantin 1er conclue un édit de tolérance religieuse avec Licinius à Milan en 313, après la victoire prophétique du pont Milvius (apparition du chrisme de feu) qui selon Eusèbe de Césarée et Lactance provoque sa conversion.

[3] Édit de Thessalonique (380).

[4] Priscillien d’Avila et ses moines furent les premiers exécutés au nom de cette justice pour fait d’hérésie à Trèves en 385.

[5] Le terme secte (sectaire) doit être compris dans son acception originale, à savoir celle d’une séparation au sein d’un groupe élargi. Ne pas confondre avec l’acception moderne d’extrémiste.

[6] ICo 15, 3-8 — Ac 9, 3-19 — Ac 22, 6-11 — Ac 26, 12-19

[7] Sur le christocentrisme de l’Église et le statut des apôtres, lire l’article de Alain Nisus, Sept thèses sur l’autorité dans l’église, in Cahiers de l’école pastorale n°33 (sept. 1999).

[8] Chantal Reynier, Les Actes des Apôtres, éditions du Cerf, coll. Mon ABC de la Bible (2015).

[9] Chantal Reynier, Vie et mort de Paul à Rome, éditions du Cerf (2016).

[10] Fragment (Canon) de Muratori, in Premiers écrits chrétiens, éditions NRF Gallimard, coll. De la Pléiade, sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini (2016).

[11] Actes de Pierre et de Simon, in Écrits apocryphes chrétiens t. 1, éditions NRF Gallimard, coll. De la Pléiade, sous la direction de François Bovon et Pierre Géoltrain (1997).

[12] Ibid. Vie et mort de Paul à Rome, cf supra.

[13] Clément de Rome. Épitre aux Corinthiens, in Premiers écrits chrétiens, éditions NRF Gallimard, coll. De la Pléiade, sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini (2016).

[14] Tacite, Annales. XV.

De Jésus à Paul

5-1-Histoire du catharisme
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De Jésus à Paul

Maintenant que nous comprenons que le catharisme n’est pas né au dixième siècle, étudions le christianisme des origines pour y rechercher des indices qui auraient échappés aux chercheurs. Cette idée fut celle d’un jeune chercheur, Ruben Sartori, que j’ai commencé par assister avant de le relayer pour développer son travail sur certains points qui me semblaient mériter de l’être.

Les affirmations ou hypothèses présentées ci-après sont argumentées et s’appuient sur des sources que vous trouverez listées dans les notes et en fin d’article.
Ainsi vous pourrez vérifier par vous-même la validité des propos tenus ici.

Les cathares disaient qu’ils étaient issus d’une longue filiation d’apôtres[1] qui remontait aux origines, comme le rapportait d’ailleurs Évervin, prévôt de Steinfeld[2] à Bernard de Clairvaux en interrogeant les hérétiques de Cologne.
Cette affirmation, identique chez les autres courants chrétiens, me parut d’abord un effet de propagande visant à asseoir la prééminence de chacun des courants par rapport aux autres. Mais je dus constater qu’elle n’était pas fantaisiste.

Le premier problème sera de vérifier la qualité des sources disponibles et d’apprécier si, selon leur validité, elles permettent de confirmer ou d’infirmer certaines affirmations présentées comme des vérités indiscutables.

Trois personnages vont dominer cette période de la première moitié du premier siècle de notre ère : Jésus, Étienne et Paul, mais nous allons en croiser bien d’autres, réels ou imaginaires.

De la qualité des sources ainsi que des faits et gestes avérés dépendront les bases de ce qui ne s’appelle pas encore le christianisme.

Cet élan spirituel est-il le fait d’un groupe bien défini ou faut-il considérer des différences majeures entre groupes se réclamant de la même source spirituelle ?
Et peut-on considérer l’incident d’Antioche, entre Paul et Pierre, ainsi que sa conséquence du concile de Jérusalem en 39 comme le premier schisme majeur de ce christianisme encore au berceau ?

Les sources

Ce que l’on peut dire des sources relatives à ce mouvement spirituel est qu’elles sont rares, fortement orientées et possiblement falsifiées.
En effet, les sources traitant de ces sujets sont rares, car nous disposons essentiellement de sources internes au mouvement qui ont fait l’objet de tris, de choix et d’adaptations.

L’ouvrage de référence n’a rien d’historique, puisqu’il s’agit de la réunion de textes, écrits a posteriori, réalisée tardivement par le groupe dominant en réaction à d’autres textes jugés concurrentiels et hérétiques.
Le Nouveau testament[3], composé initialement de vingt-huit livres, n’en compte depuis le septième siècle environ que vingt-sept. Il comporte des groupes de textes réunis par leur nature : les évangiles, les lettres de Paul et les lettres catholiques. Les autres textes se veulent historique (Actes des apôtres) et eschatologique (Apocalypse de Jean). Même la réunion de ces textes a évolué, sans doute pour en mettre certains en valeur au détriment d’autres.

Si les sources posent problème, la façon dont nous les utilisons est également source de distorsion. L’historien n’est pas un être désincarné qui saurait produire un document absolument neutre et fiable. Cela est vrai de ceux qui écrivent des ouvrages historiques, comme de ceux qui les interprètent de nos jours.

Jésus et le christ

Les problèmes de la Palestine à l’époque supposée de Jésus, quand Hérode gouvernait sous la coupe de Rome, expliquent sans doute la difficulté à disposer de sources fiables.

Le premier problème est celui d’attester de l’existence de Jésus. Les textes qui nous en parlent sont, soit d’origine chrétienne (Évangiles, Actes des apôtres), soit, quand ils sont d’origine externe et qu’ils paraissent valider son existence, ils semblent avoir fait l’objet d’interpolations visant à modifier sensiblement leur sens (Flavius Josèphe).
Les textes chrétiens sont apparemment incohérents entre eux. Ainsi, les évangiles ne sont pas d’accord sur tous les points relatifs à Jésus ; certains parlent de sa naissance, d’autres pas. Concernant ses actions, impossible de savoir si elles sont réelles ou symboliques.

Or, Paul, qui va recevoir christ de façon purement spirituelle, ne va pas chercher à se rapprocher immédiatement de ceux qui auraient connu Jésus en chair. Cela semble incroyable si Jésus avait été formellement attesté à l’époque.

Concernant Jésus, les textes extérieurs au groupe chrétien en sa faveur se résument à Flavius Josèphe. Les autres textes parlent de chrétiens ou de christ, mais pas de Jésus. En outre, certains sont jugés douteux, voire inventés de toute pièce. Le texte dit : « Vers le même temps vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l’appeler un homme. Car il était un faiseur de miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs). C’était le Christ. » [4]

Pour autant, si son historicité n’est pas prouvée, son caractère mythique non plus.

Ce qui semble avéré est que les premiers documents relatifs à Jésus étaient centrés sur la période de la Passion et de la résurrection. Le reste fut, semble-t-il ajouté au fur et à mesure par la suite.

Nous étudierons les liens entre christ et Jésus et l’historicité de ce dernier dans une autre vidéo.

Étienne, révélateur des deux courants chrétiens

Ce personnage, cité dans les Actes des apôtres, est intéressant. En effet, il fait l’objet d’un développement qui couvre presque deux chapitres.

Il apparaît d’abord à l’occasion d’une querelle entre les juifs hellénisants et les juifs hébreux, c’est-à-dire ceux de la diaspora et ceux de Jérusalem. Ces derniers semble-t-il ne traitaient pas les veuves des premiers sur un pied d’égalité avec les leurs lors du service à table. Pour couper court à ce problème sans devoir assurer eux-mêmes l’intendance, les hébreux réunirent les disciples pour choisir sept jeunes à qui confier cette charge. Étienne fut l’un d’eux (chap. 6). Cet épisode montre des dissensions liées aux origines des juifs se réclamant de christ.

On remarquera que sa condamnation pour le motif de blasphème de Iahvé et de Moïse, le même que celui reproché au christ, donnera lieu à une exécution publique immédiate par lapidation (chap. 7). Cela vient encore amoindrir la véracité de l’exécution de Jésus qui aurait été crucifié.

Mais ce qui interpelle le plus dans cette affaire, c’est ce qui se produit ensuite. L’exécution d’Étienne provoqua une grande persécution contre les membres de l’ecclésia de Jérusalem. Pourtant, ceux qui sont désignés comme les apôtres ne fuient pas. Ce sont sans aucun doute les cadres de ce groupe, ceux qui sont les plus proches de Jacques, Pierre et Jean qui restent sur place également.

Les autres, c’est-à-dire ceux du même groupe que le martyr, les hellénisants de la diaspora fuient en Judée et en Samarie.
Que faut-il penser de ceux qui restent ?
Face à une exécution sous l’accusation de blasphème il faut en conclure que ceux qui ont fui pensaient comme Étienne et ceux qui sont restés ne partageaient pas son point de vue.
Cela est confirmé par le fait que Pierre, mais aussi les autres apôtres évangélisent dans les synagogues des juifs orthodoxes venus de toutes les contrées de la diaspora. Pierre et Jean, emprisonnés en raison de leur prêche, sont finalement relâchés.
Le moins que l’on puisse dire est que les juifs du sanhédrin devaient n’avoir trouvé aucune entorse à la loi juive pour agir ainsi. Cela se reproduit au chapitre suivant. Mais Étienne, lui n’aura pas cette chance.
Il faut donc en conclure qu’il y avait bien deux sortes d’apôtres : ceux qui suivaient la vision de Jésus et qui, blasphémant le Dieu des juifs, risquaient la mort, et ceux qui, comme les disciples, étaient des juifs parfaitement respectueux des nombreuses obligations de cette religion, n’encouraient aucune peine.

Au chapitre suivant la mort d’Étienne on nous dit qu’un jeune juif était là et approuvait le meurtre, sans pour autant prétendre qu’il y avait participé activement. Cet homme, c’était Paul, appelé du nom juif qui lui est attribué, Saul.

Paul de Tarse, charnière du christianisme

Un juif romain aisé

Personne, à ce jour, ne connaît exactement la date de naissance de Paul. La fourchette varie entre l’an 3 à 13 de l’ère chrétienne (è.c.) qui correspond aux deux dernières validations de l’autorité d’Octave, petit-neveu et fils adoptif de César, sur la Cilicie dont la capitale est Tarse. D’autres ont resserré cet écart à la fourchette de 6 à 10 (è.c.) et finalement les historiens s’accorde sur une date unique de 8 de l’ère chrétienne[5].

Sur son lieu de naissance, si la plupart admettent que Tarse est bien la ville qui l’a vu naître, saint Jérôme — s’appuyant sur les dire d’Origène — prétend que c’est plutôt dans la ville de Gyscal en Galilée. Mais, cette affirmation est contredite par le fait que sa citoyenneté romaine qu’il tient de son père (elle était héréditaire), ne peut avoir été attribuée à ce dernier s’il était un déplacé forcé, comme l’affirme Origène. Elle remontait au moins à une génération de plus, ce qui impose que la famille était déjà clairement et durablement installée à Tarse. Cette ville, située à la limite entre l’Asie et l’Occident, présentait une particularité que nous relate Strabon le géographe et historien grec (- 60, 20 è.c.) : « Les habitants de Tarse sont tellement passionnés pour la philosophie, ils ont l’esprit si encyclopédique, que leur cité a fini par éclipser Athènes, Alexandrie et toutes les autres cités que l’on pourrait énumérer pour avoir donné naissance à quelque secte ou école philosophique[6]. » Nul doute que ce milieu a pu influencer le jeune Paul, même s’il n’y est vraisemblablement pas demeuré à l’âge adulte[7]. S’il est citoyen romain, ce qu’il affirmera toute sa vie sans être jamais démenti, il est aussi juif pharisien, hébreu d’Israël, de la tribu de Benjamin. Ces deux affirmations ne se contredisent pas et on connaît au moins deux autres juifs célèbres qui ont cumulé cette hérédité avec la distinction de citoyen romain : Hérode le grand et Flavius Josèphe.

Manifestement issu d’une famille aisée, Paul fut aussi relativement riche lui aussi, notamment en raison de son activité dont on nous dit qu’il fabriquait des tentes, ce qui doit se comprendre comme exerçant les métiers de tisserand et/ou de sellier.

L’homme aux deux cultures

Juif pharisien à l’ascendance revendiquée, Paul fut l’élève de Gamaliel, le rabbi à l’éducation tolérante, à Jérusalem.
Rappelons que Gamaliel était un Pharisien de renom. Son grand-père, Hillel l’Ancien, était à l’origine de l’un des deux principaux courants de la pensée pharisienne. Son approche était considérée comme plus tolérante que celle de l’école rivale, celle de Shamaï. Nul doute qu’avoir reçu un tel enseignement était une marque de qualité dans la maîtrise de la loi orale, ce dont Paul ne manquera pas de se servir.

Pourtant Paul renoncera aux avantages qu’une telle éducation lui promettait, appliquant peut-être en cela l’enseignement de ce grand maître : « prendre garde d’être trouvé en train de combattre en fait contre Dieu. »

De ses origines, Paul bénéficiera de la capacité à raisonner et à s’adresser aux païens dans le langage philosophique qu’ils reconnaissaient. Cela est particulièrement vrai dans les communautés grecques (Corinthe, etc.).

Paul, historiquement controversé

Les Actes des apôtres sont attribués à Luc, médecin et ami de Paul[8], paraît-il.

Pourtant, leur lecture montre un antagonisme envers Paul qui dure au moins jusqu’au chapitre 13 inclus :

  • Paul y est sans cesse ravalé à son rang de juif par l’emploi du nom Saul au lieu de celui de Paul qu’il revendique ;
  • Il est accusé d’avoir pris part, en quelque sorte à l’exécution d’Étienne ;
  • Le personnage de Simon le mage est considéré par quelques chercheurs comme une caricature de Paul ;
  • Il est montré comme soumis à l’autorité des « colonnes » de Jérusalem, ce qu’il nie ;
  • Son statut d’apôtre lui est contesté alors que son baptême d’esprit (imposition des mains) est validé sans immersion.

Ses positions vis-à-vis de la loi judaïque, notamment dans l’application des prescriptions alimentaires et de la circoncision pour les adeptes non-juifs, aboutissent à un antagonisme absolu avec Pierre et les envoyés de Jacques le juste[9]. La crise d’Antioche (49) provoquera le premier schisme qui séparera les judéo-chrétiens, jusque là seuls détenteurs de la légitimité chrétienne, et les pagano-chrétiens dont Paul fera une Église largement émancipée.

Ses lettres aux communautés fondées sous son autorité sont systématiquement manipulées, dès sa mort par les scribes judéo-chrétiens et les autorités de l’Église de Rome, au point que Marcion va se sentir obligé de les rétablir en 140.

Tertullien de Carthage, père de l’Église catholique du 3e siècle le traitera d’« apôtre des hérétiques ».

Pourquoi un tel personnage a-t-il été finalement intégré dans le Nouveau Testament ?

D’une part en raison du fait que sa correspondance, même réduite par les manipulations et amoindrie par les interpolations, demeure la plus abondante et la plus ancienne de cette époque[10].

D’autre part en raison du fait que son aura auprès des communautés chrétiennes du monde chrétien d’alors était immense, au point que son « disciple » Marcion n’aura aucun mal à les rallier à sa bannière un siècle plus tard, faisant de cette Église, la plus importante du monde selon les commentateurs judéo-chrétiens.

Nous verrons dans la prochaine publication en quoi sa prédication a ouvert la voie qui mena au catharisme.


[1] « Ceux qui ont été livrés aux flammes nous ont dit dans leur défense, que cette hérésie venait du temps des martyrs, et s’était, tenue secrète jusqu’à nos jours, mais qu’elle s’était conservée en Grèce et dans plusieurs autres endroits. », Évervin de Steinfeld (env. 1143).
[2] Anne Brenon, Les archipels cathares – Dissidence chrétienne dans l’Europe médiévale (t. 1) : éditions Dire (2000) – éditions L’Hydre (2003)
[3] La Bible – Nouveau Testament, Introduction par Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros, éditions NRF Gallimard, collection de la Pléiade (1971).
[4] Flavius Josèphe, Testimonium flavianum in Antiquités judaïques, § 63 et 64 du Livre XVIII (premier siècle de l’ère chrétienne).
[5] Alain Decaux, L’avorton de Dieu – Une vie de saint Paul, éditions Perrin/Desclée de Brouwer (2003).
[6] Ibid.
[7] Eugène de Faye, Saint Paul – Problèmes de la vie chrétienne, (3e éd.) librairie Fischbacher (1929).
[8] Le Nouveau Testament commenté, sous la direction de Camille Focant et Daniel Marguerat, éditions Bayard et Labor et fides (2012). Les Actes sont commentés par Daniel Marguerat.
[9] Jean Daniélou, L’Église des premiers temps – Des origines à la fin du IIIe siècle, éditions du Seuil (1963)
[10] Daniel Marguerat, Paul de Tarse – Un homme aux prises avec Dieu, éditions du Moulin (1999)

Le slovo de Cosmas : une erreur historique ?

5-1-Histoire du catharisme
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Le slovo de Cosmas : une erreur historique ?

Le slovo (discours) de Cosmas le prêtre est présenté par les historiens comme le premier document fiable permettant de dater l’origine du catharisme. Ce choix a influencé des générations de chercheurs. Mais, est-il fiable ou n’est-ce qu’une erreur historique de plus ?
Le christianisme ne s’est implanté qu’au 9e siècle parmi les slaves de Bulgarie et la conversion générale fut obtenue par les moines Cyrille et Méthode en 862, lorsqu’ils parvinrent à baptiser le tsar Bogoris (Boris 1er le baptiseur)[1]. Des querelles entre le patriarche grec et le pape de Rome, au sujet de ces régions, durèrent plusieurs siècles et favorisèrent des difficultés dans l’expansion du catholicisme et, plus tard, de l’orthodoxie dans ces régions. En outre, les pauliciens exilés plus ou moins volontaires, sous Constantin V — deuxième empereur Isaurien —, rebaptisé Copronyme (au nom de merde) suite au concile de 787 qui condamna définitivement l’iconoclasme[2], prêchèrent ces peuples pour les gagner à leur religion dès 868.

Qu’est-ce que le catharisme ?

De façon générale, les historiens officiels, comme les autres scientifiques, manifestent une extrême méfiance à l’égard de tout ce qui pourrait ressembler à une opinion religieuse.
Concernant l’histoire d’une religion, cela les conduit souvent à des positions délicates voire aberrantes.

La première question qui s’est posée concernait la nature du catharisme :

  • était-ce une religion externe au christianisme (païenne) ?
  • était-ce une forme de syncrétisme associé au christianisme ?
  • était-ce un christianisme ?

Difficile de nier un apparentement avec le christianisme, comme l’ont fait les premiers chrétiens de Jérusalem et de Rome avec le gnosticisme où étaient mélangées, par les judéo-chrétiens, les spiritualités chrétiennes divergentes et les spiritualités païennes. En effet, les cathares se sont toujours réclamés du christianisme le plus authentique.

La solution adoptée par l’Église catholique romaine, et reprise par l’Église orthodoxe de Constantinople, du Moyen Âge à nos jours, fut de le traiter de manichéisme, en raison d’éléments doctrinaux considérés comme dithéistes, mais surtout parce qu’Augustin d’Hippone[3] avait rédigé une contestation argumentée du manichéisme et qu’il n’en existait pas contre le catharisme.

Depuis le milieu du 20e siècle, et notamment avec Jean Duvernoy[4], le caractère strictement chrétien du catharisme a été validé.
Il est considéré comme une forme archaïque du christianisme, c’est-à-dire un christianisme qui serait resté très proche de celui du premier siècle.

Origine chronologique

Le texte le plus ancien, qui a été retrouvé et étudié[5], situe l’origine de ce mouvement religieux vers les années 969 – 972.
Sa principale référence historique est la proximité immédiate du règne du tsar Pierre de Bulgarie ( ?/mai 929-janvier 967), mais elle n’est pas la seule.
Vers la fin des années 940, le patriarche Théophylacte de Constantinople (patriarche de 933 à 956), fils de Romain 1er Lécapène et de Théodora[6], oncle de la femme de l’empereur Pierre 1er, avait été alerté par ce dernier sur une hérésie contre laquelle il fulmina des formules d’abjuration qui ne mentionnaient pas directement le pope Bogomil, contrairement au slovo de Cosmas[7]. Il le qualifiait de manichéisme mâtiné de paulicianisme.
La référence chronologique à Jean l’Exarque (né vers 890), cité comme n’exerçant plus est possible, car il a exercé sous le règne du tsar Syméon 1er le grand (864/893-927).
J. Trifonov[8], a émis l’hypothèse de Jean d’Ohrid, connu sous le nom de Jean le prêtre, aurait été exarque, ce qui repousserait l’origine du bogomilisme au début du 11e siècle.
Mais la suppression du patriarcat bulgare en 972, qui entraîna de fait celle de la fonction d’exarque, plaide plutôt en faveur du premier Jean, même s’il aurait été âgé de plus de 80 ans à l’époque du slovo.
Les références à la guerre, sans doute liée aux interventions russes, petchenègues, magyars et croates qui favorisèrent l’annexion grecque d’une partie de la Bulgarie par Jean 1er Tzimiskès en 971 (après une courte trêve entre Boris 2 et Nicéphore Phocas en 967), permettent aux historiens de situer la rédaction du document sous le règne de l’empereur Boris 2 de Bulgarie (± 931/969-977).

Nature doctrinale

Ce texte est loin de répondre de façon claire à toutes les questions historiques.
Déjà, on peut s’étonner que des historiens, si frileux envers les textes issus des religieux, se basent ainsi sur un texte issu d’un religieux, qui plus est opposant notoire à la personne citée.
Le personnage évoqué ne s’appelait sans doute pas Bogomil, car il était courant, voire systématique (chez les pauliciens notamment) de choisir un nom évocateur lors du baptême ou de la prise d’une fonction religieuse. Or Bogomil peut se traduire par « ami de Dieu » ou « que Dieu a en sa pitié ». Cosmas détourne malicieusement cette traduction en : « indigne de la pitié de Dieu ». Si l’on se base sur le slavon, langue de l’époque, terme « ami » semble tout à fait recevable.
Le terme bogomile fut aussi, semble-t-il, celui d’un mouvement social contestataire, non religieux à l’origine. Il est né à l’occasion de l’instauration du féodalisme de la fin du 9e siècle au début du 10e d’après Dimitre Anguélov[9]. Auparavant, la société paysanne disposait de plus de liberté.
Cet historien fait clairement le lien entre bogomilisme et paulicianisme qu’il relie au manichéisme et ce dernier au marcionisme et au gnosticisme. On voit ce genre de rapprochement chez d’autres historiens, pourtant aucun n’a vraiment cherché à approfondir cette apparente filiation.

La recherche officielle se heurte à la faiblesse documentaire due, pour la plus grande part, à la répression conjointe menée par les autorité ecclésiastiques et politiques, notamment au sein de l’empire byzantin.
Les documents disponibles (Théophylacte, Synodikon de l’orthodoxie[10]) se limitent en général à des listes d’anathèmes.
Le Slovo de Cosmas est le plus complet et le plus ancien de ceux qui citent Bogomil.

Aucun document ne semble exister qui permettrait d’effectuer une recherche ascendante dans le temps.
La suprématie bulgare d’un côté (notamment Syméon le grand) et byzantine de l’autre (notamment depuis la victoire définitive des iconodoules), a relégué les hérésies à de simples mentions stéréotypées.
Cela explique que les historiens se contentent et s’accrochent à ce texte.

De fait les théories judéo-chrétiennes monopolisent l’espace obligeant les autres voies à la clandestinité et à l’absence de mentions textuelles, ce qui influence la lecture des historiens.
Le bogomilisme est pourtant une réalité impossible à nier.
Son origine couvre au minimum la charnière entre le 10e et le 11e siècle, avec une possible antériorité au début du 10e siècle (intervention de Naum cité par Anguélov).

Le slovo parle de la région paulicienne de Philippopolis (au sud de Preslav), mais une zone Sud-Ouest est également clairement identifiée comme regroupant des bogomiles (voir carte ci-dessous).
Le bogomilisme se réclame d’un christianisme qu’il maîtrise, contrairement aux croyances slaves et bulgares païennes.
Sa réfutation du judéo-christianisme va de pair avec une analyse comparative du monde et de la mission christique qui justifie une doctrine chrétienne différente, mais cependant parfaitement cohérente.
Son succès est indéniable au vu de son implantation en Bulgarie médiévale qui couvre cinq évêchés qui se confirmeront dans les siècles suivants.

Cette carte de la Bulgarie à l’époque de Syméon (10e siècle), nous la montre beaucoup plus grande qu’aujourd’hui frontière en jaune).

La capitale Preslav était relativement proche de Philippopolis (soulignée en vert), ville des arméniens pauliciens, ce qui explique la proximité doctrinale avec les bogomiles.
Les bogomiles ont surtout agi à distance de la capitale dans le Sud-Ouest, à proximité d’Okhrida (entourée en rouge) où ils furent en butte avec le catholique Naum, disciple de Clément, dont la trace demeure dans le nom de la ville St Naoum (soulignée en rouge). Mais ce Naum est mort en 910, ce qui accrédite l’idée d’une antériorité de plus de 50 ans du bogomilisme par rapport à la date de parution du slovo.

Le bogomilisme fera l’objet de nombreuses réactions de l’empire d’Orient, dès la prise de pouvoir de la régente Irène, après la mort de Constantin V, qui annula les dispositions iconoclastes des deux premiers empereurs isauriens et surtout sous la domination de l’impératrice Théodora qui rétablit définitivement le culte des images (842). Au long de ces années de luttes doctrinales internes et contre les pauliciens à l’Est, ces derniers, définitivement défaits à Téphriké (sous le tsar Basile 1er), vinrent grossir les rangs de leurs prédécesseurs à Philippopolis et renforcèrent de fait l’importance de leur apostolat envers les Bulgares.
D’autres persécutions eurent lieu plus tard, et notamment sous Alexis 1er Comnène[11], contre les bogomiles, mais les soutiens des responsables politiques et militaires des Balkans leur permirent de se maintenir.

Les rapports entre bogomilisme et catharisme sont évidents et la venue de Nicétas à Saint Félix Caraman, en Occitanie, au 12e siècle le confirme.
Les cathares considèrent les bogomiles comme leurs anciens, c’est-à-dire des frères dans la foi, antérieurement organisés. Rien n’indique cependant une paternité directe, contrairement aux dires des historiens.
Les bogomiles sont clairement liés aux pauliciens, tant géographiquement que doctrinalement.
Les autres « filiations » plus anciennes et datées de la période païenne, sont plus douteuses (massaliens) et le manichéisme n’est qu’un argument facile en raison des réfutations disponibles (Augustin d’Hippone).


[1] Histoire et doctrine des cathares, Charles Schmidt – Harriet (Bayonne) 1983 – Première édition : Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois – J. Cherbuliez (Paris – Genève) 1849.
[2] Byzance, Auguste Bailly – Arthème Fayard (Paris) 1941.
[3] Contre Faustus, Augustin d’Hippone. Traité polémique contre les écrits de l’évêque manichéen Fauste, écrit après la mort de ce dernier et qui sert de référence contre le manichéisme. Lire l’analyse de Michel Sourisse dans Imaginaire & Inconscient : Saint augustin et le problème du mal : la polémique anti-manichéenne.
[4] L’histoire des cathares – Le catharisme t. 2 : Jean Duvernoy – Privat (Toulouse) 1979.
[5] Le traité contre les bogomiles de Cosmas le prêtre : traduction et étude par Henri-Charles Puech et André Vaillant – Librairie Droz (Paris) 1945.
[6] Louis Bréhier, Le monde byzantin, vol. I : Vie et mort de Byzance, Albin Michel, 1969 (1re éd. 1946).
[7] Козма пресвитеръ болгарскй писатель Х вька : M. G. Popruženko (Sofia) 1936. Édition originale ayant servi pour la traduction.
[8] Бесыдата на Козма Пресвитера и иейниятъ авторъ (trad. approx. : Conversation entre Cosmas le presbytre et le fou…) (Sofia) 1923.
[9] Le bogomilisme en Bulgarie : Dimitre Anguélov – Naouka i Izkoustvo (Sofia- Bulgarie) 1969 et Privat (Toulouse) 1972.
[10] Synodikon de l’orthodoxie : traduction de Jean Gouillard – Travaux et Mémoires 2 – E. de Broccard (Paris) 1967.
[11] Alexiade : Anne Comnène fin 11e et début 12e siècles – traduction Bernard Leib – Les Belles Lettres (Paris) 2006

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La diffusion du catharisme

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LA DIFFUSION DU CATHARISME

L’histoire du catharisme, et notamment son mode de diffusion dans ce qui est aujourd’hui la France, semble avoir fait l’objet d’un traitement plus que superficiel par les historiens. La plupart d’entre eux s’est contenté d’évoquer une diffusion de la pensée bogomile par le biais des voies naturelles de communication que sont les routes commerciales entre l’Orient et l’Occident, qui traversent les Balkans.
Cette hypothèse, tout à fait vraisemblable, a l’avantage d’éviter de s’interroger sur d’autres phénomènes et sur des incohérences de dates. En effet, si l’on en croit les historiens, le bogomilisme débuterait à la fin du 10e siècle puisque l’on dispose du discours (slovo) du pope (prêtre) Cosmas, daté des environs de 967, dans lequel il décrit cet « hérétique » Bogomil et anathémise sa doctrine.
Sauf que ce document, que rien ne vient corroborer clairement, contient l’information capitale selon laquelle ce mouvement hérétique aurait déjà mis en place cinq évêchés. Difficile donc de considérer qu’il est tout débutant à cette date.
La diffusion par la voie commerciale semble avérée en cela que l’on retrouve les mêmes conceptions du côté de Cologne quelques décennies plus tard. On peut donc imaginer que des bogomiles gyrovagues auraient pu se déplacer et transmettre leur vision doctrinale dans un pays que la réforme grégorienne semblait avoir rendu moins uniforme du point de vue doctrinal, comme semble en attester certains groupes franchement « réformateurs », mais pas totalement hérétiques, comme ceux qui côtoient les bogomiles de Cologne ou comme l’histoire du paysan Leutard.
Cette réforme, qui semble avoir donné des espoirs de renouveau théologique, paraît avoir favorisé l’émergence de courants de pensée doctrinale parallèles ou même carrément différents chez les clercs. Ces derniers avaient les moyens d’accéder à des écrits transportés par d’autres clercs, de les lire, d’y réfléchir et de les transmettre à leur tour. L’affaire des chanoines d’Orléans qui, en 1022, se mettent à enseigner une théorie très proche de celle des futurs cathares peut en attester.
Si l’on fait une comparaison modeste avec notre époque, on constate que nombre de personnes s’intéressant à la spiritualité sont amenées à s’interroger sur le sens à donner à leur approche spirituelle. En effet, chez les chrétiens d’origine, la lecture des textes officiels peut donner des raisons de douter de la valeur de leur contenu. Combien de catholiques en sont venus à rejeter certains dogmes et à se concocter une approche spirituelle très personnelle ? Il n’est donc pas impossible de penser que cela a pu se produire en d’autres temps, surtout si l’annonce de la réforme grégorienne a pu laisser croire que le temps des réformes théologiques était venu.
Enfin, une troisième voie mérite d’être explorée. Je reconnais que je crois être le seul que cela ait intéressé, mais je pense qu’il faut néanmoins se pencher sur elle.
Lors de la première croisade, les chevaliers du Nord, Godefroy de Bouillon et Bohémond de Normandie notamment, semblaient autant animés par le désir de « libérer » les lieux saints aux mains des musulmans, que par le désir de s’approprier des territoires sur lesquels ils pourraient régner. Cela paraît être moins présent à l’esprit de Raimond IV de Saint-Gilles, le comte de Toulouse. L’empereur Alexis Comnène, qui voyait arriver ces troupes, qui prétendaient expulser les musulmans, considérait que ces territoires étaient sa propriété momentanément spoliée par ces Arabes. Il se méfiait donc fortement de cette « aide providentielle » sur laquelle il ne se faisait aucune illusion . C’est pourquoi il exigea que les chevaliers lui prêtent un serment d’allégeance.
Si les chevaliers du Nord ne se firent pas prier, sans pour autant envisager de respecter ce serment, Raimond de son côté refusa. En effet, la psychologie occitane, dominée par le Paratge, lui donnait deux caractéristiques particulières : l’attachement à l’engagement pris de libérer gracieusement les terres « souillées » et la valeur indiscutable de sa parole qu’un serment secondaire ne pourrait qu’amoindrir. Ce caractère si particulier retarda son départ de Constantinople et l’amena à fréquenter plus longuement l’empereur Alexis. Ce dernier qui avait prêté des troupes aux chevaliers, tant pour renforcer leur maigre équipage, que pour avoir des hommes à lui en leur sein, afin de mieux les surveiller et les contrer si nécessaire, semble avoir été sensible à cette psychologie occitane.
Il est donc raisonnable de penser que la mentalité orientale ait été plus proche de celle des Occitans et a pu donner lieu à des liens amicaux plus clairs entre les soldats de comte et ceux prêtés par l’empereur, parmi lesquels se trouvaient forcément des pauliciens, depuis leur défaite finale de 872.
Ces troupes revinrent en Occitanie prématurément au début du 11e siècle, après la mort du comte, afin de soutenir son fils cadet resté à Toulouse avec une maigre armée. Que les pauliciens aient pu choisir de suivre le mouvement afin d’échapper à l’empereur qui les tenait forcément en défiance, vu leur approche doctrinale et au regard des longues confrontations antérieures, n’a rien de surprenant.
Voici donc trois hypothèses de développement du catharisme en France. Il n’est pas question d’en privilégier une sur les autres ; elles ont très bien pu être concomitantes tout en s’ignorant l’une l’autre, quitte à se rejoindre quelques décennies plus tard en Occitanie. Cela expliquerait des données chronologiques apparemment peu compatibles.
On peut même imaginer que la « rencontre » des successeurs des bogomiles provenant de la diffusion issue du Nord, par les voies commerciales, avec les successeurs des pauliciens venus avec l’armée du comte Raimond IV, ait pu conduire ces groupes, relativement disparates, à chercher une validation de leur organisation en faisant venir Nicetas à Saint-Félix Caraman en 1167.

Les cathares se sont-ils nommés ainsi eux-mêmes ?

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Les cathares se sont-ils nommés ainsi eux-mêmes ?

Le fond de la question

Les différents avis

Dans un courriel récent, Ruben Sartori, chercheur et exégète de qualité, nous rappelle sa position personnelle quant à l’origine du mot « cathare » attribué à ces chrétiens opposés sur le plan doctrinal aux judéo-chrétiens, que l’on a désigné un peu partout en Europe sous diverses appellations, le plus souvent locales. Je vous propose de la lire directement puisée dans ce courriel :

En ce qui concerne le mot cathares, et j’en terminerai là, beaucoup a été dit mais ce n’est pas la bonne piste à mon sens. Cathares est un mot bien connu qui appartient à littérature et à l’histoire chrétienne. Il désignait ceux qui au temps des persécutions romaines n’avaient pas abjurés la foi, ne l’avaient pas trahie. Il est donc bien normal que les cathares eux-mêmes se soient référés à ces illustres devanciers. Ils n’avaient pas trahie la vraie foi mais au contraire l’avaient courageusement maintenue en dépit des persécutions et des anathèmes. Cathares ou bons chrétiens, c’est le même sens et il n’est donc guère étonnant que les bons chrétiens se soient eux-mêmes désignés sous le terme de cathares comme l’attestent certaines sources.

Je rappelle qu’il s’agit du mot « catharos », qui signifie « purs » dont nous parle Ruben.

Cette opinion fait l’objet d’une controverse entre Christine Thouzellier — qui comme Ruben cite cette origine ancienne — et Jean Duvernoy qui valide la thèse du moine rhénan Eckbert de Schönau.
Je vous invite à la lire sur le site de Persée, car elle pose des problèmes non négligeables.
Notons cependant que cette interprétation est reliée systématiquement à des mouvement schismatiques judéo-chrétiens : les novatiens et les montanistes.

Deux autres sources nous sont connues à travers des textes qui nous sont parvenus.

La première et la plus connue, est due à un moine rhénan Eckbert de Schönau qui, dans un courrier adressé à l’archevêque de Cologne et chancelier de l’Empire, Rainald de Dassel, reprend un nom déjà connu à l’époque pour différencier une secte d’hérétiques d’une autre qu’il désigne comme les « partisans d’Hartwin1 » . Eckbert relate des éléments déjà connus par la révélation d’Évervin de Steinfeld. Il y eut bien deux groupes d’hérétiques, les premiers étaient des cathares et les seconds, sans doute des ancêtres ou une variante des vaudois.

Analyse de l’appellation

Ce que révèlent les sources c’est que ce nom n’a rien de savant. Eckbert de Schönau le dit clairement : « Ce sont eux qu’en langue vulgaire on appelle “cathares”… »

L’évêque de Cambrai parle lui de l’hérésie des Katter, que Jean Duvernoy propose de traduire par chats (cattorum) . Il poursuit sur le fait que ce mot ne dérive pas du latin, mais de l’allemand populaire. Initialement nommé Ketter, par Eckbert, il se dégrade en Ketzer, comme le Katte de l’évêque de Cambrai est devenu Katze.

Cette référence au chat ne doit rien au hasard, car le diable était alors désigné comme un chat blanc de la taille d’un veau.
Alain de Lille nous en donne l’explication : « Cathares, d’après catus, car, à ce qu’on dit, ils baisent le derrière d’un chat, sous la forme duquel, dit-on, leur apparaît Lucifer. » Il propose aussi deux autres étymologies, plutôt fantaisistes : une dérivée de « catha » qui voudrait dire écoulement, car le vice s’écoule d’eux comme le pus et « cathari » parce qu’ils se font chastes et justes.

Pour éviter tout rapprochement avec les novatiens, Eckbert proposait l’appellation « catharistes », nom d’une secte africaine combattue par Augustin d’Hippone.

Enfin, Jean Duvernoy précise clairement que de son point de vue, ni le corpus hérésiologique médiéval occidental, ni les cathares eux-mêmes n’ont compris ce mot comme signifiant « purs ». Ce terme est régulièrement employé par les polémistes catholiques et même par le pape Innocent III. Cela devrait nous convaincre qu’il ne peut s’agir d’un terme glorifiant, car on imagine mal leurs pires ennemis les parer d’un terme qui aurait pu les valoriser de quelque manière que ce soit.


Notes :

 

  1. Jean Duvernoy, La religion des cathares, in Les cathares, édition Privat 1976 (Toulouse), p. 14.
  2. Jean Duvernoy, ibid, p. 303