Précisions sur l’affaire d’Avignonet

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Précisions sur l’affaire d’Avignonet

De la localisation de la dernière étape avant l’attaque, du commando de Montségur, lors de son raid sur Avignonet (-Lauragais [31]) le 28 mai 1242.

Un problème de traduction ?

Un problème de traduction dans le récit du massacre des inquisiteurs à Avignonet.

À l’occasion de la quête d’un lieu cité dans le récit du massacre des inquisiteurs à Avignonet le 28 mai 1242, fait par le sergent Imbert de Salles devant l’Inquisition, j’ai pu constater une différence de traduction dans la dénomination du site recherché.

Ce même lieu est pour Michel Roquebert un abattoir, pour Jean Duvernoy une léproserie.

Voici les extraits des traductions respectives par ordre chronologique :

Abondamment utilisés par les historiens, ces récits sont, à ma connaissance, encore inédits ; je donne la traduction complète du plus long et du plus détaillé d’entre eux celui du sergent Imbert de Salles. Il le fit le 12 mai 1244 devant l’inquisiteur Ferrier, par Michel Roquebert[1] :

« Puis Bernard de Saint-Martin, Balaguier, Jourdain et les sergents armés de haches se mirent en route en marchant devant. Moi-même et tous les autres, tant les chevaliers que les sergents, nous les suivîmes et nous arrivâmes ainsi à l’abattoir du castrum d’Avignonet. […] »

Voici maintenant celui de Jean Duvernoy :

« Puis le même Bernard de Saint-Martin, Balaguier, Jourdain, et lesdits sergents se mirent en route et prirent les devants, et moi et tous les autres, tant chevaliers que sergents à leur suite, vînmes à la léproserie d’Avignonet. »[2]

Tentative d’explication de la confusion

Ce témoignage se trouve dans le fonds Doat, copies réalisées entre 1665 et 1670 à la demande de Colbert, sous les ordres de J. Doat, président à la chambre des comptes de Navarre, dans différents dépôts d’archives municipales, monastiques, épiscopales et seigneuriales du Languedoc, du Pays de Foix, de la Guyenne et de la Gascogne. Collection précieuse car beaucoup des originaux ont aujourd’hui disparu. Ce fonds appartient à la collection sur l’histoire des provinces françaises (source Bnf), conservé à la Bibliothèque nationale de France. La copie du récit a été faite à partir «d’un livre en parchemin contenant deux cent quarante-sept feuilles côté des lettres F.F.F. trouvé aux archives de l’Inquisition de Carcassonne […] fait à Alby le dix-septième octobre Mil six cent soixante-neuf. De Doat.» Ce livre en parchemin était une compilation des procédures menées par Ferrer, ce n’était donc pas un original (source Jean Duvernoy). Il faut également préciser que la déposition a été faite en occitan et que le notaire inquisitorial (recruté localement ?) a traduit la déclaration en latin (dit de cuisine, souvent mâtiné de langue vernaculaire), sur l’instant. Aussi n’est-il pas impossible de penser que celui-ci ne connaissant pas la traduction exacte d’abattoir ou léproserie en latin (mots peu utilisés), ait écrit le mot entendu en occitan. Par la suite, le manuscrit n’ayant pas été « mis au propre » aura été trouvé et recopié tel quel par le scribe au XVIIe siècle.

Traduction du Latin (à l’aide du traducteur Google®) :

Français

Latin

Abattoir Macellum
Léproserie Léprosus colonia

On voit clairement qu’il ne peut y avoir de confusion possible entre Macellum et Léprosus colonia.
C’est la confirmation que le mot n’a pas été traduit de l’occitan en latin.
En voici la raison :
Traduction de l’occitan :
maselariá femenin (lengadocian)
Botiga que i es venduda la carn. (par extension Boucherie, Abattoir).
https://oc.wiktionary.org/wiki/maselari%C3%A1
meselariá nf  (ancien)
Léproserie. Syn leproseriá. Laus (languedocien)[3].

Une lettre différencie maselariá (boucherie, abattoir) de meselariá (léproserie).
Le copiste de l’équipe Doat (au XVIIème siècle) qui a retranscrit le témoignage d’Imbert de Salles, a dû mal former la deuxième lettre d’un des deux mots.
Voilà certainement la cause de la confusion.

Là où Michel Roquebert a lu un A, Jean Duvernoy aura lu un E.

Le site recherché

Avant de continuer, je dois remercier ici deux érudits avignonétains (ils se reconnaîtront), pour les informations qu’ils m’ont aimablement transmises et sans lesquelles la deuxième partie de cette étude, n’aurait pu être réalisée.

Après avoir posé le problème de la traduction qui s’est présenté à nous, un document va nous permettre d’écarter une des deux options.

Il s’agit du compoix d’Avignonet de 1745 qui localise très clairement le cimetière de la léproserie (qui, elle, devait se trouver logiquement à proximité de celui-ci) au lieu-dit Rivet à l’Ouest du castrum.

Septième paragraphe, page 181 du document, (section « Communaux et autres possessions appartenant à la [communauté ?] de Vignonet ») :

« PLUS al Rivet…une quarterée communal ou étoit le simetière des pestiférés…estimée bon »[4].

Mais qui dit pestiférés, dit peste. Or :

« Celle-ci [la peste] balaye le monde entre 1330 et 1360. En Occident, elle tue entre 40 et 70% de la population. Dans l’urgence, de nombreuses villes prennent des mesures visant à isoler les malades. Des léproseries sont transformées en hôpitaux pour pestiférés. »[5]

On peut donc affirmer que le cimetière des pestiférés mentionné dans le compoix d’Avignonet de 1745 est bien le cimetière de l’ancienne léproserie.

Le commando de Montségur arrivant des environs du Mas-Stes-Puelles, qui se trouve au Sud-Est du castrum, n’avait aucune raison de se rendre à la léproserie (à l’Ouest) pour y attendre le signal l’invitant à entrer dans l’enceinte castrale.

On peut alors en déduire que le commando a stationné à l’abattoir, et que ce dernier se situait très vraisemblablement à l’Est d’Avignonet.

Cependant, à l’Est d’Avignonet, où pouvait se trouver celui-ci ?

Voici quelques indices qui nous permettent d’avancer une hypothèse

  1. On sait, d’après le témoignage d’Imbert de Salles, que l’abattoir se trouvait en dehors de la ville
  2. En un lieu près du castrum car le sergent nous dit :

« Quand nous y fûmes, sortit du château [ici dans le sens de castrum] d’Avignonet Guillaume Raimond Golairan, après deux autres. Il parla à Bernard de Saint-Martin et à Jourdain du Mas, et leur demanda s’ils avaient choisi des sergents avec des haches, et ils lui dirent que oui. Cela fait Guillaume Raimond Golairan entre dans le château pour voir ce que faisaient les frères inquisiteurs, puis revint et dit qu’ils buvaient. Il retourna au château, ressortit au bout d’un moment, et dit que les frères allaient se coucher. L’ayant entendu, tous vinrent avec des haches à la porte du château [du castrum], et certains d’Avignonet qui étaient à l’intérieur leur ouvrirent les portes. »[6]

Pour une meilleure compréhension de l’extrait de la confession ci-dessus, il faut savoir qu’Avignonet était au XIIIème siècle, ce que l’on appelle en Languedoc un castrum. C’est à dire un bourg entouré de remparts avec un château (souvent modeste), demeure seigneuriale. Ce 28 mai 1242, les inquisiteurs logeaient dans le château proprement dit, et non dans le bourg.

La lecture de ce passage nous apprend que Guillaume Raimond Golairan (un des complices du bayle Raymond d’Alfaro) fait deux allers-retours entre le castrum et le lieu d’attente du commando, qui ne devaient donc pas être éloignés l’un de l’autre.

  1. À l’Est d’Avignonet se situe aujourd’hui le quartier du Barry, qui au moyen-âge devait être peu ou pas habité et où se trouve une fontaine près de laquelle coule le petit ruisseau (aujourd’hui recouvert par la voirie) de Catirat (voir la carte de 1824)[7]
  2. L’activité d’abattage nécessite de l’eau : « En effet les abattoirs produisent des déchets liquides dont le sang, le contenu des panses et les eaux de lavage ; […] L’abattoir produit des effluents d’une part parce qu’il met les liquides physiologiques (sang, salive) des animaux abattus en contact avec le milieu extérieur, d’autre part parce qu’il consomme de l’eau comme solvant pour les tâches de nettoyage »[8]. (Page 3 du document).
  3. De tout temps, les sources ont pu servir de fontaines, d’abreuvoir, de lavoirs ou d’alimentation en eau pour diverses activités, dont bien sûr celle d’abattage, […] ces différentes fonctions remplies soit successivement, soit parfois en même temps.

À Béssière (31) : « Il y avait des lavoirs dans les anciens abattoirs, ainsi que Place du souvenir entre la médiathèque actuelle et la mairie. »[9]

À Avignonet : « La fontaine a été construite en pierre du pays en 1862 et est alimentée par une nappe phréatique. Elle a longtemps servi d’abreuvoir pour le bétail. »[10]

Ainsi on remarque que l’aire de la fontaine du Barry réunit les conditions idéales pour l’implantation d’un abattoir. Le lieu est proche, tout en étant suffisamment éloigné du castrum*, pour éviter les désagréments olfactifs, auditifs et visuels, son alimentation en eau est assurée par une source, les déchets issus de l’abattage (liquides du moins) peuvent être évacués dans le ruisseau de Catirat, les carcasses et viscères peuvent être incinérées et/ou enterrées à proximité.

En conséquence, au regard des éléments examinés ci-dessus, ne peut-on envisager l’existence d’une maselariá (abattoir), au XIIIème siècle, dans les abords immédiats de la fontaine du Barry ?

Conclusion

Après avoir éclairci le pourquoi de la différence de traduction qui a été constatée, la localisation de la léproserie m’a permis d’écarter ce lieu comme étant la dernière étape du commando de Montségur lors de son raid meurtrier, au profit de celui de l’abattoir. De ce fait même, apparaît l’évidence que la traduction, maselariá/abattoir de Michel Roquebert est bien la bonne. Enfin le faisceau d’arguments énoncés ci-dessus, semble pouvoir autoriser d’avancer que le lieu identifié, à savoir, la place de la fontaine du Barry/abattoir, est bien l’endroit où la troupe de Pierre-Roger de Mirepoix a stationné dans l’attente du feu vert de Raymond d’Alfaro pour passer à l’attaque.

* Plus ou moins une centaine de mètres en contre-bas de celui-ci.

© Bruno Joulia 01/09/2023 – Facebook : Catharisme : hérésie, croisade, Inquisition


[1] Mourir à Montségur, tome IV de l’Épopée Cathare par Michel Roquebert, Privat, 1990, page 327.

[2] Le dossier de Montségur – interrogatoires d’inquisition 1242-1247 – traduction de Jean Duvernoy, Pérégrinateur éditeur, 1998, page 126.

[3]https://dicodoc.eu/fr/dictionnaires?option=com_dicodoc&view=search&Itemid=683&type=oc-fr&dic%5B%5D=LAUSOF&dic%5B%5D=LAGAOF&q=mesel

[4]https://archives.haute-garonne.fr/ark:/44805/vta42aa4a4fee2b2845/daogrp/0/1?id=https%3A%2F%2Farchives.haute-garonne.fr%2Fark%3A%2F44805%2Fvta42aa4a4fee2b2845%2Fcanvas%2F0%2F198

[5] https://actuelmoyenage.wordpress.com/2020/02/13/lepre-peste-et-coronavirus-dou-vient-la-quarantaine/

[6] Le dossier de Montségur – interrogatoires d’inquisition 1242-1247, op. cit. pages 126 et 127.

[7]https://archives.haute-garonne.fr/ark:/44805/vtab7f95a7e852ccb17/daoloc/0/1?id=https%3A%2F%2Farchives.haute-garonne.fr%2Fark%3A%2F44805%2Fvtab7f95a7e852ccb17%2Fcanvas%2F0%2F1&vx=4028.98&vy=-2141.94&vr=0&vz=7.01143

[8] http://www.ijirset.com/upload/2022/november/2_Impacts%20_NC.pdf

[9] https://www.hautegaronnetourisme.com/activites/lavoir-bessieres/

[10] https://www.geocaching.com/geocache/GC4AKH5_avignonet-lauragais

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