1-Découvrir le catharisme

Bélibaste ou l’itinéraire d’un chrétien dans la tourmente.

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Bélibaste ou l’itinéraire d’un chrétien dans la tourmente

Une ordination singulière

Guilhem Bélibaste, né à Cubières-sur-Cinoble1 vers 1280, n’aurait sans doute jamais été ordonné chrétien cathare, s’il n’avait tué au cours d’une querelle le berger Barthélémy Garnier qui menaçait de dénoncer la famille Bélibaste à l’Inquisition. Après ce meurtre commis en 1305, il doit quitter sa famille et fuir son pays pour sauver sa peau, et, rentrer dans les ordres selon l’éthique cathare pour tenter de sauver son âme.

C’est grâce aux témoignages recueillis par Jacques Fournier dans son Registre de l’Inquisition, et notamment grâce au long récit de Pèire Maury, le berger croyant, passeur et fidèle ami dévoué, que l’on connait la mission pastorale de Bélibaste auprès de la communauté occitane de l’exil.

 La formation chrétienne du berger des Corbières

Guilhem Bélibaste était-il analphabète? L’époque et le milieu social de cette histoire peut évidemment nous le laisser  présumer sans trop nous tromper. Nous n’avons pas de témoignage réel de ses pratiques personnelles comme a pu en recueillir Anne Brenon2  au sujet de la famille Autier:
« Pour leurs croyants, les Bons Hommes prêchent, exposent, expliquent, Jaume lisant dans le livre des Écritures, probablement en latin, et « son père expliquant en langue vulgaire » selon la déposante Sébélia Peyre, chez qui les deux chrétiens séjournèrent quelques jours à l’automne 1301 ».

Henri Gougaud, dans la biographie romancée qu’il en a dressée3, imagine l’ enseignement de Félip d’Alayrac plutôt oral et basé sur la mémoire, comme l’apprentissage par cœur d’une leçon:
« Le soir, il (Bélibaste) trouvait Philippe et Alaïs dans la grande cuisine. Le parfait lui lisait l’Évangile de Jean, tandis que la servante rapiéçait des vêtements devant le feu. »

Et encore, le romancier fait dire au Chrétien Félip: « Il te faudra aussi apprendre l’Évangile de Jean, la prière du Consolament et les gestes du rituel. Je t’enseignerai tout cela avec l’aide de mon aîné Raymond de Castelnau qui fit de moi, l’année de mes vingt ans, un chrétien véritable. »

Toujours est-il que nous devons reconnaître, sur l’appui des  prêches qu’il nous a laissés que Bélibaste avait une connaissance sûre des mythes, de la morale et de la Bienveillance cathares. Ces connaissances nous prouvent de même la qualité de l’enseignement prodigué par Félip d’Alayrac .

 Temps et lieux de l’Église clandestine

On peut être aujourd’hui subjugué par l’incroyable cohérence de la dernière Église cathare médiévale alors éclatée dans la clandestinité entre Pays d’Oc, Italie et Espagne, et pourtant dotée d’une organisation sans failles et d’une énergie jusqu’au-boutiste. L’équipe de l’Ancien qui ne dépassera jamais la quinzaine de Bons Hommes pour le territoire d’au moins cinq départements actuels est une véritable Église se regroupant dès que nécessaire malgré les dangers engendrés par le marteau inquisiteur. Dans les premières années du XIVe siècle, l’Église de la reconquête est constituée des pasteurs suivants: Pèire Autier, son frère Guilhem Autier, Amiel de Perles, Andrieu de Prades, Pèire-Raymond de Saint-Papoul, les premiers de retour d’Italie où ils furent ordonnés aux environs de l’an 1300. Puis en 1303, Félip d’Alayrac4 et la probable dernière Bonne Femme Jaumeta5 arrivent à leur tour. En 1301, l’Ancien ordonne son fils Jaume Autier et Pons d’Ax (Pons Bayle), puis est encore ordonné Pons d’Avignonet (Pons de Na Rica) alors que de nouveaux novices suivent leur formation de chrétien: Pèire Sans, l’agent de liaison formé et ordonné par l’Ancien en 1306; Raymond Fabre formé et ordonné par Fèlip d’Alayrac et Guilhem Autier en 1307, complèteront cette première équipe. En 1306, Félip d’Alayrac commence la formation de Bélibaste qui sera probablement ordonné en 1308 (aucune source connue). En cette année, au heures sombres de l’écrasement inquisitorial, sera encore initié et ordonné un des fils du maître des forges de Junac, Arnaud Marty par Guilhem Autier. Pèire Sans, à son tour, formera un jeune novice Pèire Fils de Tarabel,  et en avril ou mai 1309, l’Ancien réfugié dans une borde isolée de Verlhac (Tarn-et-Garonne) ordonnera son dernier novice, le jeune Sans Mercadier.

À cette Église cathare occitane, il faut adjoindre son diacre  exilé en Lombardie, visité plusieurs fois par les Bons Hommes, selon les impératifs de l’Église, et lui-même de retour en Occitanie vers 1304 pour répondre à une demande de l’Église, mais probablement reparti dès la fin de l’année vers le refuge italien après l’arrestation de Guilhem Peyre-Cavaillé devenu un dangereux délateur.
Nous rencontrerons aussi, en terre d’exil espagnol, un autre Bonhomme, Raymond de Castelnau (cité par H. Gougaud) aussi nommé Raymond de Toulouse qui semble peu cité par l’Inquisition. Il mourra en 1316 à Granadella (Espagne) .

Les analyses de  Michel Roquebert et d’Anne Brenon s’accordent parfaitement sur la composition de la société croyante cathare du début du XIVe siècle. Elle est différente de celle d’avant la croisade et se caractérise par des différences géographiques tendant à opposer un  milieu rural assez analogue à celui d’avant la croisade, c’est-à-dire conservant la fidélité des classes dirigeantes, à un milieu citadin plus populaire et ayant quasiment perdu l’appui nobiliaire.

Simultanément à la multiplication des ordinations, se forme le réseau clandestin des nouvelles maisons cathares destinées à héberger et protéger les Bons Hommes en perpétuelle itinérance. Le tissu social de ce réseau est représentatif de cette communauté croyante populaire rurale ou citadine.

Ce que dit Anne au sujet des croyants: « La société croyante du comté de Foix apparait en effet plus franchement notable, voire nobiliaire, que celle qu’on aura l’occasion de rencontrer, autour des Bons Hommes, dans les sénéchaussées de Carcassonne et de Toulouse, où les élites se sont largement ralliées au roi et à l’Église catholique. » Et encore:  « Parmi les fidèles des Bons Hommes, tout leur clan familial, l’intelligentsia de Sabartès, gens notariale, agents comtaux, robins de vieille noblesse — des Larnat aux Rabat —  et même des prêtres et vicaires; mais aussi des artisans et commerçants des villes et des paysans de la montagne. […] Toute une société, dont rien n’indique qu’elle soit frappée d’arriération ni de pessimisme, mais qui prend le tournant du XIVe siècle sans renier la foi de ses pères — la foi de Pèire Autier. »

Ce que dit Michel Roquebert au sujet des prédicateurs6: « La méthode de prédication parait utiliser, plus que par le passé, le mythe, atteignant des milieux humbles, artisans et paysans. En dehors du pays de Foix, l’Église de Pèire Autier ne réussit pas à toucher la noblesse ni la bourgeoisie, à de très rares exceptions près. L’oligarchie toulousaine a récupéré depuis 20 ans les patrimoines confisqués (par la croisade) et ne veut pas prendre le risque de les voir à nouveau lui échapper. » Cette tendance nous sera utile pour comprendre les prêches du Bon Homme Bélibaste.

Ces croyants de « milieux humbles », pour la plupart analphabètes, en tout cas illettrés, dont les connaissances morales et religieuses se transmettent en grande partie par un enseignement oral des mythes, contes et légendes populaires, dont les mentalités conservent des reliquats de  croyances païennes et autres superstitions; ces croyants  donc  constituent en ce début de siècle le monde de Bélibaste, le monde qui l’a vu naitre, le seul monde qu’il connait alors. Ses croyants et lui sont de ce même monde. Cette différence  notable entre lui et les autres chrétiens tel qu’un Pèire Autier ou un Félip d’Alayrac, personnes cultivées, à l’esprit ouvert formé par les voyages, est importante pour bien appréhender notre Bon Homme. Depuis sa fuite des Corbières sur les talons de Félip, « Il avait fait en une semaine plus de chemin qu’en toute son existence […] » nous conte  Henri Gougaud.

L’Église de la reconquête ne connaitra plus aucun répit à partir de 1309. Jaume Autier est repris et brûlé le 3 mars 1309 à Carcassonne. Félip d’Alayrac et Bélibaste y sont emprisonnés mais s’évadent et peu après gagnent la Catalogne. L’Ancien est arrêté à la mi-août, jeté au Mur de Toulouse7 où se trouve Amiel de Perles. Puis Raymond Fabre est pris à son tour. Son frère Guilhem et leur compagnon Arnaud Marty sont brûlés à Carcassonne, fin 1309 ou printemps 1310, après la sentence de Geoffroy d’Ablis. Le 9 avril 1310, l’Ancien est brûlé devant la cathédrale Saint-Étienne à Toulouse. Fèlip d’Alayrac revenu voir des croyants en Donezan est arrêté à Roquefort-de-Sault et brûlé. Dans son épilogue, Anne suppose que quelques Bons Hommes survivent encore quelque temps réfugiés en Italie; peut-être Pèire-Raimond de Saint-Papoul et Pèire Sans? De l’autre côté des Pyrénées, Guilhem Bélibaste et sa petite communauté de croyants permettront à l’Église cathare occitane de connaitre un sursis de 10 ans .

Les croyants de la diaspora  espagnole

C’est  au cours de l’été 1309 que toute la population adulte de Montaillou est arrêtée et emprisonnée par Geoffroy d’Ablis pour être interrogée. De ces procédures rien n’a été conservé, écrit Anne et c’est plus tard qu’on apprendra les dégâts causés par cette rafle: enfants abandonnés à eux-mêmes, tel ou telle mort(e) au Mur  ou encore rentré(e) mourir au village avec la croix infamante, maisons détruites, relaps brûlés, cadavres exhumés et exil massif. Le long récit de Pèire Maury apporte vie et  densité  à ces exilés  montallionois et  fuxéens que le berger fréquentait régulièrement entre ses  périodes d’estives. Ces émigrés souvent en transit, à l’instar de leur seul guide spirituel, dessinaient comme une aura dans les petits villages espagnols, toujours inquiets d’être au plus près de leur dernier Bon Homme qui cheminait lui-même au gré des travaux saisonniers pour pourvoir à la subsistance de sa famille. On peut suivre ainsi notre chrétien à Berga, puis Lerida, Granadella, Flix, Tortosa, Morella où il exerce divers métiers: tisserand, cordonnier, fabriquant de peignes (pour métiers à tisser), et souvent berger auprès de Pèire. À San Mateo, Pèire Maury rend visite à Pèire et Raimond Issaura de Larnat, et à  Pèire Maury, frère de Guillemette. À Lérida, il retrouve le forgeron Bernat Servel et son épouse Esperte de Tarascon. À  Juncosa, il visite Mersende Marty, sa tante qui s’installera ensuite à Beceite avec sa fille Jeanne et l’époux de celle-ci, Bernat Befayt. Quant à son autre tante, Guillemette Maury, souvent citée, une fois veuve elle s’installera à Ortas avec ses deux fils Jean et Arnaud. Les paroles simples et sincères de Pèire Maury nous transportent avec force émotion dans le quotidien de cette petite diaspora spirituelle soucieuse de faire sa bonne fin, en quête de l’entendensa del Bé .

Le chrétien, un humain comme les autres?

Il m’a paru intéressant de poser cette question en tant que croyante du XXIe siècle afin de m’aider à inscrire notre spiritualité dans le monde actuel, sans en oublier ses racines. Évidemment, il est clair qu’un croyant cathare d’aujourd’hui n’est pas porté par l’ultime espérance de la consolation qui libère l’âme et la rend pour l’éternité au Royaume de Dieu. Évidemment notre pensée rationnelle et nos connaissances scientifiques nous empêchent d’adhérer à certaines de leurs interprétations cosmogoniques et nous obligent à confondre leurs croyances superstitieuses et religieuses, reliquat d’un paganisme persistant. Mais l’essentiel qui nous relie à eux est bien toujours le même: c’est cette foi, c’est la volonté de se fier au principe du Bien envers et contre tout le  Mal qui habite ce monde, et même si le long chemin vers l’entendement du Bien est une quête plus personnelle, il s’agit toujours d’accomplir sa bonne fin, il s’agit de retrouver la pureté divine originelle qui seule peut mettre fin au cycle répétés des transmigrations.

« Le catharisme est la seule spiritualité où l’on ne peut sauver que soi, et encore très difficilement »: Guilhem de Carcassonne, prêche du 11 août 2024.

Évidemment, le chrétien est un être humain comme les autres et les Bons Hommes le savaient bien. Malgré l’admiration que leur portaient leurs croyants, la Règle était là pour les exhorter à l’humilité, le service mensuel — tel que nous le connaissons aujourd’hui — était là aussi pour leur rappeler qu’eux seuls étaient des pécheurs car conscients de leurs fautes en tant que consolés. Seuls leurs détracteurs les taxèrent de Parfaits pour mieux les dénigrer, seuls leurs croyants les appelèrent Bons Chrétiens probablement par admiration. Mais aujourd’hui comme hier, si vous nommez ainsi un chrétien, il vous répondra sans hésiter que seul Dieu est Bon. Voilà pourquoi aujourd’hui, comme hier, le croyant consolé se nomme simplement chrétien. Il a une conscience aigüe de sa condition d’humain soumis aux manigances du démiurge, de la possibilité permanente de chuter et de perdre la pureté offerte par le Paraclet lors de sa consolation. Son détachement du monde jamais complètement accompli — sur cette terre — est probablement sa plus douloureuse entreprise. Entreprise imaginée ainsi par Henri Gougaud: ce sont les paroles du maître Félip d’Alayrac à son élève Guilhem Bélibaste: « J’ignore si nous serons un jour sauvés, si même ce mot n’est pas  dénué de sens. Mais je sais que nous devons traquer un trésor toujours plus lointain, inaccessible, illusoire sans doute, simplement parce qu’en notre vie ne nous fut pas donné d’autre chemin, d’autre choix que cette folie. À la poursuite de cette chimère, il te faudra traverser toutes les montagnes, tous les déserts, toutes les tempêtes, tout ce que la géographie des rêves peut élever d’obstacles. De temps en temps tu redresseras l’échine et te révolteras contre l’invisible cravache qui te pousse en avant. Parfois, au seuil d’une nuit effrayante, tu refuseras d’avancer, comme font les ânes rétifs. Mais partout où tu devras passer en quête du trésor qui n’existe pas, même à travers flammes, de gré ou de force tu passeras. Ne cherche aucune raison à cela, il n’y en a pas. Il n’y a pas de sens, Guillaume. Il n’y a qu’un espoir sans objet à porter sur un chemin sans fin ». Notre conteur avait bien compris  le lâcher prise, façon cathare.

En croisant, au cours du récit de Pèire, les Bons Hommes de l’équipe de l’Ancien, on se rend heureusement compte qu’ils s’agit bien d’humains avec leurs faiblesses et leur petits défauts mais, des conflits connus entre les Bons Hommes (Amiel de Perles contre Pèire-Raimond de Saint-Papoul, Andrieu de Prades contre les frères Autier, etc.), on retiendra que, malgré la hauteur de spiritualité exigée d’eux, les chrétiens ne peuvent se maintenir en permanence au-dessus de la condition humaine, étant tout simplement eux-mêmes des humains. Ils appréhendent cette condition comme un garde-fou utile exhortant à l’humilité permanente: « Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » a dit l’apôtre Paul. Bélibaste, le berger devenu chrétien malgré lui, même s’il faillit gravement à sa mission au point d’être déchu de son état de chrétien, était sans contexte doté de cette foi cathare qui lui donna le courage d’affronter la mort  sans abjurer et de « passer à travers les flammes ».

Bélibaste , le Bon Homme « près de ses sous »

La foi des croyants de la petite communauté ne les aveuglait pas quant aux faiblesses de leur seul guide, plusieurs témoignages nous le prouve bien. Comparé aux figures marquantes disparues notre pauvre Bon Homme ne gagnait pas au change: « Le Monsieur de Morella ne sait pas prêcher. Mais quand on entendait prêcher les Messieurs Pèire et Jaume Autier, c’était une gloire. Ceux-là savaient prêcher! »  avait dit Pèire à Arnaud .

Ils étaient plusieurs aussi à relever son avarice, jusqu’à son fidèle ami Pèire. Ce dernier lui confiera en effet que sa tante Guillemette le traitait de « menudier », c’est-à-dire d’avare, « […] et pour cette raison, il irait avec eux de sou en sou ».

C’est Pèire encore, qui dans sa déposition relate à l’inquisiteur les confidences du Bon Homme Raimond de Toulouse, colporteur de mercerie et forgeron à l’occasion auprès de Bernat Servel à Lérida. « Il (Raimond) me dit qu’il était resté avec Guillaume Bélibaste à Morella. Ils ne s’étaient pas bien entendus au sujet des dépenses car, disait-il, Guillaume était très avare, et lui Raimond ne pouvait pas travailler autant que lui […] »
Un chrétien, nous le savons doit faire vœu de pauvreté. Comme nous, Bélibaste était sur le chemin.

Bélibaste, le superstitieux

Le milieu socio-culturel de Bélibaste nous aide à comprendre ce penchant diffus dans les croyances des  cultures orales, qui se transmettent de génération en génération. On n’imaginerait pas un Pèire Autier, l’autorité religieuse de référence pour la plupart des croyants, ni un autre chrétien lettré d’ailleurs, dans une des situations telles que celles rapportées par Pèire Maury.

Lorsque Bélibaste révèle à son ami berger ses inquiétudes au sujet du voyage qu’il a promis de faire à Arnaud Sicre, le Bon Homme a auparavant consulté un sorcier censé deviner les présages de ce voyage. La narration de Pèire  ne manque pas d’être cocasse: « Il (le sorcier) prit un soulier de l’hérétique et mesura avec ce soulier en partant de l’âtre où l’on faisait le feu jusqu’à la porte de la maison. Et, d’après ce que disait ce sorcier, en faisant cette mesure avec le soulier, si tout le soulier ou la plus grande partie, à la dernière mesure, sortait de la porte de la maison, cela signifiait que si l’hérétique y allait, il n’en reviendrait pas; mais si la moitié ou tout le soulier restaient à l’intérieur du seuil, cela signifiait que s’il y allait, il reviendrait ».
L’augure s’avéra mauvaise car tout le soulier avait dépassé le seuil de la porte. Mais Bélibaste, tenant à honorer la promesse faite à Arnaud Sicre décidait finalement de faire le voyage déclarant que « si Dieu, son Père le demandait, c’était l’heure d’aller à lui ». Comme nous, Bélibaste était sur le chemin, mais il  ne doutait pas de son Dieu et ne manquait pas de courage.

Pèire assista en personne à cette autre scène alors qu’ils étaient de retour vers la France, sur le chemin du piège conçu par Arnaud Sicre.
Entre Agramunt (Catalogne) et Lérida, une pie traversa trois fois le chemin devant les marcheurs en jacassant. Le Bon Homme dit alors: « Saint-Esprit, aide-nous! ». Bélibaste avait entendu son père dire que c’était mauvais signe quand les oiseaux traversaient la route par laquelle on devait passer. Il fut arrêté quelques heures après . Qui se dit sourd à tous les signes? Comme nous, Bélibaste était sur le chemin.

Bélibaste et le mariage

Même si l’on sait que  les Bons Hommes prêchaient contre le culte des saints, contre tous les cultes superstitieux de l’Église romaine, contre ses sacrements, notamment celui du mariage, le fait de s’en remettre aux conseils d’un chrétien avant de conclure un mariage parait avoir été un fait coutumier des croyants en exil. Il était crucial pour les derniers chrétiens itinérants de connaitre des maisons fidèles dans lesquelles les deux époux, dans l’entendement du Bien, assuraient la perpétuation de l’Église. Le Bon Homme lui-même l’explique ainsi: « Les gens de ce pays sont si fiers: dès qu’ils sont mariés, ils veulent se séparer de leurs parents. Si leurs femmes n’étaient pas de la « entendensa », nous ne pourrions pas mettre le pied chez eux, et s’ils étaient malades, nous ne pourrions pas faire que leurs épouses s’éloignent de leur lit, et nous ne pourrions pas les recevoir […] »

  • Le mariage de Pèire Maury

Le Bon Homme dit un jour à son ami berger: « Vous ne pourrez pas toujours papillonner. Moi, je vous conseillerais de prendre une femme qui serait de la entendensa et de rester avec elle. […] Si l’un de vous était malade, l’autre pourrait envoyer nous chercher pour que le malade soit reçu ».
On notera, une fois encore, cette préoccupation omniprésente de la nécessité de la Consolation aux mourants comme seule issue possible vers le salut.

Mais on sait que Bélibaste entretenait un plan précis: Raimonde et lui s’étant attachés l’un à l’autre et ayant entretenu une relation sexuelle, le Bon Homme se trouvait alors face à une future paternité totalement incompatible avec son statut de chrétien (dont il était d’ailleurs déchu par son péché de chair). Pour tenter de sauver l’honneur, il n’avait trouvé d’autre solution que de faire endosser cette paternité à son plus fidèle compagnon. Malgré l’attachement porté à sa liberté, Pèire finit par céder: « Et comme il insistait encore pour que je prenne femme, je lui demandai quelle femme lui paraîtrait bonne pour moi. Il me répondit que cette Raimonde, qui demeurait avec lui serait bonne pour moi ». La pratique des faux couples pour ne pas éveiller les soupçons de  l’Inquisition étaient alors couramment utilisée dans la clandestinité. Pèire raconte encore: « Quand nous fûmes rentrés à Morella, il parla à Raimonde à part puis, alors que nous étions près du feu, et qu’il faisait déjà nuit avant le dîner, il dit, à Raimonde et à moi, que dans le saint mariage, les Bons Hommes ne faisaient qu’entamer le propos, et qu’alors les croyants se mettaient d’accord sur le mariage à faire, s’ils le pouvaient, en présence des Bons Hommes […] Ceci dit, je demandai à Raimonde si elle voulait bien que je fusse son mari; elle me répondit que oui et nous ne dîmes ni ne fîmes rien de plus. C’est ainsi qu’eut lieu le mariage entre Raimonde et moi, en présence de l’hérétique et de Guillemette, la fille de Raimonde ».

On ne peut néanmoins voir notre berger comme la dupe du chrétien. C’est probablement par amour-propre, tant pour lui que pour sa religion, qu’il présente à l’inquisiteur les faits sous le jour le moins ridicule. En effet,  ses propos ultérieurs ne laissent aucun doute à ce sujet. Alors qu’il se trouve chez sa tante Mersende en présence de Blanche, la sœur de Raimonde, cette dernière  leur confie qu’elle avait surpris les deux amants dans une position univoque. Ce qui lui arracha le cri: « A na  Malnada! Tu as mis le désordre dans toute l’affaire de la saint Église! » Alors que notre merveilleux berger au-dessus de ces humaines faiblesses, invite Blanche à se taire  sur tout cela qui « n’était rien », Blanche étaie alors son propos par une nouvelle confidence: « […] en raison du fait qu’il avait connu ainsi charnellement Raimonde, il s’était fait ré-hérétiquer par l’hérétique Raimond de Toulouse; et cela,  elle l’avait entendu dire à sa sœur Raimonde ».

Mersende, quant à elle clôt ainsi le chapitre: « Oh oh! Mon neveu, ce n’est pas étonnant que l’hérétique et Raimonde t’aient plumé et qu’ils n’aient pu te supporter! » Pèire participa donc bien à son mariage en toute connaissance de cause, et de plus eut la grandeur d’âme de ne tenir aucune rigueur à son ami qui, trop jaloux pour supporter la situation, délia les liens quelques jours après. Notre Bon Homme reconnaissant devant le berger qu’il pensait avoir mal agi en provoquant cette union, et la déliant « de la part de Dieu » dépassa les bornes de la bienséance jusqu’à proposer à son ami de lui envoyer l’enfant, fille ou garçon, qui pourrait naître de ces liens rompus! On notera la hauteur de vue du berger qui, ici comme dans bien d’autres situations, nous prouve qu’il a tout compris à la loi d’Amour, celle dont Guilhem de Carcassonne dit: « Elle ne juge pas, ne pardonne pas , elle excuse, mieux , elle ne ressent pas l’offense ».

  •     Le mariage de la sœur d’Arnaud Sicre

Arnaud Sicre (aussi nommé Arnaud Baille du nom de sa mère) errant jusqu’en Catalogne, à la recherche d’hérétiques à « vendre » à l’inquisiteur, dans le but de récupérer les biens de sa mère confisqués pour fait d’hérésie, imagina ce piège afin de faire tomber le dernier chrétien.

Dans sa déposition Pèire raconte  qu’Arnaud Baille avait dit à l’hérétique qu’il avait une tante qui habitait du côté de la Seo d’Urgel: « C’était une femme très riche, et elle avait dit que dans ce pays-là se trouvaient deux Bons Hommes, qui devaient venir auprès d’elle vers la fête de Pâques ».
De plus vivait avec cette tante une des sœurs d’Arnaud, et la tante tenait beaucoup à la donner en mariage à un croyant: « Elle avait dit que tout se fasse du conseil de l’hérétique et il semblait que les conditions requises par sa tante, Arnaud Maury, le fils de Guillemette, les remplissait car il était un bon croyant, et c’était aussi un jeune homme capable ».

Voici comment le suppôt de l’inquisiteur tendit diaboliquement les filets du piège qui devaient perdre le Bon Homme. Bélibaste pouvait d’une part chapeauter un mariage entre personnes de l’entendement  tel qu’il le conseillait à ses croyants, et, d’autre part rencontrer deux autres Bons Hommes qui auraient pu le sauver de sa déchéance. Nous devons, ici, nous rappeler que deux Bons Hommes réunis, à eux seuls sont l’Église. Dans cette période de danger permanent, en cas de manquement désespéré à la Règle, l’un des deux religieux est ainsi toujours dans la capacité de réconcilier son compagnon, c’est-à-dire de le consoler à nouveau, sauver son âme et son ministère. Anne précise dans Le dernier des cathares que cette pratique n’a rien d’hérétique et est appliquée aussi bien par les religieux catholiques. On sait, selon les propos de Blanche, que Raimond de Toulouse avait « sauvé » Bélibaste une première fois. On peut voir là, un recours à des manières d’urgence d’une Église moribonde car au temps de l’Église en paix comme au temps de l’Église de Pèire Autier, même l’Ancien n’avait pas le pouvoir de réconcilier un chrétien ayant péché contre l’Esprit ou contre l’Église. Pour cela, le Bon Homme Amiel et les deux jeunes Bons Hommes Pons Bayle et Pons de Na Rica ayant fauté furent envoyés près du diacre Bernat Audouy, seul  apte à  les réconcilier par une nouvelle Consolation.

Bélibaste, ayant de nouveau rompu son vœu de chasteté, avait de nouveau perdu son statut de chrétien. Seul, un autre chrétien pouvait le consoler. Ce voyage, même s’il s’annonçait mal était quand même pour lui symbole de Salut. C’est ainsi que fut fait, confie Pèire Maury, le contrat entre Arnaud Sicre et Arnaud Maury, « par l’entremise et l’arbitrage de l’hérétique et de moi-même, selon lequel la tante d’Arnaud donnait en dot à la sœur d’Arnaud 100 livres de Barcelone et deux mulets ». Ce mariage n’eut donc jamais lieu puisqu’il n’était qu’un prétexte à faire revenir Bélibaste  sur les terres soumises à l’autorité de l’archevêque de Narbonne pour pouvoir l’arrêter.

Bélibaste, arbitre des conflits 

L’Église cathare récuse formellement la peine de mort, quel que soit le crime commis. Elle récuse de même tout jugement selon le précepte évangélique « Ne juge pas, et tu ne seras pas jugé ». À la justice civile elle substitue un système de règlement amiable entre croyants au sein duquel la hiérarchie de l’Église a un rôle à jouer. En cas de crime, elle se garde bien de remettre à la juridiction adéquate le croyant coupable: elle l’oblige — pénitence suprême — à se faire ordonner (cf. Gaucelin de Miraval, 1195;  Guilhem Bélibaste, 1308) 9

« C’est au nom de la vérité que l’on s’abstient de juger. En effet, qui peut prétendre détenir la vérité au point de pouvoir émettre un jugement valable et durable? » Guilhem de Carcassonne, prêche du 11 août 2024.

  •  Le cas de Jeanne la non-croyante

À Beceite, la tante de Pèire Maury vivait avec sa fille Jeanne et l’époux de Jeanne, Bernat Befayt. Or, dans cette maison, seule Jeanne était non-croyante, ou plus exactement avait perdu la foi dans l’exil. Perdurait au sein de la maison un climat de violence et de haine, la fille menaçant sans cesse de livrer sa mère  aux flammes. Au sein de la communauté, grandissait un climat de méfiance à l’égard de Jeanne susceptible de les faire tous arrêter. Au point que certains d’entre eux, envisageant l’assassinat de la non-croyante « possédée »,  choquèrent tant notre berger qu’il  décida de prendre conseil auprès du chrétien. Celui-ci répondit: « Il est bon que nous délibérions sur ce qu’il faut en faire, soit qu’on l’emmène quelque part loin de nous, soit qu’on la ramène à Montaillou, d’où elle vient […] On doit enlever la mauvaise ronce et planter à la place un bon figuier» (Matthieu. 7, 16-19). Et, après une ultime délibération entre croyants, la dernière réponse du Bon Homme au berger fut: « Que les croyants fassent de cette Jeanne ce qui leur semble bon. J’ai déjà fait connaitre mon opinion, et il serait temps que les croyants cessent de tergiverser ».

  • Le cas de Jean, frère de Pèire

Guilhem Bélibaste ne joua pas vraiment de rôle  dans ce conflit entre Pèire Maury et sa tante Guillemette, si ce n’est pour exprimer quelques remarques sur sur cet « emalezitz»10 qui ne voulait rien savoir du Bon Homme,  refusant  tour à tour de recevoir son pain bénit et de lui offrir un mouton. Tombé  malade, fortement sollicité par la communauté à faire sa bonne fin, il se montra à nouveau rétif et seul Pèire se montra respectueux de sa décision. Comme nous l’avons vu pour Jeanne, la situation précédente se répéta dans le cercle des croyants, et c’est la tante Guillemette qui proféra les paroles assassines pensant son neveu « possédé par le démon ». Le Bon Homme Bélibaste, probablement par respect pour son ami berger, ne prit pas partie. L’affaire heureusement finit bien car Jean guérit. Mais il est intéressant d’observer dans ce microcosme replié sur lui-même, comme les humains, sous l’emprise de leurs sentiments, peuvent  juger et condamner  sans aucune bienveillance. Un être bienveillant, ici en la personne de Pèire, a dans ce cas une importance capitale dans le règlement du conflit.

Bélibaste, le dernier Bon Homme de l’Église clandestine

C’est donc probablement pour tenter une nouvelle fois sa réconciliation avec l’Église que notre Bon Homme déchu courut à sa perte:  il s’agissait de trouver un autre chrétien, seul apte à le consoler, c’est-à-dire à l’affranchir de sa faute contre l’Esprit . On connait tous la fin. Il est intéressant néanmoins de faire une incursion rapide dans la déposition du traitre responsable de cette fin, même si ses propos sont à considérer avec beaucoup de prudence. En effet le traître, agent de l’Inquisition, comparaissait néanmoins pour hérésie et devait donc démontrer qu’il n’avait à aucun moment adhéré au catharisme. Arnaud Sicre confie à l’inquisiteur: « Quand nous fûmes à Castelbon11, l’hérétique et moi, nous avions le même fer aux pieds et nous étions seuls au sommet de la tour la plus haute du château. L’hérétique me dit: « Si tu pouvais revenir à de meilleurs sentiments, et te repentir de ce que tu as fait contre moi, je te recevrais12, puis tout deux, nous nous précipiterions au bas de cette tour, et aussitôt mon âme et la tienne monteraient auprès du Père céleste, où nous avons des couronnes et des trônes tout préparés, et quarante-huit anges portant des couronnes dorées avec des pierres précieuses viendraient chercher chacun de nous pour le conduire au Père. »

Henri Gougaud réécrit cette scène :
« Arnaud, si tu le veux, cette nuit nous mourrons ensemble, comme deux frères inséparables. Nous nous jetterons du haut de cette tour et nous tomberons tout droit aux pieds de Dieu. Nous serons jugés. Je plaiderai pour toi. Tu sais que je parle bien quand il le faut. Tu seras sauvé, je te le promets. Tu n’auras plus à souffrir de tes méchancetés, tu n’auras plus peur, tu seras libre ».

À fréquenter le registre de Jacques Fournier, j’ai le sentiment d’avoir partagé une certaine intimité avec les  exilés de Montaillou. Mais je ne peux la faire perdurer à l’infini. Je salue le Bon Homme Bélibaste, le Bon Homme qui suivit jusqu’au bout le chemin, le Bon Homme dans lequel chacun et chacune d’entre nous peut se reconnaître.  Merci, Bonhomme, de nous  avoir  convié à partager avec vous  une part commune de notre humanité!

© Chantal Benne 29/08/2024


Notes.

-1. Cubières-sur-Cinoble: petite commune de l’Aude dans le massif des Corbières

-2. Anna Brenon, « Le dernier des cathares Pèire Autier » Perrin éditions, collection tempus

-3. Henri Gougaud, « Bélibaste », Éditions du Seuil, points

-4. Félip d’Alayrac , lettré de Coustaussa en Razès, lui aussi fut ordonné en Italie

-5. Jaumeta, Anne Bourrel de son nom civil, originaire de Limoux, tenait rue de l’Étoile à Toulouse une des dernières maisons de l’Église. Selon Anne, elle se rendait chez ses croyantes, et aurait hasardé dans la ville une pastorale féminine assez analogue à celle qu’un siècle plus tôt pratiquaient les Bonnes Femmes. Sa compagne, Cerdane Faure, formant un faux couple avec le passeur Pèire Bernier pour donner une respectabilité catholique à la maison de l’Étoile, changera de nom et s’appellera Esclarmonde, ce qui fait supposer à Anne Brenon qu’elle avait peut-être suivi un début d’initiation chrétienne et qu’elle mourut en chrétienne.

-6. Michel Roquebert, Patrice Teisseire-Dufour, « Cathares encyclopédie d’une résistance occitane », Privat éditions 2024

-7. Le Mur est décrit dans l’appel lu par les neufs consuls de Carcassonne devant un chapitre des Prêcheurs, à l’inquisiteur Galand, en 1285: « Vous avez fait une nouvelle prison, qu’on appelle le Mur, et qui mériterait mieux d’être appelée l’Enfer. Vous y avez construit en effet beaucoup de petites pièces pour tourmenter et supplicier les gens par diverses sortes de tortures. Certaines sont si obscures et si privées d’air que ceux qui y sont ne peuvent discerner s’il fait nuit ou s’il fait jour. Dans d’autres, les malheureux ont les pieds immobilisés, tant par des fers que par des entraves de bois; ils ne peuvent pas bouger, ils font et urinent sous eux, ils ne peuvent se coucher que le dos sur la terre froide, et ils restent longtemps dans ce supplice, nuit et jour. Dans les autres endroits de la prison, non seulement on manque de lumière et d’air, mais aussi de nourriture, sauf le pain et l’eau de douleur, qui ne sont même donnés que très rarement ». ( cf. encyclopédie d’une résistance occitane)

-8. « A na malnada! : Madame la bâtarde!

-9. M. Roquebert op cite note 6 et 7

-10. « emelezitz »: devenu mauvais

-11. Je te recevrai dans l’Église, c’est-à-dire je ferai de toi un chrétien

-12. Castelbon

D’Ax à Montaillou : Philippe d’Alayrac

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D’Ax à Montaillou
le bon-homme Philippe d’Alayrac en Haute-Ariège.

Philippe d’Alayrac (ou Talayrac) originaire de Coustaussa (11), après avoir été ordonné en Sicile par le fils majeur Raymond Isarn, devint à son retour en Languedoc un des membres de l’Église cathare de la reconquête (1300-1310). Les obligations de son ministère, l’amèneront par deux fois à Montaillou (09), où il est signalé au cours de l’hiver 1305 et en 1308.

Ax (-les-Thermes), début du XXème siècle.

Devant se rendre en cette localité isolée mais n’en connaissant pas le chemin, Philippe d’Alayrac et son compagnon de marche Bernard Bélibaste, firent donc halte à Ax (-les-thermes 09) chez la fervente croyante cathare et actif agent de « l’entendensa del be »[1] Sibille Baille (ou Bayle), afin d’y trouver un guide.[2]
Aussitôt, pour répondre au désir de ses hôtes, Sibille sollicita le concours du berger Montallionois, Pierre Maury.

Celui-ci, au travers de sa déposition du 25 juin 1324 devant l’inquisiteur et l’évêque de Pamiers Jacques Fournier[3], nous dit :

« Alors une nuit d’hiver, […] Bernard Baille, le fils de Sibille, vint à moi, et me dit d’aller chez eux. Nous allâmes incontinent tous deux à la maison de Sibille, et quand nous y fûmes, Bernard resta en dehors de la maison […]. Moi je montai à l’étage, et je trouvai dans la foganha[4] de la maison, assis, l’hérétique Philippe d’Alayrac et Bernard Bélibaste. […]
[…] Elle (Sibille) me répondit qu’il fallait à tout prix que je revienne cette nuit-là, car ces gens-là (l’hérétique et Bernard) devaient repartir vers Montaillou. Ils ne connaissaient pas le chemin et c’est pourquoi il fallait que je les y mène.
[…] et vers l’aurore, nous nous levâmes tous […] Sortant de la maison, l’hérétique, Bernard Bélibaste et moi partîmes vers Sorgeat, puis montant par la côte que l’on appelle Lasitardor, nous allâmes vers Montaillou. »

Sorgeat, début du XXème siècle.

C’est donc le trajet Ax-Montaillou par Sorgeat que je vais essayer de vous décrire.

Pour bien visualiser le cheminement de nos marcheurs, je conseille d’associer la description ci-dessous avec un suivi sur les cartes IGN Classiques et de l’état-major (1820-1866) du site Géoportail.

Cependant, il faut dire qu’il est difficile de retrouver les chemins qui ont pu être empruntés au moyen-âge ; la plupart ont disparu ou ont eu leur tracé modifié. L’idée n’est pas ici, de certifier un parcours, mais plutôt de proposer une possibilité, par une combinaison de différents sentiers figurant sur les cartes citées ci-dessus.
L’itinéraire grossièrement mesuré sur le site internet Géoportail (de l’IGN) étant d’un peu moins d’une quinzaine de kilomètres, et la vitesse moyenne d’un marcheur expérimenté en montagne étant de 4 kms/h [5], la durée du trajet de nos voyageurs, dû être — en prenant une bonne marge —, d’environ 5 heures, pour parcourir la distance d’Ax aux abords de Montaillou.

Pierre Maury ayant obtenu l’autorisation de son patron de pouvoir se rendre à Montaillou à la condition expresse qu’il fût revenu à none (neuvième heure du jour selon la liturgie chrétienne des heures, soit environ 15 heures chez les catholiques)[6] et sachant qu’il faut environ une dizaine d’heures pour faire l’aller-retour, le départ a donc eu lieu aux alentours de 5h00-5h30, « vers l’aurore, nous nous levâmes tous » nous a dit le berger.
Ainsi, en tout début d’une journée de l’hiver 1305 (il est à noter que le voyage se fera contrairement aux précautions prises à cette époque, de jour), par mauvais temps, Philippe d’Alayrac, Bernard Bélibaste et leur guide quittent le domicile des Baille et prennent la direction de Sorgeat (09).

Sorgeat, la route menant au lieu-dit Pragelat.

Pour ce faire, ils montent par les lacets de l’actuelle D613 qui serpentent au milieu des quartiers modernes d’Ax du nom de, le Bosquet et les Cascatelles, puis, aux environs du lieu-dit la Calmeraie, suivent une sente qui les amène (d’après la carte d’état-major) directement — c’est à dire presqu’en ligne droite —, au bourg susnommé.
Après l’avoir traversée le trio emprunte, à la sortie Nord-Est de la localité, le chemin qui passe par le lieu-dit Pragelat. Parvenus à celui-ci, à quelques 850 m de la sortie de Sorgeat, l’hérétique et ses croyants prennent alors, à leur gauche, un chemin (dont il n’existe plus que le départ aujourd’hui) qui file vers le Nord. Puis, ayant marché près du bord Ouest du plateau rocheux de Teychounières, traversé le bois de Monafaille et doublé le Pla du Mont (1705 m.) par sa gauche, nos voyageurs arrivent au Col d’Ijou. Ce dernier franchi, 450 m. plus loin, la petite équipe bifurque vers l’Est et suit alors le sentier passant par le lieu-dit la Coume Fraiche, le bois de Sahuquet, et après avoir traversé le ravin ainsi que le ruisseau de ce même nom, rejoint le lieu où se trouve aujourd’hui le refuge « la cabane de Sorgeat » (1571 m.). De là, la sente sinue sur une zone désertique en direction du septentrion (Nord), au bout de laquelle se présente le Col de Balaguès, point de jonction des GR 107 et 7B. Le col traversé, le bon-chrétien et ses compagnons marchant alors sur le chemin GR 7B-GR 107 après être passés entre, à leur gauche le Sarrat d’Artuzet (1703 m.) et à leur droite, le Sarrat de l’Assaladou (1721 m.), pénètrent dans la forêt domaniale du pays d’Aillou. C’est à cet instant, après plusieurs heures d’une rude marche[7], que le berger et ses amis décident de faire une pause pour déjeuner à l’abri des arbres.

L’arrivée à Montaillou par la variante Est du GR 7B – GR 107.

Voici ce que nous dit Pierre Maury au sujet de cet intermède :

« Quand nous fûmes en haut de la côte de Lasitardor[8], nous fîmes du feu, et nous déjeunâmes, car l’hérétique dit qu’il n’était pas bon que nous entrions dans Montaillou autrement que de nuit […] Au début de la table, il bénit le pain à la manière hérétique […] sans se lever et sans mettre un bout de serviette sur l’épaule, […] disant que dans les bois on doit être prudent, et se garder d’être vu de quelqu’un qui arrive subitement dans le bois. Et il ne prêcha pas car il avait des coliques. »

Le repas terminé, le trio attend sans doute la tombée du jour (ce qui au départ n’était pas prévu) sur le lieu même du pique-nique. Puis à nuit noire, le guide et ses amis reprennent le sentier qui longe alors le ruisseau de Balaguès et, après avoir parcouru les 2 kms restants, arrivent à destination.

Conclusion

La description du chemin menant d’Ax à Montaillou nous a permis de découvrir un des nombreux parcours suivis tant par la population de la Haute-Ariège que par les bons-hommes de la dernière Église cathare en Languedoc. Elle nous à également révélé que le col dénommé aujourd’hui de Balaguès était, au moyen-âge, appelé la côte de Lasitardor.

© Bruno Joulia 2024


[1] Les croyants cathares des XIIIe et XIVe siècles appelaient secrètement leur foi l’entendensa del Be, l’entendement du Bien. Anne Brenon. https://www.historia.fr/societe-religions/histoire-des-religions/les-cathares-accuses-detre-agents-du-mal-2051071

[2] Sibille Bayle sera brûlée vive en 1308. Jean-Louis Gasc. https://www.historia.fr/societe-religions/histoire-des-regions/sous-linquisition-xiiie-xve-siecles-sus-aux-mecreants-2049514

[3] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers) 1318-1325, tome III, traduit et annoté par Jean Duvernoy, Mouton éditeur, Paris, La Haye, New-York 1978, les informations qui ont servi à l’écriture de cet article se trouvent dans les pages 948, 949, 950 et 951.

[4] Foganha « foyer, pierre de l’âtre, cuisine »  https://www.etymologie-occitane.fr/2011/11/foganha/

[5] Voir tableau niveau du randonneur, du paragraphe « estimer son temps de parcours ».

[6] None est la prière chrétienne de la neuvième heure du jour (15 h) dans la liturgie des Heures. https://fr.wikipedia.org/wiki/None_(office)

[7] « Nous ne rencontrâmes aucun croyant, et en chemin l’hérétique ne prêcha pas vu la dureté du chemin et le mauvais temps » Pierre Maury, déposition du 25 juin 1324, in Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier (1318-1325), tome III, page 950.

[8] On trouve aussi « Lasitardor ». Peut-être fautif pour Lasilador, ou Lasalador, actuellement mont l’Assaladou, lieu-dit de Sorgeat. Jean Duvernoy, in Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers 1318-1325), tome III, note n°58, page 1027. Il est à signaler que juste à côté du Sarrat (mont) de l’Assaladou, se situe le Col dénommé aujourd’hui de Balaguès, raison sans doute pour laquelle ce dernier devait  être appelé, au moyen-âge, la côte de Lasitardor/l’Assaladou.

Exposition à Lavelanet du 3 au 15 août 2024

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Exposition à Lavelanet du 3 au 15 août 2024

Affiche de l’expo.

Cette exposition sera l’occasion pour Annie Cazenave (Dre en Histoire de l’art, Dre en Histoire, ancienne chercheuse au CNRS), Anne Brenon (Archiviste paléographe, ancienne directrice du Centre d’études cathares-René Nelli, auteure de nombreux livres sur le catharisme) et Jean-Louis Gasc (auteur de livres sur les cathares et Montségur, photographe, ancien guide-conférencier à la cité médiévale de Carcassonne), de tenir des tables-rondes pour faire le points sur les nombreuses activités négationnistes anti-cathares qui ont fleuri ces dernières années.

Jacques Autier dans les Corbières

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De la traversée clandestine des Corbières, par le bon-chrétien Jacques Autier…

Jacques, fils de Pierre Autier l’ancien de l’Église cathare de la reconquête (1300-1310), suivant fidèlement la voie de son père, reçoit de celui-ci le consolament[1] d’ordination en 1301. Devenu dès lors un « hereticus perfectus[2] » de grand talent (on disait qu’il prêchait comme un ange) il va visiter, prêcher et consoler inlassablement les croyants, jusqu’à son arrestation (fruit d’une vengeance) avec son socius Prades Tavernier au début de septembre 1305. Parvenus à s’évader de la prison inquisitoriale de Carcassonne (appelée le Mur), après une brève incarcération, on retrouve les fugitifs à Quié (Ariège : 09), Ax (09) et Arques (Aude : 11), en 1306.

Après que son compagnon, Prades Tavernier, l’eut devancé de quelques jours, Jacques Autier arriva une nuit à Arques. Alors que Pierre Maury était auprès des moutons de Raymond Peyre, ce dernier l’envoya chercher et lui fit dire de venir d’urgence à son domicile. Le berger de Montaillou (09) trouva alors à sa grande surprise, auprès du feu, l’hérétique et Pierre Montaniè, un croyant de Coutaussa (11), qui lui avait servi de guide, ainsi que Raymond Peyre lui-même, sa femme Sibille et la mère de celle-ci. Le maître de maison cachant déjà son condisciple, au moins épisodiquement, il fut sans doute décidé que le bon-homme nouvellement arrivé devait être amené chez un croyant sûr, en la localité de Rieux-en-Val (11).

C’est le trajet que je vais tenter de retracer.

Sortie d'Arques (11)
Sortie d’Arques (11)

Pour mieux découvrir le parcours, je conseille d’associer le texte ci-dessous avec un suivi sur les cartes IGN Classiques du site Géoportail.

Toutefois, il faut rappeler, que l’exercice consistant à retrouver les chemins et les sentiers empruntés au moyen-âge, relève de la gageure. La plupart ayant disparu, ou ayant eu leur parcours modifié, il est moins ici question d’affirmer un trajet que de d’ébaucher une probabilité.

En 1323, au travers de sa déposition devant l’inquisiteur et l’évêque de Pamiers Jacques Fournier[3], Pierre Maury nous dit :

« Longtemps avant le jour, nous nous levâmes, moi, Jacques l’hérétique, et Pierre Montanié. Raymond Peyre prêta un mulet à l’hérétique, et nous allâmes, moi, l’hérétique, et Pierre Montanié, à Rieux-en-Val (11220). Quand nous sortîmes de chez lui, Raymond Peyre, nous dit de saluer pour lui tous les amis. Nous allâmes par la Calm de Linas[4] à Rieux-en-Val, et vînmes chez quelqu’un de cette ville dont j’entendis dire par la suite qu’il s’appelait Guillaume de Rieux. Ce fut la première maison détruite de la ville quand Jacques Authié fut arrêté pour la seconde fois, après être sorti du Mur de Carcassonne. »

Chemin de la ferme Las Esclauzes
Chemin de la ferme Las Esclauzes

La distance, mesurée sur le site internet de l’IGN (Géoportail), entre les communes d’Arques et Rieux-en-Val est d’environ une vingtaine de kilomètres, à vol d’oiseau.
Mais pour tenir compte, au plus près, des réalités du terrain, j’ai rajouté la moitié de la distance mesurée, en détours et sinuosités, pour alors obtenir un total plus pertinent d’une trentaine de kilomètres.
La vitesse d’un piéton étant d’environ 5 km/h, le trio a donc dû parcourir la distance en 7 heures ou 7h30, c’est à dire 6 heures de marche au minimum, avec une 1 heure (ou moins) de pause.

En ces temps de traque intense, les trajets s’effectuaient intégralement de nuit par mesure de sécurité.

L’arrivée à Rieux-en-Val s’étant logiquement produite avant l’aube (5h30 heures ?), le départ d’Arques a donc dû s’opérer aux alentours de 22 heures (?), en tout cas « Longtemps avant le jour », comme le dit le berger de Montaillou dans sa déposition.

Au départ d’Arques, Jacques Autier et ses accompagnants montent par les lacets des (actuellement) D54 et D70 et débouchent, après une dizaine de kilomètres parcourus, sur la D129, près de la Font de Razouls[5].

Puis, de cette intersection, le trio chemine toujours sur la D129 quelques centaines de mètres vers l’Est, pour trouver à nouveau la D70 qui file vers Bouisse (11). Quelques 400 mètres plus loin, depuis le dernier embranchement, toujours sur la D70, l’équipage prend le chemin d’accès à la ferme las Esclauzes[6] se trouvant sur la gauche de la route et monte toujours vers le Nord-Est en passant par le lieu-dit la Rode qui se situe à l’Ouest de Bouisse. Poursuivant leur chemin, le bon-chrétien et ses guides, traversent ainsi le Milobre de Bouisse[7], contournent la Serre Male[8] et après l’avoir dépassée, bifurquent vers l’Est pour arriver au col de la Louvièro (ou Loubière).

C’est alors que s’effectue le passage par la Calm de Linas, comme déclaré par le berger ariégeois.

Dudit col, l’hérétique et ses amis suivent donc la piste qui longe la crête de la partie Ouest du massif de Lacamp[9]. Se faisant, ils traversent les lieux dits le Countadou et Porte Chéric, passent au pied du Pech Agut, pour arriver par le Pla de Vidalbe à la Calm de Linas ou plateau de Lacamp[10].

Pont romain (Rieux-en-Val)
Pont romain (Rieux-en-Val)

Après avoir franchi ledit plateau d’Ouest en Est, ils empruntent un sentier se trouvant sur la crête de la Serre de la Pène et filent vers le Nord par les lieux-dits le Roc troué et l’Arc d’en haut.
Puis comme confessé par Pierre Maury un peu plus loin dans sa déposition, le trio va gagner le vallon de Combe Gautier.

Pratiquement arrivés aux portes du bourg de Mayronnes (11), le berger, le croyant et le bon-chrétien, descendent alors dans la Combe Gautier[11] (à l’Est dudit bourg) et y font une halte pour déjeuner[12]

La pause terminée, le bon-homme et ses croyants, à la sortie de la ravine, suivent une sente jusqu’au ruisseau de Madourneille qu’ils traversent pour rejoindre à l’Ouest le lieu-dit les Plots où un chemin se dirige vers le Nord. Ce sentier passant entre les pechs de la Fage et Redonel, par les lieux-dits la Garrigue, la Farge, au pied de Serre longue et de l’Échine va les mener à proximité de leur destination.

Ne reste plus alors à la petite équipe, qu’à franchir le pont romain qui enjambe Le Sou, pour parvenir, quelques centaines de mètres plus loin, au castrum de Rieux-en-Val, but de l’expédition.

Conclusion

Retracer l’itinéraire nous a autorisé à voyager par la pensée dans le temps et l’espace, auprès des proscrits du XIVème siècle. Hormis le fait d’avoir pu partager pour quelques minutes ou quelques heures leur périple, la reconstitution du trajet a permis l’identification et la localisation précise du lieu-dit autrefois appelé la Calm de Linas.

Rieux-en-Val
Rieux-en-Val

Ainsi, vous aurez le privilège de compléter les travaux historiques tout en cheminant vraiment dans les pas des cathares, hors des « sentiers cathares » largement rebattus.

© Bruno Joulia 2024 (suivez moi sur Facebook)


[1] Terme occitan que les scribes de l’Inquisiteur appelaient consolamentum et que nous appelons aujourd’hui la Consolation.

[2] D’où l’appellation de Parfait qui est inexacte mais régulièrement utilisée

[3] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers 1318-1325), tome III, traduit et annoté par Jean Duvernoy, Mouton éditeur, Paris, La Haye, New-York 1978, pages 929.

[4] Jean Duvernoy indique n’avoir pas réussi à situer ce lieu.

[5] La Font de Razouls présente sur la carte de Cassini (1756- 1815).

[6] Ferme absente de la carte de Cassini

[7] Montagne se trouvant au Nord du village de Bouisse.

[8] Mont situé au nord du Milobre de Bouisse.

[9] L’arête sommitale du massif de Lacamp étant infranchissable, c’est afin de contourner ce dernier que la piste a été empruntée.

[10] Linas (Le), anc. fief de l’abbaye de Lagrasse, cne de Saint-Martin-des-Puits. Linars 1099 (Mah., II, 613). In Calmo de Linariis, 1237 (arch. Aude, H, suppl.). Une montaigna appellada la Camp de Lynas, 1538 (ibid., H 10, f. 137). Montagne dite de la Camp de Linas, 1540 (ibid., f. 186).
Abbé SabarthèsDictionnaire topographique du département de l’Aude. Paris, Imprimerie Nationale, 1912 ; in-4° de LXXX p- 596 pages.
Dictionnaire topographique du département de l’Aude : comprenant les noms de lieu anciens et modernes/réd. par l’abbé Sabarthès, Paris, imprimerie nationale, 1912. (Page 213 du document).
Calm=Planòl=francès: plateau (fr)
Lina n. f. (s. XIV…) linette (graine de lin), page 408 du document. Le lin pousse à l’état sauvage dans les climats tempérés à chauds (Wiki). La Calm de Linas = Le plateau aux lins, aujourd’hui le plateau de Lacamp.

[11] Souvent région. Petite vallée encaissée (CNRTL).

[12] « En cours de route, quand nous fûmes au lieu-dit Combe Gautier où nous déjeunâmes… ». « Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier » tome III page 932.

Exposition : «Cathares», Toulouse dans la croisade

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Exposition : «Cathares», Toulouse dans la croisade

Du vendredi 5 avril 2024 au dimanche 5 janvier 2025, se tient à Toulouse, sur deux sites (Musée Saint-Raymond et Couvent des Jacobins) une exposition censée informer les visiteurs sur les événements historiques médiévaux concernant Toulouse et le catharisme.

Cette initiative, a priori plutôt positive, cache en fait une manœuvre du groupe négationniste anti-cathare qui a réussi à imposer son point de vue à la municipalité de Toulouse dont j’espère qu’elle est simplement victime dans cette affaire.

Les guillemets entourant le mot cathares fournit déjà une première indication qui lisse entendre que ce mot n’a pas de réalité concrète, ce qui est l’objectif des négationniste : faire croire que le catharisme n’a jamais existé.

C’est lors de la seconde partie de la visite, qui se déroule au Couvent des Jacobins que les choses se gâtent. Voici l’annonce faite sur le site de l’exposition :

Au Couvent des Jacobins

L’autre partie de l’exposition est centrée sur la question de l’hérésie dite « cathare », donc sur l’aspect religieux de la croisade contre les Albigeois : « chasse » à l’hérésie et aux hérétiques suite à la réforme de l’Église, lutte contre l’hérésie après la croisade et inquisition, qui était menée par les frères Dominicains (ou « frères Prêcheurs »), ordre religieux qui a bâti et occupé… le Couvent des Jacobins.

Cette partie de l’exposition revient également sur l’histoire et l’utilisation des termes « catharisme » et « cathares », sujets de nombreux débats entre historiens, ainsi que sur les mythes qu’ils suscitent encore aujourd’hui.

En fait, sous couvert d’information historique, le but des organisateurs est nier la réalité du catharisme en prétendant que les cathares n’étaient en fait que des hérétiques aux doctrines et pratiques diverses, donc ne pouvant pas relever d’une même religion.
C’est comme dire que les religions judéo-chrétiennes (catholicisme, orthodoxie et tous les protestantisme) au motifs des divergences qu’elles affichent entre-elles ne peuvent être considérées comme appartenant au même groupe religieux.

Si vous décidez d’aller visiter cette exposition, prenez la peine de préparer votre intellect à analyser ce que vous lirez à l’aune de ce que viens de vous indiquer.

Voici une première réaction de Annie Cazenave, Docteure en Histoire, Docteure en Histoire de l’art et anciennement chercheuse au CNRS :

L’Exposition de Toulouse

À Toulouse  en ce moment une exposition se déploie somptueusement entre le Musée des Augustins et le Couvent des Jacobins. Consacrée à la ville « au temps des cathares » elle ferait figure d’oxymore, puisque ceux-ci étaient aniconiques, si précisément elle ne se référait pas à l’affirmation de certains médiévistes que « les cathares  n’ont pas existé ».
Cependant, une Croisade a été menée contre eux, la seule en terre chrétienne. L’exposition porte sur le premier tiers du XIIIéme s., de 1209, date de l’arrivée  des croisés,  à 1229 ,année de la signature du traité de Lorris par le comte de Toulouse. Un panneau à l’entrée explique aux visiteurs que « dans sa définition traditionnelle le « catharisme » est présent comme un courant original à part entière. Apparu au XIIéme s. en Rhénanie  il se serait propagé de l’Italie du nord  jusqu’au midi occitan »  (sic ). Escamotées les relations avec l’Orient !
Puis ce panneau se contente de nier la présence d’une hiérarchie cathare et donc d’une Église cathare, car celle-ci a été construite par des historiens en rapprochant  des groupes dissidents. Cependant, il cite le rite du consolament, « à la fois ordination et extrême onction », en omettant la pose du livre (Nouveau Testament) sur la tête du consolé. Ensuite il se contredit en mentionnant l’existence d’évêques et de « diacres », mot catholique soi-disant mis à la place de « fils majeur » et « fils mineur ». Or ceux-ci, comme le diacre,  sont inférieurs à la dignité de l’évêque, donc placés dans une hiérarchie.
Comme la contestation est une forme particulière de christianisme, exprimée dans des sources textuelles (celles sans doute ayant servi à la fabrication de la croyance), ce rapprochement de groupes dissidents a été commode pour éliminer les groupes contestataires.
Ainsi, effacée l’hérésie du dualisme, cause de la Croisade, l’alliance entre le roi et le pape prend une tournure essentiellement politique. Dans cette perspective le Languedoc est travaillé par des troubles séditieux, et exposé à la rivalité des pouvoirs. Peut-être cette lecture ignorant la puissance du religieux en dit-elle implicitement long sur la mentalité contemporaine.
Avec pertinence l’exposition a pris pour sujet l’époque où la société de langue d’oil importée par les capétiens était en train de s’imposer à la vieille culture de langue d’oc, pour finir par former une région de la France actuelle. Elle offre des costumes splendides, copiés sur des miniatures.

L’historienne met en avant plusieurs erreurs figurant dans l’exposition et portant des affirmations qui ont été largement et souvent réfutées par d’autres historiens et spécialistes que vous pouvez lire dans ce menu.

Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

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Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

Fanjeaux, côté Nord

Le village de Fanjeaux se situe à l’Ouest du département de l’Aude en limite des micro régions du Lauragais, de la Piège et du Razès. Campé à 360m d’altitude au bord d’un plateau, qui domine le couloir de Castelnaudary à Carcassonne, il se trouve stratégiquement placé sur l’une des voies de communication reliant les Pyrénées à la Montagne Noire. Au XIIIème siècle le castrum a été un important foyer de l’hérésie cathare, le berceau de la prédication dirigée contre celle-ci, ainsi qu’un poste militaire croisé.

C’est aux alentours de l’année 1175 que la présence de cathares, est attestée à Fanjeaux. Aux environs de 1193 la Bonne Dame[1] Guillelme de Tonneins et son homologue masculin, Guilhabert de Castres sont établis dans la cité lauragaise. En ces temps favorables, la doctrine, étant de plus en plus partagée, le village devient une conséquente place de l’hérésie. Une décennie plus tard, en l’an 1204, le castrum sera le théâtre de la consolation d’ordination d’Esclarmonde de Foix et trois nobles dames de la région. En présence du comte Raymond-Roger et d’une nombreuse assistance, sa sœur et ses amies seront consolées par le charismatique Guilhabert de Castres. Toujours en cette même année, et toujours à Fanjeaux, Pierre-Roger de Mirepoix le père du futur chef militaire de Montségur en 1243-1244, gravement blessé lors d’une mauvaise rencontre recevra le Consolament des mourants, par le fameux hérésiarque, comme le nommait l’Église catholique. Cependant guéri, il reviendra au siècle et fêtera l’évènement en offrant un repas à tous les cathares revêtus de Mirepoix.

Inquiet depuis de longues années par la montée du péril cathare et faute d’avoir pu inciter le roi de France, Philippe-Auguste, à intervenir militairement dans le Midi, le souverain pontife donna son accord à la proposition de ses légats en Languedoc de lutter contre l’albigéisme par la prédication. C’est alors l’entrée en scène du chanoine Dominique de Guzman. Parti, avec ces compagnons en tournée en Lauragais, afin de prêcher à l’exemple des hérétiques occitans, il s’arrête à Fanjeaux à cause de mauvais temps et décide d’y passer l’hiver. Au cours de celui-ci (1206/1207) sera fondé avec l’aide de Foulques l’évêque de Toulouse, le monastère de Prouilhe (11) en réaction à la multiplication des maisons cathares dans la région.

Fanjeaux, vue aérienne du côté Sud (années 60)

Puis viendra la controverse entre Albigeois et catholiques, de Montréal (11) et son fameux « miracle du feu » dont nous vous expliquerons le détail dans une prochaine publication. Toutefois malgré, les prêches et l’agitation de ses envoyés, Innocent III constate que l’hérésie continue de prospérer et de s’enraciner en Languedoc.

C’est alors que l’assassinat du légat Pierre-de-Castelnau à Saint-Gilles (30) en janvier 1208, va donner au pape le prétexte au déclenchement de la croisade contre les Albigeois ; opération militaire, visant à éradiquer l’hérésie, qu’il appelait vainement de ses vœux depuis une dizaine d’années. Parmi les croisés français se trouvait un comte dont le nom deviendra tristement célèbre en Languedoc, Simon de Montfort. Ce dernier ayant pris la direction de l’ost croisé à la place du légat Arnaud Amaury, et après s’être emparé de la majeure partie de la vicomté de Carcassonne, marchera sur Fanjeaux, alors le plus haut lieu de l’hérésie cathare en Occitanie. Face à l’avancée de l’armée catholique, le castrum sera incendié lors de son abandon par la population ; l’illustre Guilhabert de Castres se réfugiant, en la circonstance, (une première fois) à Montségur. Fanjeaux, place stratégique, deviendra pour lors le quartier général du pourfendeur des hérétiques. À l’avenir, c’est à partir de la cité, idéalement située, que le condottière lancera, dans toutes les directions, maintes expéditions, et opérations militaires. Cependant le comte de Foix ne restera pas sans réaction aux prises de Simon de Montfort sur ses terres, et attaquera le castrum ; néanmoins, la place vaillamment défendue par la garnison française, malgré l’absence de son chef, restera aux mains de ce dernier. Le bourg recevra également des renforts en ses murs, preuve qu’il était une base arrière importante, voire à certains moments un refuge. Et c’est de celui-ci, le 10 septembre 1213, que Simon de Montfort part pour la ville de Muret, menacée par l’ost du roi Pierre II d’Aragon et ses vassaux occitans. Revenu vainqueur de la fameuse bataille, afin d’étendre politiquement sa toile par le jeu des alliances, il mariera alors à Carcassonne son fils Amaury avec Béatrice de Viennois. C’est frère Dominique venu de Fanjeaux, dont il était le nouveau curé, qui célèbrera les noces. La lutte contre l’hérésie, pour l’un par le verbe et pour l’autre par le fer, n’avait pas manqué de rapprocher les deux hommes. En 1218, le bourg verra son chevalier faidit, Pierre de Lahille, compté parmi les défenseurs de la ville de Toulouse alors assiégée. C’est au cours d’une attaque, lors de ce même siège, que « la pierre vint tout droit où il fallait[2] » tuant le chef de la croisade et libérant ainsi occitans et fanjuvéens de son joug. Dominique de Guzman perdant, à cette occasion, un ami, l’Église catholique romaine le généralissime de son armée. Après le second siège de Castelnaudary, vers 1222, les croisés ayant été récemment chassés de la contrée, Guilhabert de Castres devenu depuis peu évêque du toulousain, reviendra s’installer à Fanjeaux, preuve de l’importance de la cité pour l’Église interdite. Le bourg aura à ce moment-là, la particularité d’être le lieu de résidence d’un hérésiarque cathare, et le berceau de l’ordre des frères prêcheurs ou dominicains. Il va sans dire que n’ayant plus rien à craindre des troupes d’Amaury de Montfort alors en pleine déconfiture, nombre de Bonnes Dames et de Bonshommes s’empresseront de rouvrir leurs maisons, rendant à Fanjeaux sa place de haut lieu de l’hérésie. Ainsi du bourg reconquis, le catharisme — de par l’action de sa plus éminente personnalité —, Guilhabert de Castres, va rayonner plus grandement encore qu’avant l’arrivée des croisés. Toutefois cela ne durera guère. En 1229, après les croisades royales, le traité de Paris mettra fin à vingt ans de guerre, mais fera alors de la lutte contre l’hérésie, une priorité. En 1232, l’Inquisition devenant plus en plus menaçante obligera l’illustre Guilhabert à se réfugier, définitivement cette fois-ci, à Montségur. En 1233, le nom de Fanjeaux sera lié par le truchement de son bayle, à une étrange et sombre affaire qui se soldera par le bûcher (probablement à Toulouse) de quatre hérétiques revêtus, dont le Fils mineur Jean Cambiaire, arrêtés à Montségur ! Cette même année, sera appréhendé chez un habitant de Fanjeaux, avec trois de ses compagnons, le futur évêque hérétique Bertrand Marty. Une rançon versée au bayle du comte de Toulouse, leur permettra de retrouver la liberté. Trois ans plus tard, puis encore au début de 1242, le castrum recevra la visite de Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry lors de leurs tournées inquisitoriales en Lauragais. Les registres de cette enquête ayant été perdus, nous ne savons rien des interrogatoires menés à ces occasions. Sur cette période, de treize années (1229-1242), sont attestées la présence de plusieurs dizaines de Bonnes Dames et de Bonshommes, la plupart lors de passages, ou de haltes de quelques heures. Cependant quelques-uns, les natifs de Fanjeaux ou des environs, à l’instar du diacre Pierre Bordier, avaient leur résidence peu près permanente dans la cité. Tous ces ministres étaient épaulés par des réseaux clandestins de croyants dévoués, sans qui la résistance à la pression inquisitoriale n’aurait pu durer ; à l’exemple d’un fanjuvéen qui organisa conjointement avec un habitant de Mirepoix, une collecte de dons auprès des croyants de la région, au profit des membres de l’Église albigeoise. C’était le temps où les prêches devaient être donnés et les Consolaments conférés dans le plus grand secret. Malgré tout, cela n’empêchera pas le catharisme de se maintenir à Fanjeaux grâce notamment au concours de la noblesse locale. On compte en Lauragais, sur une quinzaine d’années (1230-1245) — d’après les registres d’Inquisition —, les croyants par centaines, pour plusieurs dizaines de familles distinctes et de rangs variés. De sorte que quelques mois après la chute de Montségur, à Castres, une sentence inquisitoriale condamnera quatorze nobles dont plusieurs étaient de Fanjeaux, à la prison perpétuelle. Par une ironie du sort, Pons Gary, le collègue de l’inquisiteur Ferrer qui mena cette enquête, était lui aussi issu du castrum. Puis dans les années 1250, suite à la répression de plus en plus efficace de l’Inquisition, les rangs des Bonshommes finiront fatalement par se clairsemer. Les fuites en Lombardie, les arrestations, les abjurations, les peines de prison, les bûchers, auront tôt fait de vider le Lauragais et Fanjeaux de leurs hérétiques cathares, croyants et consolés. Comme beaucoup de lauragaises et lauragais, pour échapper à l’Inquisition et pouvoir continuer de croire en la parole des bons chrétiens, des habitants du castrum émigreront en Lombardie. C’est ainsi, que le Bonhomme Guillaume Tournier attestera de la présence de croyants du bourg installés à Crémone. Enfin, l’Inquisition ayant aussi œuvré en Italie, l’Église cathare occitane moribonde, n’est alors plus représentée en cette fin du XIIIème siècle, que par quelques Bonhommes et le Fils majeur Raymond Isarn, possiblement originaire de Fanjeaux, réfugié en Sicile.

Les murs et les ruelles de Fanjeaux sont les témoins des séjours et des passages de grands personnages dans la cité. Aucun autre bourg peut-être, n’aura autant vu d’éminents acteurs du drame cathare en son sein. C’est à ce titre que la visite du village s’impose. C’est l’un des sites majeurs de l’Histoire du catharisme occitan, auquel il faut obligatoirement se rendre.

© Bruno Joulia (2024)


[1] Les cathares revêtus, c’est-à-dire baptisés par la Consolation (Consolament) peuvent être appelés Bonnes Dames et Bonshommes. L’Inquisition les appelait Parfaites et Parfaits (Perfectus hereticus), c’est-à-dire hérétiques convaincus.

[2] Citation tirée de La canso, récit de la croisade vue du côté occitan.

Au temps des cathares

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Au temps des cathares

Si l’on devait proposer, dans la série bien connue, un ouvrage intitulé «Le catharisme pour les nuls», cette série de vidéos, postée sur Youtube®, serait parfaitement adapté à la présentation simple, complète et adaptée au grand public de cette religion si souvent mal traitée, voire diffamée.
Je vous invite donc à visionner, à votre rythme, ces courtes vidéos thématiques, afin de vous faire une idée exacte et sans emphase de ce courant religieux qui vient de resurgir à l’aube du 21e siècle.

Au temps des cathares

Épisode 1 : Les origines
Épisode 2 : La société de l’époque
Épisode 3 : Développement de l’Église
Épisode 4 : La croisade
Épisode 5 : L’Inquisition
Épisode 6 : Montségur
Épisode 7 : La philosophie
Épisode 8 : Le rôle des femmes
Épisode 9 : Le catharisme aujourd’hui
Épisode 10 : Vrai-Faux sur les cathares

La qualité du contenu et de l’orateur ne souffre que très peu de remarques. Quelques sous-titres auraient gagnés à être relus pour éviter des fautes d’orthographe et l’utilisation mal à propos du terme parfait(e) aurait gagné à être remplacé par Consolé(e).

Il manque bien entendu le chapitre 0, traitant de la préhistoire du catharisme, mais vous la trouverez sur ma chaîne Youtube.

Félicitation pour ce travail de qualité, si rare à notre époque, notamment quand on voit la dernière publication (Dans les pas des cathares) qui regorge d’erreurs énormes.

Guilhem de Carcassonne, le 14 février 2024.

Le catharisme hors des chemins touristiques traditionnels

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Le catharisme hors des chemins touristiques traditionnels

Guilhabert de Castres évêque cathare, au Pas de las Portas.

L’exposé qui va suivre comprend deux parties :
1/La localisation du lieu-dit «le Pas de las Portas»
2/Les réponses aux questions que ladite localisation entraine

L’épopée Albigeoise ; la topographie et la toponymie au service de son histoire

Essai de localisation du lieu-dit «le Pas de las Portas» (09)

Intrigué par le fait, révélé lors de mes lectures, qu’aucun auteur n’ait pu situer avec précision le lieu-dit «le Pas de las Portas», je me suis mis en quête d’élucider cette question.
Voici le résultat de mes recherches.
Devant l’impossibilité d’identifier un lieu-dit dont le nom ne figure plus sur les cartes, à savoir «le Pas de las Portas» lié à une étape dans la fuite de l’évêque cathare Guilhabert de Castres à Montségur en 1232, il m’a semblé pertinent de faire appel au tandem Topographie/Toponymie, pour tenter de retrouver ce site. La topographie venant confirmer la toponymie de l’époque et inversement.

Topographie défintion1:
1 Technique du levé des cartes et des plans de terrains. ➙ cartographie.
2 Configuration, relief (d’un lieu, terrain ou pays). Étudier la topographie d’un lieu.

 Toponymie définition2:

1 Ensemble des noms de lieux d’une région, d’une langue.
2 Étude des noms de lieux, de leur étymologie

 Les causes et première partie du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur

 1/ Tout d’abord quelques dates

 – 1204-1206, quelques années avant la croisade, l’église cathare du Languedoc, sentant monter la menace, demande la reconstruction du castrum de Montségur à Raymond de Péreille.
– 1209, déclenchement de la croisade contre les albigeois.
– 1211-1219, séjour de Guilhabert de Castres au pog.
– 1229, Le Traité de Paris entérine la défaite de Raymond VII. Le concile de Toulouse instaure l’inquisition épiscopale. Louis IX donne la terre de Mirepoix au Maréchal de la Foi, Guy de Lévis.
– 1232, Mars, concile de Béziers, durcissement de l’inquisition épiscopale.
– 1232, Automne, Guilhabert de Castres et la hiérarchie cathare fait le choix de se réfugier à Montségur.

2/ Contexte

 Mars 1232, devant l’échec de l’inquisition épiscopale, qui n’a pas donné les résultats escomptés, un concile sera convoqué à Béziers. Celui-ci rappelera énergiquement à la population du midi, des nobles aux laïcs en passant par les clercs, que tous avaient fait preuve de permissivité et de manque de zèle dans l’application des canons concernant la répression des hérétiques édictés au concile de Toulouse en 1229. Une plus grande détermination et sévérité dans les poursuites seront exigées.

3/ La fuite de Guilhabert de Castres

Automne 1232, ayant constaté l’accuentation de la répression, Guilhabert de Castres, ainsi qu’une partie de la hiérarchie de l’église cathare, prendra la décision de se réfugier à Montségur. De la forêt de Gaja-la-selve (11), lieu de rassemblement des fugitifs, partira un convoi sous escorte, qui, par mesure de sécurité, cheminera de nuit. Après avoir contourné, en catimini, toutes les localités de la terre du Maréchal se trouvant sur son trajet, la petite troupe se présentera au Pas de las Portas.

4/ Les témoignages

Nous disposons de deux témoignages sur le déroulement de l’arrivée de Guilhabert de Castres et des hérésiarques cathares au pog:

Témoignage du sergent Guillaume de Bouan:

«L’évêque des hérétiques, Guilhabert de Castres, manda à Raymond de Péreille de venir à sa rencontre. Raymond de Péreille et moi même, Pierre Vinade, Pairol, Raymond Fabas, Bernard Cogot d’Asella et d’autres dont je ne me souviens pas, nous allâmes donc à la rencontre de ces hérétiques au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Guilhabert de Castres et bien trente hérétiques avec lui. Il y avait aussi avec eux les chevaliers Isarn de Fanjeaux, Raymond-Sans de Rabat, Pierre de Mazerolles et d’autres que je ne connaissais pas, qui les avaient amenés là. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube. Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent… »

Témoignage du sergent Bernard de Joucou:

«Une nuit, moi même, Raymond de Péreille, Bertrand de Bardenac, Bertrand du Congost, Guillaume de Bouan, et Bertrand Marty (il s’agit du bayle de Raymond de Péreille), nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles avec plusieurs de leurs compagnons, dont j’ignore les noms. Ils avaient amené là l’évêque Guilhabert de Castres avec vingt autre hérétiques. Quand Raymond de Péreille eut reçu ces derniers, Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles s’en retournèrent avec leurs compagnons. Raymond de Péreille, moi même et tous ceux avec qui j’étais venu, nous avons adoré les hérétiques, aprés quoi nous les avons escortés et les avons conduits jusqu’à Montségur…»

 Les localisations et suite et fin du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur

1/ Localisation de l’église Saint-Quirc ou Saint-Cyr

Saint-Quirc = Saint-Cyr, c’est le même saint. Voici les éléments qui m’ont permis de localiser l’église Saint-Quirc

a/ Un extrait de l’opuscule suivant : Laroque-d’Olmes. Lacour, éditeur, place des Carmes – 25 bd amiral Courbet, Nîmes 1998. 24 pages.

Laroque-d’Olmes était jadis une ville dont la population est portée à dix-huit mille habitants (Berges). Elle était composée de quatre paroisses: Saint-Cyr, Saint-Pierre, Saint-Martin et Notre-Dame-du-Mercadal. On voit encore aujourd’hui des ruines des trois premières; la quatrième a été restaurée.
Ré-édition de l’oeuvre originale imprimée fin XIXe siècle. Auteur anonyme.

b/ Un extrait du site internet suivant : http://laroquedolmes.com/lesfermeslaroque.pdf

À la page 2 : 25 – chemin de Saint-Cyr ou Saint-Quirc dit «le chemin des moulins battants» actuellement rue Denis Papin longeant le Bézal.

c/ La carte par Sylvane Pomiès sur le site : https://www.pyreneescathares-patrimoine.fr/laroque_dolmes.php?
commune_id=5&ccPath=45&cbox_id=74

Sur le chemin de Saint-Cyr ou Saint-Quirc «dit le chemin des moulins battants» actuellement rue Denis Papin, on peut voir ce que j’ai identifié, après recoupement des informations, comme l’ancienne église Saint-Quirc à Laroque-d’Olmes. Photos n°1 et 2.

Il est à noter que je n’ai pas trouvé d’autre église Saint-Quirc ou Saint-Cyr, dans le Pays d’Olmes.

2/ Localisation du Pas de las Portas

 Revenons un instant vers les témoignages. Nous constatons que si les deux sergents citent un lieu-dit appelé le Pas de las Portas, seul Bernard de Joucou nous dit: «nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas.»
C’est bien sur lui qui nous met sur la piste…

Et nous pouvons voir sur la carte IGN classique du site internet Géoportail, qu’il existe un lieu actuellement appelé l’Entounadou (en français l’entonnoir), au sud de Laroque-d’Olmes. C’est un passage entre deux montagnes au milieu duquel coule le Touyre, et passe aujourd’hui la D625. Nous sommes devant un Pas.

Définition de Pas3 : Passage étroit et difficile dans une vallée, dans une montagne. Ou selon une expression plus imagée, une Porte.
Mais les sergents nous parlent d’un lieu appelé «le Pas de las Portas». Pas de las Portas = seuil DES PorteS.

Poursuivons notre reconnaissance en prenant la direction de Montségur par la D625, nous arrivons alors à environ 3 kms du premier seuil, à une seconde Porte, le Pas de Lavelanet.
Nous sommes donc, sur une courte distance, en présence de deux Portes.
Nos ancêtres qui n’avaient pas manqué de remarquer cette particularité topographique, avaient donc appelé, tout naturellement pourrait-on dire, le Pas se situant au sud de Laroque-d’Olmes, près de l’église Saint-Quirc, «le Pas de las Portas», ou en français le seuil des Portes.

3/ Le Pas de Lavelanet

Le Pas de Lavelanet à, pour caractéristique, d’être singulièrement étroit, environ 150m à l’endroit le plus resserré (mesuré sur le site internet Géoportail) et encore faut-il retrancher de cet espace entre les bases des montagnes formant la porte, la largeur du cours du Touyre (couvert sur environ 200 mètres au début des années 50, c’est aujourd’hui, l’esplanade ou l’espace de la Concorde), ne laissant, que quelques dizaines de mètres entre celui-ci et le castrum, pour permettre la circulation.
C’est un goulet sur le trajet le plus direct pour se rendre en haut Pays d’Olmes. Ne pas l’emprunter condamne à un long détour, d’où son importance. C’est pourquoi, avant la croisade, il était surveillé et commandé par un château.

Selon une étude de J.J. Pétris4, la ville de Lavelanet naîtra au pied d’un château fort appelé «Castelsarrasin» ayant appartenu au comte de Foix (détruit en 1212 par les croisés de Simon de Montfort, reconstruit à la Renaissance).
Toutefois malgré l’absence d’un château en 1232, on ne voit aucune raison à ce qu’il n’y ait pas eu, sur place, une garnison du Maréchal Guy de Lévis, pour contrôler ce lieu stratégique. 

4/ La demande de Guilhabert de Castres

Nous savons que Guilhabert de Castres, a résidé à Montségur entre 1211-1219, peut-être a-t-il fait, au cours de ce séjour, plusieurs allers-retours entre le pog et diverses destinations ? Toujours est-il qu’il avait connaissance, pour l’avoir traversé au moins deux fois (à l’aller en 1211 et au retour donc en 1219), de la particularité du passage de Lavelanet.
En considérant tous les éléments évoqués plus haut, est-il impossible de penser que l’évêque cathare ait demandé à Raymond de Péreille de venir le rejoindre au Pas de las Portas, afin qu’il l’aide à passer le dangereux goulet de Lavelanet ?
Évidemment non.

5/ L’arrêt à Massabrac et l’arrivée à destination 

L’obstacle de Lavelanet éludé, c’est alors l’heure d’un contre-temps sans conséquences…

Extrait du témoignage du sergent Guillaume de Bouan: «Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube.»

Après prospection photographique, toujours au moyen du site internet Géoportail, il me semble possible d’avancer raisonnablement que le castrum de Massabrac est aujourd’hui, le domaine de Bigot, sur le territoire de la commune de Bénaix (09).
Cependant…
On sait que cet ancien castrum se situe sur le territoire actuel de Bénaix, mais les données actuelles ne nous permettent pas de le situer exactement. En effet, plusieurs endroits sur la commune comprennent aujourd’hui des vestiges de murs. C’est notamment le cas des lieux-dits Bigot (propriété privée) et la Tour, près de Mandrau5.

Enfin l’arrivée au pog, toujours selon le sergent de Bouan:

«Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent».

 Conclusion

1/ Nous constatons que les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement.
2/ Cette imbrication nous permet d’affirmer que :
a/ L’église Saint-Quirc de Laroque-d’Olmes est bien celle citée dans le témoignage du sergent Bernard de Joucou.
b/ «Le Pas de las Portas» se situe au lieu-dit appelé aujourd’hui l’Entounadou (l’entonnoir) à Laroque-d’Olmes/Dreuilhe.
c/ Guilhabert de Castres à demandé l’aide de Raymond de Péreille, afin de franchir ou d’éviter le Pas (ou la Porte) de Lavelanet.

Mais par où sont-ils donc passés ?

Tout d’abord, il faut rappeller la difficulté presqu’insurmontable de retrouver les chemins et autres sentiers du moyen-âge. Hormis le fait que certains ont «toujours» existé, car «évidents», beaucoup ont disparus. Il est moins ici question de retrouver leurs tracés que d’indiquer une «possibilité».
Les alternatives, pour se rendre du Pas de las Portas à Montségur sont:…

Le chemin de crête

Le chemin de crête du cirque de Dreuilhe/Lavelanet, menant de Laroque-d’Olmes à Lavelanet. Les cavaliers venant de Gaja (-la-selve 11) arrivent en toute logique, après avoir évité Mirepoix, Labastide de Bousignac et Laroque-d’Olmes, du côté Est du Pas de las Portas.Pour emprunter le chemin de crête du cirque, ils doivent donc traverser le Touyre et monter par la pointe de la montagne côté Ouest du Pas de la Portas (ou de l’Entounadou). Après avoir parcouru le chemin de crête bordant le cirque, en passant par les lieux-dits Coulassou, l’Oustalet, près de Tarthie, au cap de Coume, et sur la Soula de Bensa, le convoi arrive à la chapelle de Sainte-Ruffine (IXème siècle) se trouvant sur la hauteur Ouest du Pas Lavelanet. Il ne lui reste plus alors pour descendre qu’à suivre le chemin desservant ladite chapelle. Mais arrivée au pied de la montagne, au delà du Pas certes, mais quand même assez près du castrum, la troupe se trouve toujours du côté Ouest du Touyre. Elle est donc obligée de traverser une deuxième fois la rivière pour aller prendre le chemin de Montségur.

On conviendra que ce n’est pas le trajet le plus aisé ni le plus évident, pour éviter Lavelanet, d’autant plus, je le rappelle, qu’il s’effectue de nuit.
Même si ce sentier existait à l’époque, je pense que l’on peut raisonnablement écarter l’idée, que l’escorte de Guilhabert de Castres ait pu l’emprunter.

La traversée de Lavelanet

On pourrait imaginer la traversée de Lavelanet, avec l’aide de complices dans la garnison de la place. Cependant, on peut argumenter avec justesse que l’opération aurait été trop longue et compliquée à monter en si peu de temps. Je rappelle que Guilhabert de Castres et ses compagnons étaient en fuite ou tout du moins effectuaient un départ précipité exigé par le  contexte que l’on sait. Cette éventualité est, je crois, à mettre également de côté.

L’itinéraire qui mène du Pas de las Portas au plateau de Massabrac via L’Aiguillon

C’est le chemin le plus probant, celui qui semble offrir le moins de difficultés et être le plus sûr. Selon moi la colonne conduite par Raymond de Péreille est passée à l’Est de Dreuilhe et à emprunté (actuellement) le GR du Pays d’Olmes (allant de Dreuilhe à Ivry-sur-l’Hers) qu’elle va abandonner à peu près à mi-distance, pour «descendre» (en passant au ou près du  hameau de Canterugue ? existait-il à l’époque ?) par de petits sentiers vers Lesparrou. Puis de cette localité par un des chemins longeant les rives de l’Hers, soit par (actuellement) la D16 [rive gauche] ou par (aujourd’hui) le GR 7 B [rive droite] gagner le village de l’Aiguillon.
L’Aiguillon (381 habitants en 2020) n’ayant pas l’importance de Lavelanet ne devait très certainement pas être surveillé. Les moyens financiers de Guy de Lévis ne lui permettaient probablement pas d’entretenir une garnison, si petite soit-elle, dans chacune ou dans une majorité de localités de son territoire (qui en comprenait 79). De l’Aiguillon la petite troupe va alors suivre ou continuer sur le GR 7 B passant par le Pas de l’Écluse (ici pas de voie navigable, pas de canal)6, pour aboutir au Nord-Est du plateau de Massabrac (Bénaix n’existait pas encore [cité au début du XIVème siècle]) au pied du Pog. Là, arrivés sur le plateau, alors que le convoi allait prendre le chemin pour se rendre à destination, le sergent Guillaume de Bouan nous dit: «Raymond de Péreille, moi même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube.». Le diable se cache dans les détails, dans l’emploi de «nous allâmes – jusqu’à – Massabrac», ne peut-on voir l’expression d’un écart du chemin qu’avait prévu de prendre le guide ?. Le domaine agricole dont le nom actuel est Bigot se trouvant à l’Ouest du plateau, au-delà de deux sentiers montant à Montségur, ne peut donc être que le castrum de Massabrac.

La distance et le temps…

Nous savons que le convoi est parti des environs de Gaja (-la-selve [11]) pour arriver au castrum de Massabrac et que le trajet s’est effectué au mois d’octobre, à cheval et de nuit. À partir de ces éléments on va pouvoir calculer la distance et le temps pour la parcourir. À l’aide de l’instrument de mesure du site Géoportail de l’IGN (Institut Géographique National) j’ai pu relever les distances (en ligne droite et arrondies au kilométrage supérieur) suivantes:
Gaja-la-selve – Queille = 20Kms, Queille – Le Pas de las Portas = 9 Kms, Le Pas de las Portas – Lesparrou = 5 kms,            Lesparrou – L’Aiguillon = 2 Kms, L’Aiguillon – Bénaix = 4 Kms, Bénaix – Bigot/Massabrac = 2 Kms : Total: 42 Kms.
Je pense qu’il faut ajouter à ce résultat 21Kms (la moitié de la somme) en détours et sinuosités pour obtenir un kilométrage plus réaliste du parcours. Ce qui nous donne 42 + 21 = 63 Kms. L’allure au pas d’un cheval, généralement admise, est de 7 Kms/heure. Le trajet s’étant effectué de nuit, j’abaisserai celle-ci à 6 Kms/heure. Ce qui nous donne 63 Kms : 6 Kms/heure = 10,5, soit 10h30. Parti aux environs de 18 heures, voire plus tôt, de la forêt de Gaja-la-selve (la nuit tombe            assez tôt au mois d’octobre – le trajet s’est-il effectué au début ou à la fin du mois ?) le convoi a dû arriver, à Massabrac, aux alentours de 4h30 du matin, soit avant le lever du jour.
Ce qui est confirmé par le témoignage du sergent Guillaume de Bouan qui nous dit:

«Et ils y restèrent [les chevaliers] avec lui [Guilhabert de Castres] jusqu’à l’aube.».

L’itinéraire Gaja-Massabrac par le Pas de las Portas, l’Aiguillon et le Pas de l’Ecluse peut donc être parcouru à cheval dans l’espace d’une nuit.

Ensuite…

Il est à noter que l’itinéraire partant de Montségur et passant par le Pas de l’Écluse, l’Aiguillon, Lesparrou (et au-delà), sera celui suivi après 1232 par les Bons Hommes qui se rendaient, ou revenaient de tournées pastorales, en Lauragais.

Il comportait deux étapes: Queille (qui se situe au nord de Léran) et Gaja (-la-selve [11]).

Michel Roquebert nous dit à leur sujet: «Il faut dire que Gaja-ses maisons, mais aussi sa grande forêt, est avec Queille plus au sud, l’un des deux relais obligés entre le Lauragais et Montségur.» [Histoire des Cathares, éditions Perrin, collection tempus, 2002, page 361.].

Voilà bien l’indication que le Pas de l’Ecluse, l’Aiguillon, Lesparrou, la Bastide-sur-l’Hers, n’étaient pas surveillés, et donc à contrario que Lavelanet, lui, l’était. Sinon pourquoi les bons hommes auraient-ils suivi ce trajet ? Et si Lavelanet n’avait pas été surveillée, après l’avoir traversée, pourquoi passer par Queille plutôt que de continuer sur l’axe classique Lavelanet-Mirepoix ? Ce qui amène à la déduction suivante: le chemin qu’empruntaient les bons hommes depuis 1232, fut, et ce pour la même raison, celui suivi, une décennie plus tard, jusqu’à Gaja à l’aller et depuis Mirepoix au retour, par le commando de Montségur lors de l’expédition punitive dirigée contre le tribunal de l’inquisition alors à Avignonet-Lauragais (31).

Conclusion

La surveillance du Pas de Lavelanet est l’élément déterminant qui permet d’avancer que:

  • Le contournement de Lavelanet, depuis le Pas de las Portas par l’Aiguillon, et le Pas de l’Ecluse est bien l’option que choisit l’escorte de Guilhabert de Castres, parce qu’elle est la plus plausible.
  • Le résultat du calcul du temps mis pour effectuer la totalité du trajet confirme la possibilité du fait.
  • L’itinéraire suivit en 1242, par le commando de Montségur pour aller commettre son forfait, ne peut être que celui pris invariablement depuis dix ans par les bonshommes pour se rendre en Lauragais et en revenir, car c’est le seul possible.

JOULIA Bruno pour Rencontre cathare de la résurgence (© 2023)


1 – https://dictionnaire.lerobert.com/definition/topographie
2 – https://dictionnaire.lerobert.com/definition/toponymie
3 – https://www.littre.org/
4 – https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2F www.histariege.com%2Flavelanet.htm%23Approches%2520historiques#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
5 – https://www.pyreneescathares-patrimoine.fr/benaix.php?commune_id=5&ccPath=33&cbox_id=39
6 – Pas de l’écluse est le toponyme déformé du Pas de la cluse : coupure encaissée perpendiculaire, dans une chaîne de montagnes. (Dictionnaire le Robert.)

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