Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

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Fanjeaux, centre du catharisme et de sa répression

Fanjeaux, côté Nord

Le village de Fanjeaux se situe à l’Ouest du département de l’Aude en limite des micro régions du Lauragais, de la Piège et du Razès. Campé à 360m d’altitude au bord d’un plateau, qui domine le couloir de Castelnaudary à Carcassonne, il se trouve stratégiquement placé sur l’une des voies de communication reliant les Pyrénées à la Montagne Noire. Au XIIIème siècle le castrum a été un important foyer de l’hérésie cathare, le berceau de la prédication dirigée contre celle-ci, ainsi qu’un poste militaire croisé.

C’est aux alentours de l’année 1175 que la présence de cathares, est attestée à Fanjeaux. Aux environs de 1193 la Bonne Dame[1] Guillelme de Tonneins et son homologue masculin, Guilhabert de Castres sont établis dans la cité lauragaise. En ces temps favorables, la doctrine, étant de plus en plus partagée, le village devient une conséquente place de l’hérésie. Une décennie plus tard, en l’an 1204, le castrum sera le théâtre de la consolation d’ordination d’Esclarmonde de Foix et trois nobles dames de la région. En présence du comte Raymond-Roger et d’une nombreuse assistance, sa sœur et ses amies seront consolées par le charismatique Guilhabert de Castres. Toujours en cette même année, et toujours à Fanjeaux, Pierre-Roger de Mirepoix le père du futur chef militaire de Montségur en 1243-1244, gravement blessé lors d’une mauvaise rencontre recevra le Consolament des mourants, par le fameux hérésiarque, comme le nommait l’Église catholique. Cependant guéri, il reviendra au siècle et fêtera l’évènement en offrant un repas à tous les cathares revêtus de Mirepoix.

Inquiet depuis de longues années par la montée du péril cathare et faute d’avoir pu inciter le roi de France, Philippe-Auguste, à intervenir militairement dans le Midi, le souverain pontife donna son accord à la proposition de ses légats en Languedoc de lutter contre l’albigéisme par la prédication. C’est alors l’entrée en scène du chanoine Dominique de Guzman. Parti, avec ces compagnons en tournée en Lauragais, afin de prêcher à l’exemple des hérétiques occitans, il s’arrête à Fanjeaux à cause de mauvais temps et décide d’y passer l’hiver. Au cours de celui-ci (1206/1207) sera fondé avec l’aide de Foulques l’évêque de Toulouse, le monastère de Prouilhe (11) en réaction à la multiplication des maisons cathares dans la région.

Fanjeaux, vue aérienne du côté Sud (années 60)

Puis viendra la controverse entre Albigeois et catholiques, de Montréal (11) et son fameux « miracle du feu » dont nous vous expliquerons le détail dans une prochaine publication. Toutefois malgré, les prêches et l’agitation de ses envoyés, Innocent III constate que l’hérésie continue de prospérer et de s’enraciner en Languedoc.

C’est alors que l’assassinat du légat Pierre-de-Castelnau à Saint-Gilles (30) en janvier 1208, va donner au pape le prétexte au déclenchement de la croisade contre les Albigeois ; opération militaire, visant à éradiquer l’hérésie, qu’il appelait vainement de ses vœux depuis une dizaine d’années. Parmi les croisés français se trouvait un comte dont le nom deviendra tristement célèbre en Languedoc, Simon de Montfort. Ce dernier ayant pris la direction de l’ost croisé à la place du légat Arnaud Amaury, et après s’être emparé de la majeure partie de la vicomté de Carcassonne, marchera sur Fanjeaux, alors le plus haut lieu de l’hérésie cathare en Occitanie. Face à l’avancée de l’armée catholique, le castrum sera incendié lors de son abandon par la population ; l’illustre Guilhabert de Castres se réfugiant, en la circonstance, (une première fois) à Montségur. Fanjeaux, place stratégique, deviendra pour lors le quartier général du pourfendeur des hérétiques. À l’avenir, c’est à partir de la cité, idéalement située, que le condottière lancera, dans toutes les directions, maintes expéditions, et opérations militaires. Cependant le comte de Foix ne restera pas sans réaction aux prises de Simon de Montfort sur ses terres, et attaquera le castrum ; néanmoins, la place vaillamment défendue par la garnison française, malgré l’absence de son chef, restera aux mains de ce dernier. Le bourg recevra également des renforts en ses murs, preuve qu’il était une base arrière importante, voire à certains moments un refuge. Et c’est de celui-ci, le 10 septembre 1213, que Simon de Montfort part pour la ville de Muret, menacée par l’ost du roi Pierre II d’Aragon et ses vassaux occitans. Revenu vainqueur de la fameuse bataille, afin d’étendre politiquement sa toile par le jeu des alliances, il mariera alors à Carcassonne son fils Amaury avec Béatrice de Viennois. C’est frère Dominique venu de Fanjeaux, dont il était le nouveau curé, qui célèbrera les noces. La lutte contre l’hérésie, pour l’un par le verbe et pour l’autre par le fer, n’avait pas manqué de rapprocher les deux hommes. En 1218, le bourg verra son chevalier faidit, Pierre de Lahille, compté parmi les défenseurs de la ville de Toulouse alors assiégée. C’est au cours d’une attaque, lors de ce même siège, que « la pierre vint tout droit où il fallait[2] » tuant le chef de la croisade et libérant ainsi occitans et fanjuvéens de son joug. Dominique de Guzman perdant, à cette occasion, un ami, l’Église catholique romaine le généralissime de son armée. Après le second siège de Castelnaudary, vers 1222, les croisés ayant été récemment chassés de la contrée, Guilhabert de Castres devenu depuis peu évêque du toulousain, reviendra s’installer à Fanjeaux, preuve de l’importance de la cité pour l’Église interdite. Le bourg aura à ce moment-là, la particularité d’être le lieu de résidence d’un hérésiarque cathare, et le berceau de l’ordre des frères prêcheurs ou dominicains. Il va sans dire que n’ayant plus rien à craindre des troupes d’Amaury de Montfort alors en pleine déconfiture, nombre de Bonnes Dames et de Bonshommes s’empresseront de rouvrir leurs maisons, rendant à Fanjeaux sa place de haut lieu de l’hérésie. Ainsi du bourg reconquis, le catharisme — de par l’action de sa plus éminente personnalité —, Guilhabert de Castres, va rayonner plus grandement encore qu’avant l’arrivée des croisés. Toutefois cela ne durera guère. En 1229, après les croisades royales, le traité de Paris mettra fin à vingt ans de guerre, mais fera alors de la lutte contre l’hérésie, une priorité. En 1232, l’Inquisition devenant plus en plus menaçante obligera l’illustre Guilhabert à se réfugier, définitivement cette fois-ci, à Montségur. En 1233, le nom de Fanjeaux sera lié par le truchement de son bayle, à une étrange et sombre affaire qui se soldera par le bûcher (probablement à Toulouse) de quatre hérétiques revêtus, dont le Fils mineur Jean Cambiaire, arrêtés à Montségur ! Cette même année, sera appréhendé chez un habitant Fanjeaux, avec trois de ses compagnons, le futur évêque hérétique Bertrand Marty. Une rançon versée au bayle du comte de Toulouse, leur permettra de retrouver la liberté. Trois ans plus tard, puis encore au début de 1242, le castrum recevra la visite de Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry lors de leurs tournées inquisitoriales en Lauragais. Les registres de cette enquête ayant été perdus, nous ne savons rien des interrogatoires menés à ces occasions. Sur cette période, de treize années (1229-1242), sont attestées la présence de plusieurs dizaines de Bonnes Dames et de Bonshommes, la plupart lors de passages, ou de haltes de quelques heures. Cependant quelques-uns, les natifs de Fanjeaux ou des environs, à l’instar du diacre Pierre Bordier, avaient leur résidence peu près permanente dans la cité. Tous ces ministres étaient épaulés par des réseaux clandestins de croyants dévoués, sans qui la résistance à la pression inquisitoriale n’aurait pu durer ; à l’exemple d’un fanjuvéen qui organisa conjointement avec un habitant de Mirepoix, une collecte de dons auprès des croyants de la région, au profit des membres de l’Église albigeoise. C’était le temps où les prêches devaient être donnés et les Consolaments conférés dans le plus grand secret. Malgré tout, cela n’empêchera pas le catharisme de se maintenir à Fanjeaux grâce notamment au concours de la noblesse locale. On compte en Lauragais, sur une quinzaine d’années (1230-1245) — d’après les registres d’Inquisition —, les croyants par centaines, pour plusieurs dizaines de familles distinctes et de rangs variés. De sorte que quelques mois après la chute de Montségur, à Castres, une sentence inquisitoriale condamnera quatorze nobles dont plusieurs étaient de Fanjeaux, à la prison perpétuelle. Par une ironie du sort, Pons Gary, le collègue de l’inquisiteur Ferrer qui mena cette enquête, était lui aussi issu du castrum. Puis dans les années 1250, suite à la répression de plus en plus efficace de l’Inquisition, les rangs des Bonshommes finiront fatalement par se clairsemer. Les fuites en Lombardie, les arrestations, les abjurations, les peines de prison, les bûchers, auront tôt fait de vider le Lauragais et Fanjeaux de leurs hérétiques cathares, croyants et consolés. Comme beaucoup de lauragaises et lauragais, pour échapper à l’Inquisition et pouvoir continuer de croire en la parole des bons chrétiens, des habitants du castrum émigreront en Lombardie. C’est ainsi, que le Bonhomme Guillaume Tournier attestera de la présence de croyants du bourg installés à Crémone. Enfin, l’Inquisition ayant aussi œuvré en Italie, l’Église cathare occitane moribonde, n’est alors plus représentée en cette fin du XIIIème siècle, que par quelques Bonhommes et le Fils majeur Raymond Isarn, possiblement originaire de Fanjeaux, réfugié en Sicile.

Les murs et les ruelles de Fanjeaux sont les témoins des séjours et des passages de grands personnages dans la cité. Aucun autre bourg peut-être, n’aura autant vu d’éminents acteurs du drame cathare en son sein. C’est à ce titre que la visite du village s’impose. C’est l’un des sites majeurs de l’Histoire du catharisme occitan, auquel il faut obligatoirement se rendre.

© Bruno Joulia (2024)


[1] Les cathares revêtus, c’est-à-dire baptisés par la Consolation (Consolament) peuvent être appelés Bonnes Dames et Bonshommes. L’Inquisition les appelait Parfaites et Parfaits (Perfectus hereticus), c’est-à-dire hérétiques convaincus.

[2] Citation tirée de La canso, récit de la croisade vue du côté occitan.

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