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Dieu, principe du Bien et l’Être

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Dieu, principe du Bien et l’Être

Guilhem de Carcassonne, le 14 août 2022

Le catharisme présente une particularité unique au sein du christianisme qui est de considérer deux principes dont l’un est Dieu et l’autre Satan. Très mal comprise des chrétiens, cette conviction lui valut d’être traité de dualiste, ce qui n’a pas de sens. En effet, tous les christianismes et tous les monothéismes sont dualistes puisque tous proposent un système associant deux entités, l’une positive et l’autre négative, mais seule la première est parée de l’attribut divin. L’accusation de polythéisme est donc inadaptée, tant pour le catharisme que pour le manichéisme qui respectent tous deux cette différenciation. Le dualisme cathare est sans objet également, car non différenciant du catholicisme à l’exception du fait que chez les cathares le dualisme initial qui soumet l’homme aux deux principes, l’un dans sa nature spirituelle et l’autre dans sa prison charnelle cesse lorsqu’il obtient son salut. Dans le judéo-christianisme par contre, c’est l’inverse ; initialement moniste, le chrétien est soumis au diable et peut terminer par être damné éternellement, ce qui est une vue dualiste particulièrement négative et qui fait de Dieu un père pervers.

Mais la différence entre catharisme et judéo-christianisme va bien au-delà de cette notion dépassée. Je vais essayer de vous l’expliquer sans trop plonger dans des notions philosophiques qui peuvent en dérouter certains d’entre vous.

Le principe du Bien

Les cathares emploient indifféremment les termes Dieu et principe du Bien.

Si j’écris Bien avec une majuscule c’est pour le différencier d’un autre bien qui est en réalité un épiphénomène lié au Mal et qui s’oppose ponctuellement à un mal de même niveau.

Le Bien tel que l’entend un cathare, qu’il soit croyant ou consolé, désigne ce qui ne peut en aucune façon produire un mal, aussi minime soit-il et sous quelque forme qu’on puisse le considérer, prouvant ainsi sa nature originelle. Cela nous est clairement précisé par Matthieu quand il fait dire à Jésus : « Ainsi tout bon arbre fait de beaux fruits, et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri porter de beaux fruits. Tout arbre qui ne fait pas de beau fruit sera coupé et jeté au feu. Et bien, vous les reconnaîtrez à leurs fruits[1]. » Cette tirade détaillée vient préciser ce qu’il avait fait dire à Jean baptiste, plus tôt dans son Évangile : « Déjà la cognée est à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne fait pas de beau fruit est coupé et jeté au feu[2]. » Il réitère son propos dans les mêmes termes en 13, 13. Luc aussi reprend ces deux présentations, ce qui faire penser à une copie[3].

Pourtant cette notion semble totalement hors du champ mondain tel que nous le connaissons. Ici-bas nous trouvons des fruits bons ou pourris sur le même arbre et aucun arbre n’a une propension particulière à produire tel type de fruit. Il s’agit donc d’une illustration évoquant le domaine du Bien et non notre monde.

Pour comprendre cela il nous faut rejoindre un philosophe bien connu et parfois redouté : Aristote. En effet, dans l’œuvre constituée de textes épars — qui ne pouvaient être attribués à un autre de ses thèmes favoris : l’éthique et la physique —, qui fut appelé Métaphysique (littéralement : à côté de la physique), il démontre le concept de principe.

Le principe est, selon Aristote, ce qui est à l’origine de tout ce qui est de même nature que lui. Le principe est la forme première dont tout découle. Il s’agit donc d’une compréhension relative à la nature et au temps. Le principe est le concept d’une nature pure dans son essence et unique dans sa composition. Le principe est univoque et sans la moindre corruption. Il est également à l’origine de tout ce qui relève de la même nature ; il est donc premier. Mais rien ne dit que, d’un principe donné — cause de tout ce qui relève de lui —, ne doit se produire quoi que ce soit d’identique. En effet, ce qui a pour cause un principe est au moins différent du lui sur le plan de la temporalité puisqu’il survient après lui. Rien n’interdit de penser qu’il puisse également être corruptible. Si on limitait le principe du Bien au concept principiel, rien n’interdirait que ce qui émane de lui puisse être corrompu par le Mal, comme semblent le croire une grande partie des religions que nous connaissons. Pour reprendre l’image néotestamentaire ci-dessus, le bon arbre peut produire de mauvais fruits tout en étant bel et bien le principe de ces fruits. Il faut donc réfléchir à un autre concept pour rendre cette image crédible. Ce qui fait que l’arbre et le fruit sont et ne peuvent être rien d’autre que bons, ce n’est pas la nature principielle de l’arbre, c’est sa substance unique.

L’Être, substance du bon principe

L’évêque cathare italien, Jean de Lugio, expliquait l’existence du Mal en faisant valoir qu’il était impossible qu’un être issu du Bien, qui n’avait d’autre référence que le Bien et ne connaissait rien d’autre, put se mettre à lui préférer le Mal qu’il ne connaissait pas. Il en tirait la conséquence logique qu’il fallait bien admettre alors qu’il devait y avoir une cause au Mal distincte de la cause du Bien[4].

Je voudrais essayer d’aller plus loin dans cette analyse.

Nous savons bien qu’il ne suffit pas qu’une chose nous soit inconnue à un moment donné, pour qu’une fois connue nous ne puissions pas la préférer à ce que nous connaissons. Jean de Lugio était un cathare appartenant initialement à une Église monarchienne[5], c’est-à-dire cherchant à unifier la vision catholique à la vision cathare, qui, lorsqu’il vint à remplacer son évêque changea totalement de point de vue et pencha pour une vision dyarchienne, c’est-à-dire dissociant totalement la vision cathare de la vision catholique. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait dans sa compréhension quelques éléments rattachés au catholicisme.

Non, ce qui importe dans notre lecture c’est de comprendre que le principe du Bien dispose dans sa propre substance spirituelle d’un attribut essentiel et unique que l’on appelle l’Être.

Le premier philosophe à avoir tenté d’expliquer l’Être est Parménide qui introduisit dans son explication un concept qui allait créer une branche de la philosophie que l’on appelle l’ontologie qui prétend étudier l’être en tant qu’être. Or c’est là qu’est la difficulté pour nos esprits humains limités. Parménide nous donne pourtant une piste intéressante : l’Être est ! Cela peut sembler abscons de prime abord, mais en réalité c’est lumineux. L’« Être est » suppose une permanence inaltérable et inamovible d’un état totalement étranger au monde. L’Être est la substance unique, profonde et permanente du principe du Bien et de toutes ses émanations qui lui sont consubstantielles.

L’Être ne connaît ni temporalité ni fluctuation. Rien de temporel ou de fluctuant ne peut émaner du principe du Bien, car l’Être leur assure la même stabilité et la même permanence qu’au principe lui-même.

Rapporté à notre arbre, on comprend mieux désormais que le fruit ne peut être que de la même substance que l’arbre lui-même, c’est-à-dire bon. De même ; l’émanation divine ne peut en aucune façon devenir mauvaise puisque son principe lui transmet de façon consubstantielle son Être qui est le Bien. L’hypothèse de Lucifer fils préféré de Dieu devenant jaloux de lui et choisissant le Mal est donc totalement absurde d’un point de vue cathare.

Par contre le Mal, qui est aussi un principe, ne dispose pas de l’Être. C’est même un néant d’Être, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir en lui la moindre parcelle d’Être, non pas en raison de sa substance maligne, mais surtout en raison de sa nature principielle qui ne peut être mélangée. C’est pourquoi les cathares comprennent le troisième verset de l’Évangile selon Jean de cette manière :

« Tout a existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle[6]. »

Dieu, par son verbe est au principe de toute ce qui existe, c’est-à-dire qui dispose de l’Être, et rien peut disposer de l’Être en dehors de lui.

L’ontologie reste un domaine de la philosophie parménienne totalement insoluble par les strictes voies philosophiques, mais une approche ouverte sur la religion peut la résourdre.

Et Dieu dans tout ça ?

J’espère que vous avez tenu le coup jusqu’ici et que mes explications que j’ai voulues aussi abordables que possible pour le grand public vous ont permis de mieux comprendre ces concepts souvent abscons.

Maintenant, il nous reste le plus facile à expliquer : Qu’est-ce que Dieu ?

En fait Dieu est notre façon de dénommer une entité totalement étrangère et inconnue dans l’espace temporel et corruptible qu’est notre univers. Cette entité — terme que j’emploie faute d’en avoir un plus précis à proposer —, est principielle par nature et dotée de l’Être par substance.

Principielle en cela qu’elle n’émane de rien et existante en cela qu’elle est, sans passé et sans avenir, permanente et stable dans le Bien absolu de toute éternité.

C’est tout ce que nous pouvons dire de Dieu en n’oubliant pas d’ajouter que notre part spirituelle émane de lui et lui est consubstantielle.


[1] Évangile selon Matthieu : 7, 17-20.

[2] Évangile selon Matthieu : 3, 10.

[3] Évangile selon Luc : 3, 9 et 6, 43-44.

[4] Liber de duobus principiis (Livre des deux principes) in Écritures cathares – René Nelli et Anne Brenon, éd. du Rocher (Paris) 1996. Plusieurs éditions préalables signées de René Nelli, notamment chez Denoël (1959)

[5] Les cathares monarchiens et dyarchiens — improprement appelés mitigés et absolus —, avaient des divergences concernant les hypothèses cosmogoniques de la création du monde matériel : les monarchiens pensant que le Mal avait perverti une matière créée par Dieu et les dyarchiens considérant que rien en ce monde, y compris la matière, n’était l’œuvre de Dieu.

[6] Évangile selon Jean in Le nouveau Testament – Collection La Pléiade, éditions Gallimard (Paris) 1972.

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