Le Bien et le Mal
Je publie ci-dessous un document rédigé par Antonin Gadal (fonds Charlier) sur un sujet central de la doctrine cathare.
Je ne cautionne pas cette analyse, mais je trouve important qu’elle puisse nous aider à mieux comprendre qui était ce personnage mal connu et souvent décrié.
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« Les plus grandes, les plus profondes discussions religieuses et philosophiques ont roulé et roulent encore sur la question de « l’Origine du Bien et du Mal ». Cette origine est et restera un mystère incompréhensible pour celui qui ne se rend pas compte de « l’Origine et de la Fin des choses… »
Une morale qui ne se préoccupe pas des « suprêmes destinées de l’homme » peut être utilitaire ; elle reste « imparfaite ». En outre, la liberté humaine ne peut jamais exister chez ceux qui sont « esclaves de leurs passions ». Elle ne peut pas exister de « droit » pour ceux qui ne croient « ni à l’âme, ni à Dieu » ; pour qui la vie est un « éclair entre 2 néants ». Les premiers sont incapables de raisonner, ils sont enchaînés au vice et ne vivent que pour « l’assouvir » ; les seconds, dont l’intelligence est bridée, ne voient que la vie « matérielle », n’ont pas d’autres beaux désirs, le monde physique, seul, demeurant leur seule satisfaction.
Le vrai philosophe, l’homme vraiment religieux, mettent leur liberté au service de leur intelligence ; ils savent s’élever au-dessus de l’ordinaire « connaissance ». Ils voient avec « l’œil de l’Esprit », les 3 mondes qui nous enserrent : le monde de la matière, primitif, ténébreux, où encore domine l’animalité ; le monde invisible de l’Esprit, séjour des âmes affranchies, bienheureuses Vies de la Providence ; entre les 2, le monde de l’Humanité « libre », plongeant dans les « ténèbres », s’élevant vers la providence, erreur d’un côté, vérité de l’autre.
Dès le début de l’ère chrétienne, la grande question qui occupait les philosophes était de savoir d’où vient le mal dans le monde. Pour la résoudre, quelques uns avaient imaginé que l’Être suprême, infiniment bon par nature, n’avait pas créé le monde immédiatement par lui-même ; qu’il avait laissé ce soin à des intelligences inférieures auxquelles il avait donné « l’être » ; que le mal qui s’y trouve était venu de l’impuissance et de la maladresse de ces esprits secondaires.
Cette supposition ne faisait que reculer la difficulté. Pourquoi l’être infiniment bon, maître de créer le monde par lui-même, en aurait il donné la commission à des ouvriers dont il aurait prévu l’impuissance et la maladresse ? Hermogène comme les Stoïciens, supposa la matière éternelle et incréée… Dieu a tiré le mal ou de lui-même, ou du néant ; ou d’une matière préexistante. Il n’a pas pu le tirer de lui-même puisqu’il est indivisible et que LE MAL N’A JAMAIS PU FAIRE PARTIE D’UN ÊTRE SOUVERAINEMENT PARFAIT… Il n’a pas pu le tirer du néant : alors Il aurait été le maître de ne pas le produire, et il aurait dérogé à sa bonté en le produisant.… Donc le mal est venu d’une matière préexistante, coéternelle à Dieu et de laquelle Dieu n’a pas pu corriger les défauts.
Et de recourir a la Genèse pour étayer ce système, en traduisant ainsi le premier verset : « Du principe, ou dans le principe ». Dieu fit le Ciel et la terre… ». Ce qui revenait à dire que Moïse, comme les Stoïciens, avaient enseigné « l’éternité de la matière ».
Tertullien réfuta ce raisonnement en expliquant ; si la matière est éternelle et incréée, elle est égale à Dieu, nécessaire comme Dieu et indépendante de Dieu. Il n’est lui-même, souverainement parfait que parce qu’il est l’Être nécessaire, éternel, existant de soi-même… Et c’est encore pour cela qu’il est immuable.
Donc, on ne peut d’abord :
Supposer une matière éternelle et cependant pétrie de mal, une matière nécessaire et cependant imparfaite ou bornée… Autant voudrait-on dire que Dieu lui-même, quoique nécessaire et existant de
lui-même, est un être imparfait, impuissant et borné…
Ensuite :
Supposer que la matière est éternelle et nécessaire, et qu’elle n’est pas immuable, que ses qualités ne sont pas nécessaires comme elle, que Dieu a pu en changer l’état et lui donner un arrangement qu’elle n’avait pas. L’éternité ou l’existence nécessaire n’admet de changement ni en bien ni en mal.
L’hypothèse de l’éternité de la matière ne résout pas la difficulté de l’origine du mal. En effet si Dieu a vu qu’il ne pouvait pas corriger les défauts de la matière, il a dû plutôt s’abstenir de former des êtres qui devaient nécessairement participer à ces défauts. Car, enfin, que vaut il mieux dire :
Que Dieu n’a pas pu corriger les défauts qu’une matière éternelle ? Ou dire que Dieu n’a pas pu créer une matière exempte de défauts, ni des êtres aussi parfaits que lui ?
Dans le premier cas, on suppose que la puissance de Dieu est gênée ou bornée par un obstacle qui est hors de lui : ce qui est une absurdité… Dans le second cas, il s’ensuit, seulement que Dieu ne peut pas produire des êtres infinis ou égaux a lui-même… Ce qui est une vérité palpable.
Moïse n’a pas dit : Du commencement…, ni : Dans le commencement, comme s’il s’agissait d’une substance, mais il a dit : Au commencement…
Or, le commencement des êtres a été la création même. Si Dieu a eu besoin de quelque chose pour opérer la création, c’est de sa sagesse, éternelle comme lui, de son Fils qui est le Verbe, et le Dieu-Verbe, puisque le Père et le Fils sont Un… Peut-on dire que cette sagesse n’est pas aussi ancienne que la matière ? Que celle-ci est supérieure à la Sagesse, au Verbe, au Fils de Dieu ? Que ce n’est plus lui qui est égal au Père, mais la matière ? Absurdité et impiété…
On ne peut admettre une matière tantôt corporelle, tantôt incorporelle, tantôt mauvaise ; ni la supposer infinie et cependant soumise à Dieu. La matière est évidemment bornée puisqu’elle est renfermée dans l’espace ; il faut donc qu’elle ait une cause, puisque rien n’est borné sans cause. Quant à la « permission du mal », en supposant le monde tiré du néant par un être tout puissant, on constate que le « mal n’est contraire ni à la bonté, ni à la toute puissance de Dieu, puisqu’il y aura un temps où tout rentrera dons l’ordre »…
Nous avons vu ailleurs (Jésus, Paul, Augustin), que cette question de « l’origine du mal » se résumait, pour les premiers Pères de l’Élise, (Tertullien lui-même, Origène, St. Augustin…) dans la sexualité. Or, c’est un besoin de trouver un appui contre la sexualité, et d’en comprendre la puissance… « Principe ténébreux du mal, dont le christianisme ultérieur d’Augustin est resté obscurci ; en somme, Manichéisme mal expliqué…
Malebranche, de la congrégation de l’oratoire, ( 1638-1715), a enseigné l’optimisme : (dans le monde tout est au mieux. Dieu n’a rien pu faire de plus parfait que ce qu’il a fait, eu égard à l’ordre général de l’univers… » Leibniz, (1648-1716) embrasse le système que Malebranche. « La suprême sagesse jointe a une bonté qui n’est pas moins infinie, n’a pu manquer de choisir le meilleur ; car, comme un moindre mal est une espèce de bien, de même un moindre bien est une espèce de mal s’il fait obstacle à un bien plus grand ; et il y aurait quelque chose à corriger dans les actions de Dieu s’il y avait moyen de mieux faire… »
Concilier l’existence du monde le plus parfait avec l’existence du mal ; s’imaginer des mondes possibles sans péchés et sans malheurs, serait découvrir des mondes fort, inférieurs en bien au nôtre… Il est plus sage d’examiner le mal qui semble défigurer le monde terrestre. Le mal se divise : en métaphysique , en physique, et en morale.
Le mal métaphysique, qui n’est que l’imperfection même des créatures, doit subsister dans le monde le plus parfait puisque la création n’est pas susceptible de la perfection infinie qui est propre à Dieu.
Le mal physique, ou souffrance est un bien moral, en tant qu’il est la punition du mal moral. Il est souvent aussi le principe d’une plus grande jouissance ; et, dans tous les cas, rien ne prouve qu’il n’ait pas actuellement, ou qu’il ne doive pas avoir un jour, une compensation surabondante : 3 considérations qui induisent a penser qu’il est plutôt un bien qu’un mal.
Le mal moral, ou le péché, n’est ni une nécessité absolue de la création, ni un moyen effectif d’un plus grand bien ; mais il peut se faire que la manifestation des perfections divines exige de Dieu qu’il le permette. « C’est dans ce sens que Dieu permet le péché ; il manquerait à ce qu’il se doit, à ce qu’il doit à sa sagesse, à sa bonté, à sa perfection, s’il ne choisissait pas ce qui est absolument le meilleur… »
Ces réflexions supposent que Dieu est soumis à la règle du meilleur, qui ne souffre en lui ni exception ni dispense : obligation irréalisable, puisque, quelque bien que Dieu fasse, il peut toujours faire mieux. Il est impossible que dans ses ouvrages il y ait jamais un optimum qu’il ne puisse surpasser.
En parlant des Albigeois, les historiens de l’Église nous disent : « Ce nom désigne, en histoire, une confédération d’hérétiques du 12e siècle. Pétrobusiens, Henriciens, Arnaudistes, Vaudois, Cathares… » Un peu plus loin : « Les Albigeois proprement dits, …Manichéens, comme les Bulgares, ils avaient cependant modifié le système de Manès. Ils reconnaissaient un Dieu suprême, mais ils prétendaient que ce Dieu ayant produit Lucifer avec tous les anges, celui-ci s’était révolté et s’était fait l’auteur du mal. » L’an 1179, le concile de Latran dit anathème contre eux, (ci-dessus) et il ajouta : « Brabançons, Aragonnais, Navarrois, Basques, Cottereaux, Triaverdins… » La liste était assez longue pour mériter la terrible croisade des Albigeois… Et le mène auteur embarrassé pour trouver une excuse quelconque à ces horreurs, ajoute : « Dans ces derniers temps, (donc avant l’anéantissement du Catharisme pyrénéen, et ceci est assez troublant) les Manichéens, (les Cathares par conséquent) avaient abandonné le dogme fondamental de leur secte : l’hypothèse des 2 principes. Ils ne parlaient plus du mauvais principe que comme nous parlons du démon… » L’abbé Guyot, (Historien de la Sté St. Victor), dont nous citons quelques extraits de ses « Hérésies », nous ouvre précisément une voie qui nous est bien connue et bien chère : les Anges, le démon. Nous y entrons résolument, à la suite du Divin Maître, pour comprendre à notre tour l’origine du mal.
L’Épiphanie, nous le savons, est la manifestation de la Lumière, de cette Lumière qui crée la raison des âmes et qui émane de la Sagesse divine. C’est d’elle que vient la Science et elle fait naitre la Liberté. « Voici Adam devenu semblable à l’un de nous » dit Dieu dans la Genèse. Ce qui a été ainsi traduit : « Voilà que je suis seul dans le ciel et que l’homme est seul sur la terre… » St. Paul ne veut pas que nous nous préoccupions de ce qu’il appelle « Anitas fabulas » sur la généalogie des anges. Rien de tout cela n’appartenant ni à la Science, ni à la Foi ne saurait être accueilli par la poésie raisonnable. La chute originelle n’a été qu’une déchéance morale, semblable au faux pas de l’enfant qui s’essaye à marcher ; et quant aux anges, rappelons nous que les rois déchus ne sont plus des rois, que les chefs de brigands ne sont pas tolérés dans des états bien gouvernés.
Personne ne peut aimer le mal pour le mal. On aime le mal en le prenant faussement pour un bien :
Les anges rebelles ont été jaloux de Dieu, ils ont voulu créer ; la femme a été jalouse du Verbe, elle a voulu SAVOIR ; l’homme a été jaloux du Paraclet, il a voulu AIMER. Tous ont voulu marcher seuls, et Dieu a retiré sa main. Non pas par colère, mais par respect pour la volonté libre de ses créatures. Aussi a-t-il pris sur lui la responsabilité de leur péché, de leur mal, et a-t-il en la personne de son Fils, assumé l’immensité de l’expiation pour lui seul…
L’ange déchu s’appelle aussi Légion… Satan, c’est une grande multitude, mais non un personnage : c’est un esprit ou plutôt une manière d’être des esprits. Son véritable nom c’est l’Orgueil, l’Ambition, le Désir immodéré… C’est là le vrai feu de l’enfer, infini et sans pitié parce qu’il est la vie. Dieu seul est Esprit pur. Les démons, les diables ne peuvent exister dans notre atmosphère : ce sont des impuissances que la justice éternelle balance, jette, broie… suivant qu’elle en a besoin. Des impuissances, principe négatif, fantôme, ombre du « NON-ÊTRE », rayonnement obscur du « NÉANT » ; un principe négatif n’est pas un principe, c’est un non-sens, comme le hasard, le néant.
Il y aura un temps où tout rentrera dans l’ordre. Dieu est Amour… (Tertullien). « Par leur repentir, les âmes participent au bienfait de la Rédemption universelle. La bonté divine n’exclut pas même Lucibel » (Origène). « Par notre église, Lucibel lui-même, sera ramené au Père… » Donc, pas de principe négatif…
Le catholicisme rétrograde, nous l’avons vu, n’est qu’un manichéisme déguisé. Il n’y a pas 2 Princes de ce monde : le Roi Christ ne saurait partager la couronne avec le Roi Satan. « Le Prince de ce monde est déjà jugé », disait le Christ, il y a près de 20 siècles. Et ailleurs : « J’ai vu Satan tomber du ciel comme la foudre ». La foudre, en effet, est tombée du ciel pour illuminer la terre. Le diable est tombé du ciel avec la peur que l’ancien tonnerre nous faisait des dieux. « Il n’y a rien de commun entre moi et le diable, disait le maître. Le diable est menteur comme son père. » « Esprit d’aveuglement, de fatalité et de vertige… » La Lumière a pénétré maintenant dans l’antre, le diable est connu et il n’usurpera plus la place de Dieu. Car c’est ainsi qu’il faut expliquer la légende du combat livré dans le ciel :
Le Ciel c’est la Religion et c’est dans les esprits des hommes que le mensonge parvient à se faire adorer au lieu de la vérité… L’obstination humaine se croit infaillible… voilà comment le diable a sa raison d’Être. Le vrai diable, c’est la bête ou plutôt la bêtise humaine qui a ou qui aura toujours tort quand elle voudra raisonner avec l’Esprit.
Si Rabbi Jeschuth-Notzerith, ou Jésus le Nazaréen, avait été reconnu et avait été accueilli par la synagogue, le monde aurait marché de l’idolâtrie au Paraclétisme ou au Messianisme sans passer par les ombres sanglantes de la barbarie pseudo-chrétienne. Le diable n’eut jamais existé, car le diable (les démons) est le fils du Catholicisme et il est même tout le Catholicisme aux dires du Père Ventura, martyrisé affreusement puis brûlé… Il n’y a pas un mot eu diable dans le catéchisme des Hébreux. Le diable c’est le moyen-âge avec ses fantômes, ses croisades, ses bûchers…
Le diable c’est l’Inquisition torturant le génie et bâillonnant la Science. Combien de catholiques, « voire même de bons pères Chartreux, ceux qui vendent les chapelets, adorent encore le diable sans le savoir » comme osait le dire le brave Guillaume Postel aux Pères du Concile de Trente… Combien de temps « ce roi-fantôme » traînera-t-il encore à sa suite les partisans de l’ignorance ; ou plutôt, combien de temps l’ignorance des hommes fera-t-elle subsister cette absurde création du mensonge ? Personne ne saurait le dire.
Mais nous au moins, hommes de progrès, ne parlons plus d’aller à reculons, et n’ayons plus peur du vertige. « Je renonce à Satan » dit l’enfant ingénu à ses premiers pas dans le monde. Il ajoute : « Je m’attache à J.C. » Ces paroles sont les nôtres également, en les enrobant de quelques explications bien compréhensibles dorénavant : « Je renonce à Satan, au mal : orgueil, ambition, désirs immodérés ; « Je m’attache davantage si possible à J.C. : au Bien, à la recherche de l’exemple du divin Maitre sur le « Chemin du St. Graal, chemin de la Perfection… »
Avec le suprême commandement :
Fais le Bien, évite le Mal… »
Antonin Gadal