Le catharisme et notre monde
Si l’on regarde notre monde, même en essayant de faire preuve d’indulgence, il ressemble fortement à ce que les Écriture qualifiaient de monde de Mammon.
L’argent y est roi, les financiers le dirigent bien plus que ne le font les politiques, au point que parfois même les dictateurs sont obligés d’en passer par leurs volontés. La plupart des critères visent à favoriser le pouvoir de l’argent, à flatter ceux qui en ont et à exclure ceux qui en sont dépourvus.
La morale de notre société a totalement inversé les valeurs que nous trouvons dans le sermon sur la montagne (Math. V – 1, 12). En fait, tout comme dans les sociétés animales, ce sont les critères susceptibles de maintenir et de développer l’espèce qui sont devenus les critères moraux. Et, à l’inverse, tout ce qui peut remettre en cause ce développement tend à être considéré comme contraire à cette morale.
De fait, notre monde est donc cohérent et logique vis-à-vis de ses propres intérêts. Il favorise ce qui permet d’assurer la pérennité de la société en interdisant tout ce qui va la contrarier. Il valorise les valeurs qui protègent la société des aléas du monde et discrédite ce qui pourrait les remettre en cause. Il sacrifie l’individu au profit du plus grand nombre, quand bien même il aurait conscience que le premier est en accord avec la justice et que les autres la bafouent.
Il est donc normal que la richesse soit valorisée et les que les riches puissent bénéficier des premières places alors que les pauvres doivent attendre dans le froid, à l’extérieur, pour tendre la main qui sera chichement pourvue par les riches, leur offrant ainsi le surplus de considération que leur geste éveillera dans l’esprit de la foule, envieuse de leur réussite et craintive de la menace que lui évoque ceux qui n’ont rien.
Il est normal que le pouvoir soit mis en évidence et que les puissants soient respectés jusqu’à l’obséquiosité puisque la puissance élimine tout ce qui pourrait la remettre en cause et n’offre aucune autre alternative que son propre choix guidé par les intérêts de ceux qui l’utilisent. Les humbles eux, sont prêts à céder le pas à ceux qui les méprisent et n’écrasent pas de leur mépris ceux qui sont en situation de faiblesse.
Notre monde est à l’opposé de celui que décrit Jésus ; il prend l’exact contrepied de ce qui est mis en avant par le sermon sur la montagne. Les pauvres, les doux et les enfants y sont méprisés ou ignorés. Les riches, les forts et les roués y sont confortés et valorisés. Notre monde est un enfer qui se pare maladroitement des habits du paradis, comme le loup qui cherche à entrer dans la bergerie.
Pourquoi les hommes sont-ils à l’image du monde ?
Le monde qui se donne à voir à nous est l’œuvre du démiurge au service du mauvais principe. Non seulement il ne nous offre pas de réelle alternative mais, il est au contraire entièrement voué à l’entretien de la supercherie dont nous sommes victimes. En outre, notre prison de chair affaiblit notre état d’être, ce qui empêche son expression, du moins en l’absence d’éveil.
Cela se retrouve dans l’approche que l’homme a de la spiritualité. Si les religions font appel à des références anthropomorphiques c’est qu’ils sont incapables d’ouvrir leur esprit à ce qui n’est pas dans le cadre qui leur est imposé. C’est pour cela que toutes ces religions se ressemblent et usent des mêmes artifices. Quand en apparaît une qui diffère, qui prône le développement individuel et l’accomplissement, elle se trouve rapidement déclinée sous des formes qui remettent à l’honneur l’individualisme.
En fait, les religions ont elles aussi été modelées sur les critères de pouvoir, de richesse et de rejet. Pour ne parler que du christianisme, on observe que la majeure partie de la population persiste dans un mode de vie contraire aux prescriptions christiques, remettant en quelque sorte le soin de son salut à une infime minorité qui reproduit le choix sacrificiel qu’elle pense être celui prôné par Jésus. Initialement, ce rôle fut tenu par les martyrs, mais à compter de la légalisation du catholicisme par Théodose Ier, ce sont les Pères du désert, puis les cénobites qui endossèrent cette mission. Cette ruse qui ne trompe que ceux qui l’ont créée, donne bonne conscience aux autres pour ne rien changer à l’ordre du monde initial. On remarque même, au sein du christianisme, certains groupes qui inversent totalement les valeurs en faisant de la recherche de la réussite sociale et financière, un critère qualitatif, ce qui interroge quand on connaît la parabole du jeune homme riche (Math. XIX – 16, 24).
Le message du Christ semble donc avoir du mal à pénétrer jusqu’aux esprits-saints prisonniers. En effet, l’illusion dans laquelle nous sommes maintenus est souvent alléchante en cela qu’elle l’égo et laisse espérer une situation individuelle spécifique et détachée des autres. D’ailleurs, le judéo-christianisme intervient en ce sens, car même lorsque nous sommes les perdants de ce jeu de dupe, il nous promet une inversion des rôles après la mort.
La révolution du message chrétien authentique
Si les disciples de Jésus semblent avoir été incapables de comprendre son message, peut-être en raison d’une incapacité intellectuelle à assimiler la connaissance qu’il contenait, Paul est lui parvenu à comprendre ce que Christ voulait lui faire entendre. En refusant le lien entre la religion mosaïque et le message de Christ, il ouvre la voie à la libération spirituelle de chacun. Au fil des siècles, ce travail de connaissance et d’éveil va se poursuivre et s’affiner et l’on voit qu’au Moyen Âge, période particulièrement marquée par des séparations de classe, qui incitaient les hommes à se positionner dans des rapports de pouvoir et de statut, la mise en évidence d’une autre voie par les tenants du catharisme, permet aux hommes de bonne volonté d’acquérir les éléments de connaissance nécessaires à l’éveil et n’empêche pas le cheminement de ceux qui le veulent vers un état compatible avec la grâce divine.
Ce message, qui marque clairement l’opposition entre la loi positive du Dieu de Moïse et la loi d’Amour du Dieu qui nous a envoyé Christ, est concordant et logique avec le concept d’un principe parfait dans le Bien et ne dispensant que de la Bienveillance est profondément révolutionnaire.
Il est révolutionnaire en cela qu’il met en œuvre le lâcher prise puisque le rejet de la loi mosaïque débouche naturellement sur l’abandon de tout espoir en ce monde. Les chrétiens n’ayant plus de raison d’espérer quoi que ce soit de réellement positif de ce monde, ils vont désormais cesser de s’épuiser à le transformer afin de se concentrer sur le moyen de lui échapper. C’est le but de la règle de justice et de vérité qui nous donne la règle à suivre pour permettre à l’esprit prisonnier que nous sommes de s’affranchir, au moins partiellement, des chaînes qui le contraignent.
Ce faisant, le catharisme offre donc une sorte d’espace privilégié au sein d’un monde hostile pour celles et ceux qui ayant acquis la conviction que son enseignement propose la meilleure hypothèse possible quant à la réalité du monde et du Dieu de Moïse (mais aussi des autres religions normatives), recherchent la voie qui leur permettra de retourner à leur origine, la création divine, éternelle et parfaite dans le Bien.
On le voit, il faut en passer par une phase d’apprentissage — qui peut varier dans le temps selon les individus — avant de pouvoir accéder à l’éveil réel qui nous ouvre la porte du cheminement chrétien. Le fait de ne pas y parvenir immédiatement n’est pas à considérer comme un drame. Rappelons-nous que nous sommes tous logés à la même enseigne, nous qui depuis plusieurs milliers d’années transmigrons sans cesse, faute d’avoir pu accéder à la grâce divine. Le temps n’est donc pas important, mais une fois éveillés, le laisser passer sans rien faire reviendrait à régresser dans son cheminement.
Éric Delmas, 27 décembre 2014.