Au royaume des aveugles…

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Au royaume des aveugles les borgnes sont rois

Cette expression remonte aux origines de notre civilisation puisqu’on la trouve déjà à l’époque romaine : « Beati monoculi in terra caecorum ». Tout le monde la connaît et personne ne la remet en question.
Quelle est sa signification ? Face à des ignorants la moindre parcelle de compétence vous fait paraître brillant alors qu’en situation normale vous ne le seriez pas.
Cette situation semble, non seulement être aussi vieille que notre civilisation, mais aussi être commune à tous les domaines de l’humain.

Les croyants d’aujourd’hui : des aveugles en recherche

Quel rapport avec le catharisme me direz-vous ? Ma foi il est simple. En l’absence de bon-chrétien clairement authentifié par une communauté évangélique cathare, elle-même validée par des bons-chrétiens, nous devons admettre qu’en la matière nous sommes tous des aveugles qui se tiennent par la main comme les malheureux suppliciés de Bram erraient dans la campagne sous la conduite d’un borgne justement.
Le Mal emprunte bien des chemins pour nous tromper dans notre incarnation fragile.
Si la sensualité est multiforme elle devient unique dans notre psyché soumise à l’âme mondaine qui nous emprisonne en tant qu’esprit saint.
 C’est cette psyché perturbée qui souvent nous laisse penser que l’Esprit s’exprime en nous alors qu’il n’en est rien.
 Nous parlons d’Amour et nous nous déchirons, nous parlons d’humilité et nous sommes orgueilleux, nous parlons d’éternité et nous sommes pressés d’agir.

En fait nous sommes des aveugles qui refusent de croire à leur cécité.
 Aussi, quand l’un d’entre-nous paraît moins aveuglé ou s’il présente des caractéristiques spirituelles qui parlent à nos sens, nous sommes tentés de lui attribuer tous les attributs de l’Esprit.
 Mais avec quoi jugeons-nous ? Et comment pouvons-nous croire que notre jugement présente la moindre valeur ?

Le piège ultime

Je crois que le pire piège que puisse nous tendre ce monde est de nous faire croire qu’il n’y en a pas.
 C’est quand nous espérons avoir franchi un cap que nous sommes les plus susceptibles de tomber. C’est notre faiblesse atavique. Le trop plein d’espoir nous conduit à voir la porte partout où nous voudrions qu’elle se trouve.
Nous sommes plein d’Amour mais nous ne pouvons nous empêcher de le dispenser de manière inégale. Nous sommes humbles mais quand nous croyons avoir trouvé une voie notre orgueil nous empêche d’admettre qu’elle n’est peut-être qu’un cul-de-sac.
 Nous sommes conscient de notre éternité mais la peur de la temporalité mondaine nous pousse à vouloir brûler les étapes.
 C’est donc dans l’apparence d’une pleine conscience que nous commettons nos pires erreurs.

Je ne crois pas au hasard. Si le Principe du Bien est ce que je crois qu’il est, il ne peut y avoir de hasard.
Donc, si les Bons-Hommes ont fait des choix dont la connaissance nous est parvenue ce n’est pas par hasard. C’est pour que nous puissions avancer à notre rythme en profitant de leur aide pour atteindre, au moment voulu, une conscience suffisante qui nous révèlera la raison d’être de leurs choix.
Pour les mêmes raisons je pense que le noviciat n’est pas une étape secondaire et que s’il dure aussi longtemps (au minimum un an mais souvent un an et demi voire plus) c’est parce qu’il participe à l’éveil des croyants.
Nous sommes donc incapables en notre position de croyants de comprendre finement ces problèmes et nous ne pouvons agir de façon qualitative tant que notre noviciat ne sera pas suffisamment avancé.

Gardons-nous de tomber dans ce piège qui entraîne en même temps les aveugles et le borgne. En effet, pour les uns reconnaître un guide parmi eux est une forme de valorisation de leur cheminement et pour l’autre, être reconnu donne le sentiment d’une compétence supposée mais qu’il n’osait affirmer et va produire le danger d’une sur-estimation personnelle qui le conduira à assumer des fonctions dont il n’est vraisemblablement pas apte à les mener de façon adaptée.

Construire une communauté fraternelle

Vouloir construire une Église en se basant sur des jugements de croyants fait de nous des aveugles qui se laisseraient guider par des borgnes.
J’attendrai donc le temps nécessaire pour voir des croyants se réunir en communauté, dans le respect des règles de vie des bons chrétiens, et lorsque cette communauté humble et respectueuse de ses prédécesseurs, dont les membres pratiqueront un Amour réel — c’est-à-dire égalitaire et respectueux de tous — sera installée et stable depuis suffisamment longtemps. Je ne doute pas qu’en son sein elle trouvera des esprits suffisamment éclairés pour avancer les yeux ouverts et guider le groupe et le faire prospérer. Toute autre organisation ne saurait, à mes yeux, mériter le nom de communauté évangélique cathare.

D’autres groupes se créeront certainement d’ici-là affirmant que l’on peut faire mieux et plus vite. Ils seront sans doute plus attractifs car ils offriront des propositions de vie plus conformes à nos besoins sensuels. C’est à mes yeux un signe important d’un glissement spirituel. Notre chemin n’est pas celui du confort ou de la facilité, c’est celui de l’effort et de la constance.
C’est pourquoi je laisserai faire sans critiquer ceux qui les constitueront car je crois que nous devons nous confronter à nos propres choix pour reconnaître ceux qui sont bons de ceux qui ne le sont pas.
 Après seulement, les écailles nous tomberont des yeux et nous pourront voir avec les yeux de l’Esprit.

Bien souvent nous avons dit que le catharisme ne pouvait être qualifié de sectaire car il comportait dans son contenu doctrinal et dans sa pratique ecclésiale des éléments exactement opposés aux critères sectaires tels que nous les connaissons.
Par exemple, alors qu’une secte s’organise de façon pyramidale descendante depuis son sommet, le gourou, jusqu’à la base composée d’adeptes qui reconnaissent dans le gourou et ses adjoints des compétences dont ils ne peuvent en fait juger sereinement, le catharisme s’organise à partir d’une communauté de croyants de laquelle émerge une communauté évangélique qui suscitera vraisemblablement de son côté l’apparition de personnalités dont la compétence ne sera pas remise en cause puisqu’elle sera reconnue de la part de frères en esprits eux-mêmes fort avancés dans leur démarche.
Certes, cette voie présente l’inconvénient d’être plus longue à mettre en œuvre et n’offre pas de garantie de réussite car les écueils sont nombreux sur le chemin de la communauté ecclésiale et sur celui de la communauté évangélique.
Mais elle présente l’énorme avantage que la reconnaissance qu’elle génère est qualitativement indiscutable puisque ceux qui la portent ne sont pas aveugles et, bien au contraire, sont des personnes dont l’éveil leur permet de ne pas se tromper quand ils désignent celui ou celle en qui ils voient un bon-chrétien. Et par la suite, le phénomène se poursuit à partir de ce noyau de bons-chrétiens reconnus qui deviendront la référence de la communauté évangélique et de la communauté ecclésiale.
C’est pourquoi se déclarer aujourd’hui bon-chrétien ou prétendre en reconnaître un n’a pas de sens puisque celui qui affirme cela n’est pas lui-même en situation d’émettre ce point de vue. Quant à parler d’ancien alors qu’aucune communauté évangélique n’existe formellement, c’est sans le moindre fondement, même si l’ancien n’assume qu’une fonction gestionnaire que lui délèguent ses frères au sein de la communauté.

Garder les yeux ouverts

Vouloir inverser le processus c’est prendre deux risques. D’abord celui de se trouver en incohérence avec la démarche cathare telle que nous l’ont transmise les bons-chrétiens médiévaux. Ensuite celui de tomber dans le piège qui risquerait de mener à une démarche sectaire qui, à la désignation d’une personnalité éminente, pourrait ajouter un désir de repli et d’enfermement dans un développement qui resterait secret vis-à-vis des personnes extérieures. Au pire ce pourrait être finalement la tentation d’exclusion de ceux qui remettraient en cause ce comportement, alors que le catharisme est l’école chrétienne qui a le mieux su reconnaître le droit à la remise en cause argumentée et orientée vers un perfectionnement de chacun.
Comme Paul, voyons dans notre cécité la chance de nous améliorer afin que lorsque les « écailles » nous tomberont des yeux nous soyons guidés par le Saint Esprit consolateur au lieu de tendre la main dans notre nuit sépulcrale vers le premier borgne qui passe et qui risque de nous entraîner bien loin de la lumière.
« Et quiconque dit une parole contre le fils de l’homme, elle lui sera remise ; mais on ne remettra pas à celui qui blasphème contre le Saint Esprit. » Luc XII – 10.

Éric Delmas, le 09/09/2013.

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