Communauté de vie cathare
Je reprends ce document, publié initialement en 2011, car l’approche de l’ouverture de la première maison cathare à Carcassonne, justifie des explications claires sur la notion de résurgence cathare par rapport à tout ce qui existe et ce qui pourrait apparaître dans l’avenir dans ce domaine.
La résurgence cathare
On parle beaucoup de la résurgence du catharisme. Pourquoi employer ce terme plutôt que celui de néo-catharisme ou de catharisme du XXIe siècle ?
La raison en est simple. La résurgence désigne, en matière de géologie, la réapparition d’un cours d’eau momentanément disparu sous terre. Le cours d’eau est identifié par différents moyens afin de certifier qu’il s’agit bien du même et il est, à sa résurgence, identique à ce qu’il était lors de sa disparition sous terre.
Parler de résurgence cathare est donc lourd de sens. Il ne peut s’agir d’une adaptation basée sur certains éléments issus du catharisme qui ferait des choix différents de ceux des cathares médiévaux, eux mêmes fortement ancrés dans leur choix doctrinaux issus d’une tradition apostolique continue. Non, la résurgence doit veiller à ce que ce catharisme qui réapparaît aujourd’hui soit doctrinalement et pratiquement conforme à celui qui avait disparu apparemment au Moyen Âge.
L’emploi des mots doit être cohérent et conscient car, dans ces domaines, l’approximation est délétère. Malheureusement, nous sommes dans un monde dominé par le Mal et nombreux sont ceux qui n’agissent que sous son influence. C’est pourquoi nous voyons des gens qui font un usage dévoyé du terme cathare et d’autres, qui en raison d’un défaut de sérieux et d’information, commettent des erreurs importantes voire graves dans leur interprétation.
Pour être digne du terme de résurgence, le mouvement cathare d’aujourd’hui doit être respectueux des choix faits par les Bons-Chrétiens médiévaux, sauf à pouvoir apporter la démonstration d’une erreur d’interprétation qui, à l’époque, était liée aux connaissances maîtrisées alors.
Il faut aussi savoir distinguer ce qui relève des fondements doctrinaux qui ne peuvent être remis en question que par des gens qui auront acquis le niveau d’avancement nécessaire pour le faire, ce qui n’est pas à l’ordre du jour faute d’avoir reconnu aujourd’hui un ou des Bons-Chrétiens conformes à ce que nous en savons par nos recherches. En effet, en dehors de ces fondements, il y a des appréciations — y compris doctrinales — qui sont accessoires et qui dépendent en fait de notre culture moderne et des options qu’elle nous propose et qui souvent n’existaient pas à l’époque. On le voit, s’il existe une petite marge de manœuvre dans les choix pratiques que nous ferons aujourd’hui, il y a aussi des éléments qui doivent être strictement respectés, non par pour exprimer une volonté de figer le catharisme dans une époque donnée, mais pour rappeler que notre situation actuelle de croyants, plus ou moins avancés, ne nous permet pas de balayer d’un revers de manche les choix faits par ceux dont l’avancement était infiniment supérieur au nôtre. Certes, notre époque tend à nous donner envie de remettre en cause les choix des générations précédentes au nom de notre modernité mais, ce qui est vrai dans l’espace mondain, ne saurait l’être dans l’espace spirituel.
Les fondements doctrinaux
La doctrine cathare est basée sur le seul commandement reconnu comme venant de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ».
Contrairement au commandement divin attribué à Iahvé qui domine encore les Églises judéo-chrétiennes : « Tu aimeras ton prochain comme toi même », celui de Christ est extensif, c’est-à-dire qu’il ne fixe aucune limite à l’expression de la Bienveillance que doit manifester le Chrétien envers ce qui l’entoure. Cela ne veut pas dire qu’il ne distingue pas entre les êtres vivants, animaux ou végétaux, mais qu’il veille à limiter son comportement afin de ne nuire à personne, pour autant que cela soit dans ses compétences.
L’expression de la Bienveillance est sans cesse contrecarrée en nous par la prégnance de la mondanité qui cherche à empêcher l’expression de notre divinité… et qui y parvient souvent, malheureusement. C’est pourquoi les Bons-Chrétiens étaient particulièrement attentifs au respect de certains éléments de la Règle qui prévalait dans les maisons cathares. Il s’agit notamment de veiller à ne pas se mettre, en aucune façon, en situation de tentation forte ou en situation de donner de la puissance à l’expression de notre mondanité.
Deux exemples clairs et précisément décrits dans les documents disponibles sont illustratifs de cette volonté. Les Bons-Chrétiens veillaient à la séparation stricte entre les sexes à chaque fois que cela pouvait toucher à des actes susceptibles d’induire une incertitude quant aux intentions des uns et des autres. C’est pour cela qu’ils s’interdisaient de côtoyer physiquement une femme, fut-ce en s’asseyant sur le même banc, ou en créant un contact physique pouvant être considéré comme intime, lors du baiser déposé sur le livre par exemple dans certains rituels. Pourtant, les hommes et les femmes, Bons-Chrétiens ou Bonnes-Chrétiennes ensembles ou lors de contacts avec les croyants, ne refusaient pas de se réunir en mélangeant les sexes. Ce n’est donc pas en raison d’une tradition médiévale qui reléguait les femmes à une position inférieure que ces choix étaient faits. Les cathares étaient clairs, la distinction entre homme et femme est liée à une volonté démoniaque visant à maintenir les esprits saints prisonniers de leurs corps de boue et de leur sensualité.
L’autre exemple touche à l’alimentation qui rejetait, non seulement la chair des animaux pratiquant la reproduction sexuée, mais aussi toutes les graisses animales car elles étaient considérées comme susceptibles d’éveiller en nous la part mondaine. Cela explique à la fois le terme de férocité donnée à la chair animale et le fait que les poissons n’étaient pas considérés comme des animaux, à une époque où l’on croyait qu’ils étaient des créatures apparaissant spontanément dans l’eau, à l’instar des algues par exemple. La maîtrise des secrets de la reproduction des végétaux viendra beaucoup plus tard.
Donc, la séparation des sexes au sein d’une maison cathare de la résurgence et le refus de consommer tout produit d’origine animale sont des fondamentaux du catharisme et doivent se maintenir de nos jours, sauf que, concernant les poissons, notre connaissance scientifique moderne nous amène à les classer dans la catégorie animale, et donc à ne pas les consommer.
Les autres fondamentaux impossibles à négliger de nos jours sont ceux liés à l’humilité. Plus on avance dans son cheminement cathare et plus on comprend à quel point nous sommes indignes devant Dieu. C’est un peu comme dans l’évolution de la vie mondaine. L’enfant qui ne sait rien, se croit au centre de l’univers et s’autorise tout jusqu’à ce que ses parents l’éduquent. L’adolescent, qui connaît les limites essaie de les transgresser pour affirmer la haute idée qu’il se fait de lui. L’adulte confronté aux rigueurs du monde comprend sa faiblesse et essaie de composer avec son environnement. Quant au vieillard, il saisit la totale inanité de toute prétention personnelle et se tourne vers Dieu.
On pourrait facilement coller ces temps humains à ceux de l’évolution au sein du catharisme. L’enfant est le non croyant qui ne s’interdit rien a priori. L’adolescent est le croyant qui pense en savoir toujours assez pour passer outre ce qui le gêne. L’adulte est le croyant avancé qui comprend la justification des choses mais qui essaie de trouver des biais plutôt que de se concentrer sur son propre avancement qui fera tomber ses désirs inappropriés. Enfin, le vieillard est le Bon-Chrétien qui a accepté son insignifiance et qui se tourne vers Dieu avec humilité.
C’est pour cela que la Règle de vie des communautés cathares mettait l’accent sur l’obéissance aux plus anciens. C’est pour cela qu’elle faisait de la modestie et de la prudence langagière un élément essentiel de la vie des novices et des Bons-Chrétiens.
La maison cathare
Ce qui fait le point essentiel du catharisme, aujourd’hui comme hier, c’est la communauté ecclésiale, c’est-à-dire la réunion spirituelle des croyants qui avancent ensemble. Mais pour pouvoir progresser, ces croyants ont besoin de reconnaître en leur sein d’autres croyants qui semblent plus avancés qu’eux et de leur donner leur confiance pour les aider à avancer. Ces croyants sont avancés s’ils sont déjà en situation de se préparer personnellement à faire leur bonne fin. Or, il ne peut y avoir de bonne fin sans rejoindre une communauté de vie régulière, c’est-à-dire vivant dans le respect de la Règle de justice et de vérité. Ce lieu est ce que l’on appelle la maison cathare.
Rien ne précise les conditions d’organisation matérielle de ces maisons qui étaient déjà au Moyen Âge très diverses les unes des autres. Cependant quelques points étaient clairement définis.
Les communautés étaient physiquement séparées par sexe en vue du respect du fondement doctrinal expliqué ci-dessus. Seuls les enfants confiés à l’éducation de Bonnes-Chrétiennes n’étaient pas différenciés jusqu’à l’âge considéré comme celui d’une possibilité d’éveil véritable. C’est un peu ce que nous appellerons l’âge de raison.
Cette séparation était la seule qui s’imposait à tous car, pour le reste, la règle de vie commune était primordiale. On vivait en commun de jour comme de nuit et les seuls moments d’isolement étaient ceux imposés par le sommeil. Les conditions d’hygiène et les connaissances en la matière étant bien plus limitées qu’aujourd’hui, aucune mention particulière ne nous est parvenue à ce sujet. Le respect de l’intimité corporelle semble logique à appliquer puisque nous savons que la mondanité peut prendre des détours imprévus.
Au sein de la maison cathare, tout le monde respectait les choix définis par la Règle, y compris les visiteurs. Pas question donc d’un tourisme décomplexé au sein d’une maison cathare.
Chacun respectait la règle d’humilité et faisait donc preuve d’une totale obéissance envers celle ou celui qui était désigné unanimement comme ancien. L’ancien était toujours celle ou celui qui était le plus ancien dans la foi, c’est-à-dire dont la Consolation était la plus anciennement acquise, et considérée comme toujours valable. Il n’est pas ici question d’une élection en faveur d’une reconnaissance de compétence en matière d’étude ou d’expression mais bel et bien en fonction de l’état de Bon-Chrétien et, quand il y en avait plusieurs, de l’ancienneté dans cet état. Cela explique que Pierre Maury, quoique convaincu du peu de valeur des compétences de Guilhem Bélibaste, le respectait néanmoins car il était consolé. Cela ne veut pas dire que l’ancien était forcément celui que l’on enverrait prioritairement faire des prêches comme on le voit avec Jacques Authié, consolé après son père Pierre et son oncle Guilhem, mais qui prêchait souvent alors que son oncle ne le faisait pas. Les rapports des croyants sur ses compétences d’orateur semblent expliquer le pourquoi de cette différence.
En accord avec la Règle basée sur le fondement doctrinal évoqué plus haut, on ne mangeait que des produits autorisés et on respectait également les Jours et les carêmes, ainsi que les éventuels jeûnes supplémentaires qui auraient été définis lors du Service mensuel, confession des Bons-Chrétiens devant leur diacre au cours desquelles ils demandaient des abstinences supplémentaires pour essayer de moins pêcher.
Bien entendu, la Règle organisait également la vie plus strictement spirituelle par le biais des Heures et des Rituels qui ponctuaient la vie quotidienne des Bons-Chrétiens. Les croyants ne participaient qu’à une partie des Rituels, comme participants sous couvert des Bons-Chrétiens ou comme simples spectateurs. De leur côté, ils disposaient de possibilités adaptées à leur état de non consolés, qui compensaient chez eux l’interdiction de prononcer le Pater ou de pratiquer les Heures, c’est-à-dire le rituel de la méditation tel que nous le connaissons.
La communauté cathare aujourd’hui
Aujourd’hui, la communauté ecclésiale commence à se structurer. Certes il y a en son sein des gens qui s’illusionnent sur leur véritable statut, mais en l’absence de Bons-Chrétiens reconnus par tous, il est impossible de dire aux gens avec valeur qu’ils ne sont pas des croyants avec quelque chance d’être entendu. Pourtant, comme nous venons de le voir, le croyant est facile à identifier. Ainsi que je l’ai expliqué, notamment dans mon livre, le croyant cathare est celui qui a un objectif précis : faire sa bonne fin en entrant comme novice dans une maison cathare. Cependant, s’il demeure croyant, c’est tout simplement parce qu’il rencontre des difficultés mondaines qu’il devra surmonter avant de poursuivre son cheminement plus avant. Pierre Maury, lui encore, est resté croyant, jusqu’à son enferment en prison où il mourut, pour la simple raison qu’il n’arrivait pas à envisager de quitter ses chères montagnes pyrénéennes où il était berger.
Donc, la communauté ecclésiale ne peut être constituée que de personnes ayant cet objectif. En son sein, des croyants vont émerger du groupe en considérant qu’ils sont prêts à franchir cette étape primordiale qui va les mener vers le noviciat. Ce sont eux qui auront besoin d’une maison où ils pourront vivre dans le respect de la Règle de justice et de vérité.
Certes, dans l’idéal, nous aimerions voir émerger une communauté de vie composée de plusieurs novices qui mèneraient de front leur formation et dont émergerait, en temps et en heure, un ou plusieurs Bons-Chrétiens. Cependant, notre communauté ecclésiale est encore fort peu fournie, bien moins d’ailleurs que ce que nous pouvons croire, à entendre les déclarations des uns et des autres. Il est donc normal qu’il n’y ait pas encore beaucoup de candidats aptes à entamer un noviciat. Cela veut dire que la première communauté de vie risque d’être faible en nombre. Il reviendra donc à la communauté des croyants d’assister ces initiatives de façon à compenser une éventuelle défaillance d’altérité au sein de la maison physique.
Ce qui doit être compris de façon indiscutable, c’est qu’une maison cathare ne peut être qu’un lieu de vie permanente d’une ou plusieurs personnes respectant, sans aucune restriction, la Règle de justice et de vérité dans toute sa plénitude. Il ne saurait être question d’innover en la matière, sauf à vouloir dénier à d’autres formes d’organisation toute possibilité de se prétendre maison cathare.
Les croyants, de leur côté, auront un rôle essentiel de soutien des novices et devront s’impliquer dans le fonctionnement de la structure par une présence régulière et une participation aux rites qui s’y tiendront. Ils auront également à servir d’interface entre la communauté de vie, la communauté des croyants et le monde, notamment du point de vue administratif. En effet, nous ne sommes pas autorisés à nous exclure du monde où nous vivons et nous devons en respecter les règles légales sauf si elles mettaient en grave danger notre engagement spirituel.
Voilà les bases de fonctionnement d’une communauté de vie cathare, telle qu’elle se définit sur le plan ecclésial, c’est-à-dire en incluant la communauté des croyants et celles des membres permanents de la maison cathare. Quand cela sera mis en place nous pourrons réellement parler de la résurgence du catharisme.
Éric Delmas – 05/01/2016