Révélation de la chronographie d’un massacre
Une approche inédite qui renverse les certitudes à propos du raid meurtrier des faidits de Montségur sur Avignonet-Lauragais en mai 1242.Read more
Une approche inédite qui renverse les certitudes à propos du raid meurtrier des faidits de Montségur sur Avignonet-Lauragais en mai 1242.Read more
Bien que Guiraud de Pépieux descende d’une longue lignée nobiliaire, il n’en demeure pas moins une figure peu connue. Personnage secondaire dans l’histoire de la croisade contre les Albigeois, il y apparaît cependant comme un farouche et opiniâtre résistant à l’envahisseur français. C’est donc le récit de ses faits d’armes, que je vais tenter de faire ici.
Guiraud (ou Géraud, ou Gérard) de Pépieux (vers 1170 ? – 1240 ?)[1].
Fils de Frézouls de Lautrec, seigneurs des Touelles (aujourd’hui Briatexte 81)[2].
Seigneur de Pépieux (11), Agel (34), Pouzols-Minervois (11), Cazelles (34 Aigues-Vives)[3][6].
Vassal du vicomte de Narbonne[4].
Son grand-père, dont le nom était également Guiraud, a participé en 1095 à la première croisade (en terre sainte) lancée par le pape Urbain II[5].
Au moment de la croisade contre les Albigeois, est marié à Alix fille de Guillaume de Minerve[6].
Une de ses tantes paternelles devient cathare revêtue vers 1214[7].
D’après la date de naissance donnée, Guiraud a 39 ans à l’arrivée des croisés.
Bien qu’une de ses tantes paternelles deviendra Bonne-chrétienne vers 1214, rien, ne laisse deviner une croyance ou même une sympathie envers la religion cathare, de Guiraud de Pépieux. Cependant, quelle que soit sa Foi (s’il en avait une), cela ne l’empêcha nullement de faire sa soumission au chef de la croisade. Celle-ci ayant eu lieu peu de jours après l’effroyable massacre de Béziers (22 juillet 1209) — où Arnaud Amaury avait lancé son fameux « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » —, entraina également le ralliement (de circonstance ?) de Guiraud (et d’autres) à l’ost croisé. Puis, Simon de Montfort, devenu le nouveau chef de l’armée catholique après le siège victorieux de Carcassonne (août 1209), et le chevalier de Pépieux se lièrent d’amitié. En signe de bonnes relations Simon alla même jusqu’à laisser occuper quelques places du Minervois à son nouvel ami. Toutefois cette belle entente (feinte de la part de Guiraud ?) allait bientôt brutalement cesser.
Le revirement du seigneur de Pépieux, trouve son origine dans un sombre événement l’ayant personnellement touché et dont nous fait part la Canso (traduction de Mary-Lafon)[8] :
Giraud de Pépion qui, d’un autre côté,
Avait la paix du comte, aussi s’est révolté ;
Mais par une raison, grave à la vérité,
Un Franc occit son oncle ; or, Montfort irrité
Voulut qu’il fût tout vif dans la fosse jeté.
Jamais on ne montra plus de sévérité,
Et l’homme était Français et de grand’parenté,
Donc Giraud aurait dû se tenir pour vengé ;
Mais, au contraire, il fond sur lui comme enragé,
Ainsi, Guiraud éprouvant un grand ressentiment du meurtre de son cher parent, trouva là l’argument à repasser dans le camp occitan. Lors de l’absence de Montfort, alors à Montpellier, autant pour se venger, que pour marquer son entrée en résistance, il alla prendre (par surprise) le château de Puisserguier (34).
Et Pierre de Vaulx-de-Cernay ajoute[9] :
[…] il jeta dans une tour du château les servants du comte, dont il s’était saisi au nombre de cinquante. Puis, comme dans la nuit même où le comte s’était retiré, il songea à déguerpir sur l’heure de minuit, dans la crainte qu’il ne revînt au lendemain l’assiéger en forme, ne pouvant par trop grande hâte emmener ses captifs de la tour, il les précipita dans un fossé de cette tour même, fit jeter par-dessus eux de la paille* du feu, des pierres, et tout ce qu’il trouva sous la main et bientôt quittant le château, il gagna Minerve, traînant après lui les deux chevaliers qu’il avait en son pouvoir […] au point du jour, le comte étant de retour au susdit château, et le trouvant vide, le renversa de fond en comble ; et quant à ces gens gisants dans le fossé, lesquels avaient jeûné pendant trois jours, il les en fit retirer, trouvés qu’ils furent, […] sans blessure ni brûlure aucune. Partant dudit lieu, le comte rasa jusqu’au sol plusieurs châteaux dudit Gérard, et peu de jours après il rentra dans Carcassonne. Pour ce qui est de ce traître et félon Gérard, il avait conduit les chevaliers de Montfort à Minerve et ne tenant cas de sa promesse, faussant son serment, il ne les tua point, il est vrai, mais ce qui est plus cruel que la mort, il leur arracha les yeux et, leur ayant amputé les oreilles, le nez et la lèvre supérieure, il leur ordonna de retourner tout nus vers le comte. Or, comme il les avait chassés en tel état pendant la nuit, le vent et le gel faisant rage, car en ce temps-là l’hiver était très âpre, un d’eux, ce qu’on ne saurait ouïr sans larmes, vint mourir en un bourbier ; l’autre, ainsi que je l’ai entendu de sa propre bouche, fut amené par un pauvre à Carcassonne.
Puis sans tarder, pour « se mettre au vert », le chevalier de Pépieux s’esquiva dans les lointains confins des Corbières.[10]
Raison certainement pour laquelle il ne put participer, au cours de l’été 1210, à la défense de Minerve.
L’année suivante, Guiraud est excommunié (comme receleur, fauteur, défenseur des routiers, hérétique[11] et chef de bande) par l’évêque d’Uzès et Arnaud Amaury, légats du Siège apostolique, et ses biens confisqués. Il tomba de fait en faydiment[12], état qu’il conservera (lui, ou — comme on le verra plus loin — un de ses proches ?), à part probablement lors de la parenthèse de la reconquista occitane, jusqu’à sa mort.
En Mars 1211, Simon de Montfort, poursuivant la conquête du comté de Toulouse, assiège Lavaur (81). L’énergique résistance de la ville, compliquant singulièrement la situation, oblige le comte à faire appel à des renforts. De nombreux « pèlerins »[13] arrivant de Carcassonne, sont attaqués dans les environs proches de Montgey (81), par des troupes commandées par le comte de Foix, son fils, leurs alliés et… Guiraud de Pépieux.
Voici l’épisode raconté par Pierre de Vaulx-de-Cernay[14] :
[…] une multitude de pèlerins venaient de Carcassonne à l’armée et voilà que ces ministres de dol et artisans de félonie, savoir, le comte de Foix, Roger Bernard, son fils, Gérard de Pépieux, et beaucoup d’autres hommes au comte de Toulouse, se mettent en embuscade avec, nombre infini de routiers dans un certain château nommé Montjoyre [aujourd’hui Montgey (81)], près de Puy-Laurens puis, au passage des pèlerins, ils se lèvent, et se jetant sur les pèlerins désarmés et sans défiance, ils en tuent une quantité innombrable […]
Le guet-apens ayant été parfaitement préparé, la surprise est complète. Désorganisés, ne pouvant faire face efficacement à l’assaut, Allemands et Frisons sont presqu’en totalité massacrés.
Néanmoins, cette déroute cinglante n’aura aucune incidence sur le cours du siège ; Montfort, même privé des renforts, finira par prendre la ville.
Toujours en 1211, à l’automne, suite au siège avorté de Toulouse par Simon de Montfort, l’ost occitan de Raymond VI et Raymond-Roger de Foix, passera à l’offensive. Sa marche l’amènera devant les murs de Castelnaudary, dont le siège sera aussitôt entrepris. Montfort, alors à Carcassonne, fait route à marche forcée vers la ville, et après avoir envoyé mander des renforts, parvient par choix tactique à s’y laisser enfermer. Débute ainsi une guerre de position. À la nouvelle que le comte honni n’était plus libre de ses mouvements, toute la région avoisinante se soulève et se libère (pour quelques mois seulement) du joug des français. C’est alors que les renforts attendus par les assiégés, arrivant de Lavaur, sont interceptés à la hauteur de Saint-Martin-Lalande (11) par le comte de Foix ainsi que ses alliés du Carcassès et du Lauragais.
Guillaume de Tudèle nous conte alors le combat que livra Guiraud de Pépieux, à cette occasion[15] :
Un chevalier d’ici, Giraud de Pépion,
Du preux comte de Foix le meilleur champion,
Pique son destrier des tranchants éperons,
Et du seigneur Bouchard rencontre un des Bretons
Débouchant de la voie au milieu des buissons.
Il le fiert dans l’écu, lui perce le poumon
Malgré cotte et haubert, et le cloue à l’arçon,
Si bien que par le dos il lui sort un tronçon
De lance tout sanglant ainsi que le perinon.
A terre celui-là choit sans confession.
Voyant frapper ainsi Giraud de Pépion,
Les Français furieux partent comme lions
Chacun en bon vassal.
Cependant, Montfort, depuis la plus haute tour du château, voyant que la mêlée ne tournait pas à l’avantage de ses amis, décida d’aller leur porter secours. Laissant le minimun de troupes dans le castrum, il partit à grand galop renverser les chevaliers occitans et l’issue de la bataille. Après avoir mis le contingent du comte Foix en déroute, il voulut, dans l’élan, chasser l’armée de Raymond VI. Toutefois le corps toulousain, bien campé dans ses retranchements, ne pouvait être délogé par un coup de main. L’attaque en règle fut remise au lendemain. Profitant alors de l’aubaine le comte de Toulouse et ses vassaux levèrent le camp pendant la nuit.
Et suit le siège des Touelles (que Pierre des Vaulx-de-Cernay, transcrit Tudelles) aujourd’hui Briatexte (81), fief de Frézouls de Lautrec, père de Guiraud de Pépieux. Le moine chroniqueur profite du bref récit de ce funeste épisode pour manifester à nouveau la profonde aversion qu’il éprouve envers le guerrier occitan[16] :
Peu de jours ensuite ils marchèrent rapidement pour assiéger un certain château du diocèse d’Albi nommé Tudelle, appartenant au père de ce très-méchant hérétique, Gérard de Pépieux, lequel ils prirent après l’avoir attaqué quelques jours, passant tous ceux qu’ils y trouvèrent au fil de l’épée, et n’épargnant que le seigneur, échangé depuis par le comte contre un sien chevalier que le comte de Foix retenait dans les fers, savoir, Drogon de Gompans, cousin de Robert de Mauvoisin.
Puis nous retrouvons le fier chevalier en charge, selon le souhait de Raymond VI, de la défense de la place de Saint-Marcel (81).
Pierre des Vaulx-de-Cernay nous dit donc[17] :
[…] et son avis [de l’abbé de Citeaux Arnaud Amaury] ayant été qu’on assiégeât Saint Marcel, château situé à trois lieues d’Albi, et commis par le comte de Toulouse à la garde de ce détestable traître, Gérard de Pépieux les nôtres s’y rendirent et en firent le siège […]
Toutefois, Montfort, faisant face à une troupe nombreuse et résolue, ne pouvant à la fois tenir le siège et protéger ses convois de ravitaillement régulièrement attaqués, fût obligé d’abandonner par manque de vivres.
Le récit ne nous apprend rien sur les gestes de Guiraud en cette affaire. Néanmoins, il met l’accent, sur la confiance que le comte de Toulouse lui avait accordée en l’assignant défenseur du fort tarnais.
Malgré tout, quelques mois plus tard, opportunément, le comte français viendra quand même occuper Saint-Marcel, celui-ci ayant été laissé sans garnison (Guiraud de Pépieux et sa troupe sont alors à Castelsarrasin [82]) et déserté par la population. Alors afin de se venger de son échec, il fera abattre les remparts ainsi que le donjon du château et incendier le bourg.
Après quoi vient le siège, par Montfort, de la ville de Moissac (82). C’est au cours de celui-ci, en 1212, que le condottiere reçut une délégation des gens de Castelsarrasin (82). Ceux-ci devant la fâcheuse tournure prise, pour les occitans, par le siège voisin, et le départ de la ville de Guiraud de Pépieux, jugèrent bon, par prudence, de venir faire leur soumission.
Ainsi la canso nous dit[18] :
« Point ne veulent se faire occire ou dépouiller.
Ils vont où les bourgeois d’Agen viennent d’aller.
Le moindre de deux maux il faut toujours chercher.
Bernard d’Esgal le dit : Dans un fangeux sentier,
Si tu vois devant toi ton compagnon tomber
Ou si tu passes l’eau, ne va point le premier,
Reste loin, si quelqu’un venait à se noyer
Pour pouvoir en arrière aussitôt retourner. »
Donc, si m’aide Jésus ! ils ne sont à blâmer.
Car celui qui devrait être leur bouclier,
Géraud de Pépieux, avec maint chevalier,
Sort du château disant qu’il n’y veut demeurer,
Et n’y demeurerait pour or ni pour denier,
Et s’en va maintenant camper sur le gravier
Contre ceux de Moissac, pour les exterminer,
Dont la ville fut prise.
Et cette soumission en entraîna d’autres, telle celle de Verdun-sur-Garonne notamment.
Une fois n’étant pas coutume, Guiraud et ses hommes auraient déguerpi vers Toulouse par les rives de la Garonne, comme le nous le dit Michel Roquebert.
Peut-être avait-il jugé que Castelsarrasin n’était pas raisonnablement défendable ?
On pourrait aussi interpréter les vers suivants comme ceci :
Et s’en va maintenant camper sur le gravier [Et va se poster sur la rive (du Tarn)]
Contre ceux de Moissac, pour les exterminer, [Pour attaquer ceux qui assiègent Moissac]
Dont la ville fut prise. [Malgré cela, la ville est conquise.[19]]
Si la traduction de Mary-Lafon et l’interprétation proposées sont justes, nous serions là devant un fait d’arme de Guiraud de Pépieux passé totalement inaperçu !
Toutefois, il est vrai que Pierre des Vaulx-de-Cernay ne mentionne pas cet (hypothétique) assaut dans son récit.
Toujours est-il, qu’intervention de Guiraud ou pas, Moissac finira par capituler.
Et puis plus rien. On ne sait ce qu’est devenu Guiraud de Pépieux ; aucune source ne nous renseigne sur sa destinée.
Néanmoins, Michel Roquebert nous dit qu’un Guiraud de Pépieux — est-ce le faydit ? ou son fils ? ou alors un neveu — est arrêté pour hérésie à Caunes [Minervois (11)] vers 1237 par l’inquisiteur Ferrier. Incarcéré au Mur (prison inquistoriale) de Carcassonne, il parviendra cependant à s’en échapper[20].
Enfin, un Guiraud de Pépieux participera à la révolte de Trencavel fils en 1240. Mais celle-ci tournera court. Les rebelles ayant échoué à prendre Carcassonne, pourchassés par le chambellan Jean de Beaumont, tenteront d’aller se réfugier dans le massif des Corbières (11 et 66). Rattrapés, les faydits sont alors cernés dans la petite fortification de la Roca de Buc (66). Faits prisonniers après de durs combats, Usalger d’Aigues-Vives (34) et Guiraud de Pépieux sont pendus séance tenante sur ordre du chambellan[21].
Si le Guiraud de 1240 est le même que celui évoqué depuis le début de ce rappel historique, celui-ci aurait donc été exécuté vers l’âge de 70 ans après, être resté en faydiment pendant presque 30 ans. Pour ceux qui pensent que c’est un âge trop avancé, pour cette époque, je rappelle qu’Olivier de Termes serait mort en terre sainte aux alentours de 74 ans.
Ce travail rassemble, pour mieux les mettre en lumière, les récits des faits d’armes de Guiraud de Pépieux, une des grandes figures de la résistance occitane face aux envahisseurs croisés.
À défaut d’être mieux connu, comme c’est le cas de Chabert de Barbaira, seigneur de Quéribus et d’Olivier de Termes, ce chevalier sort ainsi des limbes de l’histoire.
© Bruno Joulia – Août 2024
[1] M. Yves Gazagnes nous donne aux environs de 1170 comme année de naissance de Guiraud de Pépieux. https://gw.geneanet.org/ygazagnes?lang=fr&n=pepieux&p=giraud+de
[2] « L’épopée Cathare, 1198-1212, l’invasion » tome I, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1992, page 329.
[3] https://agel34.fr/le-village-dagel/lhistoire-du-chateau-dagel
[4] Les seigneurs de Pépieux étaient vassaux du vicomte de Narbonne. https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9pieux
[5] Guiraud de Pépieux a participé à la première croisade en 1095 à l’appel du pape Urbain II pour aller défendre le tombeau du Christ. https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9pieux
[6] Géraud de Pépieux (petit-fils de Guiraud), qui avait épousé Alix de Minerve. Poursuivi par le comte il fut contraint de se réfugier dans le nid d’aigle de son beau-père Guilhaume à Minerve. https://www.mairie-pouzols-minervois.fr/index.php/si-pouzols-m-etait-conte/un-peu-d-histoire
[7] « L’épopée Cathare, 1198-1212, l’invasion » tome I, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1992, page 457.
[8] https://archive.org/details/LaCroisadeContreLesAlbigeoisLafon/mode/2up (Page 76 du document). Une traduction bien oubliée aujourd’hui, que j’ai voulu mettre en avant.
[9] Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) / par Pierre de Vaulx-Cernay, Brière, Paris 1824. (Chapitre XXVII, pages 77, 78, 79, du document).
[10] « L’épopée Cathare, 1198-1212, l’invasion » tome I, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1992, page 329.
[11] « L’épopée Cathare, 1198-1212, l’invasion » tome I, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1992, page 378.
[12] http://hautpoul.blogg.org/faydits-chevaliers-sans-terre-a125237988
[13] « Au nombre de cinq mille au moins dit la chanson » (Page 99).
https://archive.org/details/LaCroisadeContreLesAlbigeoisLafon/mode/2up
[14] « Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) » par Pierre de Vaulx-Cernay, Brière, Paris 1824. (Chapitre L, page 138).
[15] https://archive.org/details/LaCroisadeContreLesAlbigeoisLafon/mode/2up (Page 119 du document).
[16] Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) par Pierre des Vaulx-de-Cernay, Brière, Paris 1824. (Chapitre LX, page 182).
[17] Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) Pierre des Vaulx-de-Cernay, Brière, Paris 1824. (Chapitre LX, page 183).
[18] https://archive.org/details/LaCroisadeContreLesAlbigeoisLafon/mode/2up (Page 133).
[19] Il est à signaler que les deux premiers traducteurs de la Canso (Claude Fauriel et Jean-Bernard Mary-Lafon) n’ont pas la même interprétation de ces vers que les deux suivants (Paul Meyer et Eugène Martin-Chabot). Ces derniers se seraient aperçus (par déduction) de la perte, par le scribe (du manuscrit conservé aujourd’hui à la BnF) de quelques syllabes, ce qui aurait donc entrainé un sens tout différent à ce que voulait, d’après eux, exprimer originellement le poète (Guillaume de Tudèle). Voilà pourquoi Michel Roquebert nous dit que Guiraud de Pépieux évacue Castelsarrasin par la grève de la Garonne – vraisemblablement pour gagner Toulouse : « L’épopée Cathare, 1198-1212, l’invasion » tome I, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1992, page 481.
[20] « L’épopée Cathare, mourir à Montségur », tome IV par Michel Roquebert, éditions Privat, 1990, page 300.
[21] https://www.academia.edu/39008838/Identifier_la_Roca_de_Buc_pour_une_r%C3%A9vision_de_l_itin%C3%A9raire_de_l_exp%C3%A9dition_de_Jean_de_Beaumont_dans_la_s%C3%A9n%C3%A9chauss%C3%A9e_de_Carcassonne_automne_1240_ (Page 94).
Guilhem Bélibaste, né à Cubières-sur-Cinoble1 vers 1280, n’aurait sans doute jamais été ordonné chrétien cathare, s’il n’avait tué au cours d’une querelle le berger Barthélémy Garnier qui menaçait de dénoncer la famille Bélibaste à l’Inquisition. Après ce meurtre commis en 1305, il doit quitter sa famille et fuir son pays pour sauver sa peau, et, rentrer dans les ordres selon l’éthique cathare pour tenter de sauver son âme.
C’est grâce aux témoignages recueillis par Jacques Fournier dans son Registre de l’Inquisition, et notamment grâce au long récit de Pèire Maury, le berger croyant, passeur et fidèle ami dévoué, que l’on connait la mission pastorale de Bélibaste auprès de la communauté occitane de l’exil.
Guilhem Bélibaste était-il analphabète? L’époque et le milieu social de cette histoire peut évidemment nous le laisser présumer sans trop nous tromper. Nous n’avons pas de témoignage réel de ses pratiques personnelles comme a pu en recueillir Anne Brenon2 au sujet de la famille Autier:
« Pour leurs croyants, les Bons Hommes prêchent, exposent, expliquent, Jaume lisant dans le livre des Écritures, probablement en latin, et « son père expliquant en langue vulgaire » selon la déposante Sébélia Peyre, chez qui les deux chrétiens séjournèrent quelques jours à l’automne 1301 ».
Henri Gougaud, dans la biographie romancée qu’il en a dressée3, imagine l’ enseignement de Félip d’Alayrac plutôt oral et basé sur la mémoire, comme l’apprentissage par cœur d’une leçon:
« Le soir, il (Bélibaste) trouvait Philippe et Alaïs dans la grande cuisine. Le parfait lui lisait l’Évangile de Jean, tandis que la servante rapiéçait des vêtements devant le feu. »
Et encore, le romancier fait dire au Chrétien Félip: « Il te faudra aussi apprendre l’Évangile de Jean, la prière du Consolament et les gestes du rituel. Je t’enseignerai tout cela avec l’aide de mon aîné Raymond de Castelnau qui fit de moi, l’année de mes vingt ans, un chrétien véritable. »
Toujours est-il que nous devons reconnaître, sur l’appui des prêches qu’il nous a laissés que Bélibaste avait une connaissance sûre des mythes, de la morale et de la Bienveillance cathares. Ces connaissances nous prouvent de même la qualité de l’enseignement prodigué par Félip d’Alayrac .
On peut être aujourd’hui subjugué par l’incroyable cohérence de la dernière Église cathare médiévale alors éclatée dans la clandestinité entre Pays d’Oc, Italie et Espagne, et pourtant dotée d’une organisation sans failles et d’une énergie jusqu’au-boutiste. L’équipe de l’Ancien qui ne dépassera jamais la quinzaine de Bons Hommes pour le territoire d’au moins cinq départements actuels est une véritable Église se regroupant dès que nécessaire malgré les dangers engendrés par le marteau inquisiteur. Dans les premières années du XIVe siècle, l’Église de la reconquête est constituée des pasteurs suivants: Pèire Autier, son frère Guilhem Autier, Amiel de Perles, Andrieu de Prades, Pèire-Raymond de Saint-Papoul, les premiers de retour d’Italie où ils furent ordonnés aux environs de l’an 1300. Puis en 1303, Félip d’Alayrac4 et la probable dernière Bonne Femme Jaumeta5 arrivent à leur tour. En 1301, l’Ancien ordonne son fils Jaume Autier et Pons d’Ax (Pons Bayle), puis est encore ordonné Pons d’Avignonet (Pons de Na Rica) alors que de nouveaux novices suivent leur formation de chrétien: Pèire Sans, l’agent de liaison formé et ordonné par l’Ancien en 1306; Raymond Fabre formé et ordonné par Fèlip d’Alayrac et Guilhem Autier en 1307, complèteront cette première équipe. En 1306, Félip d’Alayrac commence la formation de Bélibaste qui sera probablement ordonné en 1308 (aucune source connue). En cette année, au heures sombres de l’écrasement inquisitorial, sera encore initié et ordonné un des fils du maître des forges de Junac, Arnaud Marty par Guilhem Autier. Pèire Sans, à son tour, formera un jeune novice Pèire Fils de Tarabel, et en avril ou mai 1309, l’Ancien réfugié dans une borde isolée de Verlhac (Tarn-et-Garonne) ordonnera son dernier novice, le jeune Sans Mercadier.
À cette Église cathare occitane, il faut adjoindre son diacre exilé en Lombardie, visité plusieurs fois par les Bons Hommes, selon les impératifs de l’Église, et lui-même de retour en Occitanie vers 1304 pour répondre à une demande de l’Église, mais probablement reparti dès la fin de l’année vers le refuge italien après l’arrestation de Guilhem Peyre-Cavaillé devenu un dangereux délateur.
Nous rencontrerons aussi, en terre d’exil espagnol, un autre Bonhomme, Raymond de Castelnau (cité par H. Gougaud) aussi nommé Raymond de Toulouse qui semble peu cité par l’Inquisition. Il mourra en 1316 à Granadella (Espagne) .
Les analyses de Michel Roquebert et d’Anne Brenon s’accordent parfaitement sur la composition de la société croyante cathare du début du XIVe siècle. Elle est différente de celle d’avant la croisade et se caractérise par des différences géographiques tendant à opposer un milieu rural assez analogue à celui d’avant la croisade, c’est-à-dire conservant la fidélité des classes dirigeantes, à un milieu citadin plus populaire et ayant quasiment perdu l’appui nobiliaire.
Simultanément à la multiplication des ordinations, se forme le réseau clandestin des nouvelles maisons cathares destinées à héberger et protéger les Bons Hommes en perpétuelle itinérance. Le tissu social de ce réseau est représentatif de cette communauté croyante populaire rurale ou citadine.
Ce que dit Anne au sujet des croyants: « La société croyante du comté de Foix apparait en effet plus franchement notable, voire nobiliaire, que celle qu’on aura l’occasion de rencontrer, autour des Bons Hommes, dans les sénéchaussées de Carcassonne et de Toulouse, où les élites se sont largement ralliées au roi et à l’Église catholique. » Et encore: « Parmi les fidèles des Bons Hommes, tout leur clan familial, l’intelligentsia de Sabartès, gens notariale, agents comtaux, robins de vieille noblesse — des Larnat aux Rabat — et même des prêtres et vicaires; mais aussi des artisans et commerçants des villes et des paysans de la montagne. […] Toute une société, dont rien n’indique qu’elle soit frappée d’arriération ni de pessimisme, mais qui prend le tournant du XIVe siècle sans renier la foi de ses pères — la foi de Pèire Autier. »
Ce que dit Michel Roquebert au sujet des prédicateurs6: « La méthode de prédication parait utiliser, plus que par le passé, le mythe, atteignant des milieux humbles, artisans et paysans. En dehors du pays de Foix, l’Église de Pèire Autier ne réussit pas à toucher la noblesse ni la bourgeoisie, à de très rares exceptions près. L’oligarchie toulousaine a récupéré depuis 20 ans les patrimoines confisqués (par la croisade) et ne veut pas prendre le risque de les voir à nouveau lui échapper. » Cette tendance nous sera utile pour comprendre les prêches du Bon Homme Bélibaste.
Ces croyants de « milieux humbles », pour la plupart analphabètes, en tout cas illettrés, dont les connaissances morales et religieuses se transmettent en grande partie par un enseignement oral des mythes, contes et légendes populaires, dont les mentalités conservent des reliquats de croyances païennes et autres superstitions; ces croyants donc constituent en ce début de siècle le monde de Bélibaste, le monde qui l’a vu naitre, le seul monde qu’il connait alors. Ses croyants et lui sont de ce même monde. Cette différence notable entre lui et les autres chrétiens tel qu’un Pèire Autier ou un Félip d’Alayrac, personnes cultivées, à l’esprit ouvert formé par les voyages, est importante pour bien appréhender notre Bon Homme. Depuis sa fuite des Corbières sur les talons de Félip, « Il avait fait en une semaine plus de chemin qu’en toute son existence […] » nous conte Henri Gougaud.
L’Église de la reconquête ne connaitra plus aucun répit à partir de 1309. Jaume Autier est repris et brûlé le 3 mars 1309 à Carcassonne. Félip d’Alayrac et Bélibaste y sont emprisonnés mais s’évadent et peu après gagnent la Catalogne. L’Ancien est arrêté à la mi-août, jeté au Mur de Toulouse7 où se trouve Amiel de Perles. Puis Raymond Fabre est pris à son tour. Son frère Guilhem et leur compagnon Arnaud Marty sont brûlés à Carcassonne, fin 1309 ou printemps 1310, après la sentence de Geoffroy d’Ablis. Le 9 avril 1310, l’Ancien est brûlé devant la cathédrale Saint-Étienne à Toulouse. Fèlip d’Alayrac revenu voir des croyants en Donezan est arrêté à Roquefort-de-Sault et brûlé. Dans son épilogue, Anne suppose que quelques Bons Hommes survivent encore quelque temps réfugiés en Italie; peut-être Pèire-Raimond de Saint-Papoul et Pèire Sans? De l’autre côté des Pyrénées, Guilhem Bélibaste et sa petite communauté de croyants permettront à l’Église cathare occitane de connaitre un sursis de 10 ans .
C’est au cours de l’été 1309 que toute la population adulte de Montaillou est arrêtée et emprisonnée par Geoffroy d’Ablis pour être interrogée. De ces procédures rien n’a été conservé, écrit Anne et c’est plus tard qu’on apprendra les dégâts causés par cette rafle: enfants abandonnés à eux-mêmes, tel ou telle mort(e) au Mur ou encore rentré(e) mourir au village avec la croix infamante, maisons détruites, relaps brûlés, cadavres exhumés et exil massif. Le long récit de Pèire Maury apporte vie et densité à ces exilés montallionois et fuxéens que le berger fréquentait régulièrement entre ses périodes d’estives. Ces émigrés souvent en transit, à l’instar de leur seul guide spirituel, dessinaient comme une aura dans les petits villages espagnols, toujours inquiets d’être au plus près de leur dernier Bon Homme qui cheminait lui-même au gré des travaux saisonniers pour pourvoir à la subsistance de sa famille. On peut suivre ainsi notre chrétien à Berga, puis Lerida, Granadella, Flix, Tortosa, Morella où il exerce divers métiers: tisserand, cordonnier, fabriquant de peignes (pour métiers à tisser), et souvent berger auprès de Pèire. À San Mateo, Pèire Maury rend visite à Pèire et Raimond Issaura de Larnat, et à Pèire Maury, frère de Guillemette. À Lérida, il retrouve le forgeron Bernat Servel et son épouse Esperte de Tarascon. À Juncosa, il visite Mersende Marty, sa tante qui s’installera ensuite à Beceite avec sa fille Jeanne et l’époux de celle-ci, Bernat Befayt. Quant à son autre tante, Guillemette Maury, souvent citée, une fois veuve elle s’installera à Ortas avec ses deux fils Jean et Arnaud. Les paroles simples et sincères de Pèire Maury nous transportent avec force émotion dans le quotidien de cette petite diaspora spirituelle soucieuse de faire sa bonne fin, en quête de l’entendensa del Bé .
Il m’a paru intéressant de poser cette question en tant que croyante du XXIe siècle afin de m’aider à inscrire notre spiritualité dans le monde actuel, sans en oublier ses racines. Évidemment, il est clair qu’un croyant cathare d’aujourd’hui n’est pas porté par l’ultime espérance de la consolation qui libère l’âme et la rend pour l’éternité au Royaume de Dieu. Évidemment notre pensée rationnelle et nos connaissances scientifiques nous empêchent d’adhérer à certaines de leurs interprétations cosmogoniques et nous obligent à confondre leurs croyances superstitieuses et religieuses, reliquat d’un paganisme persistant. Mais l’essentiel qui nous relie à eux est bien toujours le même: c’est cette foi, c’est la volonté de se fier au principe du Bien envers et contre tout le Mal qui habite ce monde, et même si le long chemin vers l’entendement du Bien est une quête plus personnelle, il s’agit toujours d’accomplir sa bonne fin, il s’agit de retrouver la pureté divine originelle qui seule peut mettre fin au cycle répétés des transmigrations.
« Le catharisme est la seule spiritualité où l’on ne peut sauver que soi, et encore très difficilement »: Guilhem de Carcassonne, prêche du 11 août 2024.
Évidemment, le chrétien est un être humain comme les autres et les Bons Hommes le savaient bien. Malgré l’admiration que leur portaient leurs croyants, la Règle était là pour les exhorter à l’humilité, le service mensuel — tel que nous le connaissons aujourd’hui — était là aussi pour leur rappeler qu’eux seuls étaient des pécheurs car conscients de leurs fautes en tant que consolés. Seuls leurs détracteurs les taxèrent de Parfaits pour mieux les dénigrer, seuls leurs croyants les appelèrent Bons Chrétiens probablement par admiration. Mais aujourd’hui comme hier, si vous nommez ainsi un chrétien, il vous répondra sans hésiter que seul Dieu est Bon. Voilà pourquoi aujourd’hui, comme hier, le croyant consolé se nomme simplement chrétien. Il a une conscience aigüe de sa condition d’humain soumis aux manigances du démiurge, de la possibilité permanente de chuter et de perdre la pureté offerte par le Paraclet lors de sa consolation. Son détachement du monde jamais complètement accompli — sur cette terre — est probablement sa plus douloureuse entreprise. Entreprise imaginée ainsi par Henri Gougaud: ce sont les paroles du maître Félip d’Alayrac à son élève Guilhem Bélibaste: « J’ignore si nous serons un jour sauvés, si même ce mot n’est pas dénué de sens. Mais je sais que nous devons traquer un trésor toujours plus lointain, inaccessible, illusoire sans doute, simplement parce qu’en notre vie ne nous fut pas donné d’autre chemin, d’autre choix que cette folie. À la poursuite de cette chimère, il te faudra traverser toutes les montagnes, tous les déserts, toutes les tempêtes, tout ce que la géographie des rêves peut élever d’obstacles. De temps en temps tu redresseras l’échine et te révolteras contre l’invisible cravache qui te pousse en avant. Parfois, au seuil d’une nuit effrayante, tu refuseras d’avancer, comme font les ânes rétifs. Mais partout où tu devras passer en quête du trésor qui n’existe pas, même à travers flammes, de gré ou de force tu passeras. Ne cherche aucune raison à cela, il n’y en a pas. Il n’y a pas de sens, Guillaume. Il n’y a qu’un espoir sans objet à porter sur un chemin sans fin ». Notre conteur avait bien compris le lâcher prise, façon cathare.
En croisant, au cours du récit de Pèire, les Bons Hommes de l’équipe de l’Ancien, on se rend heureusement compte qu’ils s’agit bien d’humains avec leurs faiblesses et leur petits défauts mais, des conflits connus entre les Bons Hommes (Amiel de Perles contre Pèire-Raimond de Saint-Papoul, Andrieu de Prades contre les frères Autier, etc.), on retiendra que, malgré la hauteur de spiritualité exigée d’eux, les chrétiens ne peuvent se maintenir en permanence au-dessus de la condition humaine, étant tout simplement eux-mêmes des humains. Ils appréhendent cette condition comme un garde-fou utile exhortant à l’humilité permanente: « Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » a dit l’apôtre Paul. Bélibaste, le berger devenu chrétien malgré lui, même s’il faillit gravement à sa mission au point d’être déchu de son état de chrétien, était sans contexte doté de cette foi cathare qui lui donna le courage d’affronter la mort sans abjurer et de « passer à travers les flammes ».
Bélibaste , le Bon Homme « près de ses sous »
La foi des croyants de la petite communauté ne les aveuglait pas quant aux faiblesses de leur seul guide, plusieurs témoignages nous le prouve bien. Comparé aux figures marquantes disparues notre pauvre Bon Homme ne gagnait pas au change: « Le Monsieur de Morella ne sait pas prêcher. Mais quand on entendait prêcher les Messieurs Pèire et Jaume Autier, c’était une gloire. Ceux-là savaient prêcher! » avait dit Pèire à Arnaud .
Ils étaient plusieurs aussi à relever son avarice, jusqu’à son fidèle ami Pèire. Ce dernier lui confiera en effet que sa tante Guillemette le traitait de « menudier », c’est-à-dire d’avare, « […] et pour cette raison, il irait avec eux de sou en sou ».
C’est Pèire encore, qui dans sa déposition relate à l’inquisiteur les confidences du Bon Homme Raimond de Toulouse, colporteur de mercerie et forgeron à l’occasion auprès de Bernat Servel à Lérida. « Il (Raimond) me dit qu’il était resté avec Guillaume Bélibaste à Morella. Ils ne s’étaient pas bien entendus au sujet des dépenses car, disait-il, Guillaume était très avare, et lui Raimond ne pouvait pas travailler autant que lui […] »
Un chrétien, nous le savons doit faire vœu de pauvreté. Comme nous, Bélibaste était sur le chemin.
Le milieu socio-culturel de Bélibaste nous aide à comprendre ce penchant diffus dans les croyances des cultures orales, qui se transmettent de génération en génération. On n’imaginerait pas un Pèire Autier, l’autorité religieuse de référence pour la plupart des croyants, ni un autre chrétien lettré d’ailleurs, dans une des situations telles que celles rapportées par Pèire Maury.
Lorsque Bélibaste révèle à son ami berger ses inquiétudes au sujet du voyage qu’il a promis de faire à Arnaud Sicre, le Bon Homme a auparavant consulté un sorcier censé deviner les présages de ce voyage. La narration de Pèire ne manque pas d’être cocasse: « Il (le sorcier) prit un soulier de l’hérétique et mesura avec ce soulier en partant de l’âtre où l’on faisait le feu jusqu’à la porte de la maison. Et, d’après ce que disait ce sorcier, en faisant cette mesure avec le soulier, si tout le soulier ou la plus grande partie, à la dernière mesure, sortait de la porte de la maison, cela signifiait que si l’hérétique y allait, il n’en reviendrait pas; mais si la moitié ou tout le soulier restaient à l’intérieur du seuil, cela signifiait que s’il y allait, il reviendrait ».
L’augure s’avéra mauvaise car tout le soulier avait dépassé le seuil de la porte. Mais Bélibaste, tenant à honorer la promesse faite à Arnaud Sicre décidait finalement de faire le voyage déclarant que « si Dieu, son Père le demandait, c’était l’heure d’aller à lui ». Comme nous, Bélibaste était sur le chemin, mais il ne doutait pas de son Dieu et ne manquait pas de courage.
Pèire assista en personne à cette autre scène alors qu’ils étaient de retour vers la France, sur le chemin du piège conçu par Arnaud Sicre.
Entre Agramunt (Catalogne) et Lérida, une pie traversa trois fois le chemin devant les marcheurs en jacassant. Le Bon Homme dit alors: « Saint-Esprit, aide-nous! ». Bélibaste avait entendu son père dire que c’était mauvais signe quand les oiseaux traversaient la route par laquelle on devait passer. Il fut arrêté quelques heures après . Qui se dit sourd à tous les signes? Comme nous, Bélibaste était sur le chemin.
Même si l’on sait que les Bons Hommes prêchaient contre le culte des saints, contre tous les cultes superstitieux de l’Église romaine, contre ses sacrements, notamment celui du mariage, le fait de s’en remettre aux conseils d’un chrétien avant de conclure un mariage parait avoir été un fait coutumier des croyants en exil. Il était crucial pour les derniers chrétiens itinérants de connaitre des maisons fidèles dans lesquelles les deux époux, dans l’entendement du Bien, assuraient la perpétuation de l’Église. Le Bon Homme lui-même l’explique ainsi: « Les gens de ce pays sont si fiers: dès qu’ils sont mariés, ils veulent se séparer de leurs parents. Si leurs femmes n’étaient pas de la « entendensa », nous ne pourrions pas mettre le pied chez eux, et s’ils étaient malades, nous ne pourrions pas faire que leurs épouses s’éloignent de leur lit, et nous ne pourrions pas les recevoir […] »
Le Bon Homme dit un jour à son ami berger: « Vous ne pourrez pas toujours papillonner. Moi, je vous conseillerais de prendre une femme qui serait de la entendensa et de rester avec elle. […] Si l’un de vous était malade, l’autre pourrait envoyer nous chercher pour que le malade soit reçu ».
On notera, une fois encore, cette préoccupation omniprésente de la nécessité de la Consolation aux mourants comme seule issue possible vers le salut.
Mais on sait que Bélibaste entretenait un plan précis: Raimonde et lui s’étant attachés l’un à l’autre et ayant entretenu une relation sexuelle, le Bon Homme se trouvait alors face à une future paternité totalement incompatible avec son statut de chrétien (dont il était d’ailleurs déchu par son péché de chair). Pour tenter de sauver l’honneur, il n’avait trouvé d’autre solution que de faire endosser cette paternité à son plus fidèle compagnon. Malgré l’attachement porté à sa liberté, Pèire finit par céder: « Et comme il insistait encore pour que je prenne femme, je lui demandai quelle femme lui paraîtrait bonne pour moi. Il me répondit que cette Raimonde, qui demeurait avec lui serait bonne pour moi ». La pratique des faux couples pour ne pas éveiller les soupçons de l’Inquisition étaient alors couramment utilisée dans la clandestinité. Pèire raconte encore: « Quand nous fûmes rentrés à Morella, il parla à Raimonde à part puis, alors que nous étions près du feu, et qu’il faisait déjà nuit avant le dîner, il dit, à Raimonde et à moi, que dans le saint mariage, les Bons Hommes ne faisaient qu’entamer le propos, et qu’alors les croyants se mettaient d’accord sur le mariage à faire, s’ils le pouvaient, en présence des Bons Hommes […] Ceci dit, je demandai à Raimonde si elle voulait bien que je fusse son mari; elle me répondit que oui et nous ne dîmes ni ne fîmes rien de plus. C’est ainsi qu’eut lieu le mariage entre Raimonde et moi, en présence de l’hérétique et de Guillemette, la fille de Raimonde ».
On ne peut néanmoins voir notre berger comme la dupe du chrétien. C’est probablement par amour-propre, tant pour lui que pour sa religion, qu’il présente à l’inquisiteur les faits sous le jour le moins ridicule. En effet, ses propos ultérieurs ne laissent aucun doute à ce sujet. Alors qu’il se trouve chez sa tante Mersende en présence de Blanche, la sœur de Raimonde, cette dernière leur confie qu’elle avait surpris les deux amants dans une position univoque. Ce qui lui arracha le cri: « A na Malnada!8 Tu as mis le désordre dans toute l’affaire de la saint Église! » Alors que notre merveilleux berger au-dessus de ces humaines faiblesses, invite Blanche à se taire sur tout cela qui « n’était rien », Blanche étaie alors son propos par une nouvelle confidence: « […] en raison du fait qu’il avait connu ainsi charnellement Raimonde, il s’était fait ré-hérétiquer par l’hérétique Raimond de Toulouse; et cela, elle l’avait entendu dire à sa sœur Raimonde ».
Mersende, quant à elle clôt ainsi le chapitre: « Oh oh! Mon neveu, ce n’est pas étonnant que l’hérétique et Raimonde t’aient plumé et qu’ils n’aient pu te supporter! » Pèire participa donc bien à son mariage en toute connaissance de cause, et de plus eut la grandeur d’âme de ne tenir aucune rigueur à son ami qui, trop jaloux pour supporter la situation, délia les liens quelques jours après. Notre Bon Homme reconnaissant devant le berger qu’il pensait avoir mal agi en provoquant cette union, et la déliant « de la part de Dieu » dépassa les bornes de la bienséance jusqu’à proposer à son ami de lui envoyer l’enfant, fille ou garçon, qui pourrait naître de ces liens rompus! On notera la hauteur de vue du berger qui, ici comme dans bien d’autres situations, nous prouve qu’il a tout compris à la loi d’Amour, celle dont Guilhem de Carcassonne dit: « Elle ne juge pas, ne pardonne pas , elle excuse, mieux , elle ne ressent pas l’offense ».
Arnaud Sicre (aussi nommé Arnaud Baille du nom de sa mère) errant jusqu’en Catalogne, à la recherche d’hérétiques à « vendre » à l’inquisiteur, dans le but de récupérer les biens de sa mère confisqués pour fait d’hérésie, imagina ce piège afin de faire tomber le dernier chrétien.
Dans sa déposition Pèire raconte qu’Arnaud Baille avait dit à l’hérétique qu’il avait une tante qui habitait du côté de la Seo d’Urgel: « C’était une femme très riche, et elle avait dit que dans ce pays-là se trouvaient deux Bons Hommes, qui devaient venir auprès d’elle vers la fête de Pâques ».
De plus vivait avec cette tante une des sœurs d’Arnaud, et la tante tenait beaucoup à la donner en mariage à un croyant: « Elle avait dit que tout se fasse du conseil de l’hérétique et il semblait que les conditions requises par sa tante, Arnaud Maury, le fils de Guillemette, les remplissait car il était un bon croyant, et c’était aussi un jeune homme capable ».
Voici comment le suppôt de l’inquisiteur tendit diaboliquement les filets du piège qui devaient perdre le Bon Homme. Bélibaste pouvait d’une part chapeauter un mariage entre personnes de l’entendement tel qu’il le conseillait à ses croyants, et, d’autre part rencontrer deux autres Bons Hommes qui auraient pu le sauver de sa déchéance. Nous devons, ici, nous rappeler que deux Bons Hommes réunis, à eux seuls sont l’Église. Dans cette période de danger permanent, en cas de manquement désespéré à la Règle, l’un des deux religieux est ainsi toujours dans la capacité de réconcilier son compagnon, c’est-à-dire de le consoler à nouveau, sauver son âme et son ministère. Anne précise dans Le dernier des cathares que cette pratique n’a rien d’hérétique et est appliquée aussi bien par les religieux catholiques. On sait, selon les propos de Blanche, que Raimond de Toulouse avait « sauvé » Bélibaste une première fois. On peut voir là, un recours à des manières d’urgence d’une Église moribonde car au temps de l’Église en paix comme au temps de l’Église de Pèire Autier, même l’Ancien n’avait pas le pouvoir de réconcilier un chrétien ayant péché contre l’Esprit ou contre l’Église. Pour cela, le Bon Homme Amiel et les deux jeunes Bons Hommes Pons Bayle et Pons de Na Rica ayant fauté furent envoyés près du diacre Bernat Audouy, seul apte à les réconcilier par une nouvelle Consolation.
Bélibaste, ayant de nouveau rompu son vœu de chasteté, avait de nouveau perdu son statut de chrétien. Seul, un autre chrétien pouvait le consoler. Ce voyage, même s’il s’annonçait mal était quand même pour lui symbole de Salut. C’est ainsi que fut fait, confie Pèire Maury, le contrat entre Arnaud Sicre et Arnaud Maury, « par l’entremise et l’arbitrage de l’hérétique et de moi-même, selon lequel la tante d’Arnaud donnait en dot à la sœur d’Arnaud 100 livres de Barcelone et deux mulets ». Ce mariage n’eut donc jamais lieu puisqu’il n’était qu’un prétexte à faire revenir Bélibaste sur les terres soumises à l’autorité de l’archevêque de Narbonne pour pouvoir l’arrêter.
Bélibaste, arbitre des conflits
L’Église cathare récuse formellement la peine de mort, quel que soit le crime commis. Elle récuse de même tout jugement selon le précepte évangélique « Ne juge pas, et tu ne seras pas jugé ». À la justice civile elle substitue un système de règlement amiable entre croyants au sein duquel la hiérarchie de l’Église a un rôle à jouer. En cas de crime, elle se garde bien de remettre à la juridiction adéquate le croyant coupable: elle l’oblige — pénitence suprême — à se faire ordonner (cf. Gaucelin de Miraval, 1195; Guilhem Bélibaste, 1308) 9
« C’est au nom de la vérité que l’on s’abstient de juger. En effet, qui peut prétendre détenir la vérité au point de pouvoir émettre un jugement valable et durable? » Guilhem de Carcassonne, prêche du 11 août 2024.
À Beceite, la tante de Pèire Maury vivait avec sa fille Jeanne et l’époux de Jeanne, Bernat Befayt. Or, dans cette maison, seule Jeanne était non-croyante, ou plus exactement avait perdu la foi dans l’exil. Perdurait au sein de la maison un climat de violence et de haine, la fille menaçant sans cesse de livrer sa mère aux flammes. Au sein de la communauté, grandissait un climat de méfiance à l’égard de Jeanne susceptible de les faire tous arrêter. Au point que certains d’entre eux, envisageant l’assassinat de la non-croyante « possédée », choquèrent tant notre berger qu’il décida de prendre conseil auprès du chrétien. Celui-ci répondit: « Il est bon que nous délibérions sur ce qu’il faut en faire, soit qu’on l’emmène quelque part loin de nous, soit qu’on la ramène à Montaillou, d’où elle vient […] On doit enlever la mauvaise ronce et planter à la place un bon figuier» (Matthieu. 7, 16-19). Et, après une ultime délibération entre croyants, la dernière réponse du Bon Homme au berger fut: « Que les croyants fassent de cette Jeanne ce qui leur semble bon. J’ai déjà fait connaitre mon opinion, et il serait temps que les croyants cessent de tergiverser ».
Guilhem Bélibaste ne joua pas vraiment de rôle dans ce conflit entre Pèire Maury et sa tante Guillemette, si ce n’est pour exprimer quelques remarques sur sur cet « emalezitz»10 qui ne voulait rien savoir du Bon Homme, refusant tour à tour de recevoir son pain bénit et de lui offrir un mouton. Tombé malade, fortement sollicité par la communauté à faire sa bonne fin, il se montra à nouveau rétif et seul Pèire se montra respectueux de sa décision. Comme nous l’avons vu pour Jeanne, la situation précédente se répéta dans le cercle des croyants, et c’est la tante Guillemette qui proféra les paroles assassines pensant son neveu « possédé par le démon ». Le Bon Homme Bélibaste, probablement par respect pour son ami berger, ne prit pas partie. L’affaire heureusement finit bien car Jean guérit. Mais il est intéressant d’observer dans ce microcosme replié sur lui-même, comme les humains, sous l’emprise de leurs sentiments, peuvent juger et condamner sans aucune bienveillance. Un être bienveillant, ici en la personne de Pèire, a dans ce cas une importance capitale dans le règlement du conflit.
C’est donc probablement pour tenter une nouvelle fois sa réconciliation avec l’Église que notre Bon Homme déchu courut à sa perte: il s’agissait de trouver un autre chrétien, seul apte à le consoler, c’est-à-dire à l’affranchir de sa faute contre l’Esprit . On connait tous la fin. Il est intéressant néanmoins de faire une incursion rapide dans la déposition du traitre responsable de cette fin, même si ses propos sont à considérer avec beaucoup de prudence. En effet le traître, agent de l’Inquisition, comparaissait néanmoins pour hérésie et devait donc démontrer qu’il n’avait à aucun moment adhéré au catharisme. Arnaud Sicre confie à l’inquisiteur: « Quand nous fûmes à Castelbon11, l’hérétique et moi, nous avions le même fer aux pieds et nous étions seuls au sommet de la tour la plus haute du château. L’hérétique me dit: « Si tu pouvais revenir à de meilleurs sentiments, et te repentir de ce que tu as fait contre moi, je te recevrais12, puis tout deux, nous nous précipiterions au bas de cette tour, et aussitôt mon âme et la tienne monteraient auprès du Père céleste, où nous avons des couronnes et des trônes tout préparés, et quarante-huit anges portant des couronnes dorées avec des pierres précieuses viendraient chercher chacun de nous pour le conduire au Père. »
Henri Gougaud réécrit cette scène :
« Arnaud, si tu le veux, cette nuit nous mourrons ensemble, comme deux frères inséparables. Nous nous jetterons du haut de cette tour et nous tomberons tout droit aux pieds de Dieu. Nous serons jugés. Je plaiderai pour toi. Tu sais que je parle bien quand il le faut. Tu seras sauvé, je te le promets. Tu n’auras plus à souffrir de tes méchancetés, tu n’auras plus peur, tu seras libre ».
À fréquenter le registre de Jacques Fournier, j’ai le sentiment d’avoir partagé une certaine intimité avec les exilés de Montaillou. Mais je ne peux la faire perdurer à l’infini. Je salue le Bon Homme Bélibaste, le Bon Homme qui suivit jusqu’au bout le chemin, le Bon Homme dans lequel chacun et chacune d’entre nous peut se reconnaître. Merci, Bonhomme, de nous avoir convié à partager avec vous une part commune de notre humanité!
© Chantal Benne 29/08/2024
Notes.
-1. Cubières-sur-Cinoble: petite commune de l’Aude dans le massif des Corbières
-2. Anna Brenon, « Le dernier des cathares Pèire Autier » Perrin éditions, collection tempus
-3. Henri Gougaud, « Bélibaste », Éditions du Seuil, points
-4. Félip d’Alayrac , lettré de Coustaussa en Razès, lui aussi fut ordonné en Italie
-5. Jaumeta, Anne Bourrel de son nom civil, originaire de Limoux, tenait rue de l’Étoile à Toulouse une des dernières maisons de l’Église. Selon Anne, elle se rendait chez ses croyantes, et aurait hasardé dans la ville une pastorale féminine assez analogue à celle qu’un siècle plus tôt pratiquaient les Bonnes Femmes. Sa compagne, Cerdane Faure, formant un faux couple avec le passeur Pèire Bernier pour donner une respectabilité catholique à la maison de l’Étoile, changera de nom et s’appellera Esclarmonde, ce qui fait supposer à Anne Brenon qu’elle avait peut-être suivi un début d’initiation chrétienne et qu’elle mourut en chrétienne.
-6. Michel Roquebert, Patrice Teisseire-Dufour, « Cathares encyclopédie d’une résistance occitane », Privat éditions 2024
-7. Le Mur est décrit dans l’appel lu par les neufs consuls de Carcassonne devant un chapitre des Prêcheurs, à l’inquisiteur Galand, en 1285: « Vous avez fait une nouvelle prison, qu’on appelle le Mur, et qui mériterait mieux d’être appelée l’Enfer. Vous y avez construit en effet beaucoup de petites pièces pour tourmenter et supplicier les gens par diverses sortes de tortures. Certaines sont si obscures et si privées d’air que ceux qui y sont ne peuvent discerner s’il fait nuit ou s’il fait jour. Dans d’autres, les malheureux ont les pieds immobilisés, tant par des fers que par des entraves de bois; ils ne peuvent pas bouger, ils font et urinent sous eux, ils ne peuvent se coucher que le dos sur la terre froide, et ils restent longtemps dans ce supplice, nuit et jour. Dans les autres endroits de la prison, non seulement on manque de lumière et d’air, mais aussi de nourriture, sauf le pain et l’eau de douleur, qui ne sont même donnés que très rarement ». ( cf. encyclopédie d’une résistance occitane)
-8. « A na malnada! : Madame la bâtarde!
-9. M. Roquebert op cite note 6 et 7
-10. « emelezitz »: devenu mauvais
-11. Je te recevrai dans l’Église, c’est-à-dire je ferai de toi un chrétien
-12. Castelbon
Note de l’auteur :
Le jeu de mot du titre m’oblige à utiliser le mot « feu » qui désigne un homme décédé depuis peu, alors que la légende du miracle du feu persiste encore dans nos régions, notamment dans les milieux catholiques.
En ces temps d’avant croisade (contre les albigeois) où le dialogue semblait encore possible, des joutes oratoires étaient organisées, afin que chacune des deux Églises — cathare et catholique —, puisse discuter des interprétations des textes sacrés et de la doctrine, voire du dogme qui en était l’expression pour les catholiques, la doctrine cathare n’étant jamais figée mais constamment améliorable si nécessaire[1].
Les auditeurs, les autorités politiques ou un jury composé par les deux parties étaient censés départager les intervenants. Le but de ces rencontres était de déterminer qui détenait la vraie Foi.
La dispute[2] de Montréal (1207) fut la dernière avant le déclenchement de la croisade. Elle faisait suite à celles de Lombers (1165), Carcassonne (1204), Servian (1205)[3], Verfeil (1206) et Pamiers (1207) à laquelle participait aussi un vaudois[4].
Selon Guillaume de Puylaurens[5], on ne sait qui des cathares ou des catholiques proposa cette rencontre. Cependant chacune des deux parties était représentée, par des docteurs de renom. Benoit de Termes, Guilhabert de Castres, Pons Jourda et Arnaud Hot, entre autres, côté cathare ; Diègue d’Osma, Pierre de Castelnau, Raoul de Fontfroide et Dominique de Guzman pour les catholiques. Il fut choisi, comme arbitres laïcs, après accord entre les adversaires, les chevaliers Bernard d’Arsens et Bernard de Villeneuve et les bourgeois Arnaud de la Rivière et Bernard de Got. La controverse porta sur la légitimité de l’Église romaine et le bien-fondé de la messe. Elle dura plusieurs jours et tout fut consigné par écrit. Les argumentaires rédigés furent remis aux juges pour sentence. Cependant, les documents ayant été perdus à l’arrivée de la croisade[6], la chose ne put jamais être arbitrée. Cela n’empêcha pas, selon le juge Bernard de Villeneuve, environ cent cinquante auditeurs hérétiques de se convertir.
Auparavant, le religieux et chroniqueur Pierre de Vaux-de-Cernay avait raconté[7] qu’au cours de la disputatio de Montréal[8], s’était déroulé un évènement fantastique et merveilleux que je vous relate ici.
Devant l’impossibilité de se départager, les adversaires avaient alors décidé de faire appel au jugement de Dieu, autrement dit une ordalie. Les écrits avaient donc été jetés dans l’âtre d’une cheminée, le factum des hérétiques se consumant aussitôt, tandis que celui composé par le chanoine Dominique s’était élevé par trois fois au-dessus des flammes, puis selon les frères prêcheurs, si haut et si chaud, qu’il était allé brûler une poutre du plafond[9].
L’état de moine, de Pierre de Vaux-de-Cernay, l’ayant sans aucun doute incité, à faire le récit d’une dispute agrémentée d’un miracle, afin de mettre en condition ses lecteurs pour la suite de sa relation[10].
Voici donc une narration visant à décrédibiliser le catharisme, par une intervention divine ayant fait se consumer les écrits des hérétiques et conserver ceux des catholiques, ainsi que par l’annonce de l’avènement d’un nouveau champion spirituel enseignant l’authentique voie du salut[11].
Mais comme si tout cela n’était pas suffisant à faire douter les brebis égarées, la légendaire dominicaine affirmera que ladite controverse se déroula non pas à Montréal, mais à Fanjeaux !
À l’évidence, on ne peut voir là que la volonté de situer le fameux miracle dans le lieu même de résidence du futur saint[12], faisant ainsi de Fanjeaux un haut lieu du catholicisme et non plus du catharisme[13] comme ce fut le cas quand Guilhabert de Castres en avait fait le siège de l’évêché cathare du toulousain.
Enfin, après avoir constaté l’entreprise de propagande de Pierre de Vaux-de-Cernay, ainsi que la récupération de l’évènement par les dominicains, je voudrais rajouter que pour les cathares qui n’accordaient pas de crédit aux saints et à leurs miracles, les ordalies n’avaient pas plus de sens, car les sentences étaient rendues grâce à des éléments mondains, œuvres de Satan par essence. Il est donc impossible que les Bons-chrétiens[14] se soient soumis à l’épreuve.
En outre, l’ordalie est discutable en elle-même. En effet, les écrits étaient réalisés à chaud pendant la disputatio, ce qui donne à penser qu’ils étaient opérés sur des parchemins en rouleau, ou au mieux en feuilles détachées qui pourraient secondairement être réunies en codex[15]. Son interprétation est différente selon les camps. Pour les catholiques, Dieu étant maître du monde et de la matière, il oriente le résultat selon ce qu’il veut décider. Par contre, pour les cathares, le maître de ce monde est le diable et c’est donc lui qui agit sur la matière. Rien d’étonnant que les premiers imaginent que Dieu a épargné le travail de Dominique alors que les seconds trouvent tout aussi logique que ce soit le diable qui l’ait fait. N’oublions pas que les épreuves divines (ordalie, submersion, etc.) étaient surtout interprétées dans le sens qui arrangeait le jury catholique. Ainsi une victime soumise au feu qui décédait était convaincue d’avoir été châtiée par Dieu, mais si elle échappait à la mort, elle pouvait tout aussi bien être convaincue d’avoir été sauvée par le diable, ce qui justifiait sa mise à mort. Comme dit le proverbe : « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. »
En réalité, ce que démontrent ces disputationes c’est que les catholiques étaient loin de supplanter les cathares dans les affrontement théologiques et doctrinaux, malgré le fait d’avoir formé des corps monastiques spécifiquement dédiés à cet usage, comme les dominicains et les franciscains.
Ainsi on remarque que l’Église romaine ayant tenté de convaincre les populations occitanes par les prêches essaya également de le faire au travers de controverses. Cependant ayant échoué par ces voies, outre qu’elle appela à la croisade, elle continua — ne pouvant se renier —, d’affirmer avec force par le biais de récits (chroniques et légendaires) qu’elle détenait la vraie Foi puisqu’elle avait reçu le concours du tout-puissant.
Et selon la formule même de Dominique de Guzman, futur saint Dominique : « Si vous ne pouvez être convaincus par la parole, vous le serez par le feu ! », admonestation qui devait devenir une réalité quelques années plus tard, même si Dominique ne participa ni à la croisade et, bien entendu, ni à l’Inquisition qui débuta après sa mort (1221).
© Bruno Joulia le 03/08/2024 dans Histoire du catharisme
[1] Cette différence entre conception catholique figée et cathare plastique était une des pierres d’achoppement entre les deux Églises et le reste aujourd’hui pour certains historiens qui ne peuvent imaginer une Église cohérente avec des doctrines non figées.
[2] Terme d’étymologie latine (disputatio, disputationis), utilisé tel quel en occitan médiéval au singulier et en disputationes au pluriel.
[3] Histoire de Servian, par l’Abbé Bousquet, Montpellier, Imprimerie de la manufacture de la charité (Pierre-Rouge) 1925, page 13.
[4] Les vaudois (ou valdésiens) étaient des religieux chrétiens, considérés comme hérétiques par l’Église catholique, quoique judéo-chrétiens et se disant eux-mêmes « vrais catholiques », qui venaient de la région lyonnaise et savoyarde. Leur référence était Pierre Valdès. Suite à leur répression, une partie d’entre eux se retrouva en Occitanie où ils furent amenés à côtoyer les cathares qu’ils considéraient comme hérétiques.
[5] Histoire de la guerre des Albigeois. Chronique de Guillaume de Puylaurens, Paris, Brière libraire, 1824. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91453r.texteImage
[6] Cette information contredit la thèse de la légende de l’ordalie qui n’aurait laissée aucun doute sur le devenir du texte cathare.
[7] Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) par Pierre de Vaux-de-Cernay , Paris, Brière Libraire, 1824. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1122310
[8] « Or cela se passa à Mont-Réal » page 28 de l’Histoire de l’hérésie des Albigeois… (op. cit.)
[9] Poutre, dont ne parle aucunement Pierre de Vaux-de-Cernay dans sa chronique.
[10] Il est à noter que le moine emploiera à dix-sept reprises de mot miracle dans sa chronique. Il est en outre le seul à révéler certains évènements auxquels sont liés des faits surnaturels dont il aurait été témoin ou qu’on lui aurait rapporté (comme le miracle de Castres par exemple. Histoire de l’hérésie des Albigeois, pages 70 et 71).
[11] « Un des nôtres, nommé Dominique, homme de toute sainteté. » page 28 de l’Histoire de l’hérésie des Albigeois.
[12] Le miracle du feu, ne fût qu’un des nombreux miracles prêtés à Saint-Dominique, en Lauragais : miracle des épis de blé, miracle de l’orage…
[13] L’illustre évêque cathare du toulousain, Guilhabert de Castres, a résidé à Fanjeaux à deux reprises, pendant de longues années avant partir s’installer à Montségur pour y instaurer l’Église cathare de la résistance.
[14] Terme employé par les croyants cathares pour désigner les chrétiens cathares, c’est-à-dire ceux ayant reçu la Consolation qui ne se désignaient eux-mêmes que comme chrétiens.
[15] Contrairement à un parchemin en rouleau, un codex est un assemblage de feuilles de parchemin réunies en livre par couture sur un des bords longs. L’ancêtre de nos livres actuels en quelque sorte.
Dans son Histoire des Albigeois et des Vaudois ou Barbets[1], Jean Benoist produit un extrait inédit qui expose la doctrine des « hérétiques » qui sévissaient à Mur-de-Barrez du temps de la croisade des Albigeois, en 1211 précisément. Ces « hérétiques » sont nommés « Bulgares » dans le texte, il s’agit sans aucun doute possible de nos cathares, les fameux bougres. Il est curieux que cet extrait n’ait attiré l’attention de quiconque. Personne ne s’est soucié de faire des recherches sur la pièce dont parle Jean Benoist ni de tirer un quelconque profit de l’extrait produit par ce dernier.
Dans son ouvrage, aux pages 39-41, Jean Benoist explique que la comtesse d’Auberoque lui remit un « titre » daté de 1375 qu’elle avait trouvé en son château de Tinnières. À ce que je déduis des propos de Benoist, ce document contenait les pièces d’un procès qui s’était tenu sous le règne de Charles V entre Bernard, comte de Rodez, et le comte d’Auberoque. Parmi ces pièces il y avait, entre autres, des lettres de Philippe Auguste. Le motif du procès portait sur des droits que le comte d’Auberoque disait posséder à Rodez et à Mur-de-Barrez. Il attestait que les seigneurs de Tinnières étaient les descendant d’un certain Jean de Beaumont, baron de Tinnieres, et que celui-ci avait pris le parti de Simon de Monfort du temps de la croisade des Albigeois. Il avait d’ailleurs rendu « de grands services à l’Eglise dans le Païs de Roüergue ». Il avait « chassé les Bulgares de la Cité de Mur du Barroy » et avait taillé « en pieces les Albigeois, qui etoient venus pour se rendre maîtres de Rhodez ». Or, Jean Benoist repéra dans les liasses qu’il avait sous les yeux un court extrait qui se rapportait à la doctrine des « hérétiques bulgares » en question. L’extrait qu’il produit est à première vue déroutant parce que la doctrine exposée ne se retrouve pas telle quelle nous est habituellement connue mais elle ne la contredit nullement. Bien au contraire, « l’hérésie » dénoncée s’insère parfaitement dans ce que nous connaissons du catharisme. Tous les sacrements catholiques sont réfutés au motif qu’ils avaient été annulés par le don du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Ces « hérétiques bulgares » prêchaient par ailleurs « un Dieu seulement bon et non juste ». Un témoignage capital qui conforte ce que nos modestes travaux ne cessent de démontrer. Les cathares étaient les lointains descendant de la chrétienté qui se rangea derrière Marcion de Sinope en 144.
L’Église de Marcion fut une grande Église, la première à se constituer de manière organisée. C’est elle qui est à l’origine du Nouveau Testament. Marcion avait collationné les tous premiers écrits chrétiens pour constituer un corpus assuré de l’Évangile, à savoir le récit sur Jésus et les débuts de la communauté chrétienne que Silas, un compagnon de l’apôtre Paul, avait composé ainsi que les épîtres — les courriers — que l’apôtre Paul avait adressées aux premières assemblées. Marcion opposait ainsi ce nouveau livre à la Torah pour démontrer combien l’Évangile avait été détourné par ceux qui voulaient l’insérer dans le droit fil de la tradition vétérotestamentaire. C’est le génie théologique de Marcion qui lança le slogan de son Église : le dieu de Moïse est un dieu juste et non un dieu bon. Ce sont les antithèses de Marcion, opposant l’Évangile et la Loi mosaïque, qui ont édifié ce christianisme si singulier dont nous voyons l’aboutissement chez les cathares médiévaux.
Cette chrétienté que Marcion a fédéré en Église constituée a été persécutée à mort par celle que Constantin mit au pouvoir à partir du IVe siècle. C’est d’ailleurs lui qui interdit formellement le « culte marcionite », aussi bien public que privé[2]. Au fil du temps la répression réduisit comme peau de chagrin cette chrétienté dont Justin disait en son temps, rageusement, qu’elle s’était répandue « à travers le monde »[3]. Cependant, les coups ne tardèrent pas à la faire presque entièrement disparaître. C’est par village entier, à la pointe des glaives des légionnaires, qu’on procéda à la conversion de ces chrétiens qu’on nommait marcionites. C’est ainsi que Théodoret, l’évêque de Cyr, put se glorifier d’avoir « amené à la vérité pour leur grande joie huit bourgs infestées par l’erreur de Marcion, ainsi que les régions avoisinantes »[4]. Des communautés marcionites parvinrent toutefois à se maintenir dans la clandestinité en ses foyers, là même où le christianisme était né : en Syrie, en Asie mineure et sans nul doute en Macédoine. Il faut tout de même rappeler que c’est là que l’apôtre Paul jeta toutes ses forces pour enraciner l’Évangile loin des « faux frères »[5] qui s’acharnaient à renverser les assemblées qu’il avait fondées et qui contrebattaient l’Évangile qu’il avait reçu du « Seigneur » lui-même[6]. N’oublions pas non plus qu’Aristarque le Macédonien de Thessalonique, fut le compagnon le plus dévoué de l’apôtre Paul[7]. Mais il n’était évidemment pas le seul Macédonien à entourer l’apôtre Paul, il faut encore citer Secundus[8], Gaius[9] et Sopatros[10]. Il est clair que la Macédoine fut le foyer privilégié des premiers chrétiens. C’est eux qui tinrent fermement l’Évangile prêché par l’apôtre Paul, celui-là même que Marcion revendiqua et porta aux nues. Faut-il alors s’étonner que des « hérétiques » soient mentionnés en Macédoine au Ve siècle qui se nommaient « eux-mêmes cathares, c’est-à-dire purs »[11] ? Purs au sens de vrais et bons chrétiens évidemment. Cela ne confirme-t-il pas ce que disaient les « hérétiques » entendus par Evervin quand ils disaient que leur « hérésie était demeurée cachée jusqu’à nos jours depuis le temps des martyrs et qu’elle s’était maintenue en Grèce et en d’autres terres » ? N’était-ce pas également ce que confirme Raniero Sacconi, un cathare passé au catholicisme, quand il dit dans sa Summa de Catharis que toutes les Églises cathares ont pour origine celles de Bulgarie et de Dragovitie ? Églises dont nous savons qu’elles étaient implantées en Macédoine, c’est-à-dire dans ce territoire associé à la Grèce. Il faut avoir les yeux et les tympans crevés par les aprioris et une conception totalement erronée de l’histoire et de la théologie chrétienne pour ne pas voir ce qui est éclatant et pour ne pas entendre ce qui est criant !
Maintenant venons-en à l’analyse du texte lui-même. Mais tout d’abord lisons la traduction du texte que Benoist a édité afin de se faire ses propres idées avant de lire les nôtres.
« Ils disaient que le pouvoir de Dieu le Père dura aussi longtemps que dura la Loi mosaïque parce qu’il est écrit que lorsque les choses nouvelles arriveront, les anciennes seront rejetées. Après la venue du Christ tous les sacrements de l’Ancien Testament ont pris fin et la loi nouvelle est entrée en vigueur en ce temps dont ils prêchaient ces choses-ci : À ce temps-là, donc, ils disaient que les sacrements du Nouveau Testament prenaient fin et que le temps de l’Esprit Saint était advenu, et par conséquent le Baptême, la Confession, la Pénitence, l’Eucharistie et les autres sacrements sans lesquels il n’y a pas de salut, du reste ils n’avaient plus lieu d’être, désormais chacun ne pouvait être sauvé qu’intérieurement par la grâce du Saint Esprit, sans être inspiré par un quelconque acte extérieur. Ils ont amplifié la vertu de la charité de telle manière que ce serait un autre péché si cela était fait. Dans la charité il n’y avait plus de péché, et même de luxure, et autres plaisirs qu’au nom de la charité ils accomplissaient avec les femmes avec lesquelles ils péchaient, et avec les simples qu’ils trompaient, promettant l’impunité des péchés, ils prêchaient un Dieu seulement bon et non juste ».
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« Ils disaient que le pouvoir de Dieu le Père dura aussi longtemps que dura la Loi mosaïque parce qu’il est écrit que lorsque les choses nouvelles arriveront, les anciennes seront rejetées »
Nous le savons bien, les cathares distinguaient très clairement le dieu néotestamentaire du dieu vétérotestamentaire. Ils identifiaient ce dernier au diable. Mais dans l’exposé des doctrines professées par les « hérétiques bulgares » cette distinction n’apparaît pas du tout. Le propos parle d’un « Dieu le père » pour désigner le dieu de l’Ancien Testament. Il n’échappera à personne que ce terme prête à confusion car c’était un terme que les cathares utilisaient couramment pour désigner le Dieu révélé par Jésus, celui que ce dernier appelait précisément père. Faut-il donc entendre que les « hérétiques » du Mur-de-Barrez considéraient que le dieu de Moïse était le dieu auquel ils croyaient ? Certes pas ! Le terme n’était pas propre aux cathares. C’était un vocable unanimement employé et son emploi n’est le fait ici que du rédacteur. C’est lui qui considérait que le dieu de la Loi, le dieu de Moïse, était Dieu le père, père, naturellement, parce qu’il était le créateur de toutes choses. Le rédacteur rapporte les doctrines des « bougres » d’après ses convictions. C’est là toute la difficulté d’un peu tout le texte si on n’a pas repéré cette subtilité. Ceci étant dégagé, la suite du propos épinglé ne pose aucune difficulté. Les « hérétiques » du Mur-de-Barrez bornent le pouvoir du dieu de la Loi à la Loi elle-même puisque, comme le dit le texte lui-même, les « choses nouvelles » ont rejetées les « anciennes ». Les choses nouvelles sont évidemment ce qu’annonce le Nouveau Testament et les choses anciennes sont tout aussi évidemment ce que l’Ancien Testament a institué. Autrement dit le pouvoir du dieu de la Loi s’est arrêté quand Jésus est descendu sur terre. C’est lui qui mit fin à la Loi. C’était là la grande conviction de l’apôtre Paul que Marcion de Sinope a défendu bec et ongle : « Christ est la fin de la Loi »[12]. C’est aussi cette destitution du dieu de la Loi, du haut de son piédestal, qui fit dire à Jésus : « j’ai vu Satan tomber du ciel comme l’éclair »[13]. Sa prédication avait foudroyé l’imposteur qui s’était révélé à Moïse et qui s’était joué de lui en lui montrant son cul. C’est en effet de dos qu’il se montra.
« Après la venue du Christ tous les sacrements de l’Ancien Testament ont pris fin et la loi nouvelle est entrée en vigueur en ce temps dont ils prêchaient ces choses-ci : À ce temps-là, donc, ils disaient que les sacrements du Nouveau Testament prenaient fin et que le temps de l’Esprit Saint était advenu, et par conséquent le Baptême, la Confession, la Pénitence, l’Eucharistie et les autres sacrements sans lesquels il n’y a pas de salut »
La suite confirme l’énoncé qui le précède : « tous les sacrements de l’Ancien Testament ont pris fin et la loi nouvelle est entrée en vigueur ». La « loi nouvelle », c’est évidemment les impératifs évangéliques : tu ne jureras pas[14], tu ne mentiras pas[15], tu ne convoiteras pas la femme que tu regarderas[16] (appel à l’abstinence sexuelle et non l’interdit de l’adultère), tu ne te coucheras pas sans avoir pardonner celui qui t’aura fait offense[17] etc., la liste est longue. Ce qui peut paraître encore une fois étonnant, c’est la suite du propos quand il est question de la suppression des « sacrements du Nouveau Testament […] sans lesquels il n’y a pas de salut », c’est-à-dire « le Baptême, la Confession, la Pénitence, l’Eucharistie et les autres sacrements ». Mais là encore, c’est le fait du rédacteur, c’est lui qui considère que les sacrements mentionnés sont utiles au salut. Les cathares avaient évidemment le point de vue diamétralement opposé. Les preuves sont là en abondance et à commencer par le texte lui-même puisqu’il annonce aussi la fin des sacrements associés au Nouveau Testament. Nous disons bien associés est nullement ceux du Nouveau Testament car c’étaient des impostures catholiques. C’est pourquoi les cathares récusaient et niaient avec force tous les sacrements que l’Église catholique jugeait utiles au salut. L’argument des « hérétiques bulgares » ici rapporté est puissant de par sa simplicité même. Comprenons-le bien : « Dieu le Père » — et là il faut se placer du point de vue des cathares eux-mêmes pour entendre la subtilité de leur propos — a mis fin aux « sacrements » juifs et aux sacrements catholiques. Précisons même un peu mieux en prenant soin d’inscrire leur proposition dans la logique de leur argument : De même que les « sacrements » de l’Ancien Testament ont pris fin avec la venue de Jésus (fait admis du catholicisme), les sacrements du Nouveau Testament (ceux que l’Église catholique disait se rattacher au Nouveau) ont pris également fins avec la venue du Saint Esprit. Autrement dit, le don du Saint Esprit supplante tout. Argument aussi imparable que percutant.
« … du reste, ils n’avaient plus lieu d’être, désormais chacun ne pouvait être sauvé qu’intérieurement par la grâce du Saint-Esprit, sans être inspiré par un quelconque acte extérieur ».
Nous l’avons vu, les sacrements, à savoir « le Baptême (celui d’eau bien entendu), la Confession, la Pénitence, l’Eucharistie » et les autres sornettes du même genre jugés « utiles au salut », pour paraphraser un peu le propos, non plus lieu d’être depuis que le Saint Esprit a été donné le jour de la Pentecôte. Le salut ne dépend plus d’un acte extérieur signifié par un tiers, c’est-à-dire les sacrements délivrés par les prêtres, mais par la seule grâce que donne le Saint Esprit quand l’homme le reçoit en lui. Nous avons là une évocation claire de la grâce qu’opère le consolamentum, le seul et unique sacrement cathare, qui infuse le Saint Esprit par imposition des mains. Là encore l’argument est très fort. Il annihile tout intérêt d’aller trouver un quelconque prêtre pour le salut de son âme. L’argument laisse clairement entendre que le baptisé d’eau, par exemple, ne pouvait point tomber sous la grâce de Dieu le Père parce que celle-ci était liée à la réception de l’Esprit Saint, c’est-à-dire au sacrement de l’imposition des mains. Là encore, manifestement, l’inspiration a été directement puisée dans ce que l’apôtre Paul avait déclaré au sujet de ceux qui demeuraient encore attachés à la Loi mosaïque : « Vous êtes séparés de Christ, vous tous qui cherchez la justification dans la Loi ; vous êtes déchus de la grâce ». Il était par conséquent facile d’appliquer le même propos à ceux qui restaient attachés à des impostures néotestamentaires. Les baptisés d’eau se séparaient du Christ et étaient exclus de la grâce tout autant que ceux qui se faisaient encore circoncire par attachement à la Loi et à son dieu, et ce en dépit du don du Saint Esprit Saint qui était descendu sur les plus fidèles disciples de Jésus le jour de la Pentecôte[18]. C’est bien ce temps-ci qui est le « temps » de la bascule dont il est question dans le propos.
« Ils ont amplifié la vertu de la charité de telle manière que ce serait un autre péché si cela était fait ».
Mieux encore que ce que nous avons vu. Aller quérir un quelconque sacrement auprès d’un quelconque prêtre pour son salut, c’est commettre un péché parce que c’est rejeter la grâce de Dieu, à savoir l’Esprit Saint. On ne peut faire plus dissuasif n’est-ce pas ? Il n’est d’ailleurs nullement impossible que ce péché évoqué soit le fameux péché contre l’Esprit si présent dans la pensée chrétienne. Ce péché mortel dont les évangiles disent qu’il ne peut être remis « en ce monde, ni dans l’autre »[19] du fait même que l’Esprit Saint est bafoué et méprisé. Or, il est patent, comme nous l’avons dit, qu’en persistant à baptiser d’eau en lieu et place de la transmission de l’Esprit Saint par imposition des mains, le Saint Esprit était bafoué et était méprisé, et de ce fait tout baptisé d’eau était exclu de la grâce de Dieu. Il était par ailleurs patent pour les cathares que le baptême d’eau était totalement inefficient. Il n’était bon qu’à laver la couenne comme le disait si bien Bélibaste. L’eau croupit et pue ajoutait-il. L’eau ne détient pas l’inaltérabilité du Saint Esprit. Il était par ailleurs patent que le baptisé d’eau ne suivait aucunement la voie étroite des impératifs évangéliques. Il ne vivait pas saintement. Il ne vivait pas selon l’Esprit de Dieu. Il n’était pas un bon homme, c’est-à-dire un bon et véritable chrétien. Il en était tout autrement pour celui qui recevait l’imposition des mains des bons et véritables chrétiens. L’efficience n’était pas que théologique chez les cathares, elle était concrètement visible. La règle de vie des chrétiens et chrétiennes cathares en témoignait. À l’inverse du baptême d’eau, l’imposition des mains n’était pas du pipeau.
« Dans la charité il n’y avait plus de péché, et même de luxure, et autres plaisirs qu’au nom de la charité ils accomplissaient avec les femmes avec lesquelles ils péchaient, et avec les simples qu’ils trompaient, promettant l’impunité des péchés ».
Que dans la charité il n’y a plus de péché, c’est là le cœur de l’enseignement de l’apôtre Paul, car c’est la Loi qui crée le péché. Le péché est en effet la désobéissance à la Loi. Or en Christ, comme le disait l’apôtre Paul, l’homme, autrement dit le chrétien, n’est plus sous la Loi mais sous la grâce du Saint Esprit. La Loi n’est plus et par conséquent les péchés qu’elle institue ne sont plus non plus. L’auteur de l’exposé a si bien compris l’argument, pur paulinisme, qu’il en a profité pour le retourner contre la libéralité prêtée aux « bougres ». Il faut bien le comprendre, les cathares, les « hérétiques bulgares » du texte, se répartissaient en deux statuts bien distincts. Il y avait d’une part les chrétiens et les chrétiennes qui étaient tenus impérativement d’observer les préceptes évangéliques, en l’occurrence la chasteté. D’autre part il y avait ceux qui n’étaient pas chrétiens mais qui appartenaient malgré tout à la communauté chrétienne en tant que catéchumènes. Ces derniers, l’Église cathare les appelait croyants parce que ce n’était pas des chrétiens. C’est la raison pour laquelle ils n’étaient pas tenus d’observer la règle de vie des bons et véritables chrétiens. Ils étaient par conséquent absolument libres d’agir à leur guise. Il est donc parfaitement vrai que ces derniers jouissaient d’une liberté totalement incompréhensible pour l’Église catholique qui, elle, entendait imposer à tous ses critères moraux. Les croyants cathares étaient d’autant plus libres qu’ils bénéficiaient d’une totale impunité de la part de leur Église. L’Église des bons et véritables chrétiens ne jugeait ni ne condamnait et contraignait moins encore. Elle disait au contraire que tous les péchés étaient absous par la réception de l’Esprit Saint. Aucune pénitence n’était nécessaire. C’est ce que l’auteur appelle tromper « les simples ». Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à la confession de Géraud de Rodes, de Tarascon : « Je les ai entendus parler de la pénitence, disant que ni les prêtres ni les prélats ni les religieux ne peuvent absoudre les péchés, mais eux seuls, les hérétiques, peuvent remettre les péchés. Ils disaient en effet que quel que soit le degré où l’on soit de grands péchés, que l’on soit usurier ou meurtrier, ou dans des péchés quelconques, ils vous absoudraient sans pénitence ni compensation »[20]. Mais là où le rédacteur est malicieux c’est quand il lie la prédication cathare aux mœurs libéraux des croyants. C’est évidemment une distorsion des faits. L’accusation d’immoralité sexuelle est un poncif anti-cathare qui n’a aucune réalité. Les chrétiens et les chrétiennes cathares observaient la chasteté la plus stricte. C’étaient des saints hommes et des saintes femmes. Quant aux croyants, rien ne nous montre qu’ils aient été plus libidineux ou dépravés en la matière que les fidèles catholiques, même s’il est vrai qu’ils jouissaient d’une liberté sexuelle de fait plus grande que celle de leurs homologues catholiques. L’Église cathare ne mariait pas et ne codifiait pas plus les rapports entre homme et femme. Les catholiques étaient au contraire tenus au strict contrôle de leur Église qui allait jusqu’à codifier des plus précisément les pratiques sexuelles. Elle les conditionnait de plus à la procréation et ne les permettait bien entendu qu’à l’intérieur du mariage. Des contraintes qui trouvaient leur compensation dans le recours à la prostitution.
« … ils prêchaient un Dieu seulement bon et non juste ».
Comme nous l’avons déjà dit dans l’introduction, nous avons-là le slogan propre à Marcion de Sinope. Un slogan qui doit être explicité. Marcion disait que le dieu de Moïse était seulement juste mais non bon. Mais pourquoi précisément seulement juste et non bon ? Parce que la bonté est tout simplement hors de ce qui est juste et hors de toute justice. La bonté est littéralement hors la Loi. C’est bien pourquoi Jésus fut exécuté. Comprenons bien, le dieu de la Loi mosaïque est un juge et il juge d’après la Loi qu’il a transmise à Moïse. Or, étant donné que la désobéissance à la Loi est un péché, tout contrevenant est coupable de péchés ; et le péché, nous le savons bien, c’est la mort ; et comme tout homme contrevient d’une manière ou d’une autre à la Loi, il est coupable de mort devant son Législateur. C’est précisément pour ne pas exterminer les hommes jusqu’au dernier pour leurs menus péchés, les plus gros eux étant bel et bien sanctionnés par lapidation, pendaison ou bûcher, qu’Adonaï, l’Éternel des armées, institue les sacrifices et autres holocaustes dont l’odeur lui est si fort agréable[21]. La culpabilité des hommes est déportée sur un bouc émissaire : les malheureux animaux que l’on égorge et brûle à la place des coupables. Remarquons-le au passage, les autels sont les bouches de l’enfer ! Les sacrifices sont une abomination sans nom auquel Jésus s’opposa en prétextant que le temple ne pouvait être qu’une maison de prière et non de sacrifice et autres trafics odieux. Nous l’avons compris, puisque Adonaï juge et rétribue les hommes selon la Loi, c’est indéniablement un dieu juste. Il fait droit aux justes (les observateurs de la Loi) et condamne les injustes (les transgresseurs de la Loi). C’est donc bien un dieu juste. Il rétribue en fonction des mérites ou des fautes. Dans la Torah il déclare en effet haut et fort « rendre à l’homme selon ses œuvres et rétribuer chacun selon ses voies »[22]. Le dieu de Jésus vu par Marcion est au contraire un dieu injuste puisqu’il ne condamne pas les pécheurs et ne récompense pas les saints. Lui, comme le disait Jésus, faisait « lever son soleil sur les méchants et les bons ». Il ne rétribue pas en fonction des œuvres. Il fait grâce, totalement grâce, de toute la force de sa dilection. Autrement dit c’est un dieu bon et seulement bon. Il ne juge ni ne condamne. Il aime.
Nous l’avons suffisamment développé en introduction. Les cathares sont les descendants directs des marcionites. Bien sûr, il est toujours facile de démonter ce lien en raison de l’extrême faiblesse des sources, mais le faisceau d’indices est bien là et ne peut-être balayé d’un revers de main. Il s’agit bien pour nous d’une seule et même Église qui fut connue sous deux noms différents dans le cours de l’histoire, et même sous trois noms principaux, si nous voulons être plus précis en ajoutant celui des pauliciens. Nous attendons toujours que l’on nous propose une explication plus pertinente que la nôtre. Que l’on nous oppose des arguments contraires, nous saurons y répondre.
En tout état de cause, la doctrine qui nous est donnée ici à voir est la plus belle de celle qui nous ait été donnée d’entendre sur les cathares. Il est bien regrettable que personne n’en ait tenu cas. La simplicité de son argumentaire, la force de ses idées exprimée en quelques mots serrés, énergiques et bien liés, si on excepte les commentaires et autres points de vue du rédacteur, est un témoin inestimable du génie de la prédication cathare. Un génie qui n’avait rien à envier à celui de Marcion de Sinope. C’est toute la beauté et la grandeur de leur foi en ce dieu de parfaite dilection qui répandit son Esprit sur ceux qui le reconnurent pour père.
Jean Benoist, Histoire des Albigeois et des Vaudois ou Barbets, volume 1, Paris, 1691, pp. 39 – 41 :
[…]De tous les titres qui servent à prouver la vérité de cette histoire, je n’ay rien vû de plus curieux que des lettres de Philippe Auguste, rapportées dans un titre de 1375 que Madame La Contesse d’Auberoque a trouvé dans son Château de tinnieres. Cette Dame me l’ayant communiqué, j’ay reconnu qu’il étoit passé sous le Regne de Charles V Roy de France, & que le sujet fut une contestation entre Bernard Conte de Rhodez, & le Conte d’auberoque, pour des droits appartenans à ce dernier sur les villes de rodez & de Mur du Barroy. Les lettres dont ce titre fait mention sont de 1211 & portent que Jean de Beaumont Baron de Tinnieres a chassé les Bulgares de la Cité de Mur du Barroy, & garenti la ville de Rhodez contre ces heretiques […] On voit par l’acte de verification qui en a esté fait, que les Seigneurs de tinnieres descendent de ce Jean de Beaumont, qui ayant pris le parti de Simon de Monfort, rendit de grands services à l’Eglise dans le Païs de Roüergue, sur tout lors qu’il tailla en pieces les Albigeois, qui etoient venus pour se rendre maîtres de Rhodez. On y void encore quelques erreurs de ces hérétiques, que l’on a ignorées jusqu’à cette heure : j’ai mis cet acte dans les preuves, qui pour faire connoïtre que ces erreurs ont été tirées de la secte des bogomiles, dont le chef étoit un nommé Basile Medecin, & des Marcionistes, qui pour mieux établir l’impunité des peschez, prêchoient un dieu seulement bon, & non pas juste. […]
Jean Benoist, Histoire des Albigeois et des Vaudois ou Barbets, volume 1, Paris, 1691, pp. 267 – 268 :
[…]Extrait de l’acte du Sieur de tinnieres passé en 1375 par lequel on découvre quelques erreurs des albigeois, que tous les Historiens n’ont point rapportées.
Dicebant quod potestas Dei Patris duravit quamdiu duravit Lex Mosaïca, & quia scriptum est quod novis supervenientibus abjicientur vetera, postquam Christus venit absoluta sunt omnia veteris Testamentis Sacramenta & viguit nova lex usque ad illud tempus quo talia paedicabant : illo ergo tempore dicebant novi Testamenti Sacramenta finem habere, & tempus sancti Spiritus advenisse, & ideo Baptismum, Confessionem, Poenitentiam, Eucharistiam, & alia sacramenta sine quibus non est salus ; de caetero non habere locum, sed unumquemque per gratiam sancti Spiritus tantum interius sine aliquo exteriori actu inspiratam posse salvari, charistatis virtutem sic ampliabant ut ide quod alias peccatum esset, si fieret : in charitate iam non esset peccatum, stupra, etiam adulteria, caetesque voluptates in charitatis nomine committebant mulieribus, cum quibus peccabant & simplicibus quos decipiebant, impunitatem pecati promittentes Deum tantummodo bonum, & non justum praedicabant.
© Ruben de Labastide – 27 août 2022, revu et corrigé le 11 juin 2024
[1]Volume 1, Paris, 1691.
[2]Eusèbe, Vita, III, LXIV.
[3]« Marcion du Pont, qui enseigne encore aujourd’hui, professe la croyance à un dieu supérieur au Créateur. Avec l’aide des démons, il sema le blasphème à travers le monde ». Apologie I, 26.
[4]Patrologia Graeca 83, 1261 c.
[5]Galates 2 : 4
[6]Cf. Galates 1 : 11-12.
[7]Voir à ce sujet Actes 19 : 29, 20 : 4, 27 : 2, Colossiens 4 : 10, Philémon 1 : 24, II Timothée 4 : 11 et Colossiens 4 : 10.
[8]Actes 20 : 4.
[9]Actes 19 : 29.
[10]Actes 20 : 4.
[11]Yves de Chartres, Prologue, Cerf, 1997, p. 95, § 31a.
[12]Romains 10 : 4.
[13]Luc 10 : 18.
[14]C.f. Matthieu 5 : 34-37.
[15]C.f. Éphésiens 4 : 25.
[16]C.f. Matthieu 5 : 28.
[17]Cf. Éphésiens 4 : 26.
[18]Actes 2 : 1-4.
[19]C.f. Matthieu 12 : 32.
[20]Ms 4269 f° 3 v°.
[21]C.f. Lévitique 4 : 31.
[22]Job 34 : 1.
Pour présenter ce rocher, aujourd’hui « chaînon » de la mémoire cathare, et le situer dans un espace spatio-temporel, j’ai revisité les deux temps forts de l’Histoire cathare médiévale.
Le premier temps, celui de l’implantation et du rayonnement cathare qui recouvre tout le treizième siècle, contient en lui-même deux périodes distinctes; celle du libre épanouissement spirituel d’avant la croisade, et celle de la réorganisation de l’Église cathare après la croisade (1220- 1228). [1]
Le deuxième temps est celui de la reconquête spirituelle par l’Église de l’Ancien, Pèire Autier qui couvre la première décennie du XIVe siècle. L’histoire du rocher s’inscrit dans ce temps-là, celui de la religion clandestine persécutée par l’Inquisition. Le troisième reste à écrire, c’est le notre.
Tout au long de ces deux siècles, il est frappant de constater la force de la foi qui portait cette religion et qui lui permit de venir à bout des grands chamboulements sociologiques subis par l’action délibérée et destructrice du pouvoir inquisitorial. Mise en place dans le seul but d’anéantir l’hérésie cathare, si l’Inquisition tua en un siècle moins que les croisés de Simon de Montfort en dix mois [2] elle exerça, en revanche, sur la «société cathare» un démantèlement systématique tel que son Église dut recréer dans la clandestinité une nouvelle cohésion sociale. Malgré les difficultés inhérentes à cette situation, le catharisme parvint néanmoins à conserver toute sa cohérence religieuse et institutionnelle. Je n’engagerai que moi pour affirmer aujourd’hui que, seul, un « génocide spirituel» put alors mettre à bas pour plus de sept siècles la religion cathare.
Dans la singulière société occitane médiévale qui, selon l’heureuse formule de A. Brenon, «transcende les clivages de classes», une des particularités du catharisme a été de puiser sa force dans la tradition familiale, véritable ciment des communautés depuis plusieurs générations. Les réseaux de solidarité eurent toujours pour noyau un clan familial, nobiliaire et souvent matriarcal dans le premier temps, puis bourgeois et populaire au XIVe siècle. Ces réseaux savamment réactivés par l’Église de l’Ancien, alors composée d’une quinzaine de Bons Hommes pour évangéliser des Pyrénées au Bas-Quercy, furent alors la figure de proue du catharisme clandestin.
Ces maisons remplacèrent, dans un nouveau contexte social, les maisons cathares de la période du rayonnement. S’inscrivant dans la nouvelle sociabilité imposée par les circonstances , leur rôle alors fut évidemment diversifié et plus complexe: maisons de ville (comme la rue de l’étoile à Toulouse), de bourgs (comme la maison des Francès à Limoux) [3], de hameaux (comme la borde des Bourguignons près de Bouillac), etc. Mises en place très tôt, elles furent nombreuses et sans cesse réinventées en fonction de la progression des enquêtes inquisitoriales, à la fois points d’ancrage, relais, gîtes protecteurs, au rythme des déplacements périlleux des Bons Hommes en activité [4]. Ces foyers de croyants de la première heure, mais aussi de nouveaux croyants, pouvaient être des haltes d’un jour pour rythmer une trop longue marche, ou maison amie sûre pour de plus longs séjours pouvant abriter alors les ordinations, les prêches et l’ enseignement aux croyants. Ces gîtes clandestins étaient tenus par des familles dont, la plupart du temps, tous les membres participaient en tant qu »hôtesses, passeurs, agents, guides, voire pouvaient même jouer plusieurs rôles à la fois. Leurs noms, tels les Doumenc, les Hugou, les Isabe, les Lantar, et bien d’autres encore, résonnent dans le » biopic » « Le dernier des cathares, Pèire Autier».
Comme il y avait à Ax, à Tarascon, à Lordat, la demeure des Issaura à Larnat fut une de ces maisons sûres et accueillantes pour les chrétiens, et un lieu de contact assuré avec ces derniers pour les croyants en demande.
Aux alentours du 29 septembre 1299, le croyant Guilhem de Luzenac fit savoir que Pèire Autier avait besoin de prendre du repos dans un endroit sûr. Ce soir-là Raimond et Pèire Issaura attendaient Guilhem de Luzenac au milieu de la côte sous Larnat. L’Ancien resta un mois dans la maison refuge avant de repartir avec le Bon Homme Pèire Amiel, car il était réclamé à Mérens. Ce fut probablement, selon Anne Brenon, le plus long séjour de l’Ancien dans la maison Issaura.
Dès le début du XIVe siècle, la famille Issaura de Larnat, famille de la noblesse du Haut-Comté de Foix, avait rassemblé sa foi et son courage pour venir en aide à l’Église cathare. Dans les mois qui suivirent le retour de Lombardie des frères Autier nouvellement consolés, leur maison devint un des refuges privilégiés pour les Bons Hommes du Sabarthès [5]. Arnaud Issaura, le père, et particulièrement ses fils servaient de guides aux chrétiens, les accompagnant le plus souvent la nuit. Père et fils témoignèrent devant Jacques Fournier:
Arnaud: Pèire Autier et son fils Jaume venaient plus souvent que les autres hérétiques.
Pèire Issaura: C’étaient nos plus grands amis.
Pèire et Jaume Autier revinrent fréquemment, seuls ou avec d’autres compagnons.
Dans la maison Issaura eurent lieu l’ ordination des derniers ministres cathares du Haut-Comté:
-Vers 1301, ce fut l’ordination de Jaume Autier et Pons Baille d’Ax-les-Thermes devant toute la famille Issaura.
-Vers 1302, Géraut de Rodès, dans sa déposition, [6] signale deux autres ordinations tout en affirmant devant l’inquisiteur ne pas se rappeler les noms des nouveaux chrétiens.
– En 1303, Pons de Na Rica fut ordonné sous le nom de Pons d’Avignonet.
Il s’agit là des seules ordinations faites en Sabarthès. D’autres chrétiens furent ordonnés dans d’autres lieux protégés les années suivantes.
Aux temps de la paix, on pouvait amener facilement les mourants dans les maisons cathares tenues par les Bonnes Dames et les Bons Hommes pour recevoir la Consolation, » viatique » cathare de la bonne fin. De même, les chrétiens pouvaient-ils se déplacer librement pour apporter la Consolation à leurs croyants. Aux temps de l’Église de la clandestinité, les Bons Hommes, voyageant le plus souvent de nuit, accompagnés de guides ou passeurs, pour répondre à la demande de leurs croyants devaient affronter tous les risques; délation, piège, arrestation. On a l’exemple de Jaume Autier et Andrieu , en chemin pour consoler une prétendue mourante, arrêtés sur traitrise de Guilhem Pèire-Cavaillé [7].
Pour vous donner une image un peu plus panoramique de la période, voici ce qu’en dit Anne Brenon dans «Les femmes cathares»:
À partir de maisons secrètes, à Toulouse, à Rabastens, dans les confins de l’Albigeois, du Toulousain, de la Lomagne, à partir des foyers amis et sûrs, comme celui des Francès de Limoux, ou le logis de Sybille Baille d’Ax, les pasteurs clandestins, par équipe de deux, se faisaient conduire dans les caves, les granges, les soliers, pour consoler les mourants ou prêcher au coin du feu.
Pour les croyants du Sabarthès, Larnat représenta alors, à l’instar de Montségur entre 1232 et 1242, ce lieu où l’ on pouvait faire sa bonne fin.
-En 1302, Guillelme Cathala de Larnat transportée mourante dans une couverture par les frères Issaura, venait demander la Consolation aux Bons Hommes Pèire et Guilhem Autier [8]. Leur témoignage est précieux car il nous révèle le sens profond de la Consolation. Au moment de la ramener chez elle, l’Ancien recommanda alors aux deux frères de ne pas toucher la consolée à peau nue. En effet, cette dernière, devenue Bonne Dame, aurait compromis sa chasteté, et par voie de conséquence aurait rompu ses vœux.
-Durant le carême de la même année probablement, Guilhem Sabatier fils accompagné d’un ami, Berna Mounier, amenaient le vieux croyant Guilhem Sabatier de Limoux, son père, pour faire sa bonne fin entre les mains d’un chrétien ( Pèire ou Guilhem Autier).
– Vers 1303, l’Ancien assisté de son frère Guilhem, consolait sur son lit de mort, Dame Huga de Larnat [9], épouse de Félip Issaura. Ce témoignage aussi revêt une importance particulière car il décrit les derniers instants partagés entre croyants et chrétiens, et comment ces derniers veillaient au Salut des âmes des premiers. La bonne fin de Dame Huga nous est connue par la prolixe et non croyante Sébélia Pèire, épouse de Guilhem Pèire-Cavaillé.[10]. Les détails qu’elle livre alors à l’inquisiteur lui venaient des confidences mêmes de l’Ancien . Dans sa confession, on y apprend qu’ après la consolation, la mourante alors en endura fut transportée dans un cellier, afin que le Bon Homme qui l’avait déliée de ses péchés pût demeurer jusqu’au bout avec elle, afin de veiller à sa bonne fin. Ainsi le comprit Sébélia Pèire: « C’était pour que, si elle avait à nouveau besoin d’être reçue et consolée par eux, elle le fût».
-En juin 1306, ce fut le fils aîné de la famille qui fit sa bonne fin à Larnat entre les mains d’Amiel de Perles.
– Aux environs de septembre 1307, aucun Bon Homme ne se trouvait à Larnat pour Ermengarde la mère de famille. Elle mourut sans pouvoir être consolée, le chrétien Felip de Talairac ayant été contacté trop tard [11]. Vers 1311-1312, après un passage au Mur et des peines commuées en port de croix, on pouvait rencontrer Pèire et Raimond, tout deux relaps, dans l’entourage de Guilhem Bélibaste, en Espagne. Dans le même temps, en France , dans les villages occitans, le crieur public annonçait la mise à prix de la tête de Raimond pour 50 livres tournois. André Delpech souligne l’importance de cette somme , comparée à la valeur de la maison ariégeoise de l’époque qui était de 40 livres tournois. On est heureux de penser que les deux frères purent apparemment échapper à l’Inquisition alors que vous vous en doutez bien, la belle maison Issaura fut brûlée au même titre que le corps exhumé du fils aîné Guilhem.
Ces témoignages nous éclairent donc suffisamment sur la présence fréquente des Bons Hommes à Larnat.
Lorsque en temps de paix, l’Église cathare jouissait de la sécurité et d’une large adhésion, le prêche pouvait être une cérémonie régulière à laquelle participait une importante assistance; on nota, à plusieurs reprises, une centaine de personnes en Lauragais dans les domiciles nobles (M S 609. Toulouse). On sait aussi qu’à Montségur, les évêques prêchaient à intervalles réguliers dans leurs maisons pour toute la population, garnison , croyants et revêtus[12].
Dans les récits citadins de la clandestinité, les témoignages de Joana de Sainte Foy [13] et celui encore plus étonnant de Géraude de Toulouse [14] nous renseignent sur deux prêches connus: un jour de 1304, Joana et sa mère, se rendirent dans un jardin de Saint-Cyprien ( un quartier de Toulouse) pour y entendre prêcher l’Ancien Pèire Autier et son fils, guidés par Raimond des Hugous. Ce prêche de Saint-Cyprien est d’ailleurs mentionné dans plusieurs culpae du registre de Bernard Gui. Quant à Géraude, elle confessa à l’inquisiteur avoir assisté une nuit à un prêche libre de Jaume Autier dans l’église conventuelle de la Sainte-Croix (située hors des murs de Toulouse). Une assemblée clandestine probablement appuyée, comme le remarque A. Brenon, par des sympathisants extérieurs à l’Église cathare. Cette scène quelque peu surréaliste fait écho à la célèbre remarque du Bon Homme Guilhem Bélibaste:
Après tout, on peut prier Dieu dans une église aussi bien qu’ailleurs…
Dans les campagnes, remarque Anne, c’est pendant les séjours prolongés dans les gîtes moins exposés que les chrétiens avaient le plus de latitude pour prêcher et enseigner l’Évangile aux croyants. Les hauts villages perchés accessibles seulement par des chemins pentus et arpentés surtout par les fidèles, étaient les gîtes alors les plus sûrs. Larnat, ici encore semble avoir pleinement rempli son rôle. Le village, suspendu sur une crête au-dessus de la vallée du Sabarthès et du village de Bouan, était accessible alors par un unique chemin escarpé. Ce chemin, encadré de deux murettes de pierre, s’élance raide vers le col en direction de Miglos et du Vicdessos. Cheminons un moment sur les pas de Anne:
…à la hauteur des champs de Prado lonc, le chemin s’évase, la ligne des blocs de pierre s’incurve, délimite une petite aire qui surplombe directement les toits du village, autour d’un gros rocher arrondi, surmonté d’une croix de métal forgé [15].
Tout marcheur en quête du passé, et arrivé jusque là, se demande alors s’il se trouve en présence du rocher au pied duquel prêcha, dit-on, l’Ancien. Si aucun texte ne permet aujourd’hui de l’affirmer , diverses informations permettent de sérieuses hypothèses. André Delpech écrivait dans le numéro 16 de la revue Heresis :
« Grâce à l’aimable collaboration de monsieur Sylvain Gouzy, maire de Larnat, nous avons appris que lors de la construction de la route pastorale, sur le même vieux chemin de Miglos, fut détruit un rocher. Ce dernier était à environ quarante mètres au-dessus du rocher portant la croix. Il fut brisé sur place et par là-même, en servant de soubassement à la route, il obstrue depuis le vieux chemin. Son emplacement nous semble, toutefois trop éloigné du village pour en faire le «rocher de Pèire Autier». Près du ruisseau d’Antignac, un groupe de rochers, dont un assez important peut correspondre aux écrits. Mais cette fois, nous l’estimons trop proche du village. Le rocher avec la croix, bien que situé sur le chemin principal, se trouvait en quelque sorte aux écarts. En effet, les habitants de Larnat lorsqu’ils n’étaient pas accompagnés de bétail, coupaient habituellement à travers prés pour rejoindre le chemin de Miglos dans les environs du rocher détruit. Pèire Autier et ses croyants étaient là, à l’abri des regards, dissimulés dans le creux du chemin, tout en ayant la possibilité de surveiller les abords. À la moindre alerte, il était facile au Bon Homme de fuir, les croyants faisant semblant de continuer la route».
On peut penser en effet que cet endroit protecteur pour des prêcheurs traqués fut un espace rassurant pour pouvoir poursuivre leurs activités apostoliques . Le long séjour d’un mois pour l’Ancien put alors être pour lui l’occasion de rendre des visites d’amitié à la Dame Sébélia de Larnat et de rencontrer ses croyants comme il le laissa d’ailleurs lui-même entendre à Sébélia Peyre. En effet, cette dernière dans sa déposition devant Jacques Fournier, raconta:
Il (Pèire Autier) me disait, en faisant l’éloge de sa secte et de sa foi, qu’Esperte d’en Baby de Miglos et son fils, venait souvent de chez Félip de Larnat, en passant le col entre Miglos et Larnat et ils parlaient de la foi et de la secte des hérétiques avec la Dame Sébélia, mère du damoiseau Félip qui était une de leurs bonnes croyantes. Et cette Esperte et son fils étaient si attachés à connaître la foi des hérétiques qu’ils venaient avec Sébélia sous un caire ou un rocher qui est au-dessus de Larnat au lieudit A. Prado lonc.
Nous ne possédons, à ce jour, aucune déposition directe relatant le souvenir d’un prêche de l’Ancien sous ce fameux rocher, et cette déposition ne donnant pas plus d’information, nous savons simplement que ces croyants se rassemblaient là . De plus leur prédicateur était là, lui aussi, et, Matthieu faisant dire à Jésus…
Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Mat.18, 19)
… alors, malgré la toujours cartésienne pensée cathare qui se défie de tout symbole, icône et relique en tous genres, pensée libre de tout lieu sacré, et malgré cette horrible croix comble de l’ironie, le rocher de Larnat prend forcément une dimension particulière dans nos pensées. Je sais que sur le chemin qui me conduira au rocher, c’est ce besoin indicible et irrépressible de connexion avec ces esprits purs qui me guidera. Eux seuls avaient compris le message de Christ, le simple message d’Amour. En apôtres de ce dernier, ils le vécurent totalement en le pratiquant sans restriction au-delà des persécutions, au-delà de la mort. C’est aussi grâce à l’exemple inestimable du «chemin de vie» qu’ils nous ont laissé que le message a gardé toute sa force. En mettant en pratique les préceptes de Christ, ils ont su nous montrer, au-delà de l’espace et du temps, qu’aucune force aussi mauvaise soit-elle ne pourra jamais écorner ce message d’Amour universel, essence même de l’Être, émanation du principe du Bien. Alors sur le chemin du retour, comme l’agnostique Anne [16], d’un geste païen irréfléchi, je ne résisterai pas à la tentation de cueillir un tout petit caillou et le glisserai dans ma poche comme gage dérisoire de ma connexion continue avec ces purs esprits passés par là, avant moi, il y a plus de sept-cent ans déjà…Car le chemin se fait en cheminant…
NOTES
Voici le texte que m’a envoyé notre guide touristico-historique, Bruno Joulia. Belle marche méditative à vous.
Pour se rendre à la Pierre Ronde:
Depuis le centre du village, prendre la rue de la fontaine/lavoir Antignac, qui se dirige vers le sud. Après avoir dépassé les dernières maisons, dans le tournant qui se présente à vous, empruntez le sentier qui monte en direction de l’ouest (à l’entrée duquel se trouve un petit panneau didactique) puis parcourez, sous le couvert des arbres, un peu plus d’une centaine de mètres avant d’arriver en vue du rocher recherché.
Chantal Benne.
Dans l’histoire du siège de Montségur (1243-1244) il est évoqué un épisode qui nous parle de feux qui ont été allumés sur le Bidorle, à l’adresse des assiégés, par le sergent Escot de Belcaire.Read more
C’est personnages ont participé à la construction de l’histoire du catharisme, même s’ils ne sont les mieux connus aujourd’hui. Il semble important de les connaître afin de comprendre comment leur témoignage a pu être inspiré par leur parcours personnel et par leur époque.
Charles Schmidt (alsacien)
Publications : Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois (1848)
Opinions : Ne remet pas en cause le contenu dualiste et refuse la filiation directe des cathares avec les manichéens anciens. Refuse aussi tout lien entre catharisme et les dualismes qui l’ont précédé.
Personnalité : Théologien luthérien.
J. Hefele (allemand)
Publications : Conciliengeschichte (1863)
Opinions : Les cathares ne se situaient pas sur le terrain du christianisme, seule l’apparence était chrétienne pas le contenu, ni les idées.
Johan Josef Ignaz von Döllinger (allemand)
Publications : Contribution à l’histoire des sectes du Moyen Âge (1889)
Opinions : Comptabilise les cathares parmi les sectes gnostico-manichéennes. Les cathares mitigés seraient d’inspiration gnostique et les cathares absolus d’inspiration manichéenne. Ces derniers seraient étrangers au christianisme.
Personnalité : Historien des religions et prêtre catholique, il fut excommunié en 1870 par refus de se plier à certains dogmes (Immaculée conception, infaillibilité papale) et aux décisions du Concile Vatican I. Ayant refusé de devenir l’évêque de l’Église vieille-catholique des Pays-Bas, il consacre la fin de sa vie à tenter de réconcilier cette dernière avec l’Église anglicane et certaines églises orientales.
Paul Alphandéry (français)
Publications : Les idées morales chez les hétérodoxes latins au début du XIIIe siècle. (1903)
Opinions : La doctrine cathare est une « foi philosophique » dont les origines seraient plus gnostiques — marcionites — que manichéennes sans pour autant admettre la survivance du gnosticisme et du manichéisme.
Personnalité : Historien des religions.
Herbert Grundmann (allemand)
Publications : Mouvements religieux du Moyen Âge (1935)
Opinions : La fracture entre orthodoxie et hétérodoxie au Moyen Âge disposait de frontières floues.
Arno Borst (allemand)
Publications :Die Katharer (1953)
Opinions : Les cathares sont-ils chrétiens ou gnostiques, hérétiques ou païens ? Ils ne sont rien de tout ça car ils tirent leurs origines de toutes ces formes de pensée et voulaient en faire la synthèse.
Gottfried Koch (allemand)
Publications : Frauebfrage und Ketzrtum im Mittelalter. Die Frauenbewegung im Rahme, des Katarismus und des Waldensertums und ihre sozialen Wurzeln (1962)
Opinions : Le catharisme fut un échec à cause du désaccord entre situation de classe et idéologie appropriée, qui détermina aussi l’éviction de la femme hors du catharisme.
Personnalité : historien marxiste.
Ernst Werner – Martin Erbstösser (allemands)
Publications : Kleriker, Mönches, Ketzer — Das religiöse Leben in Hochmittlealter (1992)
Opinions : Le catharisme eut un rôle historique de progrès. Dans le domaine idéologique il contribua à aiguiser l’opposition entre l’Église féodale et les intérêts citadins-bourgeois.
Gerhard Rottenwörher (allemand)
Publications : Der Katarismus (1993)
Opinions : vol. IV : Le catharisme n’est pas chrétien, ce n’est pas une hétérodoxie chrétienne, et les éléments chrétiens qu’il comporte ne sont pas suffisant à le rattacher au christianisme.
Vol. III : En se détachant des bogomiles via un alignement sur le Nouveau Testament, les cathares ont fondé une hétérodoxie plus chrétienne.
Si s’habiller consiste à se protéger du froid et de la chaleur, c’est du point de vue idéologique « La culture des apparences »
Le costume civil, cet ensemble de vêtements et d’accessoires qui forme une tenue entière, évolue peu de l’époque mérovingienne au XIème siècle.
Les hommes portent une tunique et des braies, tenues avec des lanières et des jambières. Tandis que les femmes portent une tunique et un voile manteau (pour comprendre il suffit de regarder les représentations de la vierge). Sources :
Le costume évolue de manière unisexe, hommes et femmes portent des tuniques de toile les chainses, en lin pour les riches en chanvre pour les pauvres, aux manches très étroites. Un surcot (tunique longue sans manches) qui se différencie par sa longueur et la présence de fentes sur les côtés pour les femmes, devant et dans le dos pour les hommes (plus commode pour bouger). On ne s’explique pas pourquoi l’on magnifiaient le bras ! Cette partie du corps fait l’objet de toutes les attentions. Les manches sont chauves-souris ou amovibles que l’on accroche avec des lacets. La coupe des vêtements privilégie les formes simples et l’ajout de quilles de tissu pour ne pas gaspiller les étoffes.
Sur la tête les femmes pouvaient porter un touret attaché avec une mentonnière.
« C’est une autre paire de manches » L’expression signifie aujourd’hui « c’est une autre affaire, plus difficile », mais cette formule à une histoire ; au Moyen Age, les manches se détachaient de l’habit. On pouvait en changer, notamment pour changer d’activité : on avait des manches pour la chasse, pour les champs, pour chez soi (Histoire pour tous)
Sources : www.guerriersma.com – https://armstreetfrance.com/ – https://www.pinterest.com/ –
C’est au XIIIe siècle que de grands changements sont survenus ;
C’est à cette époque que les racines de la mode font leurs apparitions en occident. Considérée comme un phénomène social, elle révèle une nouvelle conception du corps vêtu et un nouveau rapport au vêtement. Considéré comme une marque de distinction sociale et une manière de se présenter au monde. La mode apparaît comme un moyen de mettre en évidence un pouvoir, un rôle, une appartenance, à travers des couleurs, des formes, des textures. (Capitoul, juge, roi, seigneur, marchand etc…)
Le vêtement dans son environnement matériel ou dans ses usages, est un objet qui permet de saisir l’ensemble de la réalité sociale et qui révèle la ou les différences entre les groupes comme entre les individus.
Michel Pastoureau écrit « Le vêtement médiéval est une réalité institutionnelle et normative et non pas une réalité individuelle, qu’elle soit affective, esthétique, ludique, psychologique ou phénoménologique. On ne porte pas les vêtements que l’on aime, on porte ceux que l’on doit porter »
La Chainse, une longue tunique portée à la fois par les hommes et les femmes quel que soit leur catégorie sociale, revêtue à même le corps en lin ou en chanvres pour les moins aisés. Elle descend jusqu’au genoux chez les hommes, à mi-mollets chez les femmes avec une fente sur le devant de l’encolure l’amigaut.
Les braies, équivalent médiéval du caleçon long pour les hommes, de même tissu que la Chainse, ils sont serrés à la taille par une ceinture fine le braiel. Celles des nobles sont collantes celle du peuple plus amples, elles descendent jusqu’au mollet ou aux chevilles.
Sources : marchand-medieval.com – https://coeurdemithril.com/ – http://atelierdejenny.fr/
Les chausses, ancêtres des chaussettes, elles se portent par dessus les braies pour les hommes et à même la peau pour les femmes. En laine, lin ou soie pour les plus riches elles montent très haut (genoux, mi-cuisses, elles sont maintenues par des jarretières ou attachées au braiel).
Vêtements de fête ou du quotidien des nobles, des bourgeois, des artisans, des paysans et de l’homme de la rue, c’est surtout la qualité du tissu, les accessoires, la fourrure, la passementerie et la découpe qui font la différence. Leur forme générale et leur liste se retrouvent chez tout le monde. On distingue :
La cotte : au XIIIe siècle elle remplace le bliaud. Elle s’enfile sur la chemise, elle est en lainage coloré, collante au torse puis s’évase à partir des hanches, avec un amigaut sur le devant. Elle peut être ceinturée. Les manches sont longues très ajustées aux poignets.
Le Pellisson : vêtement sans manche, pour se protéger du froid, composé d’une couche de tissu en lin doublé de peau avec fourrure tournée vers l’intérieur (lapin ou agneau). Il se porte soit entre la chemise et la cotte, soit entre la cotte et le surcot, il descend jusqu’aux cuisses.
Le surcot : porté par dessus la cotte, moins ample et plus court. Il est la plupart du temps sans manche. Le surcot féminin est fendu sur les cotés retenu par des lacets. Celui des hommes est fendu devant et derrière pour monter à cheval, c’est le vêtement le plus visible. Confectionné dans des tissus précieux : camelin, cendal, samit, bordés de fourrure, décoré de galon, il est alors le signe d’une grande richesse.
Sources : https://www.chateau-saintmesmin.com/ – https://armstreetfrance.com/ – https://guerriersma.com/
Le mantel (chape) : en forme de demi-lune c’est une cape ample qui peut aller jusqu’au sol. Posé sur les épaules, il est maintenu sur le devant par une cordelette ou une fibule (attaché sur l’épaule dans le midi). Lorsqu’il est fait d’étoffes importées d’Orient, de couleur vive, bleu, rouge, vert, doublé de fourrure, brodé de fil d’or, il permet d’étaler sa richesse.
Dans les montagnes, à la campagne, pour se protéger du froid, de la pluie et pour voyager, on portait le balandran, long manteau sans manche.
La cale : bonnet de lin porté par les hommes, nouée sous le menton, elle peut se porter seule ou avec un chapeau ou un chaperon de laine doublé de peau.
Le chaperon (Aumusse) : mini cape, couvrant les épaules avec un capuchon. Sert à se protéger des intempéries, ouvert sur le devant. Porté par les hommes et par les femmes il est fermé par un lacet ou une fibule.
Le voile : héritage de la tradition antique et adapté aux préceptes chrétiens, devient un accessoire coquet en milieu urbain, mais reste modeste en milieu rural. Il est constitué d’un simple morceau de toile.
La coiffe : en forme de bonnet, maintenu en place par un cordon fixé à l’arrière et ramenée puis croisé sur le devant la tête, elle maintient en tension la poche contenant les cheveux. Les paysannes la portaient seule pour travailler.
La touaille : morceau de tissu à tout faire dont les plis savamment drapés étaient maintenus par des épingles.
La barbette : bande de tissu qui passe sous le menton et qui se porte sous la coiffe.
Les cheveux pouvaient être enserrés dans une résille appelée crépinette, visible seulement à l’arrière.
Les autres éléments de coiffure sont : la guimpe, le gorget, le touret, le bourrelet. Les jeunes filles portent parfois un bandeau cercle de métal précieux ou de tissu qui enserre le front, les veuves et les religieuses commencent à porter un voile avec une guimpe.
Les prostituées avaient interdiction de porter la coiffe ou le voile dans le Sud (en Arles) ; toute femme qui reconnaissait une prostituée portant le voile sur la place publique à le droit, voire l’obligation de le lui arracher. « l’autre parole collectif féministe chrétien » (Sharon Hackett).
C’est un objet du quotidien, en cuir (en corde pour les pauvres), elles sont portées par tous que l’on soit noble ou petit paysan. Les nobles ayant les moyens ne se privent pas de faire ajouter des décorations. Les chaussures méridionales, sont pour la grande majorité, basses. Ce sont des chaussures à laçage latéral, positionné du coté intérieur des chevilles. On porte aussi des chaussures montantes (au dessus de la cheville) avec un laçage à plusieurs niveaux, qui assure un bon maintien durant la marche.
Les socques sont des semelles de bois que l’on fixe à ses chaussures au moyen de sangles. Elles permettent de limiter l’usure des semelles en cuir et d’isoler de l’humidité et du froid. Très utiles pour les longs voyages.
L’origine des espadrilles : les chaussures en toile avec une semelle en jute ou en paille appelées en Catalan espardenya remonte à 1322. Leur nom provient de l’appellation d’une herbe l’esparto servant à confectionner des cordes. Ces simples chaussures étaient principalement portées par les paysans et les pauvres.
Le fermail : c’est l’un des accessoires les plus visibles des costumes nobles. Il permet de fixer l’amigaut de la cotte, du surcot ou d’attacher le mantel. Les fermaux les plus riches sont fabriqués en métal précieux comme l’or ou l’argent, ornés de pierres précieuses.
La ceinture est portée par tout le monde. La différence réside dans la qualité et les décorations. Elle sont faites de cuir, soie, lin, laine ou de chanvre. Rien ne semble indiquer qu’il y ait eu des modèles destinés aux hommes ou aux femmes.
La ceinture mettrait en exergue les hanches des jeunes filles comme dans une volonté de sensualité. Le prédicateur dominicain Étienne de Bourbon (1180 – 1260) dénonce l’usage de la ceinture : « Le port de tels ornements qui ne font que ceindre le vase de l’impulsion sensuelle et de la putrescence que sont les reins » est, pour lui particulièrement répréhensible. C’est une des raisons pour laquelle la ceinture commence à ne plus se porter sur le surcot.
C’est en 1294 que Philippe de France institue les lois somptuaires.
Elles renseignent sur les pratiques vestimentaires au niveau local ; certaines ont été faites spécialement pour l’Occitanie. Il s’agit de lois qui visent à réguler le luxe et dans le cas présent l’apparence. Durant la croisade contre les albigeois ce type de sanction a été appliqué envers de grands seigneurs méridionaux. Les sanctions adressées en janvier 1211 à l’encontre de Raymond VI de Toulouse et de ses vassaux, illustre bien le propos : « ni se vêtir d’étoffes de prix ; seules de grossières capes brunes, qui leur dureront plus longtemps » La législation reflète l’esprit de la réforme qui englobe d’un côté la formation de l’ordre des franciscains et de l’autre la persécution des cathares. L’Église voulait les punir sévèrement, jusqu’à retirer leurs apparence noble et les contraindre à vivre comme des paysans.
L’Église souhaite aussi réguler le luxe des costumes, mais aussi d’exploiter ces lois somptuaires du Languedoc comme indice d’un particularisme régional dans la mode méridionale. La plus ancienne loi somptuaire qui traite de la région remonte à 1195 à Montpellier. Le légat du pape interdit les vêtements lacés et à découpes ; la loi s’applique aux deux sexes ainsi que les longues traines sur les cottes des femmes. l’Église voit d’un mauvais œil que les laïcs de Montpellier et du Languedoc investissent dans ces vêtements, tout cela n’est pas productif ! Elle souhaiterait pour des raisons économiques et militaires que leur argent soit employé à soutenir la Reconquista et les croisades.
Aujourd’hui les lois somptuaires survivent plus dans les codes culturels non formalisés, mais sont absentes du code juridique contemporain. Dans notre société de consommation, ces lois ont été remplacées par la fiscalité : les produits de luxe sont plus taxés que les produits de consommation courante.
Le Languedoc médiéval vit un essor économique grâce à la draperie. Cette grande industrie ne s’est pas développée par hasard ; l’importance très ancienne de l’élevage des moutons à laine fine et de haute qualité dans toute cette région et la présence sur place de la matière première essentielle de toute draperie : la laine, ont favorisé cet essor.
L’historienne Dominique Cardon emploie l’expression de « croissant drapier du Nord-Ouest méditerranéen » pour désigner une plus large zone géographique liée à la laine. Sur cette zone, c’est à partir du XIIIe siècle que la grande exploitation des tissus de laine est principalement consacrée à l’exportation.
L’industrie de la laine n’est pas la seule production de matériel textile, il y également la soie dont le fil est importé d’Orient dès le XIe siècle. L’élevage du ver à soie et la fabrication de fil de soie semblent avoir existé dans les Cévennes dès la fin du XIIIe siècle[1]. Les textes médiévaux mentionnent plusieurs types de tissus de soie, le taffetas, le cendal, le samit.
Une pièce de drap mesure environ = 15 cannes, constitué elle même de 8 pans ou empans. (0,224m à Toulouse)
Canne : ancienne mesure de longueur en usage dans diffèrent pays particulièrement dans le midi de la France et en Italie variant de 1,70m à 3m suivant les régions et les villes (Toulouse : 1,79m ; Carcassonne : 1, 78)
Pan ou empan : 22,4cm à Toulouse.
Le chanvre fut une des première sources de textile pour notre humanité, pendant 6 000 ans. Les fibres de chanvre ont permis de produire un textile quasiment inusable, résistant à l’humidité, aux rayons UV et reconnu comme étant le mieux adapté à la peau humaine. Il était utilisé pour fabriquer des vêtements, du linge, de la toile, des cordes et cordages, des voiles de bateau, des tentes, draperies, sacs etc. Plus il est lavé, plus il s’adoucit au toucher ; le chanvre se démarque des autres tissus par sa grande douceur. Les fibres de chanvre vont du blond très clair au marron foncé.
Le premier drapeau des États-unis sera fait de tissu de chanvre, la toile des peintres est en chanvre, car seul le chanvre résiste à la chaleur, à l’humidité, aux insectes et à la lumière. Les premiers « jeans » de Levis Strauss étaient en en fibres de chanvre. (Nunti Sunya)
Le lin : Pline indique que le lin est cultivé dans la Gaule du Nord, dans le Centre, dans le Sud-Ouest, chez les Rutènes (Rodez), chez les Cadurques (Cahors). Le lin a joué un rôle important au Moyen Âge : la toile était un objet de commerce précieux ; l’industrie de transformation de la plante de lin connut sont apogée au XIIIe siècle. Sa culture se développe dans les Flandres, la Bretagne et l’Anjou, où le lin est employé pour la confection des sous-vêtements, vêtements et draps. Le mot linge est un dérivé étymologique du « lin ». Comme le chanvre c’est une fibre végétale et les différentes opérations qui amènent à la filasse sont identiques ; elles se divisent traditionnellement en cinq étapes :
L’égrenage, dans le but de récupérer les semences et les graines comestibles.
Le rouissage, destiné à faciliter la séparation des fibres et des parties ligneuses de la tige se fait de deux façons, par immersion ou à l’air libre ; à l’issue de cette opération on obtient la filasse.
Des vestiges de bassins de rouissage découvert à Thil, commune de haute Garonne, et dans les noms de certains lieux-dits : « La rouilh » et « En Barouilh » : le suffixe « Rouilh » marquant l’opération de rouissage, prouve l’existence de cette activité dans la région.
Le broyage sert à casser l’écorce des tiges.
Le teillage sert à débarrasser les fibres des anas. (Anas : fragments de paille récupérés lors du teillage ils représentent environ 50% de la plante. Il sert de paille pour les chevaux.
Le peignage, sert à ordonner les fibres et à en amincir les faisceaux, opération indispensable à la préparation des fibres avant filage ; à quelques détails près le processus opératoire n’a pas changé entre l’antiquité et l’erre pré-industrielle.
C’est une activité exclusivement féminine, indispensable dans la société médiévale.
Dominique Cardon évalue à 30, le nombre de fileuses qui fournissent le fil pour un seul métier à tisser. Même si le filage domestique pour l’utilisation au sein du foyer à existé, les femmes qui filent pour les tisserands sont (mal) rémunérées. Au Moyen Âge il n’existe pas de filature, les outils sont très simples : d’abord le fuseau et la quenouille, puis au cours du XIIIe siècle, la roue à filer (le rouet). Les femmes filent massivement chez elles, aux champs, dans la rue. Le rouet est plus encombrant que la quenouille ce qui occasionne des accidents sur la voie publique.
À Castelnaudary, en 1333, les coutumes de la ville « font défense aux femmes de filer dans la rue principale, de façon à ne pas blesser, ni homme, ni bété ». Elles se replient dans les rues adjacentes ou dans les arrières-cours (patis). (Couleurs Lauragais)
Les premiers métiers à tisser sont apparus vers 3 000 avant l’ère commune (è. c.). Il existe des métiers manuels à bras. Puis le tissage connaît des améliorations techniques entre le Xe et le XIVe siècle avec l’apparition du métier à tisser horizontal à marches et du métier à la tire pour les soieries.
Une famille paysanne était capable d’assurer à elle seule toutes les opérations nécessaires à la confection d’une toile ou d’un drap grossier, mais en ville, chaque opération correspond à un métier avec sa propre organisation et ses règles de vie. Après le triage, le battage, le dégraissage, le peignage ou le cardage, le filage et le dévidage, viens le tissage sur des métiers de plus en plus perfectionnés. À partir de 1 300, ils deviennent monumentaux et plus pénibles à manier. Tisser devient alors un métier d’homme. C’est à cette époque qu’une parie de la production drapière est exportée par des marchands drapiers languedociens vers Toulouse et la Gascogne toulousaine et aussi dans les grandes foires de Lunel, Montpellier et Beaucaire. Des draps de Villefranche et du Mas Saintes-Puelles sont vendus à Perpignan. (Couleurs Lauragais).
On évite de fabriquer des étoffes en mélangeant des fibres végétales avec des poils d’animaux. Une réalisation de ce type est le signe de pauvreté (bure, futaines, tiretaine ordinaire) ou la volonté de mettre en avant le statut inférieur, marginal ou réprouvé.
Les Cathares, Tisserands !
Dès le XIIe siècle, le Lauragais est marqué par l’implantation du catharisme dans les états du comte de Toulouse. Or les cathares ne prélèvent aucune dime comme le clergé catholique. Ils vivent du travail de leurs mains, ils se livrent donc, le plus souvent au tissage. Ils tissent dans leurs maisons-ouvroirs communautaires. Les tisserandes et les tisserands cathares développent une véritable industrie drapière : la première véritable industrie du Lauragais. Leur production est destinée à une clientèle locale. Ils parcourent le pays et transportent avec eux des métiers à tisser portatifs pour travailler de ville en village.
Au Moyen Âge, teindre relève de la ruse, de la tromperie, du déguisement ou de la magie. Elle est donc associée au diable et entraine un sentiment de méfiance, de peur, mais aussi d’admiration. Le teinturier transforme la matière, la fait passer d’un statut à l’autre, change l’ordre des choses « en captant » par artifice les forces de la nature. Ce métier est interdit au clerc et déconseillé aux honnêtes gens !
La teinture est la dernière étape de réalisation d’une étoffe ; on teint presque toujours le drap tissé, rarement le fil (sauf pour la soie).
Le Mordançage, la première étape : on fait bouillir l’étoffe dans un bain d’eau contenant un mordant (cendres végétales, alun, rouille, vinaigre et même de l’urine) ; ce procédé permet de fixer le colorant.
On distingue deux procédés de teinture, par macération à froid ou fermentation ou par macération à chaud, en faisant bouillir les plantes tinctoriales. Le mélange des couleurs ne se fait pas ; le spectre colorimétrique n’existe pas au Moyen Âge. En général un teinturier est en charge d’une couleur principale, un teinturier du rouge ne s’occupe pas du bleu et vice versa, sous peine de représailles, les règlements sont stricts. Ainsi les teinturiers du bleu prennent en charge les tons verts, noirs, et les teinturiers du rouge, la gamme des jaunes.
Le monde médiéval en Occident est coloré. Les plus riches laisser éclater les couleurs, mettant en lumière leurs possibilités financières, mais également leur appartenance sociale et politique. Bien au contraire l’univers vestimentaire des humbles est généralement incolore ou délavé, assez terne évoluant ainsi entre différents tons de beige et de gris, reflets des fibres naturelles. Les teintures régionales prennent une place conséquente dans le commerce. Le kermès des teinturiers est récolté dans la garrigue notamment sur les chênes ou se trouvent des petits insectes remplis de teintures écarlates et cramoisies. Ce sont les femelles qui sont récoltées au moment où elles sont pleines d’œufs non éclos, aussi riches en colorants rouges que le corps de l’insecte adulte. Pour teindre 1kg de laine en rouge écarlate, il faut en moyenne entre 69 000 à 80 000 insectes. Compte tenu des nombres d’insectes nécessaires pour produire un rouge écarlate saturé, le kermès est source de la plus prestigieuse couleur du Moyen Âge. La garance (roya) connue également comme étant le rouge des teinturiers est préparée à partir d’une plante la Rubia tinctorum. La garance n’est pas un produit de luxe, elle permet d’obtenir une vaste gamme de couleurs : orange, vermillon, carmin, grenat, voire encore du pourpre ou violet. Le second exemple de teinture dans le Midi de la France, plus particulièrement sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, est la couleur pourpre. Elle est produite grâce à un coquillage le murex. Un gramme de pigment pur correspond à 10 000 mollusques. (la pourpre de Tyr valait plus que sont poids en or)
La demande de pourpre devint si importante et les coûts si élevés, que cela favorisa la mise en place d’ateliers de production de « fausses pourpres » dans différentes parties du monde. La ville de Castelnaudary était connue pour ses ateliers de teinturerie. Un commerce de tissu propre, teint avec de la garance, s’est mis en place en suivant la route commerciale, Narbonne, Marseille, Gènes jusqu’à Constantinople. Cette concurrence fut possible grâce à la superposition de deux teintures : Le pastel et la garance, moins belle, moins résistante mais moins chère que celle obtenue avec le murex. (Le petit journal.com)
Non loin des teintures pourpres, la couleur qui s’en rapproche le plus est le bleu. Il n’existe qu’une seule plante à indigo indigène, en Europe ou au Moyen Orient, c’est la guède (pastel des teinturiers). C’est une plante herbacée de la famille des brassicacées (le choux et la moutarde), bisannuelle ; elle fleurit jaune d’or. La partie utilisée pour la teinture est la feuille ; en Languedoc on fait cinq récoltes de mi-juin à mi-octobre. Les feuilles sont directement passées sous le moulin pastelier, entrainé par un âne ou un cheval, puis broyées, égouttées et moulées à la main pour former des « coques » (des boules de la grosseur d’un gros citron). Le pays de cocagne est donc le lieu où on façonne ces fameuses coques ! Elles sont déposées sur des claies, dans une pièce ventilée : un séchoir à pastel, afin qu’’elles sèchent et durcissent. Une année s’écoule entre la cueillette de la feuille et la teinture. Ces coques sont réduites en poudre que l’on verse dans une cuve (baffe). On ajoute de l’eau croupie et de l’urine afin d’accélérer la fermentation et on obtient une pâte (de là dérive le mot pastel) qui est retournée deux fois par semaine avec une pelle. Au bout de quelques mois, voilà une matière bleu-gris foncé l’agrainât (de l’occitan agranar qui veut dire concasser). On met ensuite dans une grande cuve en bois de l’eau et quelques grammes d’agranat, la préparation dure un mois et peut servir à teindre les tissus pendant une semaine. Mélanger les teintures végétales, animales, minérales est très transgressif.
À Castelnaudary on se pince le nez du coté de la baffe. C’est dans ce quartier, à l’est de la ville, que sont regroupés les teinturiers (tennheires en occitan baffa, du latin baphium). Les lieux sont nauséabonds et empuantissent la ville quand souffle le vent d’autan. Les coutumes de la ville, en 1333, désignent, trois colorants naturels destinés à l’industries drapière : le pastel, la gaude (gauda) et la garance (roya). Le pastel donne le bleu, la gaude le jaune et la garance le rouge.
On utilisait le fond des cuves de pastel pour peindre les menuiseries, les charrettes et les cornes des bœufs, car le pastel possède des propriétés fongicides et insecticides.
Il y avait au Moyen Âge, des marques de distinction imposées à des personnes par des règlements et des statuts.
Les agots (agotes en langue espagnole) ou cagots ont une histoire liée à celle des sympathisants et croyants cathare et à celle des occitans. Obligés de fuir leurs pays pour échapper aux horreurs de la croisade contre les albigeois et de l’Inquisition, ils furent victimes de ségrégations et de discrimination, du XIIIe siècle au XIXe siècle, dans le pays basque. Les cagots étaient tenus de porter un signe distinctif généralement en forme de patte d’oie ou de canard, coupé dans du drap rouge et cousu sur leur vêtements. Ils vivaient comme des proscrits frappés d’un nombre considérable d’interdits. (Cagots, kaskarots, leur véritable histoire de Képa Arburua Olaïzola)
Les cathares portent sur leurs vêtements « des croix de pénitence » jaunes, en feutre simple ou doubles, voire triples suffisamment grandes (de la longueur moyenne d’une main 17 à 22 cm ou de sa largeur 7 à 10cm) pour être vues de tous. Portées en tout lieux, y compris à l’intérieur de sa propre maison, elles sont cousues sur tous les vêtements portés dessus. Sur la poitrine, dans le dos entre les épaules et même sur les manches. Si elles se déchirent, elles doivent être impérativement raccommodées ou remplacées. Ainsi la marque de l’infamie ne peut échapper à personne.
Pour les juifs, c’est à partir du XIIIème siècle, sous l’impulsion du pape innocent III, que le concile de Latran (1215), les oblige à porter la rouelle, petite pièce d’étoffe de couleur jaune, comme signe vestimentaire distinctif. Découpées en anneaux, elle symboliser les 30 deniers de Judas, selon l’interprétation traditionnelle. Elle fut adoptée avec beaucoup de réticence en Espagne et dans le Midi de la France. On dit souvent que l’histoire se répète, je pense qu’elle ne fait que continuer en empirant.
Les prostituées doivent être reconnues afin de s’en écarter. Elles portent une aiguillette rouge[2] tombante sur l’épaule en signe d’infamie.
Courir l’aiguillette : mener une vie dissolue, se prostituer, racoler dans la rue.
Être dans de beaux draps signifie se trouver dans une situation compliquée. Les draps ont longtemps désigné les habits autrefois on disait « être dans de beaux draps blancs ». Cette expression décrivait une situation honteuse à causse de la couleur blanche, signe de honte (les accusés étaient présenté au yeux de tous en chemise comme Raymond IV devant le prélat du pape à St Gilles)
Il y a le bon noir, celui de l’humilité, de la modestie, de la tempérance (visible sur l’habit des ordres monastiques, celui des magistrats, celui du deuil), le mauvais noir c’est celui des ténèbres, de l’enfer, du péché, du diable. Pire que le jaune et même que le roux, il est la couleur de la mort. Il est délaissé par les artisans, les paysans et les nobles. Il faut dire qu’obtenir un noir franc et solide en teinture de la laine est une opération délicate et coûteuse[3]. Sur les images du Moyen Âge nous voyons des noirs bien noirs, mais la réalité est bien différente. Ainsi les bénédictins et les cisterciens sont habillés en réalité de brun, de gris ou de bleu. (Voir Michel Pastoureau « l’Église et la couleur des origines à la réforme ». On imagine le noir comme une couleur absolue, dense, opaque, indestructible. Dans la réalité, le noir est relatif, instable, fragile et rarement noir.
Teindre en noir est difficile et coûteux ; il y a plusieurs manières de l’obtenir.
Le noir de fumée et les cendres qui ne tenaient pas au lavage pour les tiretaines et les tissus mélangés.
L’écorce ou la racine de noyer, mais cet arbre avait mauvaise réputation, de ce fait il était peu utilisé, mais donnait un noir durable avec des reflets bruns et fauves.
L’aulne qui donnait un gris plutôt qu’un noir.
L’épicéa plus bleu que noir.
La noix de galle (excroissance sur les feuilles de chêne à la suite de la piqure d’un insecte parasite) était un produit cher qui nécessitait un mordançage à base de sulfate de fer qui servait principalement à des pigments pour encre et peintures.
La double teinture : d’abord un bain de bleu puis un bain de noir, est proscrite au Moyen Âge.
C’est probablement pour ces raisons que les moines catholiques ont progressivement laissé leur costumes, idéologiquement et emblématiquement noirs, glisser vers des gris, gris bleu, ou même bleu délavé ! Et pour certains, adopter la couleur blanche (cisterciens), enfin plus écrue que blanche, en laissant sécher leurs vêtements en plein champ, au soleil.
Le bleu et le rouge mélangés font du violet ; le bleu et le jaune donnent du vert ; le rouge et le jaune font de l’orange ;
Les trois couleurs mélangées donnent du noir
Les Bons Chrétiens sont vêtus de robe de bure noire. Ils sont membres de l’Église cathare. Leurs habits et leur règle de vie sont semblables à ceux des religieux réguliers de l’époque. Ils portent une ceinture avec une sacoche contenant le Nouveau Testament. Ils vivent de leur travail, ne prélèvent aucune dime, et font le choix de l’humilité.
Dans cette époque médiévale où les habits colorés reflètent la richesse et le pouvoir, le bon noir c’est humilité, la modestie et la tempérance. La persistance des bons chrétiens à vouloir garder leurs vêtements noirs n’est pas anodine. Pour l’historien des couleurs, Michel Pastoureau, l’essentiel est dans le nouvel ordre chromatique des couleurs que Newton met en valeur. La couleur que nous voyons correspond aux longueurs d’ondes lumineuses que le matériau réfléchit lorsqu’il est touché par la lumière. Faisant barrage à la lumière, il laisse passer certaine longueur d’onde et s’oppose aux autres ; le noir est visible quand le matériau ne s’est opposé à aucune longueur d’onde et les a toutes laissées passer. Il n’y a plus de place, ni pour le noir, ni pour le blanc : ce ne sont plus des couleurs. Et le noir plus encore que le blanc. Ce dernier, en effet est indirectement concerné par le spectre des couleurs puisqu’il les contient en son sein. Le noir, non. Il se situe désormais hors de tout système chromatique, hors du monde de la couleur. La lumière, considérée comme une expression divine,, le noir la laisse totalement passer Quel plus bel exemple d’humilité que de ne pas vouloir agir sur ce monde, même par le biais de la couleur.
En temps de paix ils portent une robe de bure de couleur noire avec une ceinture et une sacoche contenant le Nouveau testament. Des sandales, peut être des « espadrilles » l’été et des chaussures fermées au-dessus de la cheville l’hiver. Ils portent barbe et chapeau plat circulaire et parfois un manteau ample (le balandran) pour se protéger de la pluie et du froid. Leur trousseau est réduit au strict nécessaire : (« sa baisasse ne contient que deux chemises sales et froissées » Anne Brenon L’impénitente – Éditions La louve)
À l’exception des couleurs leurs habits ressemblent beaucoup à ceux des moines de l’époque, qui se vêtissent d’une coule noire à capuchon pour se rendre aux offices. Pour les travaux, la robe de bure est protégée par un scapulaire qui est un vêtement qui couvre la largeur de la poitrine d’une épaule à l’autre, il pend sur le devant et le dos, mais il est ouvert sur les cotés. En extérieur ils portent une cape qui descend jusqu’aux pieds ; avec un capuchon cet habit doit recouvrir la plus grande partie du corps.
La bure est un tissu de laine assez grossier, de couleur brune. Cette étoffe sert de base à la confection de vêtements religieux. Au Moyen Âge, les commerçants prennent l’habitude de recouvrir leur table de travail par un pan de ce tissu grossier qui avait l’avantage d’aplanir les surfaces sans craindre les taches. La bure à donné son nom au mot « bureau ». Aujourd’hui seuls quelques rares producteurs travaillent ce lourd tissu, réservé aux ordres religieux et au théâtre.
Pendant la croisade et l’Inquisition, devant les condamnations et les bûchers, l’Église est en péril ; beaucoup de bons chrétiens circulent comme pèlerins, d’autres se dissimulent dans des groupes de marchands. De ce fait ils adoptent un habillement qui ressemble à une tenue civile. Ils abandonnent les habits noirs pour des couleurs plus passe-partout : le vert foncé et le bleu foncé. Les bons chrétiens et les bonnes chrétiennes n’auraient pu continuer leurs apostolat sans l’aide active que leurs apportaient les croyants.
Aujourd’hui nous avons avec nous le premier chrétien Consolé de l’Église cathare de France en la personne de Guilhem de Carcassonne.
L’industrie du vêtement propose des solutions pour se vêtir simplement. Sans recourir à des matières issues de la souffrance animale. Vêtements en fibres végétales (coton, lin, chanvre, bambou) ou synthétiques, chaussures en tissu, ceinture et accessoires sans matière animale. Encore faut-il que leur fabrication se fasse de façon éthique. Sans être dans l’autosuffisance, des alternatives innovantes sont possibles pour des bons chrétiens et bonnes chrétiennes qui souhaiteraient pratiquer une activité compatible avec leur Règle de vie. (recyclage, couture, transformation des vêtements, fabrication et tissage de ceinture de passementerie et bien d’autre choses).
C’est la juste suffisance, en réduisant la quantité et la variété de notre garde robe au strict nécessaire. C’est un état d’esprit qui va de pair avec la tempérance et l’humilité et nous fait remettre les vêtements à leur juste place. En nous concentrant davantage sur l’essentiel, nous n’éprouvons plus autant le besoin d’acheter sans cesse de nouvelles choses. Il suffit de remplacer progressivement ce qui devient inutilisable par des vêtements mieux adaptés. Dans notre cheminement de chrétien, il serait ridicule de ne pas utiliser les vêtements qui sont déjà dans nos armoires.
C’est aussi rechercher des vêtements de seconde main ; c’est un moyen de réduire le gaspillage et de prolonger l’usage d’un produit tout en réduisant notre empreinte mondaine.
Au Moyen Âge, les croyants ne sont tenus à aucune obligation, y compris dans le domaine vestimentaire. Aujourd’hui rien n’est imposé, mais se vêtir de noir est une façon de marquer son engagement dans la foi, cela reste un libre choix individuel.
L’habit ne fait pas le moine. Cela se dit d’un homme dont la conduite, les discours, ne sont pas conformes à son état apparent. Donc ne pas juger les personnes à leur apparence, faisons la différence entre être et paraître. À l’époque médiévale, les cathares consolés étaient nommés par les inquisiteurs, « les revêtus » pour les différencier des croyants. Aujourd’hui je ne suis pas sûre que nous prenions la mesure de cette expression. Recevoir le consolamentum (sacrement du baptême spirituel) ou Consolation, c’est « Revêtir le Christ », c’est aligner notre comportement quotidien avec notre état de chrétien consolé. Cette analyse est aussi valable pour les croyants. C’est devenir en pratique une personne à l’image de christ avec l’aide du saint-Esprit. C’est en modifiant de manière sincère et authentique notre intérieur, que notre comportement s’en trouvera modifié. Quant à notre apparence, elle se transforme petit à petit au gré de notre cheminement. C’est le lâcher-prise, se défaire des diktats sociaux de la mode. Ce programme n’est engageable que parce qu’il est précédé de l’éveil et de la connaissance. (lire l’épitre de l’apôtre Paul au Colossiens III 8- 17).
Élysabeth Vonarb-Bazerque pour les Rencontres cathares (08/10/2023)
[1] Un acte notarié de 1296 cite l’existence d’un certain Raymond de Gaussargues d’Anduze « Trahandier », c’est-à-dire un tireur de soie.(musée de la soie St Hyppolite du Ford 30).
[2] Aiguillette : petit cordon ou ruban ferré aux deux extrémités servant à fermer ou garnir un vêtement.
[3] C’est plus facile pour la soie et les pelleteries
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