5-Histoire

Découvrir l’histoire du catharisme

5-1-Histoire du catharisme
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Une approche de l’histoire du catharisme inédite

Si vous arrivez sur ce site par hasard il est possible que vous ayez déjà une idée préconçue du catharisme.

Vous découvrez ce site et vous désirez savoir ce qu’est ce catharisme dont on entend parler régulièrement dans des domaines très différents. Cela va du tourisme (les châteaux cathares) à l’accusation d’hérésie, voire à sa négation.

Les historiens ont limité leurs recherches à la période du Moyen-Âge pour ne pas trop s’aventurer dans le domaine — forcément sulfureux — de l’étude doctrinale du christianisme. Aujourd’hui, certains essaient même d’effacer le catharisme des livres d’histoire, comme le bolchéviques gommaient d’une photo, un des leurs tombé en disgrâce.

Face à ce constat où l’acculturation le dispute au négationnisme, ce site veut vous donner toutes les informations nécessaires pour vous permettre de comprendre ce christianisme authentique du point de vue historique et dans le domaine de sa doctrine et de sa pratique. À partir de ces bases il vous reviendra d’abandonner si cela ne vous intéresse pas ou de vous abonner si vous voulez approfondir le sujet.

Histoire du christianisme et du catharisme

Histoire du catharisme des origines au Moyen Âge

Même les historiens les plus honnêtes ont arrêté leur étude des origines du catharisme au 10e siècle, en se basant sur un document qui laissait déjà entrevoir une ancienneté plus lointaine.
Il était donc nécessaire de quitter les voies étroites de la recherche historique qui s’accordent mal avec l’étude d’une religion, pour essayer un savant mélange entre étude historique et étude doctrinale et théologique.

Les articles que vous trouverez ci-dessous ont tenté cette difficile alchimie :

  1. Préhistoire et Antiquité
  2. Pré et Proto-christianisme :
    1. du judaïsme à Jésus
    2. Paul, Marcion et les autres
  3. Période médiévale
    1. les pauliciens
    2. les bogomiles
    3. le «catharisme» occidental

Histoire du catharisme du 12e au 15e siècle

La période du 12e au 15e siècle n’a pas été traitée, car c’est celle qui est la mieux documentée par les historiens modernes (Michel Roquebert, Jean Duvernoy, Anne Brenon, etc.). Il vous suffit de vous procurer leurs ouvrages pour la découvrir à votre rythme.
Pour autant, quand certains points évoqués par les historiens le méritent, nous proposons des études relatives à cette période.

Le 28 mai 1242, un commando de soldats parti de Montségur, vint à Avignonet pour assassiner les inquisiteurs qui y faisaient étape. Cet événement fut le motif du siège de Montségur qui signa, l’année suivante, la fin de la hiérarchie cathare en Languedoc. La localisation précise de la dernière étape du commando avant son coup de main fait l’objet d’une interprétation divergente entre Michel Roquebert et Jean Duvernoy. Cette étude de Bruno Joulia permet de préciser les faits.

Histoire du catharisme du 19e au 21e siècle

Beaucoup de tentative de compréhension du catharisme ont eu lieu depuis qu’il est redevenu un sujet d’intérêt pour les chercheurs.
De grands noms s’y sont essayés et nous tenterons de vous les présenter, avec leurs atouts et leurs faiblesses.

Pour commencer il me semble important de vous conseiller d’appréhender ces travaux avec la distance nécessaire, car notre époque fourmille de candidats à l’intoxication intellectuelle, notamment en raison de la facilité qu’il y a à occuper une place sur certains sites internet et réseaux sociaux sans avoir jamais fait la preuve de ses compétences.

Comprendre l’Histoire

Le catharisme aujourd’hui

L’Église cathare de France. Rien n’interdit au catharisme de reprendre une position sociale dans le monde d’aujourd’hui. Une association s’est créée dans ce but et demandera sa reconnaissance selon la loi de 1905, dès qu’elle remplira les conditions requises. Cependant, elle ne peut vivre sans que les  croyants et les sympathisants n’y participent. L’Église c’est avant tout l’ecclésia, c’est-à-dire l’assemblée des fidèles.
Au-delà de cette présentation, vous trouverez les études et les travaux concernant l’aspect religieux dans le menu qui lui est dédié.

Autres documents

Visiter les sites en lien avec le catharisme

Dans cette rubrique nous vous proposerons des circuits de visite grâce auxquels vous pourrez toucher du doigt l’histoire du catharisme. En effet, les articles présenteront des lieux en rapport avec un moment qui a marqué l’histoire du catharisme dans la région occitane et vous donneront la possibilité d’y accéder, même si les vestiges sont rares. Enfin, au lieu de traiter des grands moments historiques, largement présentés dans la littérature, nous vous révèlerons des anecdotes qui n’ont pas forcément intéressées les historiens.

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La fuite de Guilhabert de Castres de Fanjeaux à Montségur

5-3-Tourisme culturel
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La fuite de Guilhabert de Castres de Fanjeaux vers Montségur

La topographie et la toponymie au service de l’histoire de l’installation de l’Église cathare à Montségur.

Comment suivre le parcours des fugitifs dans les environs de Lavelanet et de Laroque d’Olmes ?

Intrigué par le fait — révélé lors de mes lectures—, qu’aucun auteur n’ait pu situer avec précision le lieu-dit le Pas de las Portas, je me suis mis en quête d’élucider cette question. Voici le résultat de mes recherches.Read more

Déposition de Pierre Maury de Montaillou

5-1-Histoire du catharisme
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Pierre Maury de Montaillou, dont l’histoire nous est relatée dans sa déposition, faite devant l’inquisiteur de Carcassonne, nous donne le meilleur témoignage disponible à ce jour des derniers temps du catharisme en Languedoc. Faite en juillet 1323, soit presque deux ans après la mort de Guilhem Bélibaste, elle relate la vie des communautés de croyants cathares exilés en Aragon qui se désagrègeront petit à petit sous les coups de butoir de cette arme terrible que fut l’Inquisition papale.

Au début de sa déposition, Pierre Maury reconnaît avoir été croyant des cathares pendant 17 à 18 ans.

Quinze jours après que j’aie commencé à demeurer avec Raimond Peyre, il m’adressa la parole par ces mots : « Pierre, que penses-tu des deux Églises ? Il y a en effet deux Églises, l’une qui fuit et pardonne, l’autre qui possède et qui écorche. Laquelle des deux crois-tu être la meilleure ? » Je répondis qu’il me semblait que celle qui pardonne devait être meilleure que celle qui écorche. Il ajouta : « C’est celle-là que nous considérons et qui est la nôtre ». Je dis : « Moi, je ne sais pas ce que c’est, mais je crois Dieu et les saints apôtres ». Raimond Peyre répondit : « Et nous aussi, nous croyons Dieu et les saints apôtres ».

Nous voyons ici l’origine de cette phrase qui fut prononcée par un croyant cathare en charge de l’éducation cathare de Pierre Maury.
Il est ensuite mis en présence de Pierre Authié, ancien notaire du comte de Foix, parti en Italie faire son nociviat avec son frère Guilhem, puis revenu auprès des croyants du Languedoc afin d’assurer la mission apostolique qui s’imposait aux chrétiens cathares consolés.

La nuit de ce jour-là, ledit Raimond m’amena à une chambre de sa maison où se trouvait Pierre Authié, l’hérésiarque (cathare consolé dans le langage inquisitorial), qui me reçut d’un air riant et avec bienveillance, et me demanda si je voulais être croyant, de lui-même et des autres de sa secte (Église cathare selon le langage inquisitorial). Finalement, je le lui accordai. Et Pierre Authié me dit que je ne pouvais pas être croyant, à moins de lui témoigner la révérence que les croyants sont tenus de témoigner aux principaux de sa secte. Et il me dit qu’il était un saint homme, et vivait d’une vie sainte, au point qu’il ne disait jamais un mensonge ; s’il lui arrivait de mentir, il lui faudrait jeûner trois jours de sorte qu’il ne mangerait ni ne boirait pendant ces trois jours (endura) ; et s’il lui arrivait de toucher une femme, il lui faudrait jeûner neuf jours de suite au pain et à l’eau. Lui ne faisait pas comme les Prêcheurs et les Mineurs, et les autres qui sont de cette Église qui possède et écorche. (car eux tournent tout à leur intérêt ; ils écorchent et n’épargnent personne. Mais lui, il ne veut rien de personne, il épargne (les gens) et il remet à tous les péchés.
Je lui demandai quelle révérence il voulait que je lui témoigne. Et alors, sur l’ordre et les instructions de ce Pierre Authié, je fléchis les genoux et adorai, disant ces mots dont j’avais été instruit par lui : « Bon crestia, la benedictio de Dieu e de vos ». Et il répondit : « De Dieu la haiatz e de nos ». Et alors il m’embrassa.

Puis Peyre Maury va être mis en présence de Pierre Authié qui lui tint ce prêche :

L’hérétique me dit alors : « Pierre, cela me fait un grand plaisir ! On m’a dit que tu seras bon croyant, si Dieu le veut, et moi, je te mettrai dans la voie du salut de Dieu, si tu veux me croire, comme le Christ (y) a mis ses apôtres, qui ne mentaient ne trompaient. C’est nous qui tenons cette voie, et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse car il a haï aussi notre Seigneur, qu’il a persécuté, ainsi que ses apôtres. Nous sommes haïs et persécutés à cause de sa loi, que nous gardons fermement. Ceux qui sont bons et veulent garder une foi constante se laissent crucifier et lapider quand ils tombent au pouvoir de leurs ennemis, comme le firent les apôtres, et ils ne veulent pas renier un mot de la foi constante qu’ils gardent. C’est qu’il y a deux Églises : l’une fuit et pardonne, 1’autre retient et écorche. Celle qui fuit et pardonne suit la droite voie des apôtres, elle ne ment ni ne trompe. Et cette Église qui retient et écorche est 1’Église romaine. »

Et l’hérétique me demanda laquelle de ces Églises je tenais pour la meilleure. Je lui répondis qu’il était mal de retenir et d’écorcher. Il ajouta alors : « Nous sommes donc ceux qui suivent la voie de la vérité, nous qui fuyons et pardonnons ! » Je lui répondis : « Si vous suivez la voie de la vérité et des apôtres, pourquoi ne prêchez-vous pas, comme le font les curés, clans les églises ? » Il me répondit : « Si nous prêchions dans les églises, comme les curés, nous serions aussitôt brûlés par l’Église romaine, qui a une grande haine pour nous. » Je répondis : « Et pourquoi l’Église romaine vous hait-elle ainsi ? » Il répondit : « Parce que si nous allions en public et si nous prêchions, l’Église romaine ne serait pas estimée ; les gens préféreraient notre foi à la sienne, car nous ne disons et prêchons que la vérité, mais l’Église romaine dit de grands mensonges. »

Concernant le baptême, voici l’opinion de Pierre Authié :

Pour cette raison, disait l’hérétique, il n’accordait aucune valeur au baptême de l’Église romaine, car ce n’était pas l’enfant en personne qui promettait d’être bon et fidèle chrétien, mais un autre pour lui. Et ainsi, ceux de l’Église romaine disent de grands mensonges. « Mais (chez) nous, quand un homme a déjà 12 ans, et nous préférons qu’il en ait 18, quand il peut avoir l’intelligence du bien et du mal, veut recevoir notre bonne foi et être notre croyant, après avoir reçu de lui la promesse qu’il sera notre croyant, nous lui disons nos bonnes et solides paroles. Il nous promet alors d’être bon et fidèle pour nous, de nous procurer le bien et non le mal, et de faire son possible, par lui-même et par d’autres, pour que de nombreux croyants et croyantes soient amenés à notre Église, qui se tient dans la justice et la vérité. » Car, disait-il, c’était un grand bien que développer leur Église, et un tel baptême était bon et solide, car c’était le croyant lui-même qui promettait de leur être bon et fidèle.

Voilà un court extrait de cet échange destiné à vous faire comprendre la logique de la prédication cathare. Ici, pas de bourrage de crâne ; l’auditeur peut intervenir et donner son avis et le chrétien  s’en sert pour argumenter son point de vue.

Voilà une façon de faire pour ne pas choquer les sympathisants.

Guilhem de Carcassonne.

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Concile de Latran III – 1179

5-2-Histoire du christianisme
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Concile de Latran III – 1179 – onzième concile œcuménique

Extrait du Dictionnaire universel et complet des conciles (deux tomes) du chanoine Adolphe-Charles Peltier (tome I, colonnes 1053 à 1058).
Publié dans l’Encyclopédie théologique de l’abbé Jacques-Paul Migne (1847), dont il constitue les tomes 13 et 14.

Latran (Concile général de), XIe œcuménique, l’an 1179.

Le pape Alexandre III, s’étant réconcilié avec l’empereur Frédéric, convoqua ce XIe concile général pour trois raisons importantes : la première, de détruire les restes du schisme ; la seconde, de condamner l’hérésie des Vaudois ; la troisième, de rétablir la discipline ecclésiastique, qui avait beaucoup souffert pendant un si long schisme. Il s’y trouva en tout, tant de l’Orient que de l’Occident, trois cent deux évêques avec un nombre proportionné d’abbés et d’autres prélats. Il y avait dans ce nombre dix-neuf évêques d’Espagne, six d’Irlande, un d’Écosse, sept d’Angleterre, cinquante-neuf de France, dix-sept d’Allemagne, dont trois de la province de Magdebourg et un de celle de Brême, un évêque de Danemark, un de Hongrie, et huit des diocèses latins d’Orient, parmi lesquels le plus illustre était Guillaume, archevêque de Tyr. Les évêques d’Irlande avaient à leur tête saint Laurent, archevêque de Dublin. Dans le concile même le pape sacra deux évêques anglais et deux écossais, dont l’un était venu à Rome avec un seul cheval, l’autre à pied avec un seul compagnon. Il s’y trouva aussi un évêque irlandais, qui n’avait d’autre revenu que le lait de trois vaches, et quand elles manquaient de lait, ses diocésains lui en fournissaient trois autres. Parmi les prélats de France on distinguait Guillaume, archevêque de Reims, beau-frère du roi, et Henri, abbé ; le pape les fit tous deux cardinaux : Guillaume, de Sainte-Sabine, et Henri, cardinal-évêque d’Albane.

Le concile eut trois sessions : la première, le 5 mars ; la seconde, le 14, et la troisième, le 19 du même mois. On s’occupa, dans ces trois sessions, à régler les choses qui en avaient occasionné la convocation ; et ce fut la matière de vingt-sept canons. La chronique de Gervais n’en compte que vingt-six ; mais c’est que de deux elle n’en fait qu’un.

  1. Si, dans l’élection d’un pape, les cardinaux ne se trouvent pas d’un sentiment unanime, on reconnaîtra pour pape celui qui aura les deux tiers des voix ; et si celui qui n’en a obtenu que le tiers ou au-dessous prend le nom de pape, il sera privé de tout ordre et excommunié, de même que ceux qui le reconnaîtront pour pape.

C’est ici le premier canon qui déroge à la forme ordinaire des élections, selon laquelle celui qui avait été choisi par la plus grande et la plus saine partie des électeurs était véritablement élu.

  1. Le concile déclare nulles les ordinations faites par les antipapes Octavien, Gui de Crême et Jean de Strum, et veut que ceux qui ont reçu d’eux des dignités ecclésiastiques ou des bénéfices, en soient privés.
  2. Aucun ne sera élu évêque, qu’il n’ait trente ans accomplis, qu’il ne soit né en légitime mariage, et recommandable par ses mœurs et sa doctrine. Aussitôt que son élection aura été confirmée et qu’il aura l’administration des biens de l’Église, les bénéfices qu’il possédait pourront être librement conférés par celui à qui la collation en appartient. A l’égard des dignités inférieures, comme doyenné, archidiaconé et autres bénéfices à charge d’âmes, personne ne pourra en être pourvu, qu’il n’ait atteint l’âge de vingt-cinq ans ; et il en sera privé si, dans le temps marqué par les canons, il n’est promu aux ordres convenables : savoir, le diaconat pour les archidiacres, la prêtrise pour les autres. Les clercs qui auront fait une élection contre cette règle seront privés du droit d’élire, et suspens de leurs bénéfices pour trois ans : l’évêque qui y aura consenti perdra le droit de conférer ces dignités.
  3. Le concile ordonne, que les archevêques, dans leurs visites, auront tout au plus quarante ou cinquante chevaux ; les cardinaux, vingt-cinq ; les évêques, vingt ou trente ; les archidiacres, sept ; les doyens et leurs inférieurs, deux ; qu’ils ne mèneront point de chiens ni d’oiseaux pour la chasse, et se contenteront pour leur table d’être servis suffisamment et modestement. Il leur défend aussi d’imposer ni tailles ni exactions sur leur clergé ; mais il leur permet de lui demander en cas de besoin un secours charitable.

Ce règlement fut fait à l’occasion des dépenses énormes que plusieurs évêques faisaient dans leurs visites, ce qui obligeait souvent leurs inférieurs de vendre jusqu’aux ornements de l’Église pour y subvenir. Au reste, ce grand train de chevaux n’est qu’une simple tolérance de la part du concile ; et, s’il en tolère un plus grand nombre dans les archevêques et les évêques que dans les cardinaux, c’est que la dignité de cardinal n’était pas encore ce qu’elle a été depuis.

  1. Si un évêque ordonne un prêtre ou un diacre, sans lui assigner un titre certain dont il puisse subsister, il lui donnera de quoi vivre jusqu’à ce qu’il lui assigne un revenu ecclésiastique, à moins que le clerc ne puisse vivre de son patrimoine. C’est le premier canon qui parle de patrimoine ou de titre patrimonial, comme on a dit depuis, au lieu de titre ecclésiastique.
  2. Les évêques et les archidiacres ne prononceront point de sentences de suspense ou d’excommunication sans trois monitions canoniques préalables, si ce n’est pour les fautes qui de leur nature emportent excommunication ; et les inférieurs n’appelleront pas sans griefs ni avant l’entrée en la cause. Si l’appelant ne vient poursuivre son appel, il sera condamné aux dépens envers l’intimé qui se sera présenté. Il est défendu en particulier aux moines et aux autres religieux d’appeler des corrections de discipline imposées par leur supérieurs ou leurs chapitres.
  3. Défense de rien exiger pour l’intronisation des évêques ou des abbés, pour l’installation des autres ecclésiastiques ou la prise de possession des curés, pour les sépultures, les mariages et les autres sacrements, en sorte qu’on les refuse à ceux qui n’ont pas de quoi donner. On défend aussi aux évêques et aux abbés d’imposer aux églises de nouveaux cens, ou de s’approprier une partie de leurs revenus, sous peine de cassation des actes qu’ils auront faits à cet égard.
  4. Défense de conférer ou de promettre les bénéfices avant qu’ils vaquent, pour ne pas donner lieu de souhaiter la mort du titulaire. Les bénéfices vacants seront conférés dans six mois ; autrement, le chapitre suppléera à la négligence de l’évêque, l’évêque à celle du chapitre, et le métropolitain à celle de l’un et de l’autre.
  5. Sur les plaintes formées par les évêques que les nouveaux ordres militaires des templiers et des hospitaliers recevaient des églises de la main des laïques ; que dans les leurs ils instituaient et destituaient des prêtres à l’insu des évêques ; qu’ils admettaient aux sacrements les excommuniés et les interdits, et leur donnaient la sépulture ; qu’ils abusaient de la permission donnée à leurs frères envoyés pour quêter, de faire ouvrir, une fois l’an, les églises interdites, et d’y faire célébrer l’office divin, d’où plusieurs de ces quêteurs prenaient occasion d’aller eux-mêmes aux lieux interdits, et de s’associer des confrères en plusieurs de ces lieux, à qui ils communiquaient leurs privilèges ; le concile condamne tous ces abus, non seulement à l’égard des ordres militaires, mais de tous les autres religieux.
  6. Les moines, ou tous autres religieux, ne seront point reçus pour de l’argent, sous peine au supérieur de privation de sa charge, et au particulier, de n’être jamais promu aux ordres sacrés. On ne permettra pas à un religieux d’avoir du pécule, si ce n’est pour l’exercice de son obédience. Celui qui sera trouvé avoir un pécule sera excommunié et privé de la sépulture commune, et on ne fera point d’oblation pour lui. L’abbé trouvé négligent sur ce point sera déposé. On ne donnera point pour de l’argent les prieurés ou les obédiences ; et on ne changera point les prieurs conventuels, sinon pour des causes graves, ou pour les élever à un plus haut rang.
  7. Les clercs constitués dans les ordres sacrés, qui ont chez eux des femmes notées d’incontinence, les chasseront et vivront chastement, sous peine de privation de leur bénéfice ecclésiastique et de leur office. Même peine pour le clerc qui, sans une cause manifeste et nécessaire, fréquentera les monastères des filles, après la défense de l’évêque. Un laïque coupable d’un crime contre nature sera excommunié et chassé de l’assemblée des fidèles. Si c’est un clerc, il sera ou chassé du clergé, ou enfermé dans un monastère pour y faire pénitence.
  8. Défense à tous les clercs sans exception de se charger d’affaires temporelles, comme d’intendance de terres, de juridiction séculière, ou de la fonction d’avocat devant les juges laïques.
  9. Défense aux ecclésiastiques de posséder plusieurs bénéfices, et aux laïques d’instituer ou de destituer des clercs dans les églises, sans l’autorité de l’évêque, ou d’obliger les ecclésiastiques à comparaître en jugement devant eux. Le concile défend ces choses aux laïques sous peine d’être privés de la communion des fidèles.
  10. Il prive aussi de la sépulture ecclésiastique ceux des laïques qui transfèrent à d’autres laïques les dîmes qu’ils possèdent au péril de leurs âmes. C’est sur ce fondement que l’on conservait aux laïques jusqu’à l’époque de la révolution les dîmes dont on jugeait qu’ils étaient en possession dès le temps de ce concile, et que l’on nommait dîmes inféodées.
  11. Les biens que les clercs ont acquis par le service de l’Église lui demeureront après leur mort, soit qu’ils en aient disposé par testament ou non. Défense d’établir à certain prix des doyens pour exercer leur juridiction, sous peine de privation d’offices aux doyens, et, à l’évêque, sous peine de privation du pouvoir de conférer l’office de doyen.
  12. Dans la disposition des affaires communes, on suivra toujours la conclusion de la plus grande et de la plus saine partie du chapitre, nonobstant tout serment et coutume contraire ; si ce n’est que l’autre partie propose quelque chose qu’elle fasse voir être raisonnable.
  13. Lorsqu’il y a plusieurs patrons pour présenter à un bénéfice, et qu’ils s’accordent tous dans leur présentation, celui-là aura le bénéfice, qui sera présenté par tous ; sinon celui-là sera préféré, qui aura la pluralité des suffrages ; autrement, l’évêque y pourvoira ; comme aussi, en cas de question pour le droit de patronage, qui ne soit pas terminée dans trois mois.
  14. L’Église étant obligée, comme une bonne mère, de pourvoir aux besoins corporels et spirituels des pauvres, le concile ordonne qu’il y aura, pour l’instruction des pauvres clercs, en chaque église cathédrale, un maître à qui l’on assignera un bénéfice suffisant, et qui enseignera gratuitement ; que l’on rétablira les écoles dans les autres églises et dans les monastères, où il y a eu autrefois quelque fonds destiné à cet effet ; qu’on n’exigera rien pour la permission d’enseigner, et qu’on ne la refusera pas à celui qui en sera capable, parce que ce serait empêcher l’utilité de l’Église.
  15. Défense, sous peine d’anathème, aux recteurs, consuls ou autres magistrats des villes, d’obliger les églises à aucune charge publique, soit pour fournir aux fortifications ou expéditions de guerre, soit autrement ; et de diminuer la juridiction (temporelle) des évêques et des autres prélats sur leurs sujets. On permet néanmoins au clergé d’accorder quelque subside volontaire, pour subvenir aux nécessités publiques, quand les facultés des laïques n’y suffisent pas.
  16. On défend, sous peine de privation de la sépulture ecclésiastique, les tournois ou foires, auxquels se trouvaient des soldats qui, pour montre de leur force et de leur bravoure, se battaient avec d’autres, au péril de leur âme et de leur corps.
  17. On ordonne d’observer la trêve de Dieu, qui consistait à n’attaquer personne depuis le coucher du soleil le mercredi jusqu’au lever du soleil le lundi, depuis l’Avent jusqu’à l’octave de l’Épiphanie, et depuis la Septuagésime jusqu’à l’octave de Pâques : le tout sous peine d’excommunication.
  18. Défense d’inquiéter, de maltraiter les moines, les clercs, les pèlerins, les marchands, les paysans allant en voyage, ou occupés à l’agriculture, les animaux employés au labourage. On défend aussi d’établir de nouveaux péages ou d’autres exactions sans l’autorité des souverains. C’est que chaque petit seigneur s’en donnait l’autorité.
  19. Partout où les lépreux seront en assez grand nombre, vivant en commun, pour avoir une église, un cimetière et un prêtre particulier, on ne fera aucune difficulté de le leur permettre ; et ils seront exempts de donner la dîme des fruits de leurs jardins et des bestiaux qu’ils nourrissent.
  20. Défense aux chrétiens, sous peine d’excommunication, de porter aux Sarrasins des armes, du fer ou du bois pour la construction des galères ; comme aussi d’être patrons ou pilotes sur leurs bâtiments. On excommuniera aussi ceux qui prendront ou dépouilleront les chrétiens allant sur mer pour le commerce ou pour d’autres causes légitimes, ou qui pilleront ceux qui ont fait naufrage, s’ils ne restituent.
  21. On renouvelle l’excommunication si souvent prononcée contre les usuriers, avec défense de recevoir les offrandes des usuriers manifestes, de les admettre à la communion et de leur donner la sépulture ; renvoyant au jugement de l’évêque le prêtre qui aura contrevenu à ce décret.
  22. On défend aux juifs et aux sarrasins d’avoir chez eux des esclaves chrétiens sous quelque prétexte que ce soit. On permet néanmoins de recevoir en témoignage les chrétiens contre les juifs, et les juifs contre les chrétiens. On ordonne de conserver les biens aux juifs convertis, avec défense, sous peine d’excommunication, aux seigneurs et aux magistrats de leur en rien ôter.
  23. Quoique l’Église, suivant que le dit saint Léon, rejette les exécutions sanglantes, elle ne laisse pas d’être aidée par les lois des princes chrétiens, en ce que la crainte du supplice corporel fait quelquefois recourir au remède spirituel ; c’est pourquoi nous anathématisons les hérétiques nommés cathares, patarins ou publicains, les albigeois et autres qui enseignent publiquement leurs erreurs, et ceux qui leur donnent protection ou retraite, défendant, en cas qu’ils viennent à mourir dans leur péché, de faire des oblations pour eux, et de leur donner la sépulture entre les chrétiens. Le concile ordonne de dénoncer excommuniés, dans les églises, les jours de dimanches et de fêtes, les brabançons, les cotteraux, etc., qui portaient la désolation partout. Il permet même de prendre les armes contre eux, et reçoit ceux qui les attaqueront sous la protection de l’Église, comme ceux qui visitent le saint sépulcre. Ces cotteraux ou roturiers étaient des troupes ramassées dont les seigneurs se servaient pour leurs guerres particulières, et qui vivaient sans discipline et sans religion. Labb. X ; Anal. des conc.

Période médiévale – Le «catharisme» occidental

5-1-Histoire du catharisme
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3 – 3 – Période médiévale

Il est impossible de comprendre quoi que ce soit au christianisme et aux religions qui s’en réclament si l’on n’étudie pas l’histoire et les religions qui ont participé à son avènement.

Le « catharisme » occidental

Nous l’avons vu, le développement du catharisme en Europe occidentale semble avoir suivi deux voies de propagation. L’une fut le fait des pauliciens intégrés aux armées grecques en Italie du sud et à celle de Raymond IV en Languedoc. L’autre semble avoir suivi les routes commerciales entre Europe centrale et Europe de l’ouest. C’est celle qui est le mieux documentée et qui sert de référence aux historiens modernes. Elle passe de Bulgarie en Rhénanie, puis en Champagne, en Flandre, en Orléanais et en Occitanie. C’est cette vision qui fit croire à ces historiens que le courant mitigé[1] fut premier et qu’il fut ensuite supplanté par le courant absolu. Pour cette même raison, il fut admis que l’Italie du Nord fut touchée avant le Languedoc.

Je pense pour ma part qu’un courant absolu était déjà en place avant l’arrivée des « cathares » du nord de la France. Pour ce qui est de l’Italie du Nord, on peut imaginer aussi qu’une partie des pauliciens de l’armée de Raymond IV, revenue soutenir son héritier après sa mort en Terre Sainte, ait pu essaimer dans cette zone forcément traversée sur le chemin du retour. Mais il est aussi possible que ceux qui étaient installés en Occitanie aient diffusé à l’est compte tenu de l’appartenance de l’Italie du Nord à l’Occitanie. Peu importe en fait. Ce qui compte c’est que la tendance mitigée ne semble pas avoir touché le Languedoc alors qu’elle provoqua de nombreux remous en Italie du Nord où elle divisa l’Église de Concorezzo. Cela ne peut m’empêcher de comparer le mouvement mitigé italien avec celui de Valentin. Là aussi, face à un dualisme strict, il semble bien que Valentin ait introduit une approche plus conciliante avec l’orthodoxie catholique de son époque. Et même si cette approche ne connut pas de lendemain en raison de la dérive gnostique de ses successeurs, elle signe une volonté de retour à la « norme », d’une partie des chrétiens authentiques, peut-être un peu inquiets face à l’orthodoxie catholique dont la doctrine était en outre moins contraignante.

Mais plus que les tribulations du catharisme italien, je voudrais insister sur le fait qu’en France on observa divers épisodes que les historiens ont rapprochés du catharisme sur le simple critère de leur opposition au catholicisme.

XIe et XIIe siècles

Aux environs de l’an mil, à Vertus en Champagne, un dénommé Leutard[2], paysan analphabète, se fait remarquer en dénigrant l’Église catholique, en répudiant sa femme et en brisant les croix. Condamné et expulsé par l’évêque de Châlons, il se suicida en se jetant dans un puits. Vers 1015 l’évêque de Limoges signale des « manichéens » sans plus de précision. En 1022 un bûcher fut dressé à Toulouse contre des « manichéens » dont nous ne savons malheureusement rien d’autre. Cependant, c’est à Orléans[3], la même année, qu’intervint l’affaire la plus retentissante. Des prélats de haut rang, dont le confesseur de la reine Constance — femme de Robert II le pieux —, propagent une doctrine typiquement cathare. La rumeur voulait que ces idées avaient été introduites en Orléanais par une italienne et un paysan périgourdin. Dénoncés par un chevalier qui avait infiltré leurs rangs, après que leurs agissements furent découverts par un clerc tombé sous leur influence, ils furent interrogés en public par l’évêque de Beauvais à la tête d’un collègue épiscopal réuni pour l’occasion sous l’autorité du roi. Ce dernier les fit périr sur un bûcher le 25 décembre 1022. Leur nombre de dix présente une légère imprécision quant à la présence en leur sein d’une nonne qui n’aurait pas été brûlée, de même qu’un jeune clerc. En 1025 des hérétiques abjurèrent devant le synode d’Arras. En 1027-28 le concile de Charroux (Vienne) dénonça les hérétiques à la demande du duc d’Aquitaine, Guillaume III. En 1049 le concile de Reims prit des mesures de portée générale qui amenèrent à des exécutions à Arras[4] et Châlons. Pourtant en 1048 le prince-évêque de Liège[5], Wason, avait interdit la mise à mort des hérétiques en se basant sur la parabole du bon grain et de l’ivraie (seul Dieu est apte à séparer le bon grain de l’ivraie). Vers 1050 son successeur, Théodwin, prend le contre-pied exact de sa position en en appelant au bras séculier contre Bruno évêque d’Angers et Béranger évêque de Tours convaincus d’hérésie. À Goslar en Allemagne, des hérétiques sont démasqués en 1052 par le test du poulet — soucieux d’observer le commandement divin les hérétiques refusent de tuer, même un poulet — et pendus le jour de Noël. Face à cette violence, le concile de Toulouse (1056) fait place à l’amendement des hérétiques sans préciser ce qu’il faut faire des impénitents et des relaps. Il ne sera pas suivi. Vers 1077 le prêtre Ramihrd[6], vivant à proximité de Douai, est dénoncé par l’évêque de Cambrai comme hérétique, car il refuse les sacrements issus de simoniaques (dont l’évêque lui-même). Il sera brûlé par les gardes et la foule. Il fut soutenu par le pape Grégoire VII qui excommuniera la ville. En 1083 le Pape sermonne le comte de Flandre pour sa collusion avec l’hérésie. La seconde moitié du XIe siècle est quasiment muette sur l’implantation et le développement du catharisme.

Mais ces épisodes ne sont qu’une partie des mouvements qui apparurent au XIe et XIIe siècle, soit en réaction aux comportements de l’Église catholique et de ses membres les moins rigoureux, soit en raison de la réforme grégorienne. Ce qu’il faut distinguer, afin de ne pas attribuer au catharisme ce qui n’en est pas et de ne pas mettre dans un fatras de divergences ce qui constitue une rupture totale avec le judéo-christianisme, c’est le contenu doctrinal. Et alors on constate effectivement que beaucoup des mouvements contestataires sont des mouvements de réforme du catholicisme, car ils conservent les mêmes fondamentaux que l’Église catholique, alors que d’autres sont des mouvements de rupture qui poussent leurs adeptes à changer radicalement de fondamentaux doctrinaux, ce qui revient à changer de religion aussi sûrement que s’ils s’étaient fait juifs ou musulmans. Ainsi le paysan Leutard ne peut en aucune façon être considéré comme cathare alors que les prélats d’Orléans confessent un catharisme indiscutable. Ceux de Goslar sont également fortement suspects de catharisme alors que Ramihrd est vraisemblablement plus un réformateur catholique qu’autre chose.

L’autre question importante est le fait que l’on trouve souvent des clercs catholiques dans les rangs de ceux qui sont jugés pour leurs idées hérétiques. Cela peut-il être un frein au fait que ces religieux aient pu renier leur foi initiale pour embrasser un nouveau christianisme ? Je ne le crois pas, car si la révélation de l’éveil peut toucher tout le monde, les clercs de l’époque étaient les mieux placés pour acquérir la connaissance nécessaire à cette conversion. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient été les premiers touchés, tout comme les historiens n’ont pas manqué de noter la forte proportion de nobles parmi les cathares médiévaux, qui n’est pas liée à un quelconque phénomène de mode, mais bien au fait qu’ils étaient eux aussi en mesure d’acquérir les connaissances nécessaires à leur adhésion.

XIIIe et XIVe siècles

Le XIIIe siècle est l’époque la mieux connue du catharisme[7], tant languedocien qu’italien et même français, notamment en Champagne. En Italie, les cathares se répartissent en deux écoles, celle des albanenses (albanistes) qui sont les tenants du christianisme authentique transmis par les pauliciens. L’ouvrage qui présente le mieux leur doctrine nous vient, directement ou non, de leur évêque Jean de Lugio et s’appelle le Livre des deux principes (Liber de duobus principii). L’école de Concorezzo qui semble avoir été instituée par l’Église bogomile de Bulgarie, prône un catharisme mitigé et met en avant un ouvrage qualifié d’apocryphe bogomile : La cène secrète de Jean (Interrogation Johannis). Une troisième école, issue de l’Église de Slavonie, propose une théologie légèrement différente, notamment sur la place de Marie, mais néanmoins rattachée à l’approche bulgare.

La répression fut relativement sporadique pendant tout le siècle en raison de l’opposition entre le pape et l’empereur Frédéric Barberousse, par ailleurs tous deux clairement disposés à éradiquer le catharisme italien. Ce n’est que dans le dernier quart du siècle, suite à la victoire du parti guelfe sur celui des gibelins, que la répression put prendre un tour plus systématique. L’arrestation des cathares de Sirmione et le bûcher de Vérone en 1278 signa la fin du répit pour le catharisme en Italie. Mais nous avions parlé de cathares en Italie du sud et en Sicile. Leur existence débordera sur le XIVe siècle puisque nous savons que de nombreux languedociens s’y rendirent pour être formés, dont Pierre Authier et son frère Guilhem. Pour autant nous disposons de peu d’informations sur son fonctionnement et son développement excepté que, manifestement, elle devait être proche de l’école des albanistes.

En Languedoc le XIIIe siècle est dominé par le début de la répression de l’hérésie cathare. Tout d’abord, objet de tentative de contradictions théologiques par le biais des fameuses disputatio, ces controverses publiques à laquelle participa Dominique de Guzman, le futur créateur de l’ordre des dominicains, elle fut ensuite militaire par l’intermédiaire de la croisade contre les albigeois et enfin religieuse à l’occasion de la mise en place du tribunal de l’Inquisition qui se poursuivra jusqu’à la mort du dernier consolé, Guillaume Bélibaste exécuté à Villerouge en Termenès en 1321. L’association de ces deux derniers modes de répression trouvera son expression la plus forte lors de la reddition de Montségur qui se terminera le 15 mars 1244 après dix mois de siège par l’exécution des derniers représentant de l’Église cathare du Languedoc. Mais, même après la fin de la tentative de reprise de la prédication des consolés mise en place par Pierre Authier, il restait de nombreux croyants et quelques bonshommes, notamment en Quercy où les réseaux étaient mieux segmentés. Que sont-ils devenus ? Les textes manquent à leur sujet. Sont-ils restés sur place ou ont-ils été capturés et éliminés sans que nous le sachions ? Troisième hypothèse ; peut-être sont-ils partis avec leurs croyants dans cet exode commencé dès le début de la croisade par ceux qui n’avaient plus de raison de rester en Occitanie et qui se sont installés à ses frontières sud-ouest, au Pays basque avant de disséminer sur la côte atlantique, en Espagne et même en Amérique du sud sous le nom infamant de cagots ou d’agotes comme l’a si bien expliqué Kepa Olaizola[8] dans son travail de recherche.

J’ai volontairement choisi de ne pas alourdir ce texte en évoquant la (les ?) croisade contre les albigeois, déclenchée à la demande du pape innocent III au début de l’été 1209 et l’Inquisition, créée suite à l’échec partielle de la croisade, en 1233 à Carcassonne et à Toulouse qui éliminera l’hérésie en tuant Guilhem Bélibaste. Il ne manque pas d’excellents ouvrages retraçant ces périodes, notamment la somme historique de Michel Roquebert, l’épopée cathare en cinq volumes.

Conclusion

Les tentatives modernes visant à refuser « l’unité » du mouvement cathare médiéval au motif des variantes cosmogoniques, voire de quelques divergences superficielles dans la doctrine sont donc liées à une totale méconnaissance de l’Église chrétienne authentique que j’espère avoir un peu réduite dans cette présentation des origines. De même, la mode de faire du catharisme médiéval une divergence du catholicisme est totalement ignorante des divergences insurmontables entre les fondamentaux doctrinaux de ces deux christianismes. Fondamentaux qui remontent au premier siècle, même s’ils ne furent finalisés qu’entre le deuxième et le septième siècle. Chercher à subordonner le catharisme au catholicisme est aussi peu sérieux que le fut le fait de l’attacher au manichéisme ou à l’arianisme, voire à l’origénisme.

Comme toujours, vous êtes invités à venir en discuter sur le forum dédié.


[1] Le catharisme fait l’objet de diverses séparations selon les critères doctrinaux touchant à la cosmogonie. Les mitigés considèrent notamment que Dieu a créé la matière que le diable a corrompue et les absolus pensent que c’est le diable le créateur de la matière.

[2]. Edmond Pognon. L’an mille. Œuvres de Raoul Glaber, Adhémar de Chabannes , etc. Éditions NRF Gallimard (Paris) 1947.

[3]. Ibid.

[4]. M. Grisard. Les Cathares dans le Nord de la France in Revue du Nord, tome XLIX, n°194, Juillet-Septembre 1967. Université de Lille.

[5]Ibid.

[6]. M. Grisard. Les Cathares dans le Nord de la France. Op. cit.

[7]. La religion des Cathares et l’histoire des Cathares. Le Catharisme (t. 1 et t. 2) op. cit.

[8]Agot, cagot. L’après Catharisme. Kepa Olaizola. Op. cit.

2 – 2 – Paul, Marcion et les autres

5-2-Histoire du christianisme
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Paul, Marcion et les autres

Nous allons aborder une période extrêmement compliquée à appréhender de l’histoire du proto-christianisme et du début du christianisme, en raison de la pauvreté et du manque de fiabilité des sources disponibles. L’histoire n’est ni une science exacte, ni une science honnête. L’absence d’outils de cadrage et l’obligation de se référer à des documents forcément subjectifs obligent à faire preuve d’une grande prudence dans nos analyses. Bien entendu, cela est valable pour nos propres analyses qui sont soumises à notre subjectivité personnelle.

Le « christianisme » du premier siècle

Les 30 premières années de l’ère commune

Que sait-on de vérifiable sur cette période en Palestine ? Rien, ou à peu près rien. En effet, la plupart des informations disponibles dans les textes chrétiens du Nouveau Testament ne sont pas superposables à des récits émanant d’autres sources. Quand certains points sont conformes à d’autres données historiques, ces dernières sont suffisamment vagues pour n’être en aucune façon décisives. À titre d’exemple, le fait qu’un romancier décrive dans son livre un lieu précis, en respectant scrupuleusement les données connues sur ce lieu, ne permet pas d’affirmer que les événements qu’il y place aient eu lieu.

Si l’ère commune commence à l’an 0, il ne se trouve plus aujourd’hui grand monde pour affirmer qu’il corresponde à la date précise de la naissance de Jésus. Même l’Église catholique reste floue sur la date précise, voire l’année de sa naissance. Pour d’autres, c’est le fait même de sa naissance, donc de son existence qui est sujette à de nombreux doutes.

Mais il faut bien démarrer quelque part. Alors voyons ce qui s’est passé dans ces premières années de notre ère.

Il est indéniable que des individus de religion juive ont propagé un message qui fut attribué à un être de chair qu’ils ont assimilé au messie davidique des écrits de la Torah. Mais la compréhension de ce message fut très diversement interprétée, allant de ceux qui voyait dans ce message un complément au judaïsme justifiant la mise en place d’une énième secte juive jusqu’à ceux qui y voyait en réalité une rupture et un rejet du judaïsme comme religion de Dieu.

Si l’on connaît assez bien le développement du groupe rattachant le message christique au judaïsme, il en va tout autrement du groupe qui rejetait cette idée.

Le principal document utilisable sur ce sujet est le livre Actes des apôtres dont il est clair qu’il est fortement orienté, à la fois pour rattacher au courant majoritaire les éléments qui l’arrangent ou qui peuvent le valoriser et, pour dénigrer directement ou pas ceux qui ne vont pas dans son sens.

Trois personnages sont à distinguer dans cette période.

Étienne, représentant du pagano-christianisme ?

Étienne, présenté comme un jeune diacre de la communauté judéo-chrétienne qui blasphème le Dieu des juifs et est exécuté par lapidation.

Son comportement est intéressant à double titre :

  • Il fait partie du second cercle, nommé à l’occasion d’une querelle entre juifs chrétiens (Hébreux) et juifs hellénisants (diaspora) ;
  • Il blasphème le Dieu des juifs, comme le fit Jésus, et est exécuté par lapidation, ainsi que le prévoit la loi juive, alors que jésus aurait été crucifié.

La querelle, qui occasionna la mission d’Étienne au service des dirigeants de la communauté, met en avant un comportement des Hébreux qui correspond à l’attitude habituelle des juifs de Jérusalem vis-à-vis des juifs de la diaspora (vivant à distance du Temple de Jérusalem). Si les premiers sont avant tout des juifs cherchant à établir une secte faisant de Jésus leur référence, les seconds sont plus éloignés du judaïsme le plus orthodoxe.

Le comportement d’Étienne nous fait comprendre qu’il est forcément, et au mieux, issu du groupe hellénisant. Pourtant ses idées sont plus radicalement anti-juive que la plupart des autres, ce qui révèle l’existence d’une fracture au sein de ce groupe. Cette fracture porte sur le rejet de la Torah, voire de Iahvé comme référence. En cela, ce groupe préfigure le courant pagano-chrétien. D’ailleurs, après la mort d’Étienne, les Actes nous disent qu’une grande persécution eut lieu contre l’église de Jérusalem. Mais c’est faux ! En effet, si tous les membres furent dispersés, les apôtres sont demeurés. Cela montre qu’aux yeux des juifs il y a bien deux catégories de sectateurs de Jésus : ceux qui l’intègrent au judaïsme et ceux qui en font le pilier d’une nouvelle religion.

Simon le mage, caricature de Paul ?

Dès le chapitre 8 les Actes mettent l’accent sur ceux que les judéo-chrétiens considèrent comme des ennemis. Paul, qui sera appelé Saul jusqu’au chapitre13, y est présenté sous un jour sombre, mais en accord avec sa mission d’alors. Par contre, un nouveau personnage fait son apparition. Il s’agit de Simon que l’on dit capable de magie et qui semble causer des troubles chez les samaritains, juifs considérés comme hérétiques par ceux de Jérusalem. Il reçoit le baptême d’eau de Philippe, mais pas le baptême par imposition des mains. Considérant ce baptême comme supérieur, il demande à en recevoir la compétence de transmission contre de l’argent[1].

Plusieurs auteurs et chercheurs ont cru voir dans la juxtaposition des critiques envers Paul et dans l’histoire de Simon, une volonté de dénigrement de Paul, plus ou moins assimilé à ce personnage dont l’existence réelle n’est pas attestée.

Paul de Tarse

Pour Paul nous avons plusieurs documents pour étayer son existence. Les Actes des apôtres posent problèmes, car ils semblent chercher à donner de Paul une image conforme à la volonté judéo-chrétienne d’amoindrir son influence au profit de celle de Pierre. Les Épitres qui lui sont attribuées sont manipulées, modifiées, remaniées, voire carrément inventées. Trier dedans pour tenter de restituer sa pensée est un véritable travail de… romain !

Les apocryphes sont intéressants, mais forcément entachés de doute.

Si Paul n’a pas créé le groupe des juifs qui se sont éloignés de la « parenté » juive, au point de rejeter Iahvé et la Torah, il l’a rejointe à Damas et en est devenu le porte-parole au point que son travail missionnaire est sans aucun doute à l’origine du premier schisme intervenu en 49 entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens, même si ces qualificatifs n’existaient pas encore.

Il est très difficile d’analyser la vie de Paul à cette époque, parce que les témoignages qui nous sont parvenus sont loin d’être uniformes. D’un côté nous avons un récit attribué à Luc, médecin et un temps ami de Paul, mais cela semble être une ruse, car son contenu est loin d’être celui d’un proche. En effet, on n’y trouve aucune mention des lettres que Paul adressa à des communautés qui s’appuyaient sur son apostolat. De même, on remarque des divergences entre les lettres de Paul et le récit attribué à Luc, notamment concernant la reconnaissance du statut d’apôtre de Paul et la date de sa venue à Jérusalem. Enfin, ce texte (Les Actes des apôtres) ne reconnaît le statut romain de Paul qu’à partir du chapitre 13, alors qu’il est citoyen romain de naissance. Sans parler des épisodes destinés à mettre Paul en difficulté vis-à-vis des communautés chrétiennes. De l’autre côté nous avons les lettres de Paul, appelées Épitres par l’Église romaine, dont nous savons très clairement qu’elles ont été manipulées de diverses façons. Certaines ont été constituées à partir de plusieurs écrits différents (Lettre aux Romains par exemple), toutes ont été partiellement falsifiées par l’ajout d’interpolations de scribes judéo-chrétiens destinées à amoindrir le caractère jugé « hérétique » des écrits pauliniens jusqu’à la mise en place de la compilation appelée Nouveau Testament. Deux autres documents nous sont parvenus, sans être validés par l’Église officielle. Ces apocryphes sont une vie de Paul figurant dans les Actes de Pierre et de Simon et un échange de correspondance avec Sénèque, précepteur de Néron. Il en ressort principalement que Paul fut libéré de prison vers 64 en raison d’un vice de procédure — ses accusateurs juifs ne s’étaient pas présentés devant le tribunal de peur d’être mis en accusation —, et qu’il partit pour un quatrième voyage missionnaire qui le mena de Rome en Espagne et ensuite dans la zone orientale de l’Empire. C’est là qu’il fut de nouveau arrêté et ramené à Rome où il fut exécuté vers 68, sans doute sur ordre de l’empereur Néron, soucieux de se disculper dans les accusations populaires relatives à l’incendie de Rome.

On retrouve dans la correspondance de Paul de nombreux éléments doctrinaux et de praxis qui jalonneront les groupes religieux qui suivront et ce jusqu’aux bogomiles et aux cathares. Le lien doctrinal est indiscutable.

Le « christianisme » du deuxième siècle

Les gnostiques

Ce nom, clairement donné par l’Église catholique de Jérusalem, puis de Rome, à ceux qui refusaient de se plier au dogme catholique, regroupe en fait des personnalités et des « écoles » de pensée très diverses, dont certaines ne furent sans doute pas chrétiennes.

Simon, Apollos et Cérinthe

Si Simon le mage dont nous venons de parler a existé, il est clairement le premier des gnostiques et, sans doute pas chrétien. Par contre Apollos de Corinthe[2], qui vivait à Alexandrie avant d’en être ramené et d’être baptisé par imposition des mains à Corinthe, est clairement un chrétien. On connaît de lui sa grande éloquence qui fit de l’ombre à Paul qu’il ne croisa que de façon épisodique. Cependant, installé dans des communautés pauliniennes, il y poussa les théories du maître si loin qu’il semble bien que Paul s’en soit inquiété. Le travail d’Apollos à Corinthe fut si intense que certains chercheurs pensent que le gnostique appelé Cérinthe pourrait bien n’être personne d’autres qu’Apollos et ses théories firent penser à d’autres qu’il pourrait bien être l’auteur de l’Évangile selon Paul, si cher aux cathares. Apollos semble avoir avancé sur l’exclusion de Iahvé comme Dieu des chrétiens et sur le docétisme, c’est-à-dire sur la double nature de Jésus, à la fois Dieu et homme.

Ménandre et Satornil (Saturnin)

Ménandre semble avoir été le premier à proposer que Dieu ne serait pas le créateur du monde, doctrine que son disciple Satornil va faire évoluer jusqu’à proposer que Iahvé serait un ange devenu mauvais. Dieu est par ces théories séparé du démiurge et innocent de ce monde imparfait et mauvais. Ménandre avait proposé que le monde soit la création de sept anges. Cette hypothèse est intéressante quand on se rappelle que le Dieu des juifs est souvent appelé Élohim qui est terme pluriel alors que Iahvé est un singulier.

Cette séparation crée un second schisme, après celui de Paul, et met durablement en place une seconde voie christique, avant même que le mot chrétien ne soit inventé.

Basilide et Carpocrate

Cet autre disciple de Ménandre semble avoir introduit la philosophie platonicienne et aristotélicienne. C’est lui introduit le concept grec de Nous (Intellect, Sagesse) pour désigner le christ. Il partage avec Satornil l’idée du salut par la foi. Il semble bien qu’il ait ouvert la voie à Valentin et au néoplatonisme.

Proche de Satornil pour le rejet de la Torah, Carpocrate n’est pas adepte du docétisme et ne voit en Jésus qu’un homme. Il croit en la puissance de chacun dans sa résistance au Mal. Cela est sans doute à l’origine de l’idée qu’il aurait autorisé ses disciples à se laisser aller à toutes les turpitudes, puisque ces dernières ne concernent que le corps. C’est sans doute une interprétation de leurs opposants.

Valentin

Disciple de Basilide, il se réfère beaucoup à la philosophie grecque et rejette la loi mosaïque. Il n’associe pas le Dieu de la Torah au démiurge et valorise Jacques le mineur, dit frère de Jésus, contrairement aux autres gnostiques. Cette approche peut expliquer à la fois le recentrage de Valentin sur Jésus et son éloignement des racines juives. Ce sont les raisons qui font que certains chercheurs voient en Valentin l’auteur de l’Évangile selon Thomas et que ces disciples ont fini par abandonner le christianisme au profit d’une nouvelle religion qu’ils ont créée, le gnosticisme.

Marcion et le marcionisme

Disciple de Satornil, il appartient clairement à ce courant hétérogène appelé gnostique, mais il va constituer une doctrine chrétienne fidèle aux origines et à la pensée de Paul.

Issu d’une famille christianisée de Sinope (sur la côte sud de la Mer Noire), il semble avoir développé une approche chrétienne jugée hérétique, puisqu’il fut rejeté par la communauté dont son père était l’évêque. Descendu à Rome en 140, il renfloua les caisses de l’Église catholique qui lui permit de travailler quatre ans à l’étude des textes. Mais, ses conclusions rejetant les textes de la Torah, la plupart des autres textes juifs et faisant de Iahvé, non seulement le démiurge créateur du monde, mais aussi Dieu du Mal, firent hurler les responsables judéo-chrétiens locaux. Si l’on ajoute qu’il reprit toutes les lettres de Paul, dénonçant les falsifications, les ajouts et les forgeries et qu’il remania l’Évangile selon Luc pour en faire un évangile de Paul, on comprend aisément qu’il également exclu de l’Église romaine qui préféra lui rembourser ses 200 000 sesterces.

Grâce à sa richesse personnelle liée à son activité d’armateur, il décida de fonder des communautés adeptes de ses théories. Cette nouvelle Église chrétienne prit une telle ampleur qu’elle était considérée au 3e siècle comme la plus importante du monde, avant l’Église de Rome ! Et cette opinion est celle d’un des Pères de l’Église de Rome ! Après sa mort, survenue vers 160, son Église se répandit sur tout le continent, souvent à proximité ou en remplacement des communautés paulinienne. Les marcionites furent si présent qu’au 2e siècle, quad le mot chrétien fut inventé à Antioche de Syrie, c’est à des marcionites qu’il fut appliqué. De même, à Édesse, ce sont les marcionites qu’on appelait chrétiens, alors que les judéo-chrétiens étaient nommés palutiens, du nom de leur évêque Palut.

Quand l’empereur Théodose rendit le christianisme catholique religion d’État et donna à ses cadres le pouvoir de justice religieuse, les choses changèrent. Les marcionites durent entrer dans la clandestinité et furent poursuivi durement, mais à la fin du premier millénaire on trouve encore des récits citant des communautés marcionites clandestines.


[1] C’est de là que vient le terme de simonie qui désigne le fait de monnayer les actes rituels de la religion.

[2] Le nom de la ville accolé au nom de l’apôtre désigne la ville où fut baptisé l’intéressé, selon le rite de l’imposition des mains.

Paul, le salut par la foi (1e partie)

5-2-Histoire du christianisme
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Paul, le salut par la foi (1e partie)

Les affirmations ou hypothèses présentées ci-après sont argumentées et s’appuient sur des sources que vous trouverez listées dans les notes et en fin d’article. Ainsi vous pourrez vérifier par vous-même la validité des propos tenus ici.

Par son activité missionnaire, Paul va susciter la création de communautés.
Ses échanges avec ces communautés vont lui permettre de :

  • Préciser le message de Christ qu’il veut transmettre qui repose sur la Bonne nouvelle (évangile) reçue de ce dernier, à savoir l’Amour universel détaché de la chair ;
  • Corriger les éventuelles erreurs commises par les communautés qui lui reviennent par des messages ;
  • Marquer la différence entre son message et celui des apôtres de Jérusalem qui eux s’en tiennent aux obligations de la loi juive ;
  • Différencier le message christique de celui de la Torah juive qu’il va finalement discréditer comme émanation divine.

Paul, théologien du christianisme ?

Paul nous est surtout connu au travers des « épitres », des lettres adressées aux communautés qui s’étaient formées autour de sa vision du message de christ. Autant le dire, ces lettres étaient très nombreuses, bien plus que les vingt-sept que nous propose le Nouveau Testament.

Ces lettres étaient transmises par des envoyés — la Poste® n’existait pas alors — qui les remettaient au responsable de la communauté ou qui les lisaient directement aux fidèles.
Elles précédaient les visites de Paul ou lui servait à faire le bilan de sa visite récente.

Nous savons des lettres figurant dans le Nouveau Testament qu’elles sont le plus souvent fausses ou fortement interpolées, nous dirions aujourd’hui qu’elles ont été falsifiées. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Après la mort de Paul (env. 68 è.c.), ses lettres étaient célèbres sur tout la zone de la diaspora judéo-chrétienne et même en Israël ! Dans ces conditions, il était impossible de faire disparaître ces écrits comme ce sera le cas des écrits de Marcion, un siècle plus tard. Faute de pouvoir efficacement les détruire, le choix fut de les rendre compatibles avec le point de vue judéo-chrétien. Les scribes avaient-ils conscience de réaliser des faux ? Je ne le pense pas, d’autant que ces documents étaient réservés à l’élite capable de les lire ; le peuple devant se contenter d’une transmission orale.

Mais comment rendre acceptables des propos jugés hérétiques ? Cela était très difficile, ce qui explique que souvent ces modifications soient grossières et que les fausses lettres ajoutées soient facilement détectables.

Mais l’activité missionnaire de Paul en fait un personnage important dans la diffusion du christianisme autour du bassin méditerranéen. Il convient donc de bien comprendre quel message l’apôtre transmettait et non celui que l’on veut lui mettre en bouche.

Les « épitres » de Paul

Il y a quatorze lettres « pauliniennes » dans le Nouveau Testament. Les cathares disposaient d’un document qui en comptait une de plus et elles se situaient en fin d’ouvrage. D’après mes recherches, il semble que cette organisation soit antérieure au septième siècle. À l’occasion d’un remaniement de l’ouvrage, la lettre aux Laodicéens aurait été retirée et l’ordre du Nouveau Testament modifié, mettant les prédications de Paul juste après les Actes des apôtres et avant les lettres catholiques. On peut considérer cette modification comme de peu d’importance, mais rien n’est anodin s’agissant de documents aussi importants. Nous savons que la lecture d’un ouvrage conduit notre cerveau à quelques automatismes. Par exemple, on se souvient généralement bien du début de l’ouvrage et de sa fin. Ce qui se trouve au milieu est plus flou. Rien n’interdit de penser que ce constat a conduit à mettre Paul au milieu de l’ouvrage plutôt qu’à le laisser en fin. De même, Paul est l’auteur d’un grand nombre de lettres et les prédicateurs catholiques n’en ont produit que très peu de leur côté. La raison est simple, leur territoire de prédication était réduit ce qui leur permettait de prêcher en direct. Donc, en retirant une lettre de Paul de l’ouvrage on réduisait un peu l’évidente disproportion entre l’œuvre de l’apôtre sulfureux et celles des apôtres officiels.

Ce choix semble se confirmer quand on observe le Nouveau Testament, en langue provençale[1], dont des chercheurs viennent de confirmer qu’il fut bien réalisé par les communautés cathares languedociennes, exilées en Italie du Nord à la fin du 13e siècle. En effet, ce document dispose les textes dans un autre ordre et ajoute aux épitres de la version moderne, celle aux Laodicéens. L’idée selon laquelle cette épitre serait en fait celle aux Éphésiens ou aux Colossiens perd sa valeur, puisque dans cette version on trouve les trois textes.

Mais, parmi les lettres qui nous sont parvenues, combien sont authentiques ?

Un choix difficile

Parmi les chercheurs qui ont tenté de discerner les lettres authentiques des lettres fortement interpolées, voire fausses, le seul consensus actuellement attesté concerne l’Épitre aux hébreux qui est unanimement considérée comme fausse, qu’elle soit attribuée à un copiste judéo-chrétien ou à une « école » paulinienne tardive.

Marcion de Sinope, venu à Rome en 140, travailla quatre ans à l’étude des textes pauliniens avant de rendre son verdict. Pour lui, sont authentiques, quoique interpolées, les lettres suivantes : la lettre aux Galates, les deux lettres aux Corinthiens, la lettre aux Romains, les deux lettres aux Thessaloniciens, la lettre aux Laodicéens (assimilée par von Harnack[2] à la lettre aux Éphésiens), la lettre aux Colossiens et la lettre aux Philippiens.

Plus récemment, la majorité des chercheurs ont jugé authentiques sept lettres, dites épitres proto-pauliniennes : la lettre aux Romains, les deux lettres aux Corinthiens, lettre aux Galates, lettre aux Philippiens, première lettre aux Thessaloniciens et lettre à Philémon. Trois sont considérées comme écrites par des disciples de Paul : lettre aux Éphésiens, lettre aux Colossiens et seconde lettre aux Thessaloniciens. Enfin ; les épitres dites pastorales, semblent avoir été rédigées par des disciples encore plus tardifs : les deux lettres à Timothée et la lettre à Tite.

Mais un tri encore plus sélectif a été réalisé, à l’occasion de sa thèse de doctorat de philosophie, par Yves Maris[3] qui ne reconnaît comme strictement pauliniennes que : la lettre aux Galates, les deux lettres aux Corinthiens, lettre aux Philippiens et lettre aux Romains. Il rejette la première lettre aux Thessaloniciens puisqu’elle est co-signée par Sylvain et Timothée.

Une restitution complète impossible

Prétendre restituer la pensée exacte de Paul est mission impossible. Marcion, qui avait l’avantage de vivre peu de temps après l’apôtre, s’y est attelé pendant quatre ans et a vu son travail rejeté sans analyse par les presbytres de l’Église de Rome, ce qui l’a poussé à fonder ses propres communautés. En outre, plusieurs points permettent de penser qu’il n’a pas totalement compris la pensée de l’apôtre, notamment concernant l’Évangile.

Ce rejet en dit long sur la façon dont l’Église « officielle » considérait Paul et sur le fait qu’elle n’ignorait pas que ses écrits avaient fait l’objet de manipulations visant à transformer, dès sa mort, sa pensée réelle en un message acceptable par les judéo-chrétiens.

Aujourd’hui que les écrits de Marcion ont été en grande partie perdus, les chercheurs se sont attelés à l’étude des lettres de Paul et des résultats intéressants en sont sortis, basés sur la construction des textes, les tournures de phrases, les mots employés, etc. Paul-Louis Couchoud, dans son étude publiée en 1928[4], a montré la difficulté à travailler sur les propositions de Marcion d’après les fragments récupérés par Harnack, notamment dans les écrits polémistes de Tertullien de Carthage[5].

Faute de pouvoir retrouver la parole exacte de l’apôtre et éliminer intégralement les scories des copistes judéo-chrétiens, il reste possible de dégager de ces textes quelques lignes directrices de la pensée paulinienne, donc de son approche théologique.

Les écrits apocryphes

Composés de trois ouvrages : les Actes de Paul, la correspondance entre Paul et Sénèque et celle avec les Corinthiens, ces écrits sont potentiellement des faux qui ont eu un grand succès du 2e au 4e siècles.

Parmi les tenants du faux, on trouve Bart D. Ehrman, auteur d’un ouvrage dédié à ce sujet[6]. Mais d’autres émettent également des doutes plus ou moins importants.

Les Actes de Paul[7]

Ce texte est presque trop beau pour être vrai. Tertullien de Carthage, Père de l’Église chrétienne, à la réputation sulfureuse, dénonce un faux réalisé par un presbytre d’Asie Mineure qui ayant reconnu la falsification, fut condamné et démissionna de son office. Pour une fois on serait tenté d’accorder foi aux propos de Tertullien, mais les choses ne sont pas si simples. Selon Salomon Reinach[8], cet ouvrage n’est pas un faux et les aveux du prêtre qui confesse avoir fabriqué l’histoire de Thècle sont suspects. Les compétences de cet anthropologue et philologue français, de la fin du 19e siècle et du début du 20e, sont réelles et justifient de prendre son argumentation au sérieux. La question est surtout de savoir si les personnages sont réels — l’« épopée » de Thècle étant clairement mythique — et s’ils ont pu se croiser. Le martyre de Paul est également largement empreint d’affabulations.

Correspondance avec les Corinthiens

Cet échange de deux lettres, secondairement insérées dans les Actes (entre les chap. X et XI), la première étant une réponse des Corinthiens à la deuxième lettre de Paul et la seconde étant appelée la 3e lettre aux Corinthiens, est également considéré comme un faux. Mais l’Église arménienne considère au contraire la 3e lettre aux Corinthiens comme authentique et la fait figurer dans son Nouveau Testament, soit après les 14 autres, soit directement après la 2e lettre aux Corinthiens.

Selon M. P. Vetter, théologien catholique du Wurtemberg, professeur à l’Université de Tubingue : « Cette correspondance apocryphe a été composée en Syrie, probablement à Édesse, vers l’an 200, sous le règne du roi Abgar VIII et l’épiscopat de Palout (Palut), pour combattre la doctrine du gnostique Bardesane d’Édesse[9]. » Th. Zahn, professeur de théologie à l’Université de Leipzig, considère qu’il s’agit d’un texte initialement intégré aux Actes de Saint Paul et mentionné par Origène (père de l’Église chrétienne) qui remonterait au 2e siècle[10].

Cet échange de lettres nous conduit à nous interroger sur leur nature. Alors que celles adressée à Paul par les Corinthiens évoque des prédicateurs gnostiques prônant des théories qui rappellent celles que les cathares valideront plus tard :

  • Pas de résurrection de la chair, mais de l’esprit seulement ;
  • Le corps n’est pas l’œuvre de Dieu ;
  • Le monde n’est pas la création de Dieu ;
  • Dieu ne connaît pas le monde ;
  • Jésus-Christ n’a pas été crucifié en réalité, mais uniquement en apparence ;
  • Il n’est pas né de Marie, ni de la semence de David.

La réponse de Paul est strictement conforme au judaïsme le plus orthodoxe auquel s’ajoute la prédication judéo-chrétienne.
Il convient donc de s’intéresser à cet échange dont on pourrait presque croire qu’il a été inversé.
Sauf que Paul, s’il rejetait la loi mosaïque ne semblait pas avoir déjà atteint le niveau évoqué dans cette lettre. Donc, soit nous connaissons mal l’avancement de sa pensée, soit il s’agit d’un mélange des théories gnostiques chrétiennes qui vont se développer tout au long du premier siècle et qui sont présentées ici, telles qu’elles avaient été énoncées à l’époque de Ménandre et de Satornil.
Cela serait cohérent avec l’hypothèse de lettres apocryphes, tant du côté des Corinthiens que de Paul. Nous verrons également que deux personnages ont été assimilés aux Corinthiens : Cérinthe, qui va émettre l’idée de la nature unique du christ et de Jésus (le docétisme) et Apollos d’Alexandrie qui va participer à l’exploration de la nature du Dieu des juifs au point de se voir attribuer la paternité de l’Évangile selon Jean.

Correspondance avec Sénèque

L’auteur Bart D. Ehrman pense qu’il s’agit d’un faux datant du 4e siècle et destiné à faire croire que Sénèque connaissait Paul. Mais son avis est discuté, notamment par Joël Schmidt, auteur d’un livre sur la relation des deux hommes[11], les considère comme possiblement vraies. Edmond Liénard doute également de l’authenticité de l’ouvrage[12]. Jérôme de Stridon et Augustin d’Hippone, tous deux Pères de l’Église catholique du 4e siècle, les considèrent comme authentiques. Tertullien de Carthage pense de son côté que Sénèque était proche du christianisme. En fait, cette correspondance eut un grand succès à l’occasion de sa « découverte » au 4e siècle, ce qui explique l’engouement des Pères de l’Église de l’époque, mais semble avoir été inconnue de Lactance, Père de l’Église du 1er – 2e siècle, contemporain de Sénèque et Paul et grand admirateur de ce dernier. Pourquoi aurait-il tu l’existence d’un tel document ?

La lettre aux habitants d’Achaïe, citée par Sénèque, a-t-elle disparue ou est-elle une des lettres regroupées dans celles aux corinthiens ?

Comme on le voit, il est difficile d’avoir un avis tranché sur l’authenticité de ces textes, sauf peut-être pour la correspondance avec Sénèque qui semble être effectivement un faux.

Autres correspondances

La lettre aux Laodicéens pose des problèmes relatifs à son origine. Plusieurs exégètes ont d’abord prétendu qu’elle n’existait pas, mais était confondue avec la lettre aux Éphésiens[13]. Le fait que nous ayons aujourd’hui un texte distinct invalide cette hypothèse. Léon Vouhaux (cf. supra n. 7) nous donne quelques informations. Selon Épiphane, cette lettre existerait, mais aurait été ajoutée par les marcionites à partir d’un document qui ne serait pas de l’apôtre. Selon Adamantius, ce serait initialement l’épitre aux Éphésiens que Marcion aurait renommée et que ses disciples auraient secondairement forgée, convaincus qu’elle avait bien existée. Ces hypothèses marcionites semblent peu crédibles au vu du contenu qui n’a rien à voir avec leur doctrine. D’autres hypothèses parlent d’une lettre adressée à plusieurs communautés. Elle pourrait dater du 3e siècle et avoir été écrite en Occident. Malgré tout elle reste très mystérieuse, mais figure pourtant dans le NT occitan de Lyon qui date pourtant de la fin du 13e siècle.

La lettre aux Alexandrins est citée dans le Fragment de Muratori. Elle semble avoir totalement disparu, mais Th. Zahn (cf. supra n.10) pense en avoir retrouvé des parties dans le Sacramentarium et lectionarium Bobbiense du 7e siècle. Son argumentaire reste fragile, même si le fait qu’elle soit citée dans Muratori justifie de la rechercher. Le texte proposé par Zahn serait datable du 2e siècle.

Cela nous conforte dans le fait que les textes de l’apôtre ont fait l’objet de diffusions multiples et d’autant de reprises, voire de forgerie de faux destinés, soit à le valoriser, soit à le discréditer.

Pour comprendre Paul, il ne faut donc pas rechercher des documents précis, mais croiser ceux dont nous disposons afin d’en retirer la moelle de la pensée de l’apôtre.

La mission de Paul

Dieu a semble-t-il régulièrement attribué des missions à des hommes.

Avant Paul

Jean le baptiste annonçait son envoyé et préparait le terrain en baptisant les juifs par immersion. Ce faisant il créait une communauté susceptible de constituer le socle de l’ecclésia sur laquelle Christ pourrait s’appuyer dans sa mission. Il le faisait dans l’humilité et annonçait un grand bouleversement. Il annonçait quelqu’un de bien plus grand que lui et de redoutable (Mat. 3, 1-17). Jean annonçait Christ avec les codes de la Torah, la loi mosaïque qui jugeait les hommes sur des critères positifs ou négatifs.

Un homme, ou tout au moins quelqu’un ayant l’apparence d’un homme vint. Il réunit des hommes de condition modeste et empreints de la loi positive. Ces premiers apôtres, après la mort de cet homme, formèrent cette ecclésia juive et diffusèrent un message accompagné d’un baptême d’eau, comme Jean, mais associé à un baptême d’Esprit par imposition des mains. Mais leur message était brouillé en raison de leur imprégnation juive qui les empêchait de mettre en œuvre le message de Christ. Pour ce faire il aurait fallu que s’accomplisse la Torah en eux et qu’une fois morts pour la Torah, ils puissent ressusciter par l’évangile de Christ. Ils en furent incapables, c’est pourquoi Christ choisit un autre apôtre.

Saul-Paul

Cet apôtre devait avoir plusieurs traits caractéristiques ; il devait être capable de laisser mourir en lui la Torah et il devait comprendre le message de l’évangile de Christ.

Saul était allé au bout de ce que la Torah exigeait dans son imperfection. Il poursuivait ceux qui agissaient à la demande de l’envoyé de Dieu. Ce faisant il appliquait rigoureusement les prescriptions vétéro-testamentaires du Deutéronome :

« S’il surgit en ton sein un prophète ou un songeur de songe et qu’il te propose un signe ou un prodige, même si se réalise le signe ou le prodige qu’il t’a prédit, en disant : « Allons à la suite d’autres dieux (que tu n’as pas connus) et servons-les ! »… Ce prophète ou ce songeur de songe sera mis à mort, car il a prêché la révolte contre Iahvé, votre Dieu… »[14].

Il appliquait la Loi et même, paraît-il, assistait à l’exécution de ceux qui appelaient à un Dieu qui ne s’était pas fait connaître des hommes, par le nom duquel s’étaient réalisés de grands prodiges et qui proposait une loi sans jugement ni punition. Or, ce Dieu ne pouvait être Iahvé, puisqu’il s’était fait connaître des hommes et qu’il avait inspiré cette loi.

Quand la règle que vous suivez vous pousse à renier votre conscience, au nom de cette même conscience qu’elle prétend contraindre, elle perd ce qui faisait sa force. C’est qui est arrivé à cet homme et ce qui l’a rendu capable de passer un cap essentiel.

Aussi, quand il s’est retrouvé sur la route de Damas, agissant encore une fois au nom d’une loi dont les prescriptions la rendaient absurde — puisqu’il fallait pourchasser ceux qui se réclamaient d’un Dieu d’amour —, et démontrait qu’elle était dépassée, il vécut ce que l’on appelle l’éveil. C’est-à-dire, qu’il abandonna cette loi devenue lettre morte pour lui et ressuscita sa conscience au message d’une loi qui elle ne pouvait pas se renier : la bonne nouvelle de l’évangile de Christ !

L’évangélisation prime sur le baptême

Et lui reçut une mission spéciale, car il avait réussi le cheminement qui ouvre les portes d’une autre compréhension.

Mais qu’elle était cette mission ? C’est dans la première lettre qu’il adresse aux Corinthiens qu’il nous en donne l’explication :

D’abord il manifeste clairement que le baptême d’eau n’est pas à faire en son nom : « Je vous rends grâces de n’avoir immergé aucun de vous, à part Crispus et Gaïus ; ainsi personne ne peut dire que vous avez été immergés en mon nom. » (1Co. 1, 14-15).

En effet, ce n’est pas sa mission : « Le Christ ne m’a pas en effet envoyé immerger mais évangéliser, et sans cette sagesse de langage qui rendrait vaine la croix du Christ. » (1Co ; 1, 17).

Il n’est pas venu baptiser, car donner le baptême est à la portée de n’importe qui et est sans effet si celui qui le reçoit n’est pas dans les bonnes dispositions. Il est venu évangéliser, c’est-à-dire apporter l’évangile de Christ aux hommes. Or, l’évangile de Christ, c’est le commandement d’amour universel qui transcende la loi positive qui est une loi de mort en réalité puisqu’elle commande d’obéir à des règles difficiles et de tuer ceux qui ne s’y conforment pas.

Mais cet évangile, il ne vient pas l’annoncer avec le talent des philosophes qui pratiquent la parole de sagesse, le logos, car l’adhésion qu’il obtiendrait peut-être serait due à son talent et non à la qualité intrinsèque du message.

Sa mission est de transmettre un message qui se suffit à lui-même et que peuvent recevoir ceux qui se sont dépouillés de leurs anciens oripeaux, que ce soit ceux de la positive pour les juifs ou de la philosophie et de la sophistique pour les païens qui constituent une grande partie de la population grecque de Corinthe. Une fois qu’ils seront morts à ces pratiques qui les maintiennent dans le monde, ils pourront eux aussi ressusciter dans la loi d’amour qui les mènera à la vie éternelle.

Mais en pratiquant ainsi, il sait qu’il sera toujours considéré comme un moins que rien, car ce message est stupidité aux yeux des sages et des philosophes. Le message de la croix, qui montrait l’absurdité d’une loi prétendument donnée par Dieu qui aboutissait à la mise à mort de l’envoyé direct de Dieu, était compris comme un sacrifice propitiatoire au lieu de l’être comme la dénonciation de cette loi positive.

Cette mission Paul l’a accomplie comme il devait le faire, sans se vanter de son état ni de la grandeur de sa mission, mais en se considérant comme l’avorton de Dieu.

Les outils de l’évangélisation

Paul, notamment quand il s’adresse aux Corinthiens, semble remettre en cause les notions philosophiques essentielles que sont le logos et la gnosis, c’est-à-dire la parole exprimant la raison et la connaissance. En fait, face à une population du pays qui a vu naître la philosophie et qui la porte au pinacle de ses valeurs, il introduit un concept différent. Ce concept on le retrouve déjà en fait chez les grands philosophes grecs qui serviront à asseoir le message chrétien. Ce sont les philosophes qui utilisent le logos et la gnosis dans un but spirituel par opposition à ceux qui le faisaient dans un but mondain et souvent mercantile (les sophistes). Que ce soit Socrate, Platon ou Aristote, pour ne citer qu’eux, ces philosophes mettaient toujours dans leur discours philosophique et dans leur recherche d’une connaissance approfondie un objectif d’amélioration de l’homme et de rapprochement avec la divinité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’ils ont fini par se rapprocher de l’hypothèse d’une divinité unique ou tout du moins principale. C’est d’ailleurs un des chefs d’inculpation de Socrate qui le conduira à la mort.

Comme eux, Paul rejette la parole et la connaissance vaine[15], car limitées à l’usage en ce monde. Par contre, la parole et la connaissance qui visent à nous faire approcher Dieu ou à comprendre ce que nous devons faire pour nous en approcher, sont essentielles à ses yeux[16]. Tout au long du chapitre 2 de la première lettre qu’il adresse aux Corinthiens, Paul insiste sur le fait que le message divin que transmet Christ repose sur une inversion des valeurs mondaines que reconnaissent les juifs et les grecs. Là où les juifs valorisent la force de Dieu, le message est transmis par la faiblesse. Là où les grecs valorisent la supériorité du langage et de la sagesse, le message est transmis par un langage et une sagesse, qui sont inconnus des hommes, qui n’y voient que de la stupidité. Cela est voulu pour rappeler aux hommes que celui qui se vante des valeurs de la chair n’a pas grâce devant Dieu, alors que celui qui se vantera d’être en accord avec les valeurs de l’Esprit trouvera grâce devant Dieu[17].


[1] Nouveau Testament, traduit au XIIIe siècle en langue provençale, suivi d’un Rituel cathare ; original conservé à la bibliothèque municipale de Lyon sous la côte ms PA 36. Copie effectuée par photolithographie par le procédé des frères Lumière et édité en 1888 par les éditions Ernest Leroux (Paris) avec traduction française du Rituel par Léon Clédat. Réédition par les éditions Slatkine en 1968 (Genève). Transcription intégrale avec commentaires par Yvan Roustit (2016), publiée à compte d’auteur.

[2] Adolf von Harnack, Marcion, l’évangile du Dieu étranger. Contribution à l’histoire de la fondation de l’Église catholique, éditions J. C. Hinrich’sche Buchhandlung – Leipzig (1924) et éditions du Cerf – Paris (2003).

[3] Yves Maris, En quête de Paul, thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Toulouse II, discipline : philosophie (1999). Diffusion par l’Atelier national de reproduction des thèses (Lille).

[4] Paul-Louis Couchoud, La première édition de saint Paul, diffusée par le site allemand RadikalKritik (2002) et repris en français sur le site Catharisme d’aujourd’hui : https://www.catharisme.eu/Documents/publis/Couchoudfr.pdf

[5] Tertullien de Carthage, Adversus Marcionem – Contre Marcion, (207) – traduction française : E.-A. de Genoude (1852), éditions du Cerf, (1990-1994), 3 vol. bilingues et FB éditions en français (réimpression 1872 par Amazon).

[6] Bart D. Ehrman, Les christianismes disparus – La bataille pour les Écritures : apocryphes, faux et censures, éditions Oxford University Pres Inc. pour la version anglaise (2003) et Bayard (2007) pour la version française.

[7] Actes de Paul et ses lettres apocryphes, Léon Vouaux, lib. Letouzey et Ané (1913) et éditions NRF Gallimard, collection de la Pléiade, in Écrits apocryphes chrétiens t. 1, sous la direction de François Boyon et Pierre Géoltrain (1997).

[8] Cultes, mythes et religions, Salomon Reinach, éditions Ernest Leroux (1905), réédition Robert Laffont col. Bouquins (1999).

[9] M. P. Vetter, La troisième épitre apocryphe aux Corinthiens ; traduction nouvelle et essai sur son origine, Cahiers de la Theologische Quartaschrift (1890).

[10] Th. Zahn, Histoire du Canon du Nouveau Testament, – Geschichte des Neutestamentlichen Kanons. 2. Band, 2. Hatfte, 1. Abth. (1891).

[11] Joël Schmidt, L’apôtre et le philosophe – Saint Paul et Sénèque, une amitié spirituelle, éditions Albin Michel (2000).

[12] Edmond Liénard, « Sur la correspondance apocryphe de Sénèque et de Saint-Paul », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 11, no 1,‎ (1932).

[13] Dans son écrit polémique, Adversus Marcionem – Contre Marcion, Tertullien de Carthage considère que Marcion aurait modifié le titre de la lettre aux Éphésiens pour faire croire à un écrit destiné aux Laodicéens. Cf. supra n. 5.

[14] Deutéronome 13, 2-6.

[15] 1Co. 1, 17 : « …et sans cette sagesse de langage qui rendrait vaine la croix du Christ. »

[16] 1Co. 1, 5 : « car il vous a tous enrichis, en toute parole et en toute science. »

[17] 1Co. 2, 1, 3-16.

À suivre…