De la localisation du castrum de Massabrac

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De la localisation du castrum de Massabrac

Massabrac est un nom associé à l’histoire de Montségur. Bien qu’il apparaisse souvent dans le dramatique récit du siège du Pog (par les mentions de ses seigneurs) le castrum n’a jusqu’à présent jamais été localisé ; en désespoir de cause certains l’ont identifié avec Bénaix (09).

Les éléments qui ont permis de définir le secteur de recherche

Un article de Jean Duvernoy consacré à Guilhabert de Castres (1967)

[1232] Guilhabert de Castres est amené par Isarn Bernard de Fanjeaux, Raimond Sans de Rabat et Pierre de Mazerolles […] La garnison les accueille au pas de Las Portas, près de l’église St-Quirc, mais comme il est tard et que Guilhabert a froid, il va coucher à Massabrac, et ne monte au château que le lendemain matin. Tous ces lieux-dits, disparus de la carte, sont à situer aux abords immédiats de Montségur[1].

Puis en 1998 l’auteur identifie Massabrac avec Bénaix :
« Item des gens de Laroque d’Olmes, de Lavelanet, de Montferrier, de Massabrac*, de Villeneuve… »

*Actuellement Bénaix, canton de Lavelanet[2].

Un passage de « Mourir à Montségur » par Michel Roquebert, dans lequel le lieu est évoqué :

[…] Pour remonter, comme on n’a pas besoin de passer par Montferrier, on prend le chemin le plus court, celui qui va de Villeneuve (d’Olmes) à l’actuel village de Bénaix, au petit castrum aujourd’hui disparu de Massabrac, au carrefour qui monte à la crête de Morenci[3]. […]

Les informations suivantes sur Bénaix et… Massabrac

Alors parties intégrantes du Comté de Foix, Massabrac et Bénaix (cité dès le début du XIVème) seront successivement propriété des seigneurs de Lévis, puis de la seigneurie de Montségur-Lagarde, avant de redevenir la propriété des Lévis-Mirepoix. Si Massabrac semble ne plus être habité à partir du XVIIème siècle, Bénaix (ou Sainte Foy de Bénaix de 1540 à 1607) sera finalement rattaché à la seigneurie de Lavelanet en 1627[4].

Un extrait de l’histoire de Bénaix :

Au début de la croisade contre les cathares (1209), ces deux lieux [Bénaix et Massabrac] font partie du comté de Foix, puis comme les villages alentours, ils sont donnés à Gui de Lévis, bras droit de Simon de Montfort, lors de la création de la seigneurie de Mirepoix, également appelée “Terre du Maréchal”.
On sait que cet ancien castrum (Massabrac) se situe sur le territoire actuel de Bénaix, mais les données actuelles ne nous permettent pas de le situer exactement. En effet, plusieurs endroits sur la commune comprennent aujourd’hui des vestiges de murs. C’est notamment le cas des lieux-dits Bigot (propriété privée) et la Tour, près de Mandrau[5].

La déposition de Guillaume de Bouan[6]

La localisation du castrum

Benaix…

Avant toute chose, je conseille, afin de situer les lieux cités dans le texte ci-dessous, une lecture attentive de la carte IGN Classiques sur le site Géoportail, du secteur de Bénaix (09)[7].
Ensuite, il faut signaler qu’il existe au nord-ouest du département de l’Ariège, un St-Quirc situé à 12 kms à vol d’oiseau d’un Massabrac (31) ! Ce sont les localités identifiées par l’historien Napoléon Peyrat comme étant celles se rapportant à l’épisode de la fuite de Guilhabert de Castres et ses compagnons à Montségur en 1232. Cependant ces sites n’ont rien à voir avec l’objet de cet article, car beaucoup trop éloignés de Montségur. À la décharge de Napoléon Peyrat, ayant publié son ouvrage en 1870, l’auteur n’avait sans doute pas à l’époque les informations que nous possédons aujourd’hui.
Cette fausse piste éliminée, focalisons-nous sur les renseignements que nous avons à disposition.

… et non Massabrac

Au préalable il faut arguer que l’identification de Massabrac avec Bénaix ne peut être validée. Les histoires de Bénaix nous informent que les deux sites sont distincts et n’évoquent pas l’éventualité d’un même lieu qui aurait changé de nom au fil du temps. Mais, le fait que le bourg ne soit cité qu’au début du XIVème siècle (d’après le site internet de la mairie de la commune) ne peut-il laisser planer un doute quant à son existence dans le premier tiers du XIIIème siècle ?

Après avoir écarté la possibilité que Massabrac et Bénaix soient un même site, on doit donc s’attacher à chercher un lieu dans les environs de cette dernière localité. C’est d’ailleurs ce que nous dit l’histoire de Bénaix du site Pyrénées cathares-patrimoine : « On sait que cet ancien castrum se situe sur le territoire actuel de Bénaix, mais les données actuelles ne nous permettent pas de le situer exactement. En effet, plusieurs endroits sur la commune comprennent aujourd’hui des vestiges de murs. C’est notamment le cas des lieux-dits Bigot (propriété privée) et la Tour, près de Mandrau ». Ainsi, sans information sur les positions des lieux comptant des restes de murs, l’étude ne pourra donc forcément se concentrer que sur le lieu-dit la Tour et le domaine de Bigot. Cependant il peut déjà être affirmé que c’est bien un de ces deux sites qui se révèlera être vraisemblablement le castrum recherché.

C’est alors que le témoignage de Guillaume de Bouan, relatant l’arrêt à Massabrac de Guilhabert de Castres, prend toute son importance. Le voici :
« L’évêque des hérétiques, Guilhabert de Castres, manda à Raymond de Péreille de venir à sa rencontre. Raymond de Péreille et moi-même, Pierre Vinade, Pairol, Raymond Fabas, Bernard Cogot d’Asella et d’autres dont je ne me souviens pas, nous allâmes donc à la rencontre de ces hérétiques au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Guilhabert de Castres et bien trente hérétiques avec lui. Il y avait aussi avec eux les chevaliers Isarn de Fanjeaux, Raymond-Sans de Rabat, Pierre de Mazerolles et d’autres que je ne connaissais pas, qui les avaient amenés là. Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube. Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent. ».

Nous savons depuis la localisation du Pas de las Portas[8] que Guilhabert de Castres va demander à Raymond de Péreille de le guider afin d’éviter la traversée du Pas de Lavelanet alors surveillé. L’itinéraire choisi les mènera à entrer sur le plateau de Massabrac/Bénaix après avoir franchi le Pas de l’Écluse. Aussitôt arrivé sur ledit territoire l’évêque cathare, se plaignant d’avoir froid, sera amené à Massabrac.

Tout comme Montségur, Massabrac faisait théoriquement partie de la seigneurie de Mirepoix depuis 1229, cependant dans les faits, la zone devait alors être sous le contrôle militaire de la garnison du Pog. Cela explique pourquoi les montséguriens semblaient jouir, en 1232, d’une totale liberté de mouvement sur le plateau de Massabrac/Bénaix.
Ainsi, après avoir observé attentivement la topographie du secteur et constaté que le Pas de l’Écluse se situe au nord-est du plateau de Bénaix, on trouve la réponse dans le témoignage de Guillaume de Bouan. En effet celui-ci nous dit : « nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac ». On peut donc formuler l’hypothèse que si le lieu-dit la Tour, près de Mandrau, (qui se trouve non loin du Pas de l’Écluse et proche du chemin correspondant au GR 7B que les fugitifs ont emprunté) avait été Massabrac et si Guilhabert avec son escorte y avait fait halte, le sergent aurait plutôt déclaré : « nous nous arrêtâmes à Massabrac ».

Or le témoignage nous dit : « nous allâmes ensemble… jusqu’à Massabrac », c’est à dire un lieu relativement éloigné de l’entrée nord-est du plateau de Bénaix. Alors, en s’appuyant sur une observation faite sur les Photographies aériennes 1950-1965 du site Géoportail, il semble raisonnable d’avancer que le castrum de Massabrac fût le domaine appelé aujourd’hui Bigot, qui se trouve à près de 3 kms à l’ouest du Pas de l’Écluse[9].

Conclusion

La localisation du castrum de Massabrac semble établie, elle tient à trois indices concordants. Le témoignage (avec l’emploi de : jusqu’à), la position géographique (par rapport au Pas de l’Écluse) et la photo aérienne (singulière) du domaine de Bigot. Dans l’impossibilité de recueillir les mêmes éléments concernant le lieu-dit la Tour, l’identification de Massabrac avec la propriété de Bigot n’en est donc que plus pertinente.

© Bruno Joulia – Septembre 2024


[1] Cahiers d’Études Cathares, XVIIIème année, été 1967, IIe Série, N°34, page 38.

[2] Le dossier de Montségur, Interrogatoires d’Inquisition 1242 – 1247, textes traduits, annotés et présentés par Jean Duvernoy, Pérégrinateur éditeur, 1998, note infra paginale page 50.

[3] « Mourir à Montségur » tome IV de l’Épopée cathare, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1990, page 165.

[4] https://www.benaix.fr/histoire-et-patrimoine-de-la-commune

[5] Site Pyrénées cathares

[6] « Mourir à Monségur » tome IV de l’Épopée cathare, par Michel Roquebert, éditions Privat, 1990, pages 162 et 163.

[7] La carte IGN Classique du secteur de Bénaix (09).

[8] La fuite de Guilhabert de Castres : par où sont-ils passés ?

[9] Vue aérienne du domaine de Bigot entre 1950 et 1965.

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