La tour de Babel
Cohérence ou quiproquo ?
L’histoire
Génèse XI, 1-9 : Toute la terre avait un seul langage et un seul parler.
Or il advint, quand les hommes partirent de l’Orient, qu’ils rencontrèrent une plaine au pays de Shinear et y demeurèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Briquetons des briques et flambons-les à la flambée ! » La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Puis ils dirent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour, dont la tête soit dans les cieux et faisons-nous un nom, pour que nous ne soyons pas dispersés sur la surface de toute la terre ! » Iahvé descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes, et Iahvé dit : « Voici qu’eux tous forment un seul peuple et ont un seul langage. S’ils commencent à faire cela, rien désormais ne leur sera impossible de tout ce qu’ils décideront de faire. Allons ! Descendons et ici même confondons leur langage, en sorte qu’ils ne comprennent plus le langage les uns des autres. » Puis Iahvé les dispersa de là sur la surface de toute la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel. Là, en effet, Iahvé confondit le langage de toute la terre et de là Iahvé les dispersa sur la surface de toute la terre.
Analyse
La lecture de ce passage est très surprenant, mais peut-être pas autant que le fait que, ni les Juifs ni les Judéo-chrétiens, ne semblent l’avoir clairement compris.
En effet, pour quel motif Iahvé décide-t-il de faire avorter le projet des hommes ? Partis de l’Orient ensemble, ils s’arrêtent ensemble en un lieu qui leur semble propice pour s’y installer. En commun et dans la concorde, ils décident de bâtir une ville et, dans l’élan de leur enthousiasme, ils veulent en faire un monument comme jamais il n’en fut de mai d’homme. Ils rêvent même de voir leur tour atteindre les cieux.
Quelle aurait dû être la réaction cohérente de Iahvé ? De par son statut de Dieu, il aurait dû trouver cette ambition aussi amusante que puérile et sachant que jamais les hommes ne pourraient atteindre au seuil de son domaine, il aurait dû les laisser continuer jusqu’à ce qu’ils constatent la vanité de leur ambition.
Mais non, au contraire, il s’inquiète autant de l’unité de ce peuple et de sa coopération que du projet dans lequel il voit une menace pour lui. C’est pour ce seul motif qu’il décide de jeter la discorde au sein de ce peuple afin de le disperser pour qu’il ne puisse mener à bien son projet.
Que faut-il en conclure ? Iahvé serait-il un faux dieu qui s’inquiète d’un projet logiquement voué à l’échec ? Iahvé sait-il que son statut est usurpé au point de devoir mettre en échec cette tentative qui le menace de son point de vue ? Iahvé est-il jaloux de la concorde et de la coopération qui permet aux hommes — ses créatures — de voir leurs efforts couronnés de réussite ? Quel père serait jaloux de ses fils au point de les mener à leur perte ?
Compréhension juive et chrétienne
Les Juifs semblent traiter ce sujet avec une certaines désinvolture. Ce morceau de chapitre s’insère dans des textes relatant les divers peuples de la région et la généalogie sémitique. Aucune présentation ni morale finale. À croire que pour ceux qui ont relaté cet épisode, il ne s’agit que d’un épiphénomène secondaire ; comme si le comportement de Iahvé ne pouvait les étonner.
Les Judéo-chrétiens, si prompts à mettre l’homme en accusation, utilisent ce sujet pour critiquer la hardiesse des hommes qui voudraient égaler Dieu. Encore faudrait-il expliquer en quoi une telle accusation se justifie. En outre, la réaction de Iahvé est présentée comme une juste punition d’une telle arrogance. Comment justifier un tel jugement ?
Il y a pour le moins un quiproquo de leur part, au pire une totale inversion de la logique du texte.
Pour les Cathares il y a au contraire une grande cohérence à lire ce que texte nous indique. Iahvé n’a pas le qualificatif justifié de Dieu. Il n’est pas Dieu et il le sait bien puisqu’il se méfie des entreprises hommes dans lesquelles il voit une menace pour lui, au point de tout mettre en œuvre pour les contrecarrer.
Les hommes sont doux, bienveillants les uns envers les autres, heureux de vivre et de travailler ensemble, et plein de bonne volonté. Le méchant de l’histoire c’est Iahvé !
Mais est-ce que cela se limite à cette histoire probablement inventée par un scribe plus malin que les autres ?
L’éternel artisan du chaos
Le monde du Mal
Dans ce monde dont le diable est le créateur, est-il excessif de penser que c’est lui qui pousse vers le chaos ce qui pourrait en fait aller mieux sans son action maléfique ?
Son nom qui signifie le diviseur est en fait parfaitement adapté à notre propos. En effet, l’unité lui déplaît et il ne cherche qu’à détruire tout ce qui pourrait être construit, car il sait qu’alors sa vraie nature serait dévoilée.
Dans notre état de mélange, entre une part de bien éternel et une prison de chair corruptible, il se pourrait bien que la part bénéfique soit en mesure de prendre le dessus et de conduire l’humanité vers plus de bien que de mal. C’est pourquoi il intervient pour remettre les choses dans le désordre afin d’empêcher le bien de prendre le pas sur le mal qu’il veut voir triompher.
Si nous observons comment notre monde évolue, il n’est pas difficile de remarquer que, régulièrement, des situations qui tendent vers un mieux durable sont détruite au profit d’un chaos, par définition instable. L’histoire très récente nous montre que les européens, las de s’être déchirés pendant des siècles pour des motifs nationalistes, ont réussi après un dernier carnage à se mettre à peu près d’accord pour construire ensemble un projet commun destiné à lier leur avenir afin de garantir un entente durable et d’éloigner le spectre d’un nouvel holocauste.
Or, quand ce projet se met à prendre de l’ampleur après la chute de la dictature soviétique, qui opposait deux blocs le doigt posé sur le bouton nucléaire, que voit-on se produire ? Les nationalismes étroits et les égoïsmes économiques viennent recréer les divisions d’antan, soit par le rejet du projet européen comme c’est le cas avec le Royaume-Uni — du moins pour l’instant —, soit par le réveil de volontés séparatistes qui, pour la plupart, n’ont d’autre ambition que de valoriser un égoïsme qui souvent oublie que dans le passé ce sont les autres qui les ont aidé.
Comment ne pas voir dans ces attitudes la patte du démiurge qui craint qu’une trop belle entente entre les hommes puisse nuire à ses propres intérêts. Et par contraste, comment ne pas imaginer que cette même entente qui pousse inlassablement les hommes à tenter de surpasser leurs divisions, ne soit pas le fait de notre part divine, puisque d’évidence elle n’est pas dans le dessein du diable ?
La grenouille et le scorpion
Comme je l’ai déjà expliqué dans le texte du même titre, le Mal est sans cesse en contradiction avec lui même. Il veut égaler Dieu en façonnant un monde ayant un vernis d’éternité, mais il ne peut s’empêcher à la première occasion de le détruire car son fond le pousse à tout néantiser.
Mais nous devons tirer une raison d’espérer de cela. En fait, notre nature profonde est plus forte que celle du diable et il ne parvient pas à stabiliser sa volonté de chaos car, dès qu’il nous laisse la bride sur le cou, nous tendons vers le bien. Le mal n’est pas suffisamment puissant au bien en nous pour l’empêcher de prendre le pas et de faire aller ce monde un peu mieux. C’est pour cela qu’il doit sans cesse intervenir pour provoquer des catastrophes et mettre en avant des volontés négatives afin d’empêcher le bien de s’affirmer.
Le dire est bien, mais le comprendre intimement serait mieux.
C’est pourquoi, chaque fois que quelque chose de positif est menacé, nous devons en prendre conscience et agir pour protéger le positif sans nous laisser manipuler par le négatif. Et cela se vérifie dans tous les domaines.
Le repli identitaire est mauvais pour le bien de l’humanité. Qu’il s’exprime au niveau des individus ou des peuples. Les races pures favorisent les dégénérescences génétiques alors que les métissages produisent de pures merveilles. L’unité des hommes, qui nous a sorti des cavernes pour nous pousser à évoluer et à améliorer nos conditions de vie, doit nous pousser à ne nous connaître qu’une seule identité, celle d’hommes et de femmes de la même planète et nous devons rejeter toute idée moins étendue qui ne peut que nous opposer et nous renvoyer dans nos grottes originelles où nous n’étions que des proies faciles et frileuses.
Confondre la culture régionale avec la séparation politique est une aberration délétère. Qui m’empêche de vivre ma mémoire culturelle au sein d’un État politique plus important ? Rien ni personne d’autre que mes propres limites intellectuelles forgées par un égocentrisme forcené et un complexe d’infériorité pathologique.
Ne soyons pas le scorpion et suivons l’exemple des hommes de Babel ; c’est en visant haut et loin, mais surtout en le faisant ensemble que nous élèverons notre regard jusqu’aux cieux où nous découvrirons la supercherie du méprisable manipulateur et diviseur et que nous découvrirons la beauté du monde dont nous sommes un jour tombés et où nous devons tous revenir.
Éric Delmas, le 07/10/2017.