La connaissance et la foi
Dans beaucoup de religions la connaissance et la foi sont souvent opposées car la première est parfois considérée comme une négation de la seconde.
Cette crainte de la connaissance est imagée dans la Bible par l’épisode de la tour de Babel où Dieu punit les hommes, qui ont cherché à s’approcher de lui, en provoquant l’apparition de la diversité linguistique qui va rendre le travail commun impossible.
C’est le rejet de la connaissance qui a favorisé justement la diversité dans l’approche divine car, à défaut de pouvoir étudier ce qui se rapporte à lui, les hommes ont échafaudé des hypothèses, souvent plus tarabiscotées les unes que les autres, qui les ont conduit sur des chemins qu’une saine connaissance n’aurait jamais permise. De là sont nés le mysticisme sacré des uns, la gnose hermétique des autres qui ont conduit à l’élitisme visant à laisser croire que les hommes ne seraient pas égaux devant Dieu.
La foi engagement spirituel impétueux
La foi n’est pas une connaissance formelle mais un élan qui nous pousse dans une voie qui nous semble éveiller en nous un écho particulier. Bien malin qui pourrait dire si elle nous est dictée par notre intellect ou par notre esprit. D’ailleurs, quand on l’observe dans d’autres domaines, la foi que nous mettons à suivre ces chemins s’avère parfois déçue ou n’aboutit qu’à une impasse. C’est souvent le cas en amour par exemple. Donc, avoir la foi en une transcendance spirituelle ne suffit pas à être assuré de suivre le bon chemin, sauf à être orgueilleux au point de croire que Dieu nous a favorisé individuellement et a ainsi négligé les autres.
Par contre la foi présente l’avantage de nous proposer une voie à suivre, même et quand bien même cette voie est inexplorée, à peine ébauchée, voire potentiellement rejetée par la connaissance. C’est par ce cheminement que l’homme a suivi une voie qui l’a mené de l’animisme au polythéisme puis au monothéisme. D’une foi basée sur l’observation de la nature, l’homme s’est engagé ensuite dans l’idée d’une transcendance dégagée de la nature mais comparable à l’organisation humaine avant de se rallier à l’idée d’un ordonnateur unique. Pour autant aucune de ces voie n’a pu faire l’objet d’une démonstration scientifique.
La foi menacée par la connaissance ?
Cette impossibilité à démontrer la foi, si elle fut sa force en terme de capacité d’exploration des possibles, fut sa faiblesse quand les hypothèses qu’elle avançait comme des certitudes furent démontées et annihilées par la connaissance dont les découvertes infirmaient ce que la foi avait amené certains hommes a affirmer un peu à la légère. Du coup, au lieu d’utiliser la connaissance pour adapter les hypothèses de la foi, la tentation fut de museler ceux dont les recherches gênaient — à l’instar d’un Galilée — ou d’interdire la recherche de façon à ce que la connaissance ne puisse atteindre un niveau tel qu’il pourrait remettre en cause Dieu lui-même.
Aujourd’hui, la connaissance commence à flirter avec des concepts jusques là réservés à Dieu, comme la création. La génétique explore avec de plus en plus de succès ce qui fait la diversité et la particularité de la création donnant de Dieu une image de génial faiseur qui détruit de fait sa stature initiale. Mais, est-ce le fait de la connaissance ou un mauvais chemin suivi par ceux qui n’étaient animés que par la foi et qui refusaient toute autre approche complémentaire ? Si le Dieu de certains est en passe de tomber de son piédestal est-ce la faute de ceux qui minent les fondations de ce colosse aux pieds d’argile, ou bien est-ce la faute de ceux qui ont bâti leur croyance sur du sable ? Comme le dit si bien Nietzsche dans Le gai savoir : « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! » Nous l’avons tué par notre incroyable bêtise à penser que notre supériorité nous interdisait tout faux pas et qu’il suffisait de glisser sous le tapis ce qui dérangeait notre conviction pour que cette dernière demeure inébranlable. En fait la foi n’est pas menacée par la connaissance mais elle l’est par la foi qui se bande les yeux.
La connaissance assistant ou serf de la foi ?
Une des tentations de la foi, quand il devint évident que l’homme pensait et que sa pensée pouvait l’entraîner sur des chemins dangereux pour la foi aveugle, fut d’essayer d’entraver la connaissance afin d’en faire le servile laudateur de la foi. Au Moyen Âge, le développement de la scolastique fut typique de ce phénomène par lequel on asservit la philosophie, validant ce qui pouvait confirmer la théologie et ignorant ce qui ne la servait pas. Cette façon de faire finit par déplaire à tous au lieu de satisfaire quiconque. Là où certains avaient cru christianiser le monde hellénique d’autres les accusèrent d’avoir livré le christianisme au païens. Au final, la connaissance finit par s’émanciper et, comme tout prisonnier est tenté de la faire naturellement, elle devint l’ennemi juré de la foi.
Mais cette opposition encore largement en vigueur de nos jours est-elle définitivement scellée ? La connaissance ne peut-elle que s’opposer à la foi ou bien peut-elle aussi guider cette dernière dans son cheminement ? Le problème n’est pas du côté de la connaissance car elle obéit à des règles qu’elle ne maîtrise pas. Les découvertes poussent les chercheurs dans des voies qu’ils n’imaginaient pas au début de leurs recherches et ce qu’ils trouvent les étonne tout autant que le public à qui ils livrent leurs résultats. La connaissance n’est donc pas en mesure d’infléchir le sens de son développement puisqu’elle repose sur un concret qui la précède de loin et qui lui impose ses propres règles. Par contre la foi n’a pas ces contraintes. En fait la seule contrainte de la foi est liée à l’ego de ceux qui la professent. Admettre que l’on a pu se tromper est une des bases de la recherche scientifique mais est souvent absente de la recherche spirituelle. Regarder objectivement ce que l’on croit comme une simple hypothèse au lieu d’en faire un dogme intouchable relève de la folie pure pour beaucoup de croyants et de théologiens. Mais tous n’ont pas eu cet obscurcissement de l’entendement. Marcion, sur son lit de mort, n’hésitait pas à dire à ses disciples que ses choix pouvaient et devaient être remis en cause s’ils s’avéraient comporter des erreurs. Certains comme Apelle ne se sont pas privé de le faire, même si dans son cas ce fut pour retomber dans l’erreur de l’obscurantisme.
Il suffirait donc que les hommes de foi considèrent que la connaissance peut les aider à orienter leur propre recherche spirituelle afin d’entrevoir des possibles qui ne contrediraient pas l’évidence. Car méfions-nous également de ceux qui pensent que la connaissance a toutes les réponses et ne laisse aucune place à Dieu. La vulgarisation de la science est un mensonge visant à faire comprendre quelques concepts au plus grand nombre. La vraie science est loin d’être aussi dogmatique. Elle ressemble plus à une dentelle qu’à une toile de jute solide et sans trous. Les fanatiques de la science n’ont rien à envier aux fanatiques de la foi.
Une théologie pensée et construite
Je vous l’accorde volontiers, Dieu étant par définition inconnaissable, la notion de théologie est une chimère. Cependant, puisqu’il faut bien employer des mots compréhensibles de tous pour s’exprimer, je me contenterai de celui-là.
La pensée spirituelle, que je vais appeler théologie, est fille de la foi et de la connaissance. Ni l’une, ni l’autre ne peut se passer ou évincer sa compagne. La foi va donner une étincelle que la connaissance va organiser et construire afin qu’elle devienne un beau feu que la foi continuera d’alimenter. La foi nous place devant une évidence qui est qu’il y a trop d’éléments incohérents dans notre situation en ce monde pour que cette dernière soit le fruit d’un développement harmonieux d’un monde qui par ailleurs semble se développer de façon cohérente. Certes les scientifiques appellent cela le hasard. Mais le hasard n’est rien d’autre que le mystère ou le miracle appliqué à la connaissance. En clair il permet de s’éviter ou d’interdire aux plus curieux d’aller fouiller plus loin.
La théologie est donc un mode de pensée qui, partant d’un pré-requis apporté par la foi (par exemple Dieu existe) va se construire en assimilant et en étudiant de façon critique les connaissances accumulées par ceux qui nous ont précédé et en y ajoutant le fruit de nos réflexions appuyées par les découvertes faites par la science. Elle doit donc être souple, cohérente et en même temps maintenir un axe fixe sous peine de se déliter. Comme la science, elle va explorer les possibles en se heurtant parfois à des murs qu’il faudra contourner, en se méfiant des voies trop bien tracées qui cachent souvent des précipices. Quand la science sera incapable de proposer des voies de progression c’est la foi qui guidera le croyant en éliminant les options qui seraient incompatibles avec le concept initial : Dieu est absolu et parfait dans l’Amour et nous émanons de Lui.
Un nouveau mode de cheminement
Certes, cette façon de voir peut sembler simpliste, voire puérile à certains, mais elle est simple parce que l’objectif visé est simple : mettre en cohérence ce qui semble n’en avoir aucune. C’est en quelque sorte le principe de parcimonie, plus connu sous le nom de rasoir d’Ockham qui veut que l’explication la plus simple soit souvent la plus vraisemblable. Le vrai problème étant de définir la simplicité. Les athées se sont souvent inspirés de ce principe pour nier l’existence de Dieu et, dans l’angle de vue qui est le leur, ils n’ont pas tort. Mais dans une autre optique c’est l’existence de Dieu qui devient l’évidence à condition de l’exonérer la responsabilité de la création de l’enfer où nous vivons.
Si nous considérons Dieu comme un concept permanent et parfait dans le Bien absolu, nous comprenons notre aspiration au bien dans monde où l’aspiration principale est la domination par la violence et la ruse. Nous comprenons notre extériorité à ce monde alors qu’en apparence nous en faisons pleinement partie. Nous comprenons que la part de nous qui est extérieure à ce monde est celle qui nous pousse à imaginer une transcendance, particularité qui nous est propre et qui signe notre étrangeté. Alors, aussi incongru que cela puisse paraître, nous comprenons que nous sommes formés de deux parts distinctes et opposées, une qui vient de ce monde et qui nous pousse à agir selon les règles de ce monde et une qui vient d’ailleurs et qui nous pousse à y retourner.
Pour bien comprendre cela ni la foi, ni la connaissance seules ne peuvent nous permettre de disposer des outils nécessaires à la construction d’une théologie solide et cohérente. C’est leur union qui est nécessaire et qui nous aidera à atteindre notre objectif final.
Éric Delmas, le 21/12/2013.