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La vérité historique : Christ et Jésus

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La vérité historique : Christ et Jésus

Nous ressentons le besoin viscéral d’être assurés connaître toute la vérité sur tous les sujets. Cela en arrive même au point que, de nos jours, la remise en question de toute information — y compris quand elle est confirmée par les spécialistes du sujet —, est devenue un sport planétaire. Nous oscillons entre la peur de la manipulation et l’envie de disposer d’une information indiscutable.
L’homme est-il allé sur la Lune ? La terre est-elle ronde ou plate ? Fut-elle le fruit d’une évolution naturelle de type darwinien ou a-t-elle été créée en sept jours ?

Aujourd’hui je vais essayer d’ouvrir avec vous un dossier beaucoup plus épineux sans prétendre vous proposer une réponse univoque et encore moins vous faire adopter mon avis.

La vérité historique

Samuel Noah Kramer titre son ouvrage : « L’histoire commence à Sumer ».
La justification de cette affirmation tient au fait que cette science humaine permet de fixer la mémoire, d’un peuple, d’un pays, d’un continent, etc. Or, Sumer étant, en l’état actuel de nos connaissances, la région où est apparue la première forme d’écriture (vers – 3300), qui évoluera vers l’écriture cunéiforme, elle devient logiquement le premier lieu où les événements furent « fixés » par ce nouveau moyen de transmission de la mémoire.

La vérité historique repose donc sur deux éléments qui la définissent sans garantir en aucune façon l’authenticité de ce qu’ils affirment : l’honnêteté du récit qui est liée à la subjectivité de celui qui le raconte et l’existence d’un moyen de transmission fixe, l’écriture.

La fiabilité des sources

La fiabilité des sources est d’autant plus douteuse que l’un de ces deux éléments peut être pris en défaut. Les Romains comme les juifs, considéraient qu’un témoignage unique était sans valeur (testis unus testis nullus), ce qui nécessitait donc deux témoignages concordants pour avoir valeur de preuve. Donc, si un fait est relaté par un témoin unique, sa fiabilité est forcément douteuse, sans que cela soit un jugement de valeur sur le témoin. Pendant des siècles, nous avons eu des Gaulois l’image que nous en transmis par écrit un seul témoin Jules César, dans son ouvrage : La guerre des Gaules. Nous savons aujourd’hui, grâce à d’autres axes de recherche, que ce témoignage n’est pas fiable. De même, les sources orales ont toujours fait l’objet d’adaptations au fil du temps, ce qui leur ôte toute fiabilité.

Le concept de vérité historique

L’histoire est écrite par les vainqueurs. Cette affirmation de Robert Brasillach dans son livre Frères ennemis, pose en fait la volonté que l’histoire soit le ciment d’une nation et qu’elle doive donc proposer un récit univoque pour souder des peuples après des troubles. Mais, les vaincus ont leur propre histoire et la conservent sous différentes formes dans le but de ne pas laisser s’éteindre leur vérité historique.
La vérité historique se heurte souvent à des contradictions issues d’autres sciences, comme ce fut le cas de l’archéologie pour le récit de la Torah ou de la philologie pour l’attribution du contenu de certains documents écrits, comme les Lettres de Paul par exemple.
Ainsi, les peuples dominants ont souvent falsifié, de manière intentionnelle ou culturelle, le récit qu’ils ont retranscrit pour orienter l’image qu’ils voulaient donner des événements. Les juifs ont inventé une antériorité de leur histoire d’environ six siècles (- 1200 ans au lieu de – 600 ans), car l’ancienneté d’un récit renforçait sa validité. Aujourd’hui, la tendance s’est quasiment inversée. Il en va de même du christianisme qui est devenu l’histoire du groupe judéo-chrétien, institué comme groupe chrétien de référence par Théodose 1er et doté d’un droit de répression qui lui a permis de réduire, voire de détruire les groupes dissidents, généralement pagano-chrétiens. Ainsi, plus rien ne s’opposait à ce que leur vérité devienne la vérité de toute la chrétienté.

Le récit historique

Si l’utilisation de l’histoire est si importante pour un peuple c’est qu’elle permet de créer une cohésion basée sur des événements, réels ou fictifs, qui servent de socle à l’établissement d’un récit national. Or nous savons comment la référence nationale est toujours un ciment puissant pour les peuples en leur permettant de reconnaître ses membres et d’en exclure les autres. Cela fonctionne aussi dans la plupart des religions. Malheureusement, comme nous le voyons aujourd’hui, c’est aussi l’occasion de violences qui visent à imposer un état de fait qui ne s’appuie que sur ce récit historique, comme c’est le cas en Palestine ou en Ukraine.

La vérité historique doit donc rester à l’état de concept pour le chercheur, même si ses convictions personnelles le poussent à vouloir valider tel récit historique qui correspond à sa culture.

L’histoire chrétienne et Jésus

La situation du christianisme au premier siècle

Le proto-christianisme s’est développé dans une région où deux religions coexistaient : le judaïsme hébreu et le mithraïsme romain. Les populations concernées étaient juives et le judaïsme était composé de nombreux courants de pensée appelés sectes : pharisiens, saducéens, zélotes, esséniens, etc. L’apparition de ce nouveau courant, qui ne rejetait rien du judaïsme traditionnel n’a donc pas provoqué de choc culturel susceptible de justifier des écrits clairs et concordants, du moins jusqu’à ce qu’il devienne gênant et justifie des rétorsions. Du point de vue romain, une secte juive de plus ou de moins était sans intérêt.
On retrouve ce schéma avec le catharisme en Languedoc : tant qu’il est resté dans la discrétion de la vie quotidienne personne n’en parlait et il fallut attendre le 13e siècle pour qu’il apparaisse dans les textes, alors qu’il existait dans les écrits d’autres régions (Bulgarie, Cologne, Champagne, Orléanais, etc.) depuis un siècle, puisqu’il y a fait l’objet de répressions.
Le christianisme présente en outre la particularité d’être une religion dont les courants internes n’ont jamais cessé d’être en conflit pour s’imposer comme seule référence globale. Comme je l’ai expliqué dans mon livre[1], un premier schisme s’est produit en 49 quand Paul s’est insurgé de la volonté des représentants (colonnes) de Jérusalem d’imposer le strict respect des règles juives aux prétendants se réclamant de Christ. De ce schisme sont apparus deux groupes, le premier soumis au judaïsme (juifs-chrétiens puis judéo-chrétiens) et le second affranchi de tout lien avec le judaïsme (pagano-chrétiens). Bien entendu, ces termes ne furent employés qu’après l’attribution du sobriquet « chrétiens » aux marcionites d’Éphèse au début du 2e siècle[2].

Le personnage de Jésus

La tradition orale judéo-chrétienne était initialement centrée sur la Passion, incluant la crucifixion et la résurrection. S’adressant à des populations juives pour la plupart, bercées de récits fantastiques issus de la Torah, il se devait d’être au moins aussi merveilleux, d’autant qu’il évoquait un personnage falot, sans pouvoir et éliminé de la façon la plus misérable qui soit. Cela était bien éloigné du récit juif du Messie guerrier qui viendrait un jour délivrer son peuple prisonnier des ennemis de Iahvé ancré dans l’imaginaire juif.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le récit de la mort et de la résurrection soient empreints d’éléments extraordinaires. Sans oublier qu’à l’époque personne n’imaginait que deux millénaires plus tard des chercheurs disséqueraient ces textes pour y séparer la réalité des fantasmes.

Les hypothèses sur le Jésus historique

Si l’on prend au pied de la lettre le récit issu des évangiles synoptiques de Matthieu et de Luc, la conception, la naissance et la reconnaissance de Jésus comportent plusieurs éléments fantastiques plus proche des récits mythologiques grecs, romains et sumériens que de la réalité commune de l’époque. Tout y est assemblé de façon à faire de ce Jésus, un moins que rien, né dans les pires conditions d’une mère réprouvée puisque fille-mère. Cela est contrebalancé par les signes divins et l’affirmation de la virginité de Marie, nullement affectée par la naissance de Jésus !
Cet individu va se faire remarquer dans les textes jusqu’à son douzième anniversaire où il surprend les maîtres juifs du temple de Jérusalem, avant de disparaître sans laisser de trace pendant dix-huit ans. Certains ont bien essayé de combler ce vide gênant en inventant un voyage en Égypte ou un long séjour auprès des sectes juives des esséniens ou des thérapeutes. En fait, cette enfance semble très peu crédible, ce qui explique peut-être que deux des quatre évangélistes se soient abstenus d’en parler.
La vie adulte de Jésus, consacrée à sa prédication, dure de un à trois ans selon les auteurs qui la relatent, ce qui est un nouveau problème pour sa validité. Elle est l’occasion d’événements plus ou moins merveilleux qui peuvent être passés inaperçus pour les guérisons, mais dont on ne peut comprendre qu’ils n’aient laissé aucune trace pour les résurrections. Ajoutons les apparitions et disparitions de Jésus d’assemblées comptant des juifs opposants, les événements suivant la mort de Jésus en croix (atteintes du temple, résurrection des morts sortant des cimetières, etc.), sans parler de la résurrection qui aurait dû provoquer des rapports écrits des autorités juives et romaines. En fait le seul témoignage écrit concernant l’existence physique de Jésus vient du général juif Flavius Josèphe[3]. Mais ce document est largement considéré, soit comme une forgerie, soit comme une interpolation d’un scribe judéo-chrétien.
Donc, rien dans l’existence physique d’un Jésus historique n’est vérifiable, de très nombreuses incohérences émaillent son histoire et sa mort est elle-même plus proche d’une forme de mythologie chrétienne que d’autre chose. Je vous invite à lire l’ouvrage de Jacques Giri : Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, aux éditions Karthala (4eédition à Paris en 2011) qui fait le point de façon exhaustive sur tous ces éléments douteux.
L’hypothèse la plus réaliste sur l’origine de ce texte est celle d’une forgerie du 2e siècle, réalisée en opposition à Marcion de Sinope, dans son Evangelion, qui faisait de Jésus un être apparu miraculeusement à l’âge adulte (cf. Évangile selon Luc chap. 3).

Les hypothèses sur le Jésus mythique

Face aux incohérences et aux manipulations visant à donner un caractère historique à Jésus, de nombreuses voix se sont élevées pour faire de Jésus un personnage mythique destiné à porter la crédibilité du christianisme.
On pourrait les regrouper en trois catégories :
1 – Jésus est un homme dont l’attitude a justifié son élévation par Dieu (adoptianisme).
2 – Jésus est un homme ayant reçu l’inspiration divine et qui l’a reprise à son compte, se faisant passer ou étant assimilé au messager divin.
3 – Jésus est un personnage inventé ou calqué sur un personnage historique antérieur à la période considérée qui a servi de support à la prédication judéo-chrétienne.
Ce qui explique l’hypothèse d’un Jésus mythique, outre les nombreuses incohérences de son histoire figurant dans les textes judéo-chrétiens comme le Nouveau Testament, est le fait que Paul indique avoir été l’objet d’une inspiration divine sur le chemin de Damas qui va provoquer son éveil spirituel et sa conversion, suivis d’un baptême par imposition des mains, reçu d’Ananias, responsable de la communauté pagano-chrétienne de cette ville.
Donc, si Paul a pu recevoir le message de Christ sans jamais connaître Jésus et sans aucun intermédiaire, pourquoi les premiers disciples auraient-ils eu besoin d’un Jésus en chair et en os pour si mal comprendre le même message ?
Mais dire à l’époque que Jésus était un mythe conduisait sans aucun doute à la mort. C’est pourquoi apparut le concept d’adombration, c’est-à-dire d’apparition dans l’ombre d’autre chose, qui permettait de laisser croire à une apparence charnelle sans pour autant qu’elle existe. Nous qui voyons quotidiennement des illusionnistes réaliser des tours encore plus extraordinaires pouvons comprendre qu’une apparition divine ait pu facilement berner les hommes de l’époque.

Aujourd’hui, je préfère imaginer une inspiration divine à la façon de Paul, avec par ailleurs une construction mythique autour du message reçu ; car ce qui compte c’est le message et en aucun cas le messager.

Le Christ et Jésus de nos jours

Maintenant que les hommes sont suffisamment éduqués pour comprendre des concepts simples, il faut choisir des hypothèses réalistes plutôt que de céder à des fantasmes incohérents.
Imaginer un Jésus en chair et en os ou une apparition d’apparence humaine présente des inconvénients équivalents. Dans le premier cas, comment expliquer les phénomènes où la matière semble disparaître opportunément au profit d’une entité immatérielle, comme lorsqu’il échappe aux juifs en traversant les murs et les portes de lieux clos ? Dans le second cas, comment justifier qu’une entité immatérielle mange avec les disciples ? Comment expliquer la nécessité d’une forme apparente pour les disciples et pas pour Paul ?

Personnellement, l’hypothèse qui me convient le mieux — dans le champ cosmogonique cathare —, est celle d’une inspiration divine qui s’est manifesté chez une ou plusieurs personnes qui l’ont enjolivée d’une identité mondaine ou qui l’ont endossée à titre personnel, un peu comme fit Manès en son temps qui se prétendait nouveau Jésus. Paul n’a pas jugé utile d’user de tels artifices et a laissé les disciples à leurs choix, ce qui explique qu’il ai mis trois ans avant de revenir à Jérusalem où il n’en a rencontré que deux d’entre eux.
Par contre, je crois en la réalité d’un envoyé divin que j’appelle Christ qui fut porteur du message de Bienveillance et qui nous a laissé aux bons soins du Saint-Esprit paraclet pour nous guider vers notre salut.

Guilhem de Carcassonne.

Le 11 décembre 2022


[1] Catharisme d’aujourd’hui, Éric Delmas, éditions Catharisme d’aujourd’hui (2014-2015).

[2] Orthodoxie et hérésies aux début du christianisme, Walter Bauer, éditions du Cerf en 2009 (première édition en allemand en 1934).

[3] Antiquité juives, Livre 18, 63-64.

Le cheminement cathare

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Le cheminement cathare

Nous avons vu le mois dernier que l’éveil est ce qui détermine l’état de croyant cathare. Je voudrais vous parler aujourd’hui de la façon dont se fait le cheminement qui peut mener de sympathisant à l’état de croyant et ensuite à atteindre l’état de consolé.Read more

L’éveil spirituel cathare

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L’éveil spirituel cathare

Il est un point qui est souvent très difficile à comprendre quand on n’est pas consolé ou croyant. En effet la dialectique moderne tend à dénaturer le sens des mots qui sont alors utilisés à tort et à travers. On observe que nombreux sont les domaines intellectuels, existentialistes et plus ou moins spirituels qui utilisent le terme d’éveil à des fins très variées, voire contradictoires.

En matière de catharisme, ce terme est strictement spirituel et implique des concepts qui sont propres à cette religion. C’est pourquoi je tiens ici à vous présenter ce sujet de façon aussi complète que possible.

L’éveil dans la mondanité

L’éveil, une affaire d’esprit-saint

Dans sa déposition devant l’Inquisition, Pierre Maury raconte un prêche de Philippe d’Alayrac, chrétien consolé à propos de la différence entre l’âme et l’esprit. Nous connaissons ce texte sous le nom de parabole de la tête d’âne. En voici le texte figurant dans le registre inquisitorial :

« Il y avait une fois deux croyants à côté d’un ruisseau. L’un d’eux s’endormit. L’autre resta éveillé, et il vit quelque chose qui ressemblait à un lézard qui sortant de la bouche du dormeur traversa subitement le ruisseau par une planche ou une tige qui était tendue d’un côté du ruisseau à l’autre.

Il y avait là une tête d’âne décharnée, dans laquelle la chose entrait et sortait, en courant par les trous de la tête. Puis elle revenait par la planche jusqu’à la bouche du dormeur. Cette chose fit cela une ou deux fois. Ce que voyant, celui qui était éveillé, alors que la chose était passée de l’autre côté du ruisseau vers la tête, enleva la planche, pour l’empêcher de passer et de revenir à la bouche du dormeur. La chose, sortie de la tête d’âne et arrivée au ruisseau, ne pouvant traverser, parce que la planche était enlevée, et le corps du dormeur s’agitant fortement sans pouvoir se réveiller, bien que celui qui était éveillé le secouât, ce dernier finit par remettre la planche. La chose traversa par la planche et entra dans la bouche du dormeur.

Il s’éveilla aussitôt, et dit alors à son compagnon qu’il avait beaucoup dormi. L’autre lui dit qu’en dormant il avait eu un grand trouble et s’était beaucoup agité. Le dormeur répondit qu’il avait beaucoup rêvé. Il avait rêvé en effet qu’il avait traversé un ruisseau par une planche, puis qu’il était entré dans un grand palais, où il y avait beaucoup de tours et de chambres ; quand il avait voulu revenir, la planche avait été enlevée du ruisseau, et il ne pouvait pas passer ; mais il venait au ruisseau, et reculait, de peur de se noyer ; il en avait été très troublé, jusqu’à ce que la planche soit remise sur le ruisseau, et qu’il ait traversé. Celui qui était resté éveillé lui raconta ce qu’il avait vu, et les deux croyants en furent dans un grand étonnement.

Ils allèrent ensuite trouver un bon chrétien (c’est-à-dire un hérétique), et lui racontèrent la chose. Il répondit que l’âme de l’homme restait toujours dans son corps jusqu’à la mort du corps, mais l’esprit de l’homme entrait et sortait, comme ils avaient vu ce lézard sortir de la bouche du dormeur, entrer dans la tête d’âne, et rentrer dans la bouche du dormeur. »

Le point qui nous intéresse aujourd’hui dans ce texte est la notion qui veut que si l’âme mondaine — nous parlerions plutôt de système de commande du corps —, est fixée à ce dernier et disparaît à la mort de ce dernier, l’esprit tombé dans la matière — que j’appelle esprit-saint —, n’est pas attaché à la matière et dispose d’une relative capacité d’autonomie. C’est fondamental si l’on veut comprendre la possibilité d’un éveil spirituel.

C’est en raison de cette relative indépendance de l’esprit-saint qu’il s’avère possible de l’informer de son état de prisonnier et de lui ouvrir, ou plutôt entrouvrir la porte qui lui permettra de développer sa spiritualité. Dans le film Matrix®, que je prends souvent en exemple, la scène culte des deux pilules est très stricte et sert d’ailleurs de références aux milieux complotistes. En effet, le personnage de Morphéus propose au héros Néo de choisir entre le confort de l’ignorance (la pilule bleue) et le merveilleux univers de la connaissance et de la vérité (la pilule rouge). C’est en fait un choix entre la lâcheté et le courage. Dans le catharisme, les choses sont différentes. Nous avons au cours de notre vie des moments où nous sommes absorbés par nos obligations et où nous ne sommes pas intellectuellement disponibles pour autre chose. On pourrait dire en référence au mythe de la tête d’âne que ce sont des moments où l’esprit-saint n’est pas dans la tête d’âne. À d’autres moments, nous nous interrogeons, car l’esprit-saint influe sur l’intellect dans le sens où il crée des moments d’interrogations qui ne sont pas forcément clairement identifiés, mais qui manifestent une certaine opposition avec l’âme mondaine. Ce sont des moments où l’esprit-saint est dans la tête d’âne.

L’éveil, un moment de retournement spirituel

Dans ce moment de conflit relatif, nous confrontons notre savoir intellectuel avec la connaissance spirituelle qui diffuse de l’esprit-saint. Celui-ci est sensible à nos interrogations, à notre psychologie et à notre approche philosophique qui bien qu’étant des compétences intellectuelles sont en mesure de lui ouvrir une voie d’émergence partielle. Le contrôle de la pensée profonde a toujours été un rêve des dictatures et l’âme mondaine n’y fait pas exception.

Chez la plupart d’entre nous et depuis longtemps ces émergences partielles retombent vite sous la prégnance de l’âme mondaine, ce qui explique que nous n’ayons toujours pas réussi à quitter cet enfer mondain.

Par contre, dans de rares cas, cette émergence est interprétée intellectuellement comme une évidence spirituelle. Pour que cela soit possible, il faut que l’intellect soit capable de comprendre ce qu’est la spiritualité, ce qu’est l’éveil et ce qu’est la connaissance. Alors un terreau favorable à l’éveil spirituel va se mettre en place. Pour autant tout n’est pas gagné.

L’esprit-saint est encore sensible aux injonctions de l’âme mondaine qui par le biais des outils que lui donne la sensualité va pouvoir le tromper sur la validité de son ressenti ou le dériver vers des notions mondaines parées d’attributs spirituels. Ce dernier cas est à mon avis clairement exprimé dans les extrémismes religieux qui appliquent à la religion les constantes morales de la mondanité : égocentrisme, vanité, violence morale et physique, etc. Dès lors l’argutie religieuse sert de support aux pires comportements mondains.

Mais, dans de rares cas, l’intellect bien formé par l’acquisition d’une connaissance éprouvée peu se trouver en adéquation avec l’esprit-saint prisonnier. Dès lors, ce dernier va pouvoir se libérer partiellement de sa gangue mondaine et commencer un travail de révélation qui imprégnera la part intellectuelle malgré les tentatives de l’âme mondaine et les incompétences du corps. On passe d’un état de dépendance du spirituel au mondain à celui d’une indépendance et même d’une forme de prise de contrôle partiel de certains éléments mondains, sans quoi atteindre le salut est illusoire. C’est un retournement total du système initial qui maintenait l’esprit-saint prisonnier.

L’éveil spirituel à proprement parler

Ce sujet qui, vous l’avez compris est central puisqu’il détermine la possibilité pour l’esprit-saint d’emprunter la voie du salut n’apparaît pas dans les sources. Du coup, les historiens — même ceux qui ont des compétences en philosophie — ne l’abordent pas dans leurs écrits ! Cela démontre les limites de la recherche sur un sujet comme la religion qui nécessite un travail approfondi de la part de chercheurs ayant une maîtrise des sujets spirituels. Malheureusement, la plupart étant très imprégnés de judéo-christianisme, on en trouve peu qui savent faire abstraction de leurs propres convictions pour se mettre à la hauteur de celles des cathares.

Cela vous expliquera pourquoi j’ai consacré un chapitre complet à l’éveil dans mon livre[1] et pourquoi je l’ai lié à la connaissance et au salut.

Les prémices de l’éveil

Pour les cathares, l’éveil ne s’acquiert pas de façon exogène ; c’est petit à petit qu’il se fait jour en nous, grâce à l’étude du catharisme spirituel. Contrairement au concept judéo-chrétien de la foi du charbonnier qui dès le 16e siècle considérait que le croyant devait se contenter de croire « ce que l’Église croyait », le catharisme milite pour une foi éclairée et une conviction intime appuyée sur des arguments solidement étayés par des sources.

C’est pour cela que les cathares faisaient tout leur possible pour éduquer les auditeurs, que nous appelons sympathisants, par le biais de prêches et qu’ils traduisaient en langue vernaculaire les documents mis à disposition de ceux qui pouvaient les lire.

Aujourd’hui nous ne faisons rien d’autre. Le site au titre éponyme du livre offre de nombreux documents qui permettent de découvrir et d’approfondir le catharisme, car il est essentiel que chacun puisse le comprendre à la hauteur de son intellect personnel et ne jamais admettre quelque notion que ce soit de façon automatique.

Ce travail d’étude et d’information permet d’acquérir un savoir qui permettra à chacun de savoir précisément pourquoi il pense et dit ce qu’il veut du catharisme. Mais cette acquisition de savoir est insuffisante. Comme pour toute construction de qualité elle n’est que la fondation de la connaissance qui se construira en mettant en accord le savoir et l’intime conviction. C’est la mise en accord de l’intellect et de l’esprit-saint prisonnier dont je parlais plus haut.

La mort de l’Adam primordial

La cosmogonie judéo-chrétienne nous parle d’Adam comme le premier homme. Bien entendu il s’agit d’une présentation imagée qui marque l’apparition d’un animal spécifique, porteur d’un souffle divin, au sein d’un monde déjà doté d’animaux dépourvus de cette étincelle divine. D’un point de vue cathare, il s’agit de l’illustration de la chute des esprits-saints dans la matière démoniaque. Cet Adam est donc un animal, dominé par son instinct et sa sensualité, doté d’une part spirituelle qu’il peut mettre en avant s’il en a conscience et s’il en ressent la nécessité.

L’Adam primordial est adapté à ce monde et rejette ce qui tendrait à mettre en danger cet équilibre dont il ne perçoit pas la malignité. Pour en revenir à Matrix®, c’est le Néo, trafiquant de logiciels informatiques et employé peu docile qui cherche à échapper à ce qu’il croit être une sorte de police qui le traque pour ces motifs.

C’est par l’étude et l’acquisition de savoirs que le sympathisant va remettre ses évidences et vérités antérieures en question. Or, cela va lui montrer que les règles mondaines de pouvoir, de volonté de vivre et de représentation vaniteuse sont sans objet. Cela revient à une sorte de suicide que de suivre la voie qu’ouvre la pilule rouge. Dans un de mes textes antérieurs, je présentais cela sous l’image de deux hommes pris dans un tourbillon aquatique et incapables de distinguer quoi que ce soit d’utile. L’un va s’accrocher à son statut, d’autant qu’ayant pu accrocher une souche d’arbre il espère que cela le sauvera. L’autre fait un choix apparemment incohérent, puisqu’il lâche la souche et nage à contre-courant pour tenter de rejoindre la rive. Ce faisant il va se sauver, car le tourbillon aboutit à un siphon qui va tuer son compagnon.

Nous aussi nous devons faire spirituellement ce choix de laisser mourir en nous notre nature mondaine, notre Adam primordial, car il ne peut nous mener au salut.

L’éveil : résurrection du Christ

Le savoir acquis va, chez certains d’entre nous, provoquer un choc intellectuel qui nous permettra de voir l’inanité de ce que nous pensions infaillible jusque là. De ce choc vont émerger de nouveaux paradigmes qui vont annuler nos anciennes convictions et faire de la voie de cheminement cathare la seule adaptée à notre propre salut. J’insiste sur l’importance de différencier un sentiment de la justesse de la voie cathare en raison de sa doctrine sensée et logique et de sa pratique cohérente, et la conviction personnelle que cette voie spirituelle est la seule capable de nous assurer le salut. On retrouve très clairement ce dernier sentiment dans les interrogatoires d’Inquisition de croyants cathares médiévaux.

Ce sentiment absolu distingue le sympathisant du croyant, car l’adhésion à une spiritualité ne peut être valide que si elle n’accepte aucune autre option pour soi. C’est ce que nous appelons la résurrection de Christ en chacun de nous. En effet, pour les cathares Jésus — s’il a existé —, n’a jamais eu de corps physique et sa crucifixion est donc un leurre au mieux et une forgerie judéo-chrétienne destinée à émerveiller les populations crédules au pire. Mais la résurrection, inutile pour un Jésus jamais mort doit être comprise dans le sens de la foi. L’épisode de Lazare dans le Nouveau Testament reprend ce concept. Lazare, ancien ami et proche de jésus, frère de Marthe et Marie Madeleine, est déclaré mort. Jésus survient et le ressuscite. En fait, c’est la foi en Jésus de Lazare qui était morte et qui est ressuscitée. Certes, c’est moins claquant que la résurrection charnelle. De la même façon la mort de Saphire et Ananias dans les Actes des apôtres est également un signe d’exclusion de la communauté et non pas une mort provoquée par Dieu.

Le croyant : un sympathisant cathare éveillé

Quand survient cet éveil spirituel cathare, que rien ni personne d’autre que l’intéressé ne peut provoquer, ce dernier quitte le statut de sympathisant pour devenir un croyant. Lui seul en prend conscience, spontanément ou à l’occasion d’un échange avec un chrétien consolé qui a su observer son changement mieux qu’il ne l’a fait lui-même.

Quels sont les changements qui vont affecter ce nouveau croyant débutant ?

D’abord, la certitude qu’il n’y a pas d’autre voie spirituelle pour lui que le catharisme. Ensuite, l’impérieuse nécessité de tout mettre en œuvre pour cheminer selon cette voie. Enfin, la recherche du salut qui ne peut se faire qu’au sein d’une Église cathare organisée et efficace.

Le croyant cathare en chemin

Dès qu’un croyant cathare comprend la réalité de son éveil, il sait qu’il va devoir entamer un long et parfois difficile cheminement.

Il va devoir se livrer à une introspection personnelle pour déterminer les points de sa personnalité et de son mode de vie qu’il va devoir mettre en priorité afin de les rendre compatibles avec le catharisme. Mais il ne s’agit pas pour lui de se forcer à agir ou de feindre d’agir comme il sait qu’il faut le faire. Tout le cheminement du croyant sera consacré à étudier, comprendre la justesse et appliquer petit à petit les préceptes cathares afin qu’ils deviennent pour lui évidents et nécessaires et non pas forcés et feints.

On le voit, ce cheminement risque d’être long puisque rien n’est forcé, mais une fois que le croyant aura acquis des éléments de la Règle de justice et de vérité, il sera bien mieux à même d’éviter les échecs et les tentations contrairement à ce que l’on voit dans d’autres religions qui imposent des comportements au lieu de laisser leurs adeptes les intégrer à leur rythme.

Le cheminement cathare

Le croyant va donc cheminer dans son for intérieur et il va continuer à acquérir des savoirs afin de pouvoir être les porte-paroles de l’Église auprès de sympathisants et de curieux désireux de mieux s’informer. Par contre, il devra s’abstenir de tout prosélytisme, car les cathares savent qu’il y a d’autres possibilités de salut et que chacun doit trouver la sienne.

En effet, à titre personnel, l’étude du catharisme, le suivi des prêches et des échanges internes et l’introspection spirituelle vont transformer des savoirs en connaissance. Et c’est cette connaissance qui permettra au croyant de progresser dans son cheminement.

En outre, le croyant va pouvoir associer certaines pratiques rituelles et un mode de vie qui lui sembleront convenir à son nouvel état. Tout cela est libre et mobile à l’exception de l’Amélioration que tout croyant doit effectuer quand il est en présence d’un chrétien consolé, si l’environnement le permet.

Attention à ne pas trop en faire, car l’excès de zèle est aussi néfaste que l’absence d’action.

La recherche du salut

Le croyant cathare sait et ressent que son salut passe obligatoirement par un noviciat et une Consolation. Le succédané de Consolation aux mourants, mis en place au Moyen Âge, ne garantit rien, car pour être en état de recevoir la grâce divine il faut un travail spirituel intense qui est difficile à mener en dehors d’une vie évangélique.

Donc, le croyant cathare sait qu’en se mettant tout entier au service de l’Église il participe à son propre cheminement vers le salut. Pour autant il ne peut pas abandonner ses obligations mondaines si ces dernières sont susceptibles de causer un dommage à des personnes innocentes envers qui il se serait engagé précédemment.

J’espère que ce prêche vous aura permis de mieux comprendre ce qu’est l’éveil spirituel cathare et qu’il vous servira, si le moment se présente, à évaluer votre propre situation spirituelle.

Guilhem de Carcassonne.


[1] Catharisme d’aujourd’hui – Éric Delmas, éd. Catharisme d’aujourd’hui à Carcassonne (2015).

Principe du Mal et chute des esprits saints

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Principe du Mal et chute des esprits saints

Comme nous l’avons vu le mois dernier à propos du Bien, il est difficile d’exprimer des concepts spirituels avec des mots sans tomber dans l’anthropomorphisme. En outre, la cosmogonie explore des domaines qui sont hors de portée des connaissances et de l’expérimentation humaines.
Si le Bien — au sens spirituel du terme —, est impossible à préciser, car Dieu est pour nous étranger et inconnu dans ce monde, voulu et édifié par le Mal, ce dernier n’est pas plus définissable, mais nous pouvons apprécier ses œuvres.

Le principe du Mal

Il faut différencier la terminologie chrétienne en ce domaine : le principe du Mal est généralement appelé Satan[1], mais son démiurge est indifféremment appelé diable ou satan. Le terme Lucifer est réservé aux judéo-chrétiens qui en ont fait une référence de leur cosmogonie.
Comme je l’ai fait le mois dernier pour le principe du Bien, je différencie les termes Mal qui désigne le principe mauvais et mal qui désigne ses effets en ce monde.
Ce principe est donc premier et totalement « pur » dans sa malignité, ce qui impose d’admettre que le Mal ne peut ni ne veut produire rien de bien et que le mal de ses œuvres ne peut en aucune façon être amendé et devenir du Bien.
Comme nous sommes prisonniers dans le monde voulu par le Mal et mis en œuvre par le démiurge, nous observons en permanence les résultats de ces œuvres. Mais nous devons essayer de comprendre les notions de mal direct et indirect.
Si je ne vous ai pas parlé de la substance du Mal, comme je l’ai fait pour le Bien, c’est tout simplement parce qu’il n’en a pas à proprement parler. On définit le Mal comme un néant d’Être, mais ce n’est pas comme une sorte de manque ou d’absence qu’il faut le comprendre, mais plutôt comme le fait que le Mal ne peut s’exprimer dans aucun domaine relevant de l’Être.

Le bien et le mal, deux faces d’une même pièce ?

Comment accepter, quand on est prisonnier d’une enveloppe charnelle et d’une âme mondaine, qu’il ne peut y avoir de bien réel en ce monde ? C’est contraire à nos sens et à notre espérance. Et pourtant, même si on pense que quelque chose est bon, le plus souvent on s’aperçoit qu’un bien ici est, ou devient vite, un mal ailleurs. Prenons un exemple historique qui montre que faire un acte apparemment bénéfique peut provoquer un mal non voulu. Le pape Jean-Paul II, en accord avec le président américain Ronald Reagan ; s’est évertué avec succès à la chute du régime communiste soviétique dans l’espoir de libérer des peuples prisonniers depuis plusieurs générations. Que s’est-il passé ensuite ? Et bien, après une période de désordre et de violence, le peuple a accueilli comme un sauveur un homme qui a installé un régime autocratique qui pourrait bien conduire le monde à sa perte, de façon plus risquée que cela n’avait jamais été le cas avant.
En fait, dans un espace détenu par le Mal et dédié au mal, il est risqué de chercher à modifier quoi que ce soit en affirmant que le résultat ne pourra jamais être pire.
Les cathares l’avaient bien compris, tout comme cela apparaît dans le Rituel du Nouveau Testament cathare occitan[2], concernant ce qu’il faut faire face à un animal pris au piège.
Deux cas sont proposés : dans le premier l’animal peut être libéré sans dommage corporel grave et l’on doit indemniser le chasseur ; dans le second, l’animal est mort ou trop gravement blessé ; dans ce cas on ne fait rien et on passe son chemin. Certes, le premier cas comporte un risque de dérive. Le chasseur qui récupère un animal dans son piège va certainement le rapporter à la maison et offrir à manger à sa famille, alors que s’il trouve de l’argent il peut être tenté d’aller le boire au café du coin.
Nous sommes tous, sans exception, amenés à commettre un mal pensant faire un bien. En faisant un cadeau sans savoir comment et par qui il a été fabriqué, comment il sera ou pas recyclé, si ce cadeau ne va pas créer un déséquilibre autour de celui qui le recevra, etc. Notre objectif en ce monde ne peut ni ne doit jamais être de le transformer, car sa nature est maligne et rien n’y changera quoi que ce soit.
Le mal est attiré par le néant comme ceux qui le servent et qui ne connaissent rien d’autre. Rappelez-vous l’histoire de la grenouille et du scorpion acculés à une rivière par l’incendie d’un champ. Quand le scorpion demande à la grenouille de lui faire traverser la rivière sur son dos, elle veut refuser de peur qu’il ne la pique et ne la tue. Mais le scorpion lui montre qu’il perdrait tout à le faire et la convainc donc de l’aider. Au milieu de la rivière, il la pique et devant la stupeur de la grenouille, il ne peut que répondre : « C’est ma nature ».
Le mal n’est pas une substance au même sens que l’Être ; il est un penchant irrépressible de ce qui ne dispose pas de l’Être. C’est un peu comme un corps céleste qui s’approche d’un trou noir et est attiré par lui, non pas par sa propre volonté, mais par la nature même du trou noir qui n’existe que pour anéantir ce qui l’approche.

La chute des esprits saints

Les interrogatoires d’Inquisition regorgent de récits abracadabrants concernant cet épisode que nous ne parvenons à expliquer dans son origine et son déroulement, mais dont nous constatons les effets concrets : notre emprisonnement en ce monde.
Essayons d’y réfléchir avec notre logique moderne.
Comment expliquer qu’un principe puisse accaparer une partie issue d’un autre principe sans manifester ainsi sa supériorité ? Comment un principe peut-il retenir prisonnière une entité qui lui est totalement étrangère sans agir sur elle puisque la théorie des principes l’en rend incapable ? Comment une entité peut-elle se scinder, se dissocier puis se reconstituer petit à petit sans agir sur ce qui la retient ? Comment prédire que cet épisode restera unique ? Mais avant tout, la question la plus importante est de savoir pourquoi cette chute a été rendue nécessaire.

Les raisons de la chute

Le principe du Mal, que l’on appelle communément Satan, à ne pas confondre avec son émanation démiurgique, satan que l’on appelle le diable[3] depuis le Moyen Âge, ne dispose pas de cette substance assurant maintien de la perfection et stabilité dans l’éternité que l’on appelle l’Être. Il a voulu profiter de sa manifestation à proximité du domaine du Bien pour retarder la néantisation de sa création, un peu comme on soutient par un tuteur un arbrisseau récemment planté. Cette solution ne peut être que temporaire, car si la plante grossit sans parvenir à s’implanter dans le sol, viendra forcément le moment où le tuteur sera incapable de l’empêcher de tomber. C’est pour cela que notre monde, malgré la présence d’esprits-saints, ne peut s’empêcher de dépérir et de retourner au néant.

La chute proprement dite

Les anciens séparaient les cieux en huit niveaux (ogdoade) dont les sept premiers (hebdomade) abritent des anges de qualité croissante pour se terminer par le firmament où règne le Christ. Paul nous dit aussi avoir été enlevé au troisième ciel qu’il appelle le paradis[4]. Dans l’apocryphe chrétien, l’Ascension d’Isaïe, le personnage nous parle d’un ange venu du septième ciel[5].
Ce qui m’intéresse dans ces textes est l’idée que le « ciel » comporterait plusieurs zones, ce qui permettrait d’envisager que certaines soient plus éloignées du centre de l’émergence (Dieu) et plus fragiles face à une attraction extérieure que d’autres. Bien entendu, j’ai parfaitement conscience du ridicule à vouloir imaginer spatialement le domaine spirituel qu’est l’empyrée céleste.
Dans l’Apocalypse de Jean la chute est représentée par un balayage de la queue du dragon qui entraîne le tiers des étoiles du ciel[6]. On retrouve là aussi l’idée que la chute s’est opérée de la « périphérie » vers le centre. Si l’on combine ces trois textes on peut penser que les deux premiers cieux sont les plus vulnérables à l’attaque maline. Le paradis, zone stable ne commence qu’au troisième ciel, les anges des premiers cieux ne connaissent pas Christ (Isaïe) qui vient du septième ciel, et les deux premiers cieux représentent approximativement le tiers des cieux angéliques ; le septième étant celui de Christ et le huitième celui de Dieu. Comme quoi, même avec des outils inappropriés nous pouvons nous faire une idée de ce qui a pu se passer.

Une chute fortuite

Les cathares évoquent également l’idée que les esprits tombés ont été victimes de leur inexpérience qui les a poussés à se laisser abuser par les promesses du démiurge et de leur curiosité. Cela évoque l’hypothèse que le cheminement que nous suivons sur terre pourrait n’être qu’une resucée de celui que les esprits-saints font de leur côté dans l’empyrée divin. Cela pose forcément la question du rapport entre les esprits-saints et l’Esprit unique. Et là encore cela évoque des correspondances mondaines. Prenons l’exemple d’un essaim d’abeilles sauvages. Nous avons la reine au centre entourée des abeilles les plus proches qui gèrent les couvains, autour on trouve des abeilles ouvrières et des abeilles soldats qui approvisionnent l’essaim et défendent la colonie. Forcément, ce sont celles qui sont à la périphérie qui sont les plus sensibles aux influences extérieures, mais chaque abeille dispose d’une relative indépendance pour effectuer ses tâches avant de revenir à l’essaim qui est un tout en soi.
Au final, il est clair qu’il est impossible de savoir comment s’est effectuée la chute des esprits-saints emprisonnés dans la matière charnelle. Ce que j’aurais tendance à retenir est que l’Esprit unique n’est pas forcément monolithique et qu’une certaine latitude existe dans un espace spirituel déterminé par l’avancement spirituel de chacun des esprits-saints qui se trouvent au sein de ce tout unique. Les esprits-saints susceptibles de tomber sont, soit des éléments revenus au Père, mais encore trop fragiles pour progresser dans leur cheminement, soit des esprits-saints initialement demeurés fermes, mais qui continuent à tomber sous l’effet de l’attraction démiurgique.

Un phénomène temporel

La création maline et les esprits-saints sont issus de deux principes différents ce qui leur interdit tout espoir de symbiose. Leur « union » est instable comme l’est celle de l’huile et de l’œuf dans la mayonnaise. La matière se dégrade et périt alors que l’esprit-saint reste stable et éternel. Cette différence de temporalité, ou plutôt l’absence de soumission à la temporalité d’un des deux éléments, amène régulièrement l’esprit-saint à se libérer de sa contrainte. S’il est conscient de son état il ne pourra sans doute pas être trompé une nouvelle fois et retournera à l’empyrée divin pour y poursuivre son cheminement. Sinon, il se retrouvera de nouveau prisonnier d’une nouvelle incarnation.
Cela nous interroge sur la puissance de cette incarnation et les outils dont elle use pour maintenir l’esprit-saint prisonnier.

Les tuniques d’oubli

Comment fonctionnent les prisons mondaines dans lesquelles nous sommes enfermés ? Elles sont composées de deux éléments : l’un est totalement matériel afin d’être sensible à son environnement mondain, qui est totalement étranger à l’esprit-saint qui ne dispose pas des outils pour l’appréhender. L’autre est une interface directe entre la part spirituelle et la part matérielle, que l’on pourrait définir comme l’intellect, cette capacité à raisonner en dehors de tout instinct animal dans le but d’utiliser ou de produire ce qui nous est utile en ce monde. Cette part intellectuelle les cathares l’appelaient l’âme mondaine, par opposition à l’âme spirituelle que j’appelle communément l’esprit-saint. L’âme mondaine est conçue pour empêcher autant que faire se peut l’esprit-saint d’avoir conscience de son état et donc de s’échapper de sa prison charnelle. Les cathares appelaient l’ensemble mondain (corps physique et âme mondaine) la tunique d’oubli[7]. Pour maintenir l’esprit-saint éloigné de tout désir de se rebeller et même d’avoir conscience de son état, l’âme mondaine utilise un élément du corps que l’on appelle la sensualité. Cet élément utilise cinq sens destinés à nous faire prendre conscience de notre imbrication dans le monde et de nous faire croire que nous ne désirons rien d’autre. Ces sens agissent isolément ou en synergie les uns avec les autres. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’acte charnel le plus important pour notre espèce puisqu’il permet la reproduction utilise les cinq sens simultanément. Ainsi la reproduction offre de nouvelles tuniques d’oubli pour remplacer celles qui disparaissent.

Le Mal dans ce monde

Les esprits-malins

Lucifer est l’invention facile de cosmogonies incapables de comprendre le concept de l’étant et celui des principes. Mais, sachant qu’aucun esprit au service du Mal ne peut être issu du Bien, comment reconnaître ces esprits et comment fonctionnent-ils ?
Nous avons vu que l’on pouvait avoir une idée duelle des esprits-saints, à la fois relativement indépendants et en même temps partie intégrante d’un tout unique. Peut-on dire la même chose des esprits-malins ?
Rappelons-nous que les esprits-malins ne disposent pas de l’Être, mais qu’ils sont une émanation du néant. Cela leur interdit toute notion de permanence. Sont-ils émanés de façon ponctuelle et brève pour réaliser une mission ou bien arrivent-ils à durer, notamment quand ils sont associés à un esprit-saint prisonnier ? J’aurai tendance à penser qu’effectivement le Mal génère au besoin un esprit-malin selon ses besoins, car d’une façon générale la création maline n’a pas besoin d’intervention extérieure pour se développer comme l’ont largement démontré les savants qui étudient l’évolution de l’univers et de tout ce qui vit sur terre.
Bien entendu, il faut modérer mon propos à l’aune de l’idée que nous nous faisons du temps. Le ponctuel, hors du monde, peut se mesurer éventuellement en millions ou milliards d’années, ce qui n’est rien à l’échelle de l’éternité, mais qui nous semble incommensurable à celle des miettes de notre propre existence.
Ce qui me semble importer c’est de comprendre que le Mal ne peut rien générer de durable au sens des émanations divines, sinon il n’aurait pas eu besoin d’en dérober une partie pour « soutenir » sa création. Le démiurge est donc, soit présent dans sa propre temporalité limitée, soit absent au sens où l’univers s’auto-gère suffisamment tout en descendant inexorablement sur la pente qui le mène au néant.

Le bien dans le Mal

Le bien que l’on observe est-il du Bien ou n’est-ce qu’une inflexion transitoire et locale du Mal ?
C’est un point essentiel à comprendre, car c’est souvent la dernière grille[8] à franchir pour entrer en catharisme. En effet, nous constatons tous que dans ce monde il y a aussi du bien. Le point de vue cathare semble dès lors extrêmement pessimiste, presque nihiliste. Mais c’est souvent un problème d’échelle.
Prenons un exemple concret. Un jour j’ai reçu un courriel contenant une photo représentant un chalet suisse posé sur sa pelouse fleurie par jour de beau temps. Cette dame m’écrivait qu’elle m’envoyait cela pour me montrer combien j’étais dans l’erreur en disant que ce monde émanait du Mal. Je lui ai répondu que sa photo était trompeuse et qu’en zoomant fortement sur la pelouse elle pourrait voir la lutte que se livrent plantes et animaux pour survivre, ce qui ne manquerait pas de la convaincre que l’image idyllique du plan large n’est rien d’autre qu’une réclame trompeuse.
Dans ce monde la plupart des biens que nous ressentons comme tels n’en sont pas. En effet, le plus souvent un bien ici est un mal ailleurs. L’alimentation en est la meilleure illustration. Si nous mangeons un bon rosbif c’est grâce à l’élevage d’animaux qui gaspillent sept fois plus de ressources végétales qu’ils ne produisent de ressources carnées, et je passe sur leur souffrance. Donc, en mangeant des produits trop coûteusement produits nous participons à la famine qui concerne au minimum les deux-tiers de la planète. Et je peux multiplier les exemples à foison. Il ne faut donc pas nous illusionner sur notre capacité à faire le bien et Christ l’expliquait fort bien en disant : « Toi, quand tu fais l’aumône, que ta gauche ignore ce que fait ta droite. » (Matth. 6, 2). Se réjouir du bien que l’on pense faire c’est faire œuvre de vanité. L’afficher c’est montrer combien nous sommes éloignés de l’éveil spirituel.

Voici ce que je peux vous dire de ce que je crois savoir du Mal et j’espère que nous pourrons échanger ici ou sur les forums du site.

Guilhem de Carcassonne, le 11 septembre 2022.


[1] Le choix des majuscules pour Satan et satan, Bien et bien, Mal et mal, n’est pas anodin.

[2] Ouvrage écrit par des cathares occitan au 13e siècle à Italie du Nord et destiné aux consolés revenant prêcher aux croyants restés en Languedoc sous l’Inquisition. Un seul original nous est parvenu et se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon.

[3] Son étymologie semble venir de l’italien diabolo qui signifie, le diviseur.

[4] Deuxième lettre de Paul aux Corinthiens : 12, 2-4.

[5] Ascension d’Isaïe : 1, 13.

[6] Apocalypse selon Jean : 12, 3-4.

[7] Par référence à un prêche cathare qui illustrait comment le diable avait empêché les esprits-saints tombés en son pouvoir de revenir au Père.

[8] Que nous appelons l’éveil.

Dieu, principe du Bien et l’Être

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Dieu, principe du Bien et l’Être

Guilhem de Carcassonne, le 14 août 2022

Le catharisme présente une particularité unique au sein du christianisme qui est de considérer deux principes dont l’un est Dieu et l’autre Satan. Très mal comprise des chrétiens, cette conviction lui valut d’être traité de dualiste, ce qui n’a pas de sens. En effet, tous les christianismes et tous les monothéismes sont dualistes puisque tous proposent un système associant deux entités, l’une positive et l’autre négative, mais seule la première est parée de l’attribut divin. L’accusation de polythéisme est donc inadaptée, tant pour le catharisme que pour le manichéisme qui respectent tous deux cette différenciation. Le dualisme cathare est sans objet également, car non différenciant du catholicisme à l’exception du fait que chez les cathares le dualisme initial qui soumet l’homme aux deux principes, l’un dans sa nature spirituelle et l’autre dans sa prison charnelle cesse lorsqu’il obtient son salut. Dans le judéo-christianisme par contre, c’est l’inverse ; initialement moniste, le chrétien est soumis au diable et peut terminer par être damné éternellement, ce qui est une vue dualiste particulièrement négative et qui fait de Dieu un père pervers.

Mais la différence entre catharisme et judéo-christianisme va bien au-delà de cette notion dépassée. Je vais essayer de vous l’expliquer sans trop plonger dans des notions philosophiques qui peuvent en dérouter certains d’entre vous.

Le principe du Bien

Les cathares emploient indifféremment les termes Dieu et principe du Bien.

Si j’écris Bien avec une majuscule c’est pour le différencier d’un autre bien qui est en réalité un épiphénomène lié au Mal et qui s’oppose ponctuellement à un mal de même niveau.

Le Bien tel que l’entend un cathare, qu’il soit croyant ou consolé, désigne ce qui ne peut en aucune façon produire un mal, aussi minime soit-il et sous quelque forme qu’on puisse le considérer, prouvant ainsi sa nature originelle. Cela nous est clairement précisé par Matthieu quand il fait dire à Jésus : « Ainsi tout bon arbre fait de beaux fruits, et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri porter de beaux fruits. Tout arbre qui ne fait pas de beau fruit sera coupé et jeté au feu. Et bien, vous les reconnaîtrez à leurs fruits[1]. » Cette tirade détaillée vient préciser ce qu’il avait fait dire à Jean baptiste, plus tôt dans son Évangile : « Déjà la cognée est à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne fait pas de beau fruit est coupé et jeté au feu[2]. » Il réitère son propos dans les mêmes termes en 13, 13. Luc aussi reprend ces deux présentations, ce qui faire penser à une copie[3].

Pourtant cette notion semble totalement hors du champ mondain tel que nous le connaissons. Ici-bas nous trouvons des fruits bons ou pourris sur le même arbre et aucun arbre n’a une propension particulière à produire tel type de fruit. Il s’agit donc d’une illustration évoquant le domaine du Bien et non notre monde.

Pour comprendre cela il nous faut rejoindre un philosophe bien connu et parfois redouté : Aristote. En effet, dans l’œuvre constituée de textes épars — qui ne pouvaient être attribués à un autre de ses thèmes favoris : l’éthique et la physique —, qui fut appelé Métaphysique (littéralement : à côté de la physique), il démontre le concept de principe.

Le principe est, selon Aristote, ce qui est à l’origine de tout ce qui est de même nature que lui. Le principe est la forme première dont tout découle. Il s’agit donc d’une compréhension relative à la nature et au temps. Le principe est le concept d’une nature pure dans son essence et unique dans sa composition. Le principe est univoque et sans la moindre corruption. Il est également à l’origine de tout ce qui relève de la même nature ; il est donc premier. Mais rien ne dit que, d’un principe donné — cause de tout ce qui relève de lui —, ne doit se produire quoi que ce soit d’identique. En effet, ce qui a pour cause un principe est au moins différent du lui sur le plan de la temporalité puisqu’il survient après lui. Rien n’interdit de penser qu’il puisse également être corruptible. Si on limitait le principe du Bien au concept principiel, rien n’interdirait que ce qui émane de lui puisse être corrompu par le Mal, comme semblent le croire une grande partie des religions que nous connaissons. Pour reprendre l’image néotestamentaire ci-dessus, le bon arbre peut produire de mauvais fruits tout en étant bel et bien le principe de ces fruits. Il faut donc réfléchir à un autre concept pour rendre cette image crédible. Ce qui fait que l’arbre et le fruit sont et ne peuvent être rien d’autre que bons, ce n’est pas la nature principielle de l’arbre, c’est sa substance unique.

L’Être, substance du bon principe

L’évêque cathare italien, Jean de Lugio, expliquait l’existence du Mal en faisant valoir qu’il était impossible qu’un être issu du Bien, qui n’avait d’autre référence que le Bien et ne connaissait rien d’autre, put se mettre à lui préférer le Mal qu’il ne connaissait pas. Il en tirait la conséquence logique qu’il fallait bien admettre alors qu’il devait y avoir une cause au Mal distincte de la cause du Bien[4].

Je voudrais essayer d’aller plus loin dans cette analyse.

Nous savons bien qu’il ne suffit pas qu’une chose nous soit inconnue à un moment donné, pour qu’une fois connue nous ne puissions pas la préférer à ce que nous connaissons. Jean de Lugio était un cathare appartenant initialement à une Église monarchienne[5], c’est-à-dire cherchant à unifier la vision catholique à la vision cathare, qui, lorsqu’il vint à remplacer son évêque changea totalement de point de vue et pencha pour une vision dyarchienne, c’est-à-dire dissociant totalement la vision cathare de la vision catholique. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait dans sa compréhension quelques éléments rattachés au catholicisme.

Non, ce qui importe dans notre lecture c’est de comprendre que le principe du Bien dispose dans sa propre substance spirituelle d’un attribut essentiel et unique que l’on appelle l’Être.

Le premier philosophe à avoir tenté d’expliquer l’Être est Parménide qui introduisit dans son explication un concept qui allait créer une branche de la philosophie que l’on appelle l’ontologie qui prétend étudier l’être en tant qu’être. Or c’est là qu’est la difficulté pour nos esprits humains limités. Parménide nous donne pourtant une piste intéressante : l’Être est ! Cela peut sembler abscons de prime abord, mais en réalité c’est lumineux. L’« Être est » suppose une permanence inaltérable et inamovible d’un état totalement étranger au monde. L’Être est la substance unique, profonde et permanente du principe du Bien et de toutes ses émanations qui lui sont consubstantielles.

L’Être ne connaît ni temporalité ni fluctuation. Rien de temporel ou de fluctuant ne peut émaner du principe du Bien, car l’Être leur assure la même stabilité et la même permanence qu’au principe lui-même.

Rapporté à notre arbre, on comprend mieux désormais que le fruit ne peut être que de la même substance que l’arbre lui-même, c’est-à-dire bon. De même ; l’émanation divine ne peut en aucune façon devenir mauvaise puisque son principe lui transmet de façon consubstantielle son Être qui est le Bien. L’hypothèse de Lucifer fils préféré de Dieu devenant jaloux de lui et choisissant le Mal est donc totalement absurde d’un point de vue cathare.

Par contre le Mal, qui est aussi un principe, ne dispose pas de l’Être. C’est même un néant d’Être, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir en lui la moindre parcelle d’Être, non pas en raison de sa substance maligne, mais surtout en raison de sa nature principielle qui ne peut être mélangée. C’est pourquoi les cathares comprennent le troisième verset de l’Évangile selon Jean de cette manière :

« Tout a existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle[6]. »

Dieu, par son verbe est au principe de toute ce qui existe, c’est-à-dire qui dispose de l’Être, et rien peut disposer de l’Être en dehors de lui.

L’ontologie reste un domaine de la philosophie parménienne totalement insoluble par les strictes voies philosophiques, mais une approche ouverte sur la religion peut la résourdre.

Et Dieu dans tout ça ?

J’espère que vous avez tenu le coup jusqu’ici et que mes explications que j’ai voulues aussi abordables que possible pour le grand public vous ont permis de mieux comprendre ces concepts souvent abscons.

Maintenant, il nous reste le plus facile à expliquer : Qu’est-ce que Dieu ?

En fait Dieu est notre façon de dénommer une entité totalement étrangère et inconnue dans l’espace temporel et corruptible qu’est notre univers. Cette entité — terme que j’emploie faute d’en avoir un plus précis à proposer —, est principielle par nature et dotée de l’Être par substance.

Principielle en cela qu’elle n’émane de rien et existante en cela qu’elle est, sans passé et sans avenir, permanente et stable dans le Bien absolu de toute éternité.

C’est tout ce que nous pouvons dire de Dieu en n’oubliant pas d’ajouter que notre part spirituelle émane de lui et lui est consubstantielle.


[1] Évangile selon Matthieu : 7, 17-20.

[2] Évangile selon Matthieu : 3, 10.

[3] Évangile selon Luc : 3, 9 et 6, 43-44.

[4] Liber de duobus principiis (Livre des deux principes) in Écritures cathares – René Nelli et Anne Brenon, éd. du Rocher (Paris) 1996. Plusieurs éditions préalables signées de René Nelli, notamment chez Denoël (1959)

[5] Les cathares monarchiens et dyarchiens — improprement appelés mitigés et absolus —, avaient des divergences concernant les hypothèses cosmogoniques de la création du monde matériel : les monarchiens pensant que le Mal avait perverti une matière créée par Dieu et les dyarchiens considérant que rien en ce monde, y compris la matière, n’était l’œuvre de Dieu.

[6] Évangile selon Jean in Le nouveau Testament – Collection La Pléiade, éditions Gallimard (Paris) 1972.

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