Présent : le temps des cathares

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Présent : le temps des cathares

Le rapport au temps

Je me suis déjà exprimé sur le temps et sa conception selon différentes philosophies et cultures, dont celle du christianisme.

Le fait de présenter le temps comme une sorte de ruban crée, de fait, une linéarité qui, dans le cas particulier du christianisme, est marquée par un événement destructeur du temps, la venue du Christ lors de sa première parousie. Cet événement va créer de fait un avant et un après. Le présent est constitué pour sa part de la période de la vie de Jésus et des disciples, telle qu’elle nous est rapportée dans les évangiles synoptiques.

Pour les chrétiens, la tendance fut de considérer cette période comme un événement historique figé qui est devenu le passé de leur histoire. Sans compter que cela fut amplifié par le désir d’inscrire cette période dans un passé riche et glorieux en y incorporant la Torah juive qui, agrémentée de quelques textes supplémentaires, allait devenir l’Ancien Testament au IIIe siècle.
Le passé paré de tels atours et le présent du Christ devenu passé, les chrétiens se sont exclusivement tournés vers l’avenir, celui de l’espérance eschatologique en une seconde parousie au cours de laquelle le Christ en majesté viendrait juger et récompenser ou punir selon ses mérites un troupeau passif. Membre de ce troupeau, le chrétien n’avait plus rien à faire d’un présent réduit comme peau de chagrin à une parenthèse infinitésimale dans un temps exponentiel.

Mais, parmi le troupeau bêlant s’est levé une frange résolue à remettre les choses à leur juste place. Ces chrétiens, sans renier l’existence du temps, ont cherché à mieux le disposer dans leur spiritualité.

Nature du temps

Tout d’abord il convient de garder à l’esprit que, pour ces chrétiens — comme pour nous donc —, le temps est l’attribut du principe du Mal car au principe du Bien appartient l’Être — c’est-à-dire un présent éternel —, ce qui fait de lui le seul Dieu.
Pour eux le passé perd de son attrait car ils rejettent cette construction historique visant à valider le christianisme en l’inscrivant dans une généalogie, créée de toutes pièces à seule fin de lui conférer une authenticité vis-à-vis de populations attachant une grande importance au passé. N’oublions pas que, notamment pour les grecs, le passé revêt une grande importance puisqu’il est appelé à revenir dans le futur selon le principe d’un déroulement circulaire du temps.
Ces chrétiens ne voyaient dans le passé qu’un instantané d’événements perdus à jamais et immuables quelle que soit leur qualité. Ils ne s’en servaient donc que partiellement pour y puiser les informations utiles à leur comportement présent. Si les marcionites se réfèrent à Paul et attachent tant d’importance à lui restituer la vérité de ses propos c’est pour disposer d’une source sûre quant à la façon dont doit vivre un chrétien authentique.
Pour eux l’avenir tendait également à perdre son intérêt. L’imminence apocalyptique ayant fait long feu, malgré les espoirs de Paul, il s’avérait de plus en plus que la seconde parousie allait se faire attendre et qu’il convenait de voir les choses autrement.

C’est donc le présent qui va attirer leur attention. En effet, soucieux d’être membres actifs de leur propre eschatologie, ces chrétiens vont remettre les choses dans le bon sens en conférant au présent la seule place qui lui revient, la première.
Le présent est le seul temps qui importe car, étant celui que nous vivons, il est le seul au cours duquel nous sommes en mesure d’agir pour notre salut. Or, ce salut n’est pas pour le chrétien authentique le résultat d’une attente passive et l’espoir d’une reconnaissance de la part d’un berger si longtemps éloigné des brebis portant sa marque. Il est le résultat d’une vie évangélique, c’est-à-dire d’une vie quotidienne en tous points comparable à celle menée pendant sa présence par Jésus et ses disciples. C’est de la cohérence de cette vie que dépend la capacité du chrétien à rejoindre son « berger », c’est-à-dire le principe du Bien, en quittant définitivement ce monde temporel et en rejoignant la réalité éternelle. Car, c’est la grande différence qu’induit la reconnaissance de la soumission de ce monde au temps, donc au Mal. Il ne sert à rien d’attendre en enfer la venue d’un sauveur quand il suffit en fait de se donner les moyens d’aller le retrouver dans le Royaume.
L’importance du présent et la vanité du passé et du futur se retrouve dans le Nouveau Testament. Quand Jésus dit aux disciples d’aller prêcher sur les chemins et dans les maisons étrangères à leur foi, il insiste sur le fait de ne pas se préoccuper de l’avenir en étant imprévoyant sur le plan matériel : « Ne possédez ni or ni monnaie, dans vos ceintures ; pas de besace pour le chemin, ni de deuxième tunique, ni de chaussure, ni de bâton. L’ouvrier est bien digne de sa nourriture.
 » (Matth. X, 9-10). On retrouve l même chose chez Marc (VI, 8-9) et chez Luc (IX, 3 et X, 4).
Comment comprendre cette injonction ? Certainement pas au pied de la lettre. C’est une façon détournée de dire qu’il ne faut pas se préoccuper de l’avenir. Bien entendu, il ne s’agit pas d’être sale, pieds nus et sans rien à manger en escomptant que le hasard règlera tout. L’ouvrier est bien digne de sa nourriture rappelle qu’il faut gagner son pain et non mendier. De même quand Jésus rejette ce monde et ses œuvres : « Mon règne n’est pas de ce monde. » (Jean XVIII, 36), c’est pour manifester qu’avant sa venue rien ne compte.

Ne prenons pas des vessies pour des lanternes

Le présent est non seulement un élément fondamental pour atteindre un objectif de salut mais il est aussi fondamental pour qui veut atteindre à l’authenticité de la vie chrétienne.
En effet, quand on se réfère au passé il n’est pas possible d’aller au-delà de l’imitation de ce passé. L’eucharistie judéo-chrétienne est une reproduction, une imitation de ce que l’on croit avoir compris du comportement de Jésus et des disciples en un temps donné et révolu. La bénédiction du pain par les bons hommes est un vécu quotidien d’un échange et d’un partage qui rythme une vie évangélique, sinon il perd tout son sens. Le présent est donc bien le temps de l’unique et de l’authentique.

Unique car il est par définition impossible à retrouver puisque l’instant présent à peine débarqué du futur disparaît dans le passé. Authentique car seul l’instant présent est vivable puisque comme nous avançons dans notre vie mondaine au même rythme que le temps, chaque instant que nous vivons est le présent du moment, ce qui rend ce présent permanent alors qu’en fait il est infinitésimal. Il convient donc de vivre dans le présent si l’on veut réaliser des actions authentiques car ce sont ces actions qui nous mettrons en position d’être de vrais chrétiens ou pas. Pour que notre présent soit accompli il faut donc que la vie menée au quotidien le soit également, c’est-à-dire qu’elle réunisse les conditions d’une vie évangélique comme le Christ est venu nous en donner l’exemple.
Toute la difficulté est dans la référence que l’on se fixe comme dans la l’histoire du sage et du sot. « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » De même quand on imite le passé en le ritualisant à l’occasion de moments de vie fugaces on ne regarde que le doigt alors que quand on suit l’exemple donné dans le passé en se conformant au mode de vie quotidien et permanent (puisque toujours présent) qu’il nous montre, on regarde bien la lune.

Si nous considérons maintenant ces chrétiens qui ont traversé les siècles en suivant ce précepte on voit bien à quel point ils en avaient saisi la substantifique moelle. Pour eux, le passé n’était qu’un outil d’information, d’où leur grand intérêt à retrouver les vraies écritures et à écarter les fausses. De même l’avenir leur importait si peu qu’ils ne s’inquiétaient pas de leur devenir. Par contre, ils avaient grand souci du présent et ils attachaient un grand intérêt à la façon dont ils vivaient ce présent, comprenant bien que seuls parmi eux, les Consolés — c’est-à-dire celles et ceux qui menait une vie évangélique sans défaut — étaient susceptibles d’un salut à la fin de leur vie actuelle, présente donc.

C’est une attitude constante des communautés dont nous avons retrouvé la trace, des marcionites aux cathares. C’est aussi un point de clivage essentiel entre les chrétiens authentiques désireux vivre l’Évangile aujourd’hui, maintenant et de façon permanente et les judéo-chrétiens persuadés que l’attente passive sera récompensée pour peu qu’elle soit agrémentée d’instants commémoratifs — les offices — où l’on tente de reproduire ce que l’on croit avoir compris d’une vie que l’on ne désire pas mener. Cependant, il faut croire que cette certitude connaît quelques fissures. En effet, si l’immense majorité des chrétiens ne désire pas vivre un présent inexistant à leurs yeux, ils ont conscience que cette vie futile et vaine n’est pas vraiment celle préconisée par le Christ. La parabole du jeune homme riche (Matth. XIX 16-24) doit avoir du mal à passer chez ceux qui ont compris à l’envers les préceptes d’Épicure. Du coup, l’assurance du salut n’étant plus absolument certaine, il a fallu trouver des moyens détournés d’y parvenir. Autrefois, les choses paraissaient simples ; il suffisait de mourir en martyr pour expier toutes ses fautes et être sauvé. Comme si seuls les bons avaient le pouvoir de mourir pour leurs idées. Mais, à partir du moment où le christianisme va s’embourgeoiser en faisant alliance avec le pouvoir temporel impérial de façon à s’octroyer une part de ce pouvoir, les martyrs vont décroître. On va donc reporter son attention sur ceux qui font le choix d’une vie érémitique ou anachorétique — c’est-à-dire à peu de chose près d’une vie évangélique — et on va les investir du pouvoir de se charger d’assurer, outre leur propre salut, celui de ceux qui n’envisagent pas une seconde de vivre comme eux.

Cette invention du salut par procuration, sorte d’assurance-vie éternelle, va produire les effets logiques que l’on peut en attendre, la professionnalisation des sauveurs patentés, les moines. Et bien entendu, ils vont eux aussi se créer un statut confortable puisque leur objectif n’est pas vraiment de gagner leur salut immédiat, qui ne viendra qu’à l’occasion de la seconde parousie je le rappelle, mais d’être une sorte d’exemple vivant et d’élément rassurant pour tous ceux qui ne veulent pas vivre hors de leur luxe. Un peu de privation, quelques châtiments corporels pour impressionner les foules, et le tour est joué. Plus on vous respecte, plus on vous attribue de richesses et de pouvoir qu’il ne reste plus qu’à consommer à l’abri des regards indiscrets, au fond de quelques couvents où la vie ascétique fut si bien respectée qu’ils sont aujourd’hui des références en matière d’excès alimentaires et alcooliques. Je vous épargnerai la liste infinie des clôtures cotées dans les ouvrages gastronomiques, des hospices de Beaune à la grande Chartreuse, sans compter que la renommée de ces comportements est telle que quiconque veut créer un aliment réputé goûteux s’empresse de lui coller un nom de pénitent confirmé (Chaussée au moines®, etc.).

À force d’attendre demain pour vivre son salut puisqu’aujourd’hui n’existe pas, on finit par ne jamais le vivre ou par se bercer de l’illusion qu’un autre aura le bon goût de le vivre à notre place et que cela suffira bien. En cas de doute, il reste toujours la solution d’invoquer les saints — c’est-à-dire celles et ceux dont on nous dit qu’ils ont réussi le parcours —, bien que l’étude historique puisse laisser planer quelques doutes sur la validité de l’onction sacrée ainsi attribuée, comme la Légion d’Honneur attribuerait l’honorabilité à son détenteur, nous dit-on. Au total, ce qui semble compter pour ces chrétiens, c’est de ne surtout pas vivre au présent ce qui pourrait conditionner l’avenir, car le présent offre trop d’autres intérêts et sa fugacité, vécue comme un quasi non existence, impose de ne point en perdre une miette à organiser ce qui pourra toujours être reporté à demain ou, au pire, que le Christ aura la bonté de gérer lors de son retour.

Le présent comme condition du salut

Dès que l’on cesse de se laisser éblouir et endormir par ces vessies confondues avec des lanternes, on ne peut se cacher derrière son petit doigt et persister à ignorer la réalité. C’est aujourd’hui et maintenant que l’on prépare son salut car « Réveillez-vous donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Matth. XXV, 13).
Le seul temps qui compte c’est le présent car c’est le temps de l’action. Comme le prisonnier innocent a le devoir de tenter de s’évader en permanence car il ne sait pas le sort que lui réserve son geôlier, ou bien il sait qu’il lui sera néfaste, le chrétien doit œuvrer sans cesse à son évasion de ce monde.
Le passé n’existant plus et l’avenir n’ayant aucune réalité ni certitude, c’est le présent qui doit retenir notre attention, non pour en faire un instant de jouissance supplémentaire, mais pour en faire une marche de plus sur l’échelle qui nous mènera au faîte du mur de notre prison.

Celles et ceux qui tentent parfois d’accommoder les croyances des uns avec celles des autres peuvent mieux comprendre par mes propos combien sont irréductiblement opposés dans leurs fondements les conceptions chrétiennes qui reposent sur des bases aussi différentes. Les judéo-chrétiens et les chrétiens authentiques ont choisi des voies trop différentes pour pouvoir se rejoindre sans que l’un ou l’autre ne décide un changement radical. Mais contrairement à ce que la propagande nous serine depuis des siècles, le schisme n’est pas le fait des hérétiques mais celui de ceux qui ont refusé d’avaliser les ruptures qui ont construit le christianisme (cf. « La résurgence cathare Le manifeste » p. 39 par Yves Maris) et qui s’en sont détourné définitivement lors d’une rupture inverse qui s’est effectuée en 325 lors de la mise au monde d’un christianisme de pouvoir temporel assujetti à un souverain temporel, l’empereur. Ce jour-là, le chef de l’église chrétienne de Rome, Sylvestre, qui n’était pas encore souverain pontife (titre dévolu à l’empereur), coupa définitivement le lien qui le reliait au Christ pour suivre les ors impériaux, sacrifiant son présent permanent à une réalité artificielle fugace.
C’est pourquoi, avant de vouloir fédérer, d’agglomérer la foule à nos conceptions, car aujourd’hui le nombre rassure comme la généalogie le faisait autrefois, il convient de s’interroger, avec l’aide de la connaissance que nous donne la recherche historique et religieuse, sur la meilleure façon de vivre son présent sans lendemain afin d’être toujours en veille et de ne pas manquer d’huile quand viendra le marié.

Ce présent permanent que nous vivons ici et maintenant, c’est le temps des cathares et c’est aussi la préfiguration de notre éternité ; celle que nous avons momentanément abandonnée quand nous fûmes ravis à notre « monde spirituel » pour échouer dans ce monde temporel qui, comble d’ironie, ignore le présent.
Mais vivre le présent ne doit être l’occasion d’ignorer les leçons du passé, car ce sont elles qui peuvent nous aider à éviter de les reproduire. Si nous sommes encore là aujourd’hui à étudier et essayer d’améliorer notre cheminement, c’est que nous avons échoué sans cesse depuis que nous sommes tombés de notre « patrie » spirituelle. Nous devons donc tirer les leçons du passé et non pas le pasticher pour nous donner l’illusion qu’en faisant « comme faisaient les Bons-Chrétiens » nous allons forcément réussir. Comme le fils prodigue, c’est par l’humilité et l’obéissance, à ceux que nous reconnaissons comme des exemples et qui nous transmettent leurs conseils à travers le temps, que nous saurons comment agir. Les rituels et la Consolation ne sont pas une fin en soi ; ce qui compte c’est de nous construire spirituellement et non d’imiter en faisant fi de ce qui nous gêne ou nous fait défaut. Si nous sommes croyants, nous devons vivre en croyants, c’est-à-dire faire notre la doctrine enseignée par les Bons-Chrétiens et appliquer, aussi bien que possible, la règle de justice et de vérité. C’est cela vivre dans le présent pour un croyant cathare. Certes, il n’est pas interdit d’œuvrer à la résurgence de l’Église cathare, mais ce n’est pas un préalable. Le principe du Bien n’a pas besoin de nous, ouvrier inutiles, pour reprendre dans son sein ce qui n’a jamais cessé d’être à Lui. Cependant, y participer est un devoir puisque cela permettra d’aider en ce monde ceux qui ont du mal à avancer et à comprendre. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous nous inscrivons dans l’avenir. Nous savons que quelque soit notre situation au sein de l’Église quand viendra ce moment que nous espérons — croyants, novices ou Consolés — ce n’est pas elle qui déterminera notre accès à la grâce divine. C’est ce que nous serons en nous-mêmes, conformes au seul commandement de Christ : Bienveillants et sans aucune forme de restriction, qui déterminera notre accès au salut.

Éric Delmas, le 22/09/2017.

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