Le chercheur et le cherchant

Le chercheur et le cherchant

Publié par Guilhem de Carcassonne dans Prêches publics, le 17 août 2025

Le chercheur

Quand on découvre le catharisme, et à supposer que cela nous interpelle, on commence logiquement par étudier les auteurs qui en ont parlé, afin de disposer d’un ensemble de savoirs susceptibles de satisfaire notre curiosité. J’en vois beaucoup qui n’ont pas dépassé ce stade et qui se sont constitué un socle de savoirs dont la qualité est très variable, selon les sources consultées.

Si cette entrée en matière éveille en eux l’envie d’approfondir ces savoirs initiaux, le découvreur va s’apercevoir qu’en matière de catharisme il y a, comme on dit, à boire et à manger. En effet, les recherches en ce domaine n’ont quasiment jamais cessées depuis le dix-huitième siècle. Notre curieux va donc devoir essayer de trier le bon grain de l’ivraie… ou choisir de baisser les bras devant l’ampleur de la tâche à accomplir.

Nous sommes tous chercheurs

Quand nous découvrons un sujet qui semble intéressant, nous commettons toutes la même erreur, à savoir l’étudier de la façon la plus efficace possible pour s’en faire une idée précise. Cette phase de notre recherche fait de nous des chercheurs, mais cette activité va être de durée et de qualité variable selon la motivation que l’on mettra dans notre étude. Si nous avons la chance de trouver de bons auteurs et de bonnes sources, ce travail de recherche peu devenir un but en soi, afin de nous offrir une vision complète et approfondie du sujet que nous étudions. Dans d’autres cas, la plupart vont se contenter d’une recherche superficielle basée sur quelques éléments trouvés ici et là, et s’arrêteront assez vite devant l’ampleur du travail à accomplir, se contentant de disposer d’un savoir superficiel, un vernis de culture, qui leur permettra de briller dans les salons et de faire illusion.

Pour ceux que la recherche n’effraie pas, l’étude va continuer, s’approfondir, se confronter à des problématiques, nécessitant des analyses fines et des échanges entre chercheurs. C’est ce que nous observons tous les jours dans tous les domaines de la science, qu’elle soit humaine ou physique et mathématique.

Mais, si le domaine de recherche laisse entrouverte une porte vers un inconnu, deux solutions s’offrent au chercheur : rester dans le domaine de la recherche scientifique en évitant d’entrer dans un domaine pour lequel il ne dispose pas des mêmes balises que celles qu’il utilise au quotidien, ou entrouvrir cette porte ou risque de découvrir un domaine dans lequel il n’est plus un chercheur mais un enfant, ouvrant pour la première fois, ses yeux sur le monde.

S’il choisit cette seconde voie, il va découvrir des choses qui ne relève plus de la science, mais de l’intuition voire de la spiritualité. Ce domaine n’a plus pour but l’acquisition de savoirs, mais l’accès à la connaissance. La connaissance pourrait être définie comme un ensemble constitué de savoirs et de foi. Là où le chercheur s’appuie sur des documents et sur des preuves, le cherchant (terme que j’utilise pour cherchant-Dieu va s’appuyer sur sa foi, c’est-à-dire sur une certitude qui n’a plus besoin d’autres preuves que celles que lui fournissent l’intuition, la logique et le désir de trouver Dieu.

Le catharisme : domaine des chercheurs et des cherchants

Le catharisme fait partie de ces domaines de recherche qui propose effectivement deux voies d’avancement, l’une strictement scientifique, basée sur des recherches de textes, des analyses, des exégèses, de tentatives de reconstitution de documents largement altérés en raison du caractère, qualifié d’hérétique de cette religion, l’autre plus intuitive visant à comprendre comment des hommes disposant déjà d’une religion officielle bien installée ont ressenti le besoin de la comprendre différemment de la multitude et de revenir aux origines de cette religion générale pour s’apercevoir qu’en fait elle avait pris un virage qui l’avait altérée, mais qu’il était possible de revenir dans le droit fil du message initial.

C’est pourquoi l’intérêt pour le catharisme impose à chacun d’être d’abord un chercheur scientifique, de façon à naviguer dans une forêt vierge, pleine de pièges, et où les chemins sécurisés sont largement masqués par la végétation. Nous sommes tous des chercheurs avant tout autre démarche, car contrairement au catholicisme le catharisme exige de nous, d’avancer les yeux ouverts et de ne pas être le charbonnier du dicton qui croit sans savoir.

Une fois ce travail accompli, l’étudiant en catharisme va devoir s’interroger sur ce qu’il veut faire de ce savoir. Pour cela, il va devoir déterminer sa position intellectuelle et spirituelle personnelle vis-à-vis de ce qu’il vient d’apprendre. Est-il simplement ému et sympathisant de ces pauvres personnes du Moyen Âge, qui ont vécu tant de vicissitudes, ou bien pense-il que le choix, éminemment dangereux et difficile qu’ils ont fait, était porté par des éléments de vérité que lui-même reconnaît comme valables. C’est arrivé à la croisée de ce chemin que le chercheur, décidera de demeurer chercheur ou bien envisagera de devenir cherchant.

Ce choix ne peut se faire si l’on n’est pas intimement imprégné de la philosophie et de la spiritualité cathare. Dans ce cas, il vaut mieux demeurer un chercheur, qui sera souvent de qualité pour la bonne raison que son travail sera relativement peu reconnu. Il sera néanmoins très utile pour l’ensemble de la communauté qui souhaite mieux connaître le sujet traité.

Mais si sa recherche éveille en lui un sentiment d’adhésion spirituelle au sujet étudié, il va alors comprendre qu’il est difficile, voire impossible d’être à la fois un chercheur de fond et un cherchant-Dieu, car cette dernière activité demande beaucoup de temps et d’investissement, ce qui réduit d’autant les capacités d’étudier les sources, les documents et de faire toutes les analyses que demande la recherche scientifique.

Le cherchant-Dieu

On observe de nos jours que beaucoup de personnes qui se réclament d’un courant spirituel, ou même qui considèrent en faire intégralement partie, sont en fait plus proche du statut de sympathisants que de celui de croyants. En effet, se dire croyant d’une religion revient à considérer que l’on accepte la doctrine de cette religion dans sa totalité. J’avais évoqué cela dans un travail précédent pour lequel j’avais utilisé des analogies avec un restaurant ou certains mangent à la carte et d’autres au menu. Le croyant mange au menu alors que le spirituel, non fixé sur une doctrine précise, mangera à la carte en choisissant les éléments doctrinaux qui lui semble convenir à sa vision des choses. Le premier peut légitimement s’attribuer le titre correspondant à la religion qu’il a rejointe intégralement alors que le second devra à son honnêteté intellectuelle de se déclarer simplement sympathisants ou spirituel, non rattaché, ce que l’on appelle habituellement agnostique.

Le catharisme est un christianisme authentique

Dans le catharisme, ces particularités sont encore plus prégnantes que dans d’autres religions chrétiennes. En effet, le catharisme est un christianisme authentique, ce qui veut dire qu’il considère que le christianisme d’origine est le seul valable. C’est ainsi que les cathares mettent en avant le seul commandement de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ». De la même façon, les cathares ont pas cédé aux tentations des catholiques en terme d’organisation de leur Église avec un système hiérarchique et tout un tas de rituels et de sacrements qui n’existaient pas initialement.

Ceci étant posé, le catharisme d’aujourd’hui ne peut en aucune façon renier; le catharisme médiéval, lui-même, suivait fidèlement le christianisme des premiers siècles. Les seules adaptations qui sont acceptables, comme elles l’ont toujours été, sont celles qui permettent d’adapter les pratiques quotidiennes en fonction des connaissances scientifiques d’aujourd’hui, ce qui n’avait pas cours à l’époque où elles ont été instaurées. C’est ainsi que nous reconnaissons aujourd’hui le poisson comme étant un animal et non un végétal, ce qui implique que nous ne pouvons pas en manger, contrairement à ce que faisaient nos prédécesseurs. Par conséquent, si un sympathisant ressent en lui l’émergence de la foi cathare, il lui faut s’interroger sur ce qu’il envisage de faire plus tard. Soit cet appel spirituel, lui semble encore trop faible pour lui permettre de surmonter les contraintes que la vie quotidienne va mettre devant lui, auquel cas il devra se considérer comme un sympathisant, capable ponctuellement d’adapter certains éléments doctrinaux à sa morale personnelle. Bien entendu, il ne pourra pas se déclarer croyant cathare à ce niveau. Soit l’appel spirituel est si fort que ce sympathisant ne peut plus envisager son avenir que dans l’avancement au sein de cette foi, dans le cadre de la religion qui existe aujourd’hui. Alors, il va chercher à approfondir sa compréhension spirituelle des éléments doctrinaux, même si certains lui seront encore difficile à mettre en œuvre pour tout un tas de raisons qui peuvent relever notamment de sa capacité intellectuelle à les intégrer à sa propre morale, mais avec l’intention à terme de surmonter ces écueils momentanés. Alors, il pourra se considérer comme croyant cathare et se rapprocher de personnes qui comme lui sont en situation d’avancement et qui peut-être pour certaines, lui sembleront plus avancées que lui, donc pourquoi pas aptes à le soutenir dans son propre avancement.

Le cheminement cathare se fait sur deux niveaux

Comme nous l’avons découvert dans nos recherches sur le Moyen Âge, nous savons que les cathares ne prétendaient pas détenir une quelconque vérité par eux-mêmes. Ainsi, même au sein des communautés de vie évangélique, même de la part des évêques, des diacres ou des anciens, nul ne pouvait prétendre décider si telle ou telle personne était à même d’être considérée comme croyante ou de recevoir la Consolation.

En fait, le processus se faisait toujours dans le sens inverse. C’est le croyant qui va demander à une communauté de vie évangélique de bien vouloir l’accueillir pour un noviciat et qui, au fil de sa formation et de son avancement spirituel, viendra un jour informer son ancien, le diacre ou l’évêque qu’il pense avoir reçu la Consolation spirituelle de la part du Saint-Esprit, seule entité apte à délivrer ce sacrement, comme nous le voyons très bien dans les Actes des apôtres. Alors, la communauté s’interrogera pour définir si le demandeur présente les signes les plus clairs possibles de la réalité de cette affirmation. S’il semble vraisemblable que cette affirmation est fondée, la communauté organisera la cérémonie mondaine de Consolation dont nous avons un exemple écrit dans le Nouveau Testament cathare. En cas de doute, la communauté échangera avec l’impétrant pour lui montrer les points qui lui semblent rendre discutable son affirmation, car il est très difficile de définir avec précision ce que l’on ressent spirituellement et que l’on ne peut exprimer qu’intellectuellement.

Ainsi, contrairement à ce que la plupart des historiens pensaient valable, ce ne sont pas les cérémonies organisées dans ce monde qui définissent l’état spirituel d’un croyant cathare. Elles constituent davantage des jalons que l’Église cathare met en avant aux yeux de la population sympathisante et croyante, de façon à organiser la communauté ecclésiale dans sa vie quotidienne. Nous ne manquons pas d’exemples, dans la littérature disponible, qui montrent que ces décisions ont parfois donné lieu à des erreurs par lesquelles des consolés cathares se sont avérés, plus tard, n’être même pas des croyants puisqu’ils ont abandonné l’Église au profit de celle des catholiques et certains ont même participé à la persécution l’Église cathare pour prouver leur fermeté dans la nouvelle spiritualité qu’ils venaient de rejoindre.

La porte étroite

Comment expliquer que certaines personnes de bonne foi se considèrent comme des croyants, voire comme des consolés, alors même qu’elles sont loin d’avoir intégré les éléments doctrinaux et pratiques que cela semble logiquement nécessiter.

La raison tient à une explication simple. Le passage de l’état de sympathisant à celui de croyant ouvre, à la personne concernée, une porte qui lui permet d’entrevoir l’autre côté du miroir. J’ai souvent cité comme exemple moderne pour illustrer ce phénomène, le film Matrix®, dont le héros principal va tout à coup découvrir qu’il existe un autre monde totalement ignoré qui révèle l’immense supercherie dont l’humanité est victime. J’ai aussi essayé de présenter cela en comparant le cheminement intellectuel et spirituel des hommes avec le cheminement cathare, de l’enfance à l’âge adulte. Certains sympathisants, comme des adolescents, pensent avoir découvert ce que les adultes maîtrisent, mais en vérité ils n’en savent rien, car seuls les adultes peuvent savoir ce que pense un adolescent, alors que l’inverse est faux. Et nous savons tous très bien qu’il est très difficile de le faire admettre à un adolescent qui prend cela comme une volonté de l’empêcher de grandir et d’accéder à ce qui est pour lui une sorte de Graal, à savoir les options accessibles aux seuls adultes.

Il n’est donc pas étonnant de voir aujourd’hui des individus ou des groupes se constituer autour d’une vision erronée du catharisme au simple motif qu’il pensent en savoir assez pour aller plus loin, mais sans se rendre compte que ce raisonnement erroné va les mener forcément vers un cheminement lui-même faussé qui risque au contraire de les éloigner durablement de la voie cathare.

Le cheminement cathare ne repose sur aucun élément mondain, que ce soit l’ancienneté, la maîtrise intellectuelle, la bonne volonté ou les témoignages d’amis qui pensant vous rendre service, vous poussent encore plus sûrement vers l’erreur. La seule chose que l’on peut faire pour ces gens, c’est d’essayer de leur expliquer les ressorts du cheminement spirituel, tout en acceptant que cela sera certainement sans effet, car considéré comme un rejet et non comme une aide réellement amicale et bienveillante. Dès lors, il ne sera pas possible de les empêcher de continuer dans ce cheminement erroné, même si l’on espère qu’un jour, ils en prendront conscience et reviendront vers un fonctionnement beaucoup plus traditionnel, car ces éléments d’avancement n’ont pas été mis en place par les cathares médiévaux de façon superficielle et erronée.

Je suis désolé de terminer sur une note qui peut sembler pessimiste à certains, mais il faut toujours conserver à l’esprit cette phrase attribuée à Christ : «  Il y aura de nombreux appelés mais peu d’élus. »

Guilhem de Carcassonne

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