L’esprit souffle où il veut

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L’esprit souffle où il veut

« L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » Évangile selon Jean, chap. 3, 8.

Dans notre monde, les notions les plus naturelles sont celles que nous pouvons formaliser concrètement, toucher du doigt comme on le dit. Même la philosophie traite de choses concrètes que l’on peut formaliser. C’est pour cela que nous sommes réticents à accepter que des personnes semblent manifester des compétences extra-sensorielles, car on ne peut pas les formaliser, c’est-à-dire les intégrer dans une des cases du tiroir que nous construisons pour expliquer le monde.

Mais le croyant sait intuitivement qu’il existe autre chose.

L’entretien de Jésus avec Nicodème dans l’Évangile selon Jean est très intéressant pour comprendre ce qui différencie celui qui est encore prisonnier du monde de celui qui a déjà lâché prise.

Naître d’en bas et naître d’en haut

Dans cet entretien avec Nicodème, Jésus dit être né d’en haut quand Nicodème est — selon lui —, né d’en bas. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de différencier celui qui est issu de l’empyrée divin, domaine de Dieu si l’on peut dire, de celui qui est contraint dans le monde terrestre.

Cela interroge de la part d’un texte issu du document de référence de l’Église catholique qui a fini par s’imposer à toutes les communautés judéo-chrétiennes, à savoir le Nouveau Testament. En effet, il semblerait que cette différenciation évoque deux mondes, donc deux créateurs, ce qui est incompatible avec le dogme judéo-chrétien.

Cette différenciation radicale apparaît ici ou là dans le texte :

« Personne s’il ne naît d’en haut ne peut voir le règne de Dieu. » (Jn 3, 3), « Ce qui est de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. » (Jn 3, 6).

Pourtant le dogme judéo-chrétien, matérialisé dans le credo (ou symbole) de Nicée-Constantinople, fait de Dieu le créateur du ciel et de la terre. De même, l’Ancien Testament et des écrits apocryphes relatent des rapports directs entre Dieu et un homme (Abraham, Isaïe, etc.). Il faut alors s’interroger sur la fiabilité de ces textes et se demander si le Dieu qu’ils évoquent est le même que celui que Jésus présente dans les évangiles.

Si être né d’en bas signifie être prisonnier de la matière alors que l’esprit-saint est lui né d’en haut, il faut en conclure que la matière semble avoir un pouvoir supérieur sur l’Esprit. C’est une impression erronée qui oublie une règle fondamentale de la théorie des principes, telle qu’elle nous est expliquée par Aristote. D’ailleurs, ce dernier explique les choses de façon plus précise dans Les analytiques. Si les principes sont préexistants en leur qualité de cause, il faut pour les saisir, admettre l’antériorité d’une connaissance qui permet de les comprendre. Le philosophe considérait que cette connaissance intuitive n’était pas un principe, ce qui ne remet pas en cause la nature des principes, mais qu’elle est l’apanage d’une catégorie d’êtres vivants limitée. Bien entendu, il inclut l’homme dans cette catégorie, car il porte en lui cette capacité à identifier les principes et à les différencier. Dans sa nature provisoire de mélange, l’homme, s’il met en œuvre cette connaissance, accède à cette capacité de séparation des principes. Mais s’il s’abstient de la mobiliser, il se trouve dans le même état que les animaux qui en sont dépourvus et qui n’ont, comme seule référence, que ce monde auxquels ils attribuent toutes les conséquences, bonnes ou mauvaises.

On peut donc dire que cette connaissance préalable aux principes est ce que les cathares appellent l’éveil. Cette connaissance préalable est ce qui fait de nous des « nés d’en haut ».

L’Esprit ne s’adresse qu’à ceux nés d’en haut

Contrairement à l’imagerie populaire, il n’y a pas de dimension physique pour situer l’empyrée divin. Contrairement à ce monde que nous saisissons dans sa dimension physique, l’empyrée divin est partout où se trouvent les parcelles spirituelles que nous croyons détachées de l’Esprit unique. Contrairement aux dires le royaume de Dieu est au-dedans de nous (Lc, 17, 21).

Par conséquent nous devons comprendre que notre parcelle (l’esprit-saint prisonnier dans notre corps) n’est pas séparée de l’Esprit unique, mais qu’il en est une sorte d’extension, momentanément affaiblie par sa prison mondaine. Aussi, quand nous serons éveillés et prêts à aller vers le Père, ce cheminement sera spirituel et grandira d’autant plus que nous abandonnerons le monde comme l’homme qui fait remarquer que le respect des commandements vétéro-testamentaires ne suffit plus à son désir de salut. À la réponse qui lui est faite : « Une chose te manque : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. » (Lc 18, 22), l’homme renonce, préférant son inconfort spirituel à l’inconfort matériel. Et nous ne pouvons qu’y reconnaître notre propre démarche, car nous aussi sommes réticents à changer de comportement pour adopter celui du détachement, comme le fit le fils prodigue.

Pourtant nous ne pouvons pas chercher l’excuse de la non-réception du message divin, car comme le dit Jean : « Le jugement, c’est que la lumière est venue en ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Ce qui était vrai au premier siècle est toujours valable aujourd’hui. Aussi la plupart préfèrent suivre des guides qui proposent un système spirituel copié sur le système mondain avec des préférés et des rejetés, des saints et des impies, des croyants et des hérétiques en promettant le salut sans effort à ceux qui les suivent.

Donc, si l’Esprit souffle sur tous ceux nés d’en haut, il n’en atteint vraiment que très peu à chaque génération, « car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » (Matth. 22,14) et que les prédicateurs ne sont pas entendus, car comme l’a dit Christ : « aucun prophète n’est accueilli par sa patrie. » (Lc 4, 24). Cela explique très bien que les gourous de tout poil ont de grandes facilités à trouver des adeptes, alors que les prédicateurs humbles et respectueux n’attirent au mieux, que des quolibets. Mais, cela ne rend que plus respectables celles et ceux qui dans cette adversité arrivent à maintenir la qualité de leur foi et la rigueur de leur pratique spirituelle.

Cet échange entre Jésus et Nicodème met aussi l’accent sur la mission de Christ.

Faire le choix du salut

« Le peuple parla contre Élohim et contre Moïse […] Iahvé envoya contre le peuple les serpents brûlants et ils mordirent le peuple : beaucoup moururent du peuple d’Israël. […] Moïse intercéda pour le peuple et Iahvé dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une hampe : quiconque aura été mordu et le verra, il vivra ! » Moïse fit donc un serpent d’airain et le plaça sur la hampe. » (Nb 21, 6-9). Ce texte original de l’Ancien Testament montre un Dieu violent qui tue son peuple quand celui-ci se plaint de ses conditions de vie dans le désert, puis qui consent à proposer une solution pour limiter le nombre de victimes lié à son propre comportement. Le Nouveau Testament utilise ce document dans un tout autre usage. Il prétend que Christ doit être lui aussi utilisé comme antidote à la maladie mortelle des hommes : l’absence de foi sincère.

D’un point de vue cathare, cette vision sacrificielle est incompréhensible, car Christ est venu nous orienter par la raison et non nous sauver par magie et encore moins en se sacrifiant lui-même. Quant à la cause de notre situation, elle n’est pas le fait de Dieu, comme c’est le cas de Iahvé dans l’histoire du serpent d’airain, mais le fait du démiurge qui nous a emprisonné ici-bas.

Et ce salut que nous propose Christ n’est pas un jugement, car le jugement ne peut intervenir que si l’on agit en contradiction avec sa nature. Étant des parties de l’émanation divine, suivre la voie divine ne donne prise à aucun jugement alors que la renier porte en soi le jugement de l’erreur que nous commettrions. Le problème qui nous met en difficulté est la puissance de contrainte qu’exerce sur nous la part mondaine qui nous emprisonne et nous pousse vers le mal.

Pourquoi Nicodème, de par sa situation au sein du judaïsme, défend-il la vision victimaire des hébreux dans le désert ? C’est par son héritage polythéiste et anthropomorphique des religions égyptienne, babylonienne et de leur origine indo-européenne, qu’il ne peut concevoir l’organisation spirituelle que comme un miroir de l’organisation temporelle du monde. Et dans cette vision, il convient de choisir un camp et de s’opposer aux autres. Mais, il semble bien avoir été ébranlé dans ses convictions par cette pensée religieuse totalement détachée du monde et entièrement tournée vers la Bienveillance. Là où les judéo-chrétiens voient un sacrifice quand le juste est martyrisé par les autres, le chrétien authentique voit un accident inévitable pour qui met en œuvre la Bienveillance dans un monde qui ne connaît que la violence. On s’étonnait que les victimes des bûchers de la croisade et de l’Inquisition aient pu avancer vers leur supplice en chantant. Mais là où les ignorants croyaient voir du fanatisme, il n’y avait que la volonté de réussir le retour vers Dieu, malgré une méthode violente contre laquelle ils n’avaient que leur amour à opposer.

Choisir entre la lumière et les ténèbres

Nous aussi nous devons nous interroger sur ces deux points essentiels.

Devons-nous choisir de privilégier notre nature spirituelle dont nous sentons profondément la cohérence et l’évidence ou devons-nous continuer sur la voie des ténèbres qui nous pousse de plus en plus à devenir ce qui nous fait horreur ?

Devons-nous nous satisfaire des demi-mesures que nous proposent ces religions qui tentent de s’adapter au monde ou celles qui poussent à rejeter les autres au nom d’un élitisme égocentré ou devons-nous considérer que l’avenir n’est ni connu, ni prévisible au risque d’échouer si la mort vient nous saisir à l’improviste ou devons-nous considérer que notre travail vers le salut doit commencer ici et maintenant et se poursuivre sans interruption jusqu’à l’heure voulue par notre destinée mondaine ? Pour reprendre l’image néotestamentaire, prenons-nous le risque de nous endormir avec la lampe éteinte ou de l’approvisionner de façon insuffisante au risque d’être rejeté par le fiancé où faisons-nous le choix de la préparation et de la rigueur pour ne pas rester à la porte ? (Matth. 25, 1-13).

Si nous ne faisons pas le bon choix nous péchons contre notre nature spirituelle et ce péché nous oblige à échouer et à retomber dans la mal une fois de plus sans savoir quand nous pourrons être de nouveau en état de changer de vie.

Si nous voulons en finir avec ces cycles infernaux, nous devons changer de vie et renoncer au monde. Notre seule lanterne doit être le commandement unique de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. ». Le mettre en œuvre exige de ne pas cheminer seul, mais de mettre nos efforts en commun pour arriver à la connaissance du Bien (l’entendenza del Be des cathares médiévaux) et de poursuivre cet effort sans faiblir dans le cadre de notre ecclésia qui nous instruit et nous soutient.

Plus nous tarderons à faire ce choix, plus notre errance dans ce monde sera difficile, car la fuite des esprits-saints ayant réussi à partir provoque naturellement l’approfondissement de la nature maligne du monde ce qui rend le cheminement encore plus difficile et douloureux.

Publié le 15 décembre 2024 par Guilhem de Carcassonne

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