Évangile de Marie- Madeleine
Cet écrit dit gnostique, daté du Ve siècle, mais dont la première rédaction aurait été élaborée au cours du deuxième siècle, est le premier des quatre textes du codex de Berlin — papyrus conservé au Neues Museum de Berlin —, contenant des textes chrétiens apocryphes écrits en copte.
Présentation
D’autres textes découverts au cours du XXe siècle reprennent le contenu de ce papyrus :
- Le papyrus Ryland 463 (daté du IIIe siècle)
- La bibliothèque de Nag Hammadi (qui reprend d’autres textes du codex de Berlin)
- Le papyrus d’Oxyrhynque 3215
Sur les 45 livres ou traités découverts dans la bibliothèque copte de Nag Hammadi, Marie-Madeleine (Marihamm en copte) et les Saintes Femmes sont présentées dans plusieurs d’entre eux : l’Évangile selon Thomas, Le dialogue du Sauveur, l’Évangile selon Philippe, La sagesse de Jésus- Christ et quelques autres. Étant donnée la position de l’Église catholique romaine à l’égard de la femme et le rôle qu’elle comptait lui réserver dans l’Histoire, on comprend facilement que ces textes n’aient pas été adaptables dans leur canon.
L’Évangile de Marie Madeleine a subi plusieurs réécritures au cours de sa transmission. Il peut être dit gnostique dans le sens où il est pour une part la révélation d’un enseignement caché donné à Marie-Madeleine par Jésus Christ. Il aborde le mystère de Dieu, de la matière, du Bien et du Mal et de l’origine du monde. Il peut être divisé en deux parties : la première portant sur l’enseignement de Jésus Christ à ses disciples, et la seconde sur les révélations de Marie-Madeleine après le départ de ce dernier.
Le texte présenté ici est une traduction française du XIXe siècle. On y retrouve bien ces deux parties. Á partir de la page 9, Jésus n’étant plus parmi eux pour les guider, c’est Marie-Madeleine qui en quelque sorte prend le relais. Cette situation pouvait donc paraître tout à fait « révolutionnaire » dans la société de l’époque. Je me propose ici d’étudier la « modernité » de ce texte et d’en tenter une lecture cathare. Les premières pages n’ont pas été retrouvées.
Analyse
Page 7 :
Au sujet de la matière
1 – « Qu’est-ce que la matière ? Durera-t-elle toujours ?
3 – Le Maître (Jésus) répondit : « Tout ce qui est né, tout ce qui est créé, tous les éléments de la nature sont imbriqués et unis entre eux.
7 – Tout ce qui est composé sera décomposé ; tout reviendra à ses racines ; la matière retournera aux origines de la matière ».
L’argument ici, est bien en accord avec le concept cathare de la matière. L’on sait évidemment que toute matière est vouée à disparaître par son absence d’Être. Ce qui ne périt pas est la part divine qui est en chacun de nous. Dans l’Évangile de Thomas, autre écrit apocryphe, le logion 29 expose un inépuisable questionnement :
L 29 – Jésus a dit : « Si la chair est advenue à cause de l’Esprit, merveille, si c’est l’Esprit à cause du corps, merveille des merveilles ! Mais moi je m’étonne de ceci : comment cette grande richesse a habité en cette pauvreté? »
Au sujet du péché
11- « Pierre lui dit : « Puisque tu te fais l’interprète des évènements et du monde, dis-nous : qu’est-ce que le péché du monde ?
14 – Le Maître : c’est vous qui faites exister le péché lorsque vous agissez conformément aux habitudes de votre nature adultère, là est le péché. […]
23 – Il continua et dit : voici pourquoi vous êtes malades et pourquoi vous mourrez, c’est la conséquence de vos actes […] ».
Le concept de péché est à peine ébauché ici, et semble en même temps suggérer plusieurs acceptions. Si on l’approche du logion 28 de l’Évangile de Thomas, nous décrivant ce même Adam primordial, la maladie et la mort peuvent être l’allégorie de l’impiété : « Je me suis tenu debout au milieu du monde, et je me suis manifesté à eux dans la chair ; je les ai trouvés tous ivres ; je n’en ai trouvé aucun d’entre eux qui eût soif. Et mon âme s’est affligée pour les fils des hommes, parce qu’ils sont aveugles dans leur cœur et n’arrivent pas à voir ; ils sont venus vides dans le monde et c’est vides aussi qu’ils cherchent à en sortir ; mais en ce moment ils sont ivres. Quand ils auront rejeté leur vin, alors ils se convertiront. » Cet Adam primordial pèche par ignorance, pèche de tout son corps et son cœur malade. Et l’on doit comprendre « malade » ici, pour l’être peu sûr de sa foi, comme l’on doit comprendre leur mort (« vous mourrez ») pour l’être ayant perdu la foi. Avec Jean, le concept de péché implique la connaissance et l’éveil. Il ne s’agit plus d’un Adam primordial, mais bien de l’être humain doté d’une conscience, tel qu’on le rencontre dans l’Évangile de Jean 15, 22
Jésus dit :
« Si je n’étais pas venu, si je ne leur avais pas adressé la parole, ils n’auraient pas de péché ; mais à présent, leur péché est sans excuse. Celui qui me hait, hait aussi mon Père. Si je n’avais pas fait au milieu ces œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché : mais à présent qu’ils les ont vues, ils continueront à nous haïr et moi et mon Père. »
Ou encore, s’adressant aux pharisiens : ( Jean : 8-41) « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : nous voyons. Votre péché demeure ».
Pour les cathares, la notion de péché ne concerne que les chrétiens revêtus.
Page 8
Laisser mourir l’Adam en nous pour donner sa place au Christ
Les dernières recommandations de Jésus telles qu’elles sont décrites ici ont une réelle connotation cathare : « L’attachement à la matière engendre une passion contre nature. Le trouble naît. Si vous êtes déréglés, inspirez-vous des représentations de votre vraie nature. […] Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ». Après avoir dit cela, le Bienheureux les salua tout en disant : « Paix à vous, que ma Paix naisse et s’accomplisse en vous ! Veillez à ce que personne ne vous égare en disant : « Le voici, Le voila ». Car c’est à l’intérieur de vous qu’est le Fils de l’homme ; allez à lui : ceux qui Le cherchent Le trouvent. En marche ! Annoncez l’Évangile du Royaume ».
On notera que l’on retrouve cette même expression au sujet du royaume de Dieu chez Luc. 17, 20-21 : « Le règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas : Le voici ou le voilà. En effet, le règne de Dieu est parmi vous ».
Enfin pour les cathares, nous le savons tous, Dieu n’est pas de ce monde mais nous en restons liés par cette parcelle de Bien en chacun de nous qui constitue notre consubstantialité. On ne peut aimer la matière, on ne peut aimer le monde, car notre vraie nature est d’être une part du tout.
Page 9
La foi inébranlable de Marie-Madeleine
« N’imposez aucune règle, hormis celle dont je fus le Témoin. N’ajoutez pas de lois à celles de celui qui a fait les lois, afin de ne pas en devenir les esclaves ».
Ayant dit cela, il partit.
Les disciples étaient dans la peine ; ils versèrent bien des larmes, disant : « Comment se rendre chez les païens et annoncer l’Évangile du Royaume du Fils de l’homme ? Ils ne l’ont pas épargné, comment nous épargneraient-ils ?
12 – Alors Marie se leva, elle les embrassa tous et dit à ses frères :
14 – « Ne soyez pas dans la peine et le doute, car sa Grâce vous accompagnera et vous protègera.
16 – Louons plutôt sa grandeur, car Il nous a préparés.
18 – Il nous rappelle à devenir pleinement des êtres humains
19 – Par ces paroles, Marie tourna leurs cœurs vers le Bien ;
20 – ils s’éclairèrent aux paroles du Maître […] »
Comme on le rencontre à plusieurs reprises dans les évangiles synoptiques, Jésus se heurte souvent à l’incompréhension et à la foi peu assurée de ses disciples. Sans lui, leur confiance de nouveau vacille. C’est Marie-Madeleine qui par sa propre foi trouve l’énergie nouvelle à leur insuffler. Devenir pleinement des êtres Humains signifie ici pour les disciples, je pense, se consacrer à leur vie spirituelle d’apôtres dans la mission que leur a confiée Christ avant son départ. Ils ne sont plus de simples croyants mais des chrétiens en devenir par la grâce de l’apostolat, le cœur définitivement tourné vers le Bien. Ce dernier terme prend alors, dans ce cas précis toute La dimension spirituelle que lui confère le catharisme : Devenir être humain c’est laisser grandir Christ en nous.
Page 10
Au sujet de l’Esprit et de l’âme
Jésus ayant quitté la terre, à partir de cette page les paroles rapportées sont celles de Marie-Madeleine qui va offrir aux autres disciples l’enseignement privilégié reçu de Christ.
17 – Alors je lui dis : « Seigneur, dans l’instant, celui qui contemple ton apparition, est-ce par l’âme qu’il voit ? Ou par l’Esprit ?
22 – Le Maître répondit : — Ni par l’âme ni par l’Esprit ; mais l’intellect étant entre les deux, c’est lui qui voit… »
Le terme d’« apparition » nous suggère ici le docétisme de Jésus Christ. Il est exprimé encore plus clairement dans la traduction d’Anne Pasquier (Université de Montréal, Canada) :
« Pierre dit à Marie : — Sœur, nous savons que le Sauveur te préférait aux autres femmes, rapporte-nous ses paroles, celles que tu connais et que nous n’avons pas entendues. Marie dit :
— Ce qui ne vous a pas été donné d’entendre, je vais vous l’annoncer, et elle se mit à leur tenir ces propos : — Moi, dit-elle, je vis le Seigneur en vision et lui dit : — Seigneur, je t’ai vu en ce jour en vision. Il me répondit : — Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue car, là où est l’intellect, là est le trésor ».
Je pense qu’ici la terminologie des concepts « âme », « esprit » et « corps » sont compris dans un pur sens gnostique que je ne m’aventurerais pas à commenter, faute de savoirs sur le sujet. Je comprends ainsi : l’intellect, ou la raison (le « noûs » grec), est ce qui permet d’accéder au Bien. Ce n’est pas la foi qui permet l’union avec le divin, mais le raisonnement. Rappelons-nous que pour les Grecs, l’intelligence était la partie divine de l’âme, celle qui permettait d’accéder au Principe premier. On notera, chez les gnostiques comme chez les cathares, ce fond de philosophie helléniste toujours présent. Ce qui est intéressant enfin dans cet évangile, c’est de pouvoir penser une image de Marie-Madeleine tout à fait différente de celle construite par l’Église catholique romaine, et à sa suite, par les arts qui l’imiteront. Mais ceci est l’objet d’un autre propos que je me propose d’ouvrir un peu plus tard. Nous sommes ici en présence d’une femme, amie de Jésus-Christ, disciple parmi les disciples et apôtre, et non caricature d’une femme axée sur la pécheresse pleureuse selon la théologie du repentir, ou encore prostituée tentatrice aux longs cheveux roux, épars, au corps à demi dénudé dans des poses lascives, comme l’ont représenté la plupart des peintres dans l’histoire.
Les quatre pages suivantes n’ont pas été retrouvées.
Page 15
Vision gnostique du voyage de l’âme
Madeleine transmet aux disciples l’enseignement reçu en vision. Elle présente un exposé cosmogonique composé d’âme (psyché), d’esprit (pneuma) et situé entre les deux, l’intellect (noûs) ayant la capacité de réunifier l’humain intérieur et susciter l’union spirituelle avec le Seigneur. Elle dévoile aux disciples (15, 1 à 17, 9) sous la forme d’un voyage vers le monde d’en-haut, les sept embûches que les puissances du Mal tentent de dresser devant l’âme qui s’efforce de parvenir à la connaissance.
« Je ne t’ai pas vu descendre, mais maintenant je te vois monter » dit le Désir,
Pourquoi mens-tu, puisque tu fais partie de moi ?
L’âme répondit :
— Moi, je t’ai vu,
Toi, tu ne m’as pas vue.
Tu ne m’as pas reconnue ;
J’étais avec toi comme un vêtement,
Et tu ne m’as pas sentie ».
Ayant dit cela, elle s’en alla toute joyeuse.
Puis se présenta à elle la troisième atmosphère
Appelée Ignorance ;
Celle-ci interrogea l’âme, lui demandant :
« Où vas-tu ?
N’as-tu pas été dominée par un mauvais penchant ?
Oui, tu étais sans discernement, et tu as été asservie ».
L’âme dit alors : — Pourquoi me juges-tu ? Moi je n’ai pas jugé.
On m’a dominée, moi je n’ai pas dominé ;
On ne m’a pas reconnue,
Mais moi, j’ai reconnu que tout ce qui est composé sera décomposé sur la terre comme au ciel ».
Marie décrit les différents stades de l’ascension de son âme pour accéder à la Vérité divine. Elle expose la vision intérieure au cours de laquelle l’âme se libère du désir par prise de conscience de la présence de ce désir. La confrontation avec l’ignorance se produit de la même manière. C’est en prenant conscience de notre ignorance, par l’introspection et l’étude que l’âme spirituelle peut agir pour se libérer. Cette méthode est familière au cheminement cathare.
Page16
Voyage de l’âme suite
Libérée de cette troisième atmosphère, l’âme continua de monter.
Elle aperçut la quatrième atmosphère.
Elle avait sept manifestations.
La première manifestation est Ténèbres ;
La deuxième, Désir ;
La troisième, Ignorance ;
La quatrième, Jalousie mortelle ;
La cinquième, Emprise charnelle ;
La sixième, Sagesse ivre ;
La septième, Sagesse rusée.
Telles sont les sept manifestations de la Colère qui oppriment l’âme de questions.
« D’où viens-tu homicide ?
Où vas-tu vagabonde ? »
L’âme répondit :
— Celui qui m’opprimait a été mis à mort ;
Celui qui m’étreignait n’est plus ;
Mon désir alors s’est apaisé
Et je fus libérée de mon ignorance ».
Mise à part le flou quant à la nature de l’âme décrite ici, on peut tout à fait la rapprocher de l’âme spirituelle (encore appelée esprit saint) prisonnière de l’âme mondaine. Cette dernière élaborant tous les sentiments pernicieux décrits ci-dessus, dans le seul but d’éviter la libération de la première.
Pour les gnostiques, dans la hiérarchie céleste, les Puissances (nommées ici « atmosphères ») forment le quatrième niveau entre d’une part les Séraphins, les Chérubins et les Trônes, et, d’autre part, les Dominations, les Vertus, les Principautés, les Archanges et les Anges.
Bien que ce paradigme soit propre à la cosmogonie gnostique, on peut rapprocher ce voyage de l’âme au parachèvement du lâcher-prise cathare, quand le chrétien libéré de toute activité émotionnelle pourra parvenir à l’ataraxie. Cet état singulier que j’imagine juste avant le Salut (ou retour au Père) se résume dans le verset qui suit : « Je vais au silence ».
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Où transparaît Le conflit latent à l’intérieur du christianisme
6 – Je vais au silence. »
7 – Après avoir dit cela, Marie se tut.
8 – C’est ainsi que le Maître s’entretenait avec elle.
9 – André prit alors la parole et s’adressa à ses frères :
10 – « Dites, que pensez-vous de ce qu’elle vient de raconter ?
11 – Pour ma part, je ne crois pas que le Maître ait parlé ainsi ;
12 – Ces pensées diffèrent de celles que nous avons connues.
13 – Pierre ajouta :
14 – « Est-il possible que le Maître se soit entretenu
16 – ainsi, avec une femme,
17 – sur des secrets que nous, nous ignorons ?
18 – Devons-nous changer nos habitudes,
19 – écouter cette femme ?
20 – L’a-t-Il vraiment choisie et préférée à nous ? »
Les paroles de Marie-Madeleine suscitent une violente réaction d’André, puis de Pierre, trahissant leur vive réserve à l’égard des femmes, et tout simplement, leur vision androcentrique du monde, largement partagée évidemment à l’époque. Pierre refuse de croire que le Sauveur ait pu transmettre un enseignement à une femme à l’insu de ses disciples. Le conflit entre Pierre et Marie est représentatif du rejet de la femme par l’Église officielle ; Marie représente ce courant égalitaire, pratiqué chez les gnostiques (ainsi que dans les communautés pauliniennes et ensuite chez les cathares), courant beaucoup trop dangereux au regard de l’Église catholique pour que ses grands penseurs ne daignent faire cas de ces simples paroles de Bienveillance contenues dans la lettre aux Galates. 3, 28 : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. »
Les grands penseurs de cette Église ne pouvant décemment faire abstraction de ces écrits pauliniens, trouvèrent alors le moyen de les noyer dans des contrefaçons et falsifications telles que la lettre 1 aux Corinthiens (11, 5-16), (14, 34-35), ou la lettre 1 à Timothée (2, 11-15).
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« L’être humain dans son intégrité »
1 – « Alors Marie pleura.
2 – Elle dit à Pierre :
3 – Mon frère Pierre, qu’as-tu dans la tête ?
4 – Crois-tu que c’est toute seule, dans mon imagination,
5 – que j’ai inventé cette vision ?
6 – u qu’à propos de notre Maître je dise des mensonges ? »
7 – Lévi prit la parole :
8 – « Pierre, tu as toujours été emporté ;
9 – je te vois maintenant t’acharner contre la femme,
10 – comme le font nos adversaires.
11 – Pourtant, si le Maître l’a rendu digne,
12 – qui es-tu pour la rejeter ?
13 – Assurément, le Maître la connaît très bien
14 – Il l’a aimée plus que nous.
15 – Ayons donc du repentir,
16 – et devenons l’être humain dans son intégrité ;
17 – laissons-Le prendre racine en nous
18 – et croître comme Il l’a demandé.
19 – Partons annoncer l’Évangile
20 – sans chercher à établir d’autres règles et d’autres lois
21 – en dehors de celles dont Il fut le Témoin. »
Le choix du terme « être humain dans son intégrité » montre encore une fois les liens étroits qu’entretenaient les gnostiques avec la philosophie helléniste, en préférant le terme « être humain » à celui d’ « homme » plus connoté. Pour se transporter dans la pensée cathare, il nous suffit simplement de remplacer « l’être humain dans son intégrité » par « Christ ». Le message est limpide : « Devenons Christ dans son intégrité ; laissons-Le prendre racine en nous et croître comme Il l’a demandé ».
Page 19
Les différentes lectures de cet Évangile
« Dès que Levi eut prononcé ces mots,
Ils se mirent en route pour annoncer l’Évangile. »
Bien que pendant des siècles l’Histoire fut écrite selon un parti pris androcentrique, selon un axe d’étude qui reposait sur les concepts de séparation et de hiérarchie entre les races, les sexes, les classes sociales… c’est une grande consolation de rencontrer parfois à travers le temps des esprits éclairés pensant autrement. Bien qu’ils ne furent pas nombreux, en religion comme dans les autres domaines, l’apôtre Paul ne fut pas le seul et c’est avec délice que j’ai découvert ces dires de Saint Thomas d’Aquin : « Il faut noter aussi le triple privilège qui fut octroyé à Madeleine. D’abord un privilège prophétique, car elle a mérité de voir les anges. Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait qu’elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher. Enfin, elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue « apôtre des apôtres » en ceci qu’il lui fut confié d’annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur ».
Bien avant lui déjà, le poète Romain le Mélode (493-560) avait ouvert la voie. Pour ce dernier, Madeleine avait bien pour mission « d’éveiller les disciples qui n’avaient rien compris ». Dans son hymne 40 sur la Résurrection, il fait dire à Jésus : « Va Marie, rassemble mes disciples… éveille-les tous comme d’un sommeil afin qu’ils viennent à ma rencontre avec des flambeaux allumés… »
Pour en finir avec les légendes autour de Marie-Madeleine, la théologienne Sylvaine Landrivon a revisité pour nous la Bible et en a tiré des enseignements très intéressants que je me propose de vous présenter maintenant. Vous pourrez retrouver les détails de son analyse dans son précieux travail intitulé « Marie-Madeleine, la fin de la nuit » (Ed du Cerf, 2017).
Pour comprendre comment cet amalgame, cette confusion entre trois femmes a perduré dans le temps, la théologienne est remontée dans l’Histoire. Nous avons donc une femme anonyme pécheresse, Marie de Béthanie amie de Jésus chez qui il logeait volontiers, et enfin, Marie –Madeleine (dite de Magdala) que nous rencontrons dans de nombreux passages des évangiles, mais jamais nommée dans les épisodes-clés qui suivent.
En fait la responsabilité de cette confusion qui n’a rien d’innocent est l’œuvre avant tout de Grégoire le Grand.
Grégoire le Grand (540-604) Père et quatrième docteur de l’Église catholique voulant mettre en place une théologie du repentir dans une Rome traversée par une série de crises graves (peste inguinaire, invasions lombardes) exposa son programme dans les homélies XXV et XXXIII. Il rassembla tous les passages des évangiles où apparaissent des femmes autres que la vierge Marie et réunit en une seule femme la pécheresse décrite par Luc et les différentes Maries autour de celle qui est « remplie de tous les vices », traduction un peu rapide du texte (nous dit Sylvaine) qui dit que Jésus avait chassé de cette femme « sept démons ». Inconnu des évangiles, créé de toutes pièces pour illustrer la théologie de la pénitence et l’humanité sauvée du péché, ce nouveau personnage allait sceller le sort de la femme selon la vision catholique pour des siècles. Elle se nommait Marie-Madeleine.
Si l’on s’appuie sur les évangiles pour étudier la scène de l’onction, chez Marc (14, 3-9) comme chez Matthieu (26, 6-13) cette scène se passe chez Simon le lépreux à Béthanie : il s’agit d’une femme anonyme, et l’onction sur la tête de Jésus illustre une préparation de la Passion qui approche. Avec Luc (7,36-50), la scène se déroule chez Simon le Pharisien. La femme est qualifiée de pécheresse et l’onction a lieu sur les pieds et non pas sur la tête. Mais comme chez Marc et chez Matthieu, elle n’est pas nommée. Pourquoi alors Luc ne l’a –t-il pas nommée dès cette scène, s’interroge Sylvaine, alors qu’elle apparaît sous son propre nom quelques versets plus loin (8,1b-2) « Les Douze étaient avec lui, et aussi des femmes qui avaient été guéries d’esprit mauvais et de maladies : Marie dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons…»
Avec Jean (12,1-7), la scène de l’onction sur les pieds de Jésus, est le fait de Marie de Béthanie, sœur de Lazare, acte de préparation de la Passion sans conteste possible, puisque nous avons en 12, 7 : « Jésus dit alors : « Laisse-la ! Elle observe cet usage en vue de mon ensevelissement ».
L’Évangile de Jean n’attribue donc aucun crédit à cet amalgame de personnages féminins. Au contraire, le narrateur fait de Marie-Madeleine une disciple comparable à la vierge Marie dans sa fidélité et dans sa foi. Ce n’est pas, finalement, sa position de première témoin de la Résurrection (selon la croyance catholique) et envoyée pour transmettre la nouvelle qui fait qu’on peut la nommer « disciple des disciples ». Mais c’est plus sûrement sa foi inébranlable, son humilité et sa discrétion qui tout en la rendant moins présente que les Douze, font finalement d’elle un être réellement rempli d’Amour, être humain dans son intégrité ou esprit éveillé, relais entre Christ et les humains.
Pour tous ceux, toutes celles, qui savent que l’ensemble des êtres humains, races, genres, classes sociales confondus sont dans l’Agapè de Dieu, principe du Bien, pour tous ceux-là, Marie-Madeleine est une lumière sûre dans la nuit que l’on ne peut réduire à l’image étriquée d’une théologie moralisatrice du péché- contrition- rédemption telle qu’on la trouve dans l’Évangile de Luc.
Petite bibliographie
« Marie-Madeleine, la fin de la nuit », Sylvaine Landrivon, Ed Cerf,2017
« L’Évangile de Marie, Myriam de Magdala », Jean-Yves Leloup
« L’Évangile de Marie-Madeleine », Daniel Meurois
« Hymne 40 à la Résurrection », Romain le Mélode.
De nombreux auteurs ont écrit sur cet Évangile ces dernières années.
Chantal Benne 02/02/2025