Période médiévale. Les pauliciens

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3 – 1 – Période médiévale

Il est impossible de comprendre quoi que ce soit au christianisme et aux religions qui s’en réclament si l’on n’étudie pas l’histoire et les religions qui ont participé à son avènement.

Les pauliciens

L’invasion arabo-musulmane de la Syrie-Palestine

Comme souvent quand la période est calme, nous n’avons que peu d’information sur la situation politique en Syrie-Palestine[1] du 5e et 6e siècle.
Depuis le 4e siècle, la zone est considérée comme une terre sacrée et Constantin, sous l’influence de sa mère Hélène y a fait détruire les temples païens, remplacés par des édifices chrétiens, notamment à Bethléem. Au 6e siècle, les chrétiens sont majoritaires, aux côtés d’une minorité juive et d’Arabes polythéistes (non-islamisés) de la communauté samaritaine.

À l’aube du 7e siècle, la Syrie-Palestine est donc une zone administrée par l’empire byzantin, mais depuis l’avènement de l’empereur Théodose 1er c’est le christianisme catholique romain qui détient le pouvoir de police et de justice religieuse, ce qui lui permet de pourchasser tous les courants chrétiens considérés comme hérétiques, dont le plus important de tous : le marcionisme.
Les musulmans s’intéressent à cette zone car, selon leurs textes, Muhammad (Mahomet) y aurait été transporté de nuit (isra’) depuis la Mecque et y aurait fait son ascension (mi’radj) au paradis.
Après avoir conquis l’Arabie (622-633), ils vont s’intéresser à ce territoire dominé par l’empire byzantin. Un triple objectif va conduire à cette conquête par les califes après la mort du prophète : religieux (jihad), politique (accroissement du pouvoir de l’Islam) et économique (augmentation des rentrées financières prélevées sur les territoires conquis).
En 634, le général Khalid ibn al-Walid entreprit la conquête de la Syrie-Palestine qui sera achevée par le calife Umar (Omar) ibn al-Khattab après la bataille de Yarmouk en Syrie (636).
Les habitants se soumirent de bonne grâce à cette invasion, malgré un siège de Jérusalem qui dura deux ans, car ils considéraient l’empereur byzantin comme un tyran et les envahisseurs leur offrirent un statut privilégié.
Le calife Umar leur proposa un statut particulier aux « gens du livre » (dhimmis) qui leur permis de continuer à pratiquer leur religion à condition de payer un impôt per capita (individuel), la djezya. En échange il leur accordait la protection de leurs personnes, de leurs biens, de leurs maisons et de leurs églises.
Bien entendu, l’administration byzantino-catholique fut remplacée et les persécutés religieux eurent le choix de partir, de devenir des dhimmis ou de se convertir, ce que firent assez rapidement de nombreux habitants de la zone.

Le diacre et le païen

« Or un diacre prisonnier en Syrie, qui regagnait son pays, à ce que nous avons appris de bonne source, arriva à Mananalis… »
Cette phrase est issue de l’histoire de Pierre de Sicile[2], récit de l’envoyé byzantin auprès des pauliciens de Téphrikè pour négocier un échange de prisonniers de guerre byzantins détenus par les pauliciens.
Que nous dit l’auteur sur son ambassade ? Il se vante d’être de culture lettrée limitée. Au début il considère les pauliciens, à l’instar de l’avis officiel des chrétiens catholiques byzantins, comme des hérétiques manichéens. Son ambassade est datée du début du règne de Basile 1er (811-886) dont le règne a débuté en 867. Il fait preuve d’une grande méfiance envers ces hérétiques réputés pour la qualité de leurs discours auxquels il ne voit que le silence à opposer.
Il note que les pauliciens rejettent Manès et Paul de Samosate et il n’a pas de mots assez forts pour les couvrir d’opprobre quand il évoque leur doctrine, très proche de celle de Marcion. Malgré tout, en conformité avec les accusations de l’Église catholique, il les assimile aux manichéens dont il rappelle la doctrine et les pratiques en les dévalorisant jusqu’à la caricature.
Pourtant il reconnaît que les pauliciens n’ont que deux livres de référence : l’Évangile et le saint livre de l’Apôtre[3]. Après avoir consacré 93 chapitres à l’anathème des pauliciens, Pierre de Sicile nous livre maintenant la version des pauliciens concernant leur histoire.
Du temps de l’empereur Constantin[4], petit-fils d’Héraclius, un arménien du nom de Constantin vivait à Mananalis, dans la zone de Samosate — en fait il s’agit d’Asmosate (Arsamosate) — située sur un bras de l’Euphrate, dont l’emplacement précis n’a pas été retrouvé.
C’est donc à cette période, que l’on peut situer entre 641 au minimum et 685 au plus tard, qu’un « diacre prisonnier en Syrie, qui regagnait son pays, à ce que nous avons appris de bonne source, arriva à Mananalis ». Étudions cette phrase essentielle.
Pierre de Sicile ne cite pas littéralement les pauliciens, mais il met par écrit ce qu’ils lui ont dit. Donc, quand il parle d’une bonne source, c’est qu’il s’agit d’une source qu’il accepte. Si un diacre est prisonnier en Syrie, on peut se demander pourquoi ? En fait, il s’agit d’un chrétien, libéré de prison à une époque où la justice religieuse en Syrie relevait des catholiques. Il s’agit donc possiblement d’un hérétique chrétien, que la période permet d’imaginer, qu’il fut libéré par les musulmans qui venaient de prendre le pouvoir. S’il regagnait son pays et qu’on le retrouve à mi-chemin entre Damas et la rive sud de la Mer Noire, c’est qu’il vient d’une zone connue pour avoir été une terre de prédication de Marcion, dont la ville d’origine se trouve à quelques centaines de kilomètres à l’ouest de la même rive de cette mer.
Nous le voyons un faisceau d’éléments permet de penser que ce diacre était un marcionite regagnant une zone où il pensait pouvoir trouver des coreligionnaires vivant sans doute dans la clandestinité, en raison des poursuites dont ils étaient l’objet depuis la fin du 4e siècle.
Que fait ce diacre quand il rencontre Constantin, un païen selon ses critères ? Il lui remet deux livres : « le saint Évangile » et le livre « de l’apôtre ». À cette époque le Nouveau Testament judéo-chrétien est largement diffusé et il contient quatre évangiles, des lettres de l’apôtre, ainsi que d’autres textes. Cette dénomination très particulière nous rappelle que, entre 140 et 144, Marcion écrivit à Rome plusieurs livres dont un s’appelait l’Evangelion (Évangile) et un autre l’Apostolicon (Apôtre). Pierre de Sicile précise qu’il veilla à ce que Constantin ne pût lire aucun autre livre que ces deux-là (ch. 96), faisant sans doute justement référence au Nouveau Testament, tout en rejetant fermement les livres de manichéens (ch. 97).
Le doute n’est plus possible, ce diacre est effectivement marcionite et il est le chaînon manquant entre les marcionites et les pauliciens. En effet, Constantin, après avoir rejeté ses croyances valentiniennes, prit un nom chrétien, Siloanous (Sylvain), qui était un disciple de Paul de Tarse et quitta Mananalis pour Kibossa, près de Kolôneia, ville située à proximité de la rive sud de la Mer Noire.

Le temps des didascales

Constantin Siloanous prêcha en ce lieu pendant 27 ans avec un certain succès. L’empereur désigna un envoyé appelé Syméon à qui il ordonne d’arrêter Constantin et de le faire lapider. Syméon fit arrêter Constantin et ses disciples et exigea d’eux qu’ils le lapident. La plupart s’y refuse à l’exception de Ioustos qui tue son maître. Les disciples refusèrent d’abjurer ce qui intrigua Syméon au point de la pousser à étudier cette hérésie. Rentré à Constantinople où il demeura trois ans, il finit par se convertir et retourne secrètement à Kibossa. Là, il réunit les disciples de Siloanous et prend la tête de leur communauté sous le nom de Titos (Tite).
Trois ans plus tard Ioustos qui avait tué Siloanous s’opposa à Syméon Titos et le dénonça à l’évêque de Kibossa qui, sur ordre de l’empereur Justinien, les fit arrêter et les conduisit au bûcher vu qu’ils ne voulurent pas abjurer. Cependant, un d’entre-eux, Paul, parvint à s’enfuir à Épisparis et nomme son fils Gégnésios à la tête de la secte sous le nom de Timothée. Cependant, l’autre fils de Paul, Théodore, s’opposa à son frère ce qui attira l’attention de l’empereur qui fit comparaître Gégnésios Timothée devant le patriarche de Constantinople qu’il trompe en répondant à ses questions au point que ce dernier le disculpe du chef d’hérésie. De retour à Épisparis, il réunit ses disciples et va se cacher à Mananalis il poursuivit sa mission pendant une trentaine d’années avant de mourir de la peste.
La communauté se divise entre le fils de Gégnésios, Zacharie, et un enfant qu’il aurait adopté, Joseph. Suite à un épisode peu reluisant pour Zacharie, Joseph est adopté par la communauté, mais doit fuir suite à une attaque d’un responsable du lieu. Il se retrouve à Antioche de Pisidie où il crée une communauté qu’il dirige pendant trente ans sous le nom d’Épaphrodite. Après sa mort, l’enfant de deux de ses disciples, Baanès lui succède. Mais, un homme issu d’une localité voisine, Sergios prend la tête d’un groupe de disciples pauliciens sous le nom de Tychikos ce qui provoque un schisme avec les partisans de Baanès. Menacés de mort à la demande de l’empereur, il s’enfuit à Mélitène, sous la protection des Saracènes en opposition permanente avec l’Empire. Son apostolat dura trente-quatre ans et il mourut assassiné à coup de hache.
Ils reconnaissent six Églises attachées à leurs disdascales et renommées selon les communautés pauliniennes (Macédoine = Kibossa, Achaïe = Mananalis, Philippiens = Joseph et Zacharie, Laodicéens = Argaoun, Éphésiens = Mopsuete et Kolosséens = Kynochôrion).

Le temps des chefs de guerre

Suite à la reprise des persécutions par l’impératrice byzantine Théodora (842-843), la direction du mouvement passa des didascales aux chefs de guerre.
Dans cet esprit, ce fut Karbéas qui prit la tête du mouvement et qui fonda la ville de Téphrikè[5] pour se libérer de la tutelle des saracènes de Mélitène. Après sa mort lui succéda Chrysochéris son neveu et gendre. C’est à cette époque que Pierre de Sicile vient à Téphrikè pour son ambassade qui dura neuf mois et que se termine son récit. Chrysochéris meurt en 872 (ou 878 selon les sources), suite à la trahison de Diakonitzès qui livra sa tête à l’empereur Basile 1er qui avait échoué un an auparavant[6].
Les pauliciens survivants sont déportés dans les Balkans et en Italie du Sud pour servir dans l’armée byzantine de Nicéphore Phocas l’ancien. Bien entendu, ils ne renient en rien leurs convictions religieuses, mais faute de ralliement possible, ils font contre mauvaise fortune bon cœur en servant aux frontières de l’Empire qui apprécie leurs qualités de combattants.
Une première déportation avait eu lieu vers 755 quand l’empereur Constantin V Copronyme avait pris Mélitène suite à un raid contre les saracènes. Ce premier déplacement en Thrace, à la frontière entre l’Empire et la Bulgarie[7], sera renforcée un siècle plus tard et permettra aux pauliciens de diffuser leur doctrine aux païens locaux.
Après la chute de Téphrikè les pauliciens intégrés dans les armées de l’Empire byzantin participent à des campagnes dans diverses régions, comme en Cilicie[8], en Italie du sud (Calabre, Lucanie et Longobardie) et en Sicile où Diakonitzès, traitre à son chef Chrysochéris, est cité en 885 au service de Nicéphore Phocas l’ancien[9] dans la guerre byzantino-bulgare[10]. Un autre groupe s’installe en Syrie. C’est d’ailleurs là, sous le règne de Nicéphore II Phocas143, lors de sa reconquête de la zone syrio-mésopotamienne, que Jean Ier Tzimiskès — Kourkouas de son vrai nom, va en capturer des contingents qu’il déplacera en Thrace où il leur confiera la garde des défilés de la région de Philippopolis, menacés par la poussée slave, mais surtout bulgare. On peut situer cet événement aux environs de 950 — il avait alors 25 ans —, période au cours de laquelle lui fut confié le commandement des troupes impériales en Arménie. Il faut dire que les régions de Thrace et de Macédoine sont soumises, dès le 8e siècle à des luttes contre les Bulgares. Les pauliciens, regroupés à Philippopolis, vont donc se retrouver au contact de ceux chez qui apparaîtront les bogomiles et ce pendant plus de vingt ans.

Cette période semble suffisante pour les convertir à un christianisme différent de celui de l’Empire, leur ennemi commun, qui mène lui aussi une campagne de conversion des Bulgares depuis le 9e siècle, sous l’influence de Cyrille et Méthode. Le lien entre pauliciens et bogomiles ne semble pas faire de doute[11], mais peut-on en envisager un lien entre pauliciens et des groupes « dualistes » signalé en France sous différents vocables, que je dénommerai plus simplement comme cathares ?

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[1] Cette région est composée de deux territoire romains, établis après l’échec de la révolte de Bar Kokbha (132-135) provoqua la ruine de la Judée, le départ de la plupart des juifs et la destruction de Jérusalem, rebaptisée Ælia Capitolina.

[2] Histoire utile, réfutation et renversement de la creuse et vaine hérésie des Manichéens qu’on appelle aussi Pauliciens, en forme de [discours] adressé à l’archevêque de Bulgarie (t. 4, ch. 95, p. 40), Vaticanus gr. 511, ff. 80v-111v. Bibliothèque vaticane.

[3] Les sources grecques pour l’histoire des pauliciens d’Asie-Mineure, par Paul Lemerle et coll., in Travaux et mémoires n°4 et n°5. Centre de recherche d’histoire et civilisation byzantine, Collège de France, Faculté des Lettres et Sciences-humaines de Paris-Sorbonne ; École pratique des Hautes Études ; Centre National de la Recherche Scientifique.

[4] Il pourrait s’agir, au choix de Constant II (641-668) ou de Constantin IV (668-685).

[5] Également appelée Téphrik ou Tibrikè.

[6] Chronique de Georges Hamartôlos le moine. Édition Istrin (± 850), Patrologie grecque de Migne vol. 110.

[7] Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain. Édouard Gibbon. Tome II. Éditions A. Desrez (Paris) 1836. Également signalé par Irène Mélikoff dans son ouvrage Hadji Bektach, un mythe et ses avatars. (1998).

[8] Reconquête territoriale et immigration arménienne dans l’ère cilicienne sous les empereurs macédoniens (de 807 à 1028) Gérard Dédéyan in Migrations et diasporas méditerranéennes (Xème-XVIème siècles). Éditions de la Sorbonne, sous la direction de Michel Balard et Alain Ducellier (Paris) 2002.

[9] Nicéphore Phocas l’ancien fut l’un des généraux de l’empereur Basile Ier et le grand-père de l’empereur Nicéphore II Phocas.

[10] Communication de Henri Grégoire à l’Académie des inscriptions et belles lettres (1953).

[11] Au 11e siècle il semble y avoir des mouvements de Bogomiles en direction de Philadelphie qui paraît être un grand centre paulicien qui s’est maintenu pendant plusieurs siècles plus tard mais les implantations les plus tardives liées à l’expansion du Bogomilisme à l’est (dans les régions de Téphrikè et Édesse notamment) fait que l’on trouve des tondrakites, qualifiés de néo-pauliciens dans ces régions au 19e siècle. Cf. Le Gnosticisme chez les Bektachis/Alévis et les interférences avec d’autres mouvements gnostiques, Irène Mélikoff in Syncretismes et hérésies dans L’orient Seldjoukide et Ottoman : XIV- XVIII siècle. Actes du colloque du Collège de France, octobre 2001, sous la direction de Gilles Venstein. Éditions Peeters (Leuven Belgique) 2005.

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