L’homme et l’esprit
Au fur et à mesure des avancées de la science, là où les religions dogmatiques se trouvent dans l’impossibilité de s’adapter et en sont réduites à se refermer sur leur pré carré — voire à se radicaliser en refusant les théories qui contredisent leurs dogmes et en combattant les scientifiques diabolisés parce qu’ils révèlent les failles de constructions intellectuelles centenaires — le croyant cathare ne se sent pas mal à l’aise.
Bien au contraire, ces découvertes lui ouvrent les portes d’autres compréhensions et lui révèlent d’autres possibles. À lui de les explorer pour en retirer les éléments que sa foi chrétienne saura comprendre et envisager les possibles auxquels son imagination lui donnera accès. Quant aux éléments qui lui demeureront encore mystérieux et inexplicables, il les considérera comme des défis à relever dans l’avenir pour poursuivre sa progression.
De Toumaï à Adam
Le premier “homme”, Toumaï serait vieux de sept millions d’années. C’est ce que nous a révélé la découverte de ses restes fossilisés. Peut-être y a-t-il encore d’autres pré-humains avant lui, nous ne le savons pas pour le moment.
Mais Toumaï est-il un homme ? En effet, il est difficilement comparable à l’image du premier homme que nous renvoie l’Ancien Testament. Mais nous savons qu’il s’agit d’un ouvrage dont les qualités scientifiques sont très limitées.
Ce qui interpelle c’est la différence entre le pré-humain — à peine moins animal que les singes qui l’entourent — et l’humain complet fait d’une pièce et totalement semblable à nous.
En fait c’est là que se situe un élément important et pourtant largement délaissé, tant par les scientifiques qui ne veulent pas se laisser « corrompre » par des considérations religieuses, que par les tenants du créationnisme qui voient dans chacune des hypothèses évolutionnistes une remise en cause globale de leur foi.
Pour répondre à la question ci-dessus, il faut définir ce que nous appelons l’homme. En quoi Adam diffère-t-il de Toumaï ? Si on laisse de côté l’aspect physique extérieur, et même les considérations biologiques relatives à la taille du cerveau, on remarque que la différence semble porter sur les comportements. Adam est un prototype d’homme, formaté par la pensée religieuse pour être intelligible d’une population non scientifiquue. Il devait donc être à l’image que ceux à qui on le présentait s’en faisaient.
Toumaï, quoique différent des singes, en conserve néanmoins bien des comportements psychologiques et sociologiques. De façon indirecte l’évolution se fera voir, d’abord par son comportement physique, puis par ses choix en matière d’habitat. Enfin, il va démontrer ses capacités humaines par la façon dont il va modeler son environnement pour améliorer son quotidien. C’est là véritablement, il y a deux millions d’années à peu près, que le pré-humain s’est humanisé.
Ce faisant il s’est aussi comporté de façon différente sur le plan intellectuel. Tout à coup les découvertes scientifiques nous montrent des êtres qui, il y a cinq cents mille ans environ, savent consacrer du temps à des tâches qui ne sont pas directement utiles à leur survie et à l’expansion de leur groupe nucléaire. L’ensevelissement des morts, la fabrication de bijoux, l’art rupestre et les religions primordiales rapprochent sensiblement cet homme de l’Adam de l’Ancien Testament. C’est cela l’hominisation.
L’hominisation et l’esprit
Il est clair que dans notre compréhension de l’incarnation, l’esprit divin est emprisonné dans une prison de chair et ce dès la naissance. Pour autant deux questions se posent. Qu’en est-il de la première incarnation, et comment se fait l’équilibre entre les esprits libérés momentanément d’un corps décédé et les esprits emprisonnés dans un corps naissant ?
Les cathares dont les connaissances scientifiques n’avaient pas atteint notre niveau ne se posaient pas ces questions. Pour eux ce monde avait été créé par le maître du monde qui y avait enfermé dans des tuniques d’oubli les esprits dérobés dans la création divine et spirituelle éternelle.
Si cette hypothèse était à peu près en phase avec l’approche présentée dans l’Ancien Testament et dans l’Apocalypse de Jean, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Aussi, dans le respect de l’esprit des cathares et de leurs prédécesseurs marcionites, il convient de proposer d’autres hypothèses en accord avec nos connaissances actuelles.
C’est dans cette démarche que je situe la réflexion que je vais développer maintenant. Bien entendu cette hypothèse m’est personnelle et je ne prétends l’imposer à personne.
Je pourrai la résumer ainsi : L’enfermement de l’esprit dans le corps humain correspond à ce que les scientifiques appellent l’hominisation.
En effet, même en possession de caractéristiques physiques qui commencent à le différencier de l’animal, le pré-humain ne semble pas vraiment éloigné du règne animal. Par contre, cette différenciation est nettement perceptible quand il va manifester des dispositions pour des activités clairement détachées des nécessités vivrières et orientées vers des préoccupations qui transcendent sa nature animale. Or, cette différenciation ne s’observe pas ailleurs dans le règne animal. Pourtant les conditions environnementales et les possibilités ayant été les mêmes, comment expliquer que les carnivores de l’époque ou même d’autres espèces plus proches physiologiquement des pré-humains n’aient pas suivi son cheminement ? L’argument éthologique ne fonctionnant pas, il ne reste que le recours au hasard. C’est le hasard qui a permis à une espèce de réussir ce qui était en fait à la portée des autres qui n’en ont pas profité. Or le hasard n’est rien d’autre que l’équivalent, pour les athées, de ce qu’est le mystère pour les croyants.
Quand on ne veut pas céder à la facilité de cette démarche qui nous exonère de toute réflexion, il faut bien chercher une autre cause. Étant croyant je suis la voie que me trace ma foi et je me dis que l’infusion de l’esprit dans la matière animale pourrait bien expliquer cette évolution singulière.
Ainsi l’hominisation ne serait que la visualisation du passage d’un corps sans esprit à un corps renfermant un esprit. Du coup, l’on comprend bien que l’esprit n’a rien à voir avec ce qui anime le corps vivant. Avant qu’il ne renferme un esprit, le corps animal est vivant et capable d’une certaine forme de réflexion qui témoigne de l’existence d’une forme de pensée et d’une organisation intellectuelle apte à permettre la vie et son développement. C’est ce que j’appelle l’âme en référence au latin anima qui désigne ce qui anime le corps. L’âme est donc l’équivalent d’un système autonome et évolutif, une sorte de super-ordinateur plus puissant que nos systèmes d’intelligence artificielle actuels, qui dispose de capacités suffisantes pour permettre au corps de s’adapter et d’évoluer. Dans mon approche elle serait même capable de participer à la rétention active de l’esprit dont elle serait en quelque sorte le geôlier.
Mais si l’on trouve ici une conception relativement élégante permettant d’imager l’enfermement de l’esprit dans le corps à l’occasion du commencement de l’espèce humaine, ce schéma ne permet pas de répondre à la question du rapport entre les esprits disponibles et le nombre de corps.
Les vases communicants
En effet, plusieurs accrocs viennent apparemment contredire l’hypothèse selon laquelle chaque corps mourant libère un esprit prisonnier qui est aussitôt enfermé dans un corps naissant.
La science nous dit que le peuplement de notre planète fut très progressif et qu’il est désormais quasi exponentiel.
Comment expliquer que chaque corps actuel puisse renfermer un esprit si l’on veut retenir la thèse selon laquelle le nombre d’esprits prisonniers est fini et qu’il n’évolue que vers la baisse puisque certains esprits parviennent à s’échapper de leur corps mourant pour rejoindre la création divine ? En outre, comment expliquer les variations liées à des événements subits et ayant provoqué un grand nombre de morts sans qu’un nombre de naissances équivalent ait permis de maintenir l’équilibre ? Comment concilier ces questions avec le point de vue cathare que je défends et qui veut que les esprits ayant chu de la création divine sont en nombre fini, qu’il n’y a pas de génération d’esprit à partir des esprits prisonniers, que les esprits ne peuvent être maintenus dans ce monde qu’à la condition d’être prisonniers d’un corps et que la tendance est plutôt à la réduction du nombre d’esprit qu’à leur augmentation ?
Certes ma conception ne prétend pas être la seule qui exista au sein de la communauté cathare. D’autres ont cru à des hypothèses qui permettaient d’expliquer cette variation numérique mais qui, à mon goût, en venaient à trop se laisser influencer par les conceptions judéo-chrétiennes qui portent atteintes à la perfection divine dans le Bien. De même l’hypothèse de la métempsycose animale contredit à mon avis mon hypothèse précédente concernant l’hominisation.
Face à ces apparentes contradictions, force était de comprendre qu’il fallait faire preuve d’un peu d’imagination et d’audace pour proposer une hypothèse cohérente et tenable.
J’ai donc essayé de trouver un scénario raisonnablement crédible. Pour ce faire j’ai additionné quelques points théoriques potentiellement défendables.
Tout d’abord, les scientifiques les plus compétents admettent que nous ne connaissons aujourd’hui qu’environ 7% de l’univers. Cela veut donc dire que 93% échappent totalement à nos capacités d’observation mais que les calculs mathématiques permettent de considérer qu’ils existent bel et bien.
Cet univers échappe également à notre compréhension pour ce qui est de sa structure et de ses capacités réelles. Ainsi même les théories apparemment les plus solides, comme celle d’Einstein concernant l’impossibilité d’atteindre, donc de dépasser, la vitesse de la lumière, sont aujourd’hui discutées et pourraient être invalidées. L’univers que l’on croyait vide s’avère contenir en fait une matière et une énergie noire inaccessibles à nos moyens d’observation et à nos lois physiques.
L’hypothèse d’une vie extra-terrestre intelligente est validée sur le plan statistique même si rien ne permet de l’affirmer faute de moyens capables de la contacter et de la rejoindre dans des délais raisonnables. De plus, l’expansion de l’univers pose le problème de l’aggravation des distances entre les galaxies et, au sein d’une galaxie, entre les systèmes de type solaire qu’elle contient. Donc, plus le temps passe et moins il semble possible de s’affranchir des distances énormes qui nous séparent d’autres mondes potentiellement habités. Sans compter que cette expansion de l’univers pose aussi le problème du contenant au sein duquel il se dilate, du moins si l’on considère que cette hypothèse est globale et uniforme.
Les auteurs de science fiction ont envisagé l’hypothèse de mondes habités et certains ont proposé des solutions de déplacements s’affranchissant de la loi d’Einstein via des moyens plus ou moins loufoques à leur époque qui depuis sont en voie de démonstration. Ainsi le déplacement par dématérialisation cher à l’équipage de l’Enterprise s’avère possible même si aujourd’hui il n’a été tenté avec succès qu’à l’échelle atomique. De même l’utilisation des trous de vers spatiaux, que les héros de Sliders pratiquent avec une grande aisance, semble possible mais n’a pas pu être tentée à ce jour.
Un film attira néanmoins mon attention. Il proposait une hypothèse très attrayante. Une puissance extra-terrestre, désireuse de survivre, utilisait son extrême supériorité scientifique pour se faire passer pour un dieu vis-à-vis d’une population terrestre encore très balbutiante et fort sensible au merveilleux et s’en servait à la fois pour ses besoins personnels mais aussi pour les déplacer en les installant sur différentes planètes via un système ressemblant à une domestication des trous de vers. Ce dispositif appelé « Porte des étoiles » donnait son nom au film américain, Stargate.
Cette description sommaire m’est apparue comme très comparable avec l’idée de Dieu que donne l’Ancien Testament. Un être très supérieur aux hommes mais doté d’un comportement très peu divin au final et qui semble se servir des hommes comme d’esclaves plutôt que de les considérer comme ses enfants ayant besoin de son soutien.
Ce système permettait aussi de résoudre ce problème crucial du nombre d’esprits disponibles. En effet, si l’on voit la Terre comme le seul monde habité et pouvant héberger des esprits divins, rien n’est explicable. Par contre, si l’on considère la Terre comme un des nombreux mondes hébergeant des esprits prisonniers, il devient tout à fait possible d’imaginer que certains de ces mondes connaissent une phase de décroissance de population pendant que d’autres sont au contraire en expansion et que de façon globale les esprits restent à peu près numériquement identiques. Et l’on peut même alors intégrer à cette approche la faible réduction du nombre d’esprits prisonniers lié à l’évasion réussie de ceux qui ont su s’extraire de leur mondanité.
Certes, comme toute hypothèse celle-ci est discutable, critiquable et contestable mais au moins elle a le mérite d’être suffisamment cohérente pour être défendable.
Je ne prétends pas qu’elle soit indemne de failles, et je compte bien que vous m’aiderez à les mettre en évidence en espérant pouvoir améliorer cette théorie pour réduire ces failles autant que faire se peut. Je ne prétends pas avoir découvert la vérité car je crois la vérité encore plus incroyable que toutes supputations les plus folles et je sais que la vérité ne nous est pas accessible en notre incarnation.
Je veux simplement vous montrer que nous pouvons réfléchir à des concepts qui nous permettent de mieux comprendre notre monde et qui permettent de le mettre en cohérence avec notre foi. La suite est en fait de peu d’importance. Disons simplement qu’il s’agit de comprendre que nous ne sommes pas déconnectés du possible et que nous ne sommes pas les doux dingues que certains aimeraient voir en nous.
Pour moi le doux dingue est celui qui attend qu’une preuve tangible d’un possible soit apportée pour accepter ce possible car alors, si le monde n’était peuplé que de tels individus, nous serions encore à l’âge de pierre.
Pour moi le doux dingue est celui qui considère qu’il ne peut y avoir d’autre vérité que celle qu’il trouve dans des livres dont il serait bien incapable de démontrer le caractère divin et véridique car alors nous continuerions à servir un maître qui pourrait bien s’avérer être à l’opposé de l’image que nous nous faisons de Dieu.
Maintenant je n’empêche personne de considérer que je suis un doux dingue. En effet ne dit-on pas que la folie légère est une forme d’évasion ? Or, justement je ne rêve que de m’évader de ce monde… du moins en esprit car mon corps ne m’intéresse pas et, à l’instar de la sesterce que les pharisiens présentèrent un jour à Jésus, je compte bien le rendre à César, c’est-à-dire au faux dieu de ce monde. Car pour moi il y a une grande différence entre l’homme et l’esprit et si je me sens de moins en moins homme, c’est pour extraire de cette prison ma nature spirituelle qui y est enfermée depuis bien trop longtemps à mon goût.
Texte modifié par rapport à l’original du 10/09/2011