Comment peut-on être croyant ?

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Comment peut-on être croyant ?

En relisant un passage d’une entrevue entre un journaliste et une historienne m’est venue l’idée d’exprimer ma réflexion personnelle sur le concept de croyance religieuse et d’athéisme.

Ainsi que l’exprime cette historienne, l’étude de la foi cathare peut faire naître un comportement paradoxal et ambivalent chez ceux qui se disent athées ou rationalistes. En effet, le catharisme présente la religion sous un jour tellement différent de celui de beaucoup d’autres christianismes, pour en rester à notre culture, qu’il peut provoquer l’apparition d’une sorte d’envie envers ces personnes qui étaient totalement convaincues au point de considérer comme inéluctable le fait d’être pris à partie au point parfois d’en mourir. Et l’historienne d’ajouter : « C’est fichu pour moi… », ce qui montre son ambivalence entre un état sur lequel elle cherche à accrocher sa logique rationaliste et un état qu’elle envie au point de se sentir à deux doigts  de succomber. Paradoxe d’autant plus grand qu’elle vient d’expliquer à l’instant même que, dans le catharisme il n’y a aucune échéance pour rejoindre le groupe des croyants et qu’il n’y a aucune obligation de fermeté dans ses choix, même celui de recevoir le Consolament.

Essayons de comprendre comment on peut être croyant sans vraiment le savoir ou se dire croyant sans vraiment l’être.

Reconnaissons à cette historienne le mérite de ne pas se dire athée mais juste rationaliste laïque, ce qui ne lui interdit pas de croire mais simplement de vivre selon une morale et une philosophie dans lesquelles elle ne fait pas intervenir le divin.

En effet, être croyant n’implique nullement de le manifester dans sa vie quotidienne, ce qui est le cas de nombreuses personnes qui ne savent pas vraiment comment elles doivent appréhender leur foi. Cela est souvent dû au manque d’information qui fait que les religions connues ne conviennent pas et que, faute d’en connaître qui pourraient convenir, l’on fait le choix de demeurer Sans Doctrine Fixe et donc sans chapelle.

Bien entendu, si l’on vient à rencontrer une religion qui s’avère en accord avec ses croyances, la personne peut alors changer de statut, sauf si d’autres contraintes perturbent fortement cet élan naturel. Une de ces contraintes et non la moindre est le risque familial, professionnel et tout simplement social qu’une telle révélation pourrait engendrer. J’ai vu des amis de longue date s’éloigner immédiatement ou progressivement lorsque je leur ai révélé la révélation de ma propre foi. J’imagine que certains métiers, réputés laïques voire « objectifs », comme celui d’historien peuvent constituer un frein puissant à une telle révélation tant le risque d’ostracisme serait alors important et pourrait ruiner une carrière plus qu’honorable au demeurant.

Mais on peut aussi agir en croyant sans vraiment en avoir conscience. Notre société toute entière est immergée dans une culture judéo-chrétienne qui tend à nous faire croire que ses dogmes n’ont rien de religieux et que les appliquer est donc un acte laïque alors qu’il est au contraire fortement symbolique d’un attachement à ce courant spirituel.

Enfin on peut affirmer sa foi sans en maîtriser les tenants et les aboutissants au point d’être finalement plus athée que ceux qui prétendent l’être. On feint alors de croire pour se sentir membre d’un groupe qui rassure mais tout dans l’attitude démontre qu’en fait on ne croit pas. C’est la façon dont j’interprète le comportement des maffieux qui tuent sans vergogne toute la semaine et feignent ensuite la contrition le dimanche à la messe tout en envisageant sans sourciller d’assassiner le prêtre qui aurait critiqué leur comportement dans son sermon.

Mais revenons-en à nos moutons. L’attitude la plus simple et la plus claire est celle du croyant qui sait pourquoi il croit et qui est capable d’analyser les critères de sa foi pour les argumenter avec cohérence et ainsi confirmer la justesse de ses choix.

Autant dire que cet état ne mérite que peu de commentaires. L’historienne dont je parlais plus haut m’intéresse beaucoup plus. En effet, elle se dit attirée par le catharisme sans vouloir dire qu’elle se sent proche  des éléments doctrinaux de cette foi et en essayant même de dire que les choses ne pourront plus changer pour elle alors qu’elle vient d’expliquer, qu’en la matière, le temps est sans effet. Et pour tenter de justifier maladroitement le caractère irrévocable de son état elle évoque le fait que la seule personne susceptible de faire d’elle une croyante est le Bon Chrétien Pèire Autier, mort en 1310. Mais en fait, ce n’est pas l’individu qu’elle considère comme susceptible de la faire changer de situation mais son discours et son exemple. En effet, elle précise bien qu’elle ne serait pas sensible à des imitateurs incompétents. Donc, il serait logique de lui répondre qu’elle pourrait très bien rencontrer un jour une personne qui éveillerait en elle les mêmes sentiments que l’idée qu’elle s’est faite de Pèire Autier et qu’ainsi elle deviendrait alors croyante avérée du catharisme ou de tout autre courant qu’elle jugerait conforme à ses opinions spirituelles.

En fait, contre quoi semble se débattre cette personne ? Elle donne l’impression de vouloir résister à ce qu’un changement avéré de statut spirituel pourrait provoquer pour elle et le monde dans lequel elle s’est installée. Et effectivement je la comprends très bien. La révélation spirituelle est un bouleversement total dans la vie d’un être qui avait jusque là organisé sa vie de façon aussi confortable que possible. Une fois passé le cap de la conviction personnelle de la validité des critères de la foi dans laquelle on se reconnaît, tout change et les certitudes d’hier peuvent très vite se retrouver remises en question. Comme je l’ai dit l’entourage peut aussi en être bouleversé au point de provoquer des incompréhensions, voire des rejets. Pourtant, la marque de la foi est indissociable de ce bouleversement ; c’est la chute de cheval et la cécité de Paul de Tarse !

La question n’est en fait pas là. Aussi douloureux que puisse sembler être le fait de se confirmer à soi-même ce que l’on pressent depuis longtemps, cette révélation ne peut être évitée et risque même d’être plus difficile au fur et à mesure qu’on la diffère. Il n’est bien entendu pas indispensable, surtout au début, de la faire partager à quiconque. Le caractère éminemment irrationnel de la foi qui, je le rappelle, revient à s’abandonner à quelqu’un ou quelque chose que l’on ne peut justifier sur des éléments démontrables, présente le risque évident d’une totale incompréhension initiale chez ceux qui s’étaient fait de nous une image plus conforme à la leur. Cela peut être vécu comme un abandon, une trahison même, un peu comme le comportement d’un jeune enfant qui apprend la grossesse de sa mère et en tire la conclusion que l’amour exclusif qu’elle semblait lui porter n’était en fait qu’un leurre. L’affirmation publique de sa foi, le coming out comme disent les anglo-saxons, ne peut intervenir que bien plus tard quand il sera possible d’exprimer le caractère logique du choix fait au regard d’éléments que même les athées ne peuvent expliquer et qui les conduit, eux aussi, à faire des choix irrationnels puisque non démontrables.

Alors oui, si être croyant peut sembler inimaginable pour beaucoup, ne pas l’être provoque souvent la même incompréhension de la part de nombreux croyants. Seuls ceux qui se souviennent de leur propre révélation peuvent comprendre les premiers tout en appartenant au groupe des seconds. Dès lors, je ne peux que souhaiter à cette historienne de faire son ménage de printemps en quelque sorte et de ne pas se fixer de contraintes autres que celles de son propre choix reposant sur des arguments portant sens à ses yeux. Quand on veut  rencontrer quelqu’un susceptible de nous accompagner dans un cheminement, on le rencontre toujours. C’est la volonté du choix qui est déterminante, pas la rencontre.

Éric Delmas, le 19/04/2014.

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