miracle du feu

Le miracle du feu ou feu le miracle.

5-1-Histoire du catharisme
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Le miracle du feu ou feu le miracle.

Miracle feu-Dominique-Fanjeaux
Miracle du feu (www.flikr.com)

Note de l’auteur :
Le jeu de mot du titre m’oblige à utiliser le mot « feu » qui désigne un homme décédé depuis peu, alors que la légende du miracle du feu persiste encore dans nos régions, notamment dans les milieux catholiques.

Les disputationes (disputes ou contestations)

En ces temps d’avant croisade (contre les albigeois) où le dialogue semblait encore possible, des joutes oratoires étaient organisées, afin que chacune des deux Églises — cathare et catholique —, puisse discuter des interprétations des textes sacrés et de la doctrine, voire du dogme qui en était l’expression pour les catholiques, la doctrine cathare n’étant jamais figée mais constamment améliorable si nécessaire[1].
Les auditeurs, les autorités politiques ou un jury composé par les deux parties étaient censés départager les intervenants. Le but de ces rencontres était de déterminer qui détenait la vraie Foi.

La disputatio de Montréal

La dispute[2] de Montréal (1207) fut la dernière avant le déclenchement de la croisade. Elle faisait suite à celles de Lombers (1165), Carcassonne (1204), Servian (1205)[3], Verfeil (1206) et Pamiers (1207) à laquelle participait aussi un vaudois[4].

Selon Guillaume de Puylaurens[5], on ne sait qui des cathares ou des catholiques proposa cette rencontre. Cependant chacune des deux parties était représentée, par des docteurs de renom. Benoit de Termes, Guilhabert de Castres, Pons Jourda et Arnaud Hot, entre autres, côté cathare ; Diègue d’Osma, Pierre de Castelnau, Raoul de Fontfroide et Dominique de Guzman pour les catholiques. Il fut choisi, comme arbitres laïcs, après accord entre les adversaires, les chevaliers Bernard d’Arsens et Bernard de Villeneuve et les bourgeois Arnaud de la Rivière et Bernard de Got. La controverse porta sur la légitimité de l’Église romaine et le bien-fondé de la messe. Elle dura plusieurs jours et tout fut consigné par écrit. Les argumentaires rédigés furent remis aux juges pour sentence. Cependant, les documents ayant été perdus à l’arrivée de la croisade[6], la chose ne put jamais être arbitrée. Cela n’empêcha pas, selon le juge Bernard de Villeneuve, environ cent cinquante auditeurs hérétiques de se convertir.

Le miracle opportun

Auparavant, le religieux et chroniqueur Pierre de Vaux-de-Cernay avait raconté[7] qu’au cours de la disputatio de Montréal[8], s’était déroulé un évènement fantastique et merveilleux que je vous relate ici.
Devant l’impossibilité de se départager, les adversaires avaient alors décidé de faire appel au jugement de Dieu, autrement dit une ordalie. Les écrits avaient donc été jetés dans l’âtre d’une cheminée, le factum des hérétiques se consumant aussitôt, tandis que celui composé par le chanoine Dominique s’était élevé par trois fois au-dessus des flammes, puis selon les frères prêcheurs, si haut et si chaud, qu’il était allé brûler une poutre du plafond[9].

L’état de moine, de Pierre de Vaux-de-Cernay, l’ayant sans aucun doute incité, à faire le récit d’une dispute agrémentée d’un miracle, afin de mettre en condition ses lecteurs pour la suite de sa relation[10].
Voici donc une narration visant à décrédibiliser le catharisme, par une intervention divine ayant fait se consumer les écrits des hérétiques et conserver ceux des catholiques, ainsi que par l’annonce de l’avènement d’un nouveau champion spirituel enseignant l’authentique voie du salut[11].

Mais comme si tout cela n’était pas suffisant à faire douter les brebis égarées, la légendaire dominicaine affirmera que ladite controverse se déroula non pas à Montréal, mais à Fanjeaux !

Critique du miracle

À l’évidence, on ne peut voir là que la volonté de situer le fameux miracle dans le lieu même de résidence du futur saint[12], faisant ainsi de Fanjeaux un haut lieu du catholicisme et non plus du catharisme[13] comme ce fut le cas quand Guilhabert de Castres en avait fait le siège de l’évêché cathare du toulousain.

Enfin, après avoir constaté l’entreprise de propagande de Pierre de Vaux-de-Cernay, ainsi que la récupération de l’évènement par les dominicains, je voudrais rajouter que pour les cathares qui n’accordaient pas de crédit aux saints et à leurs miracles, les ordalies n’avaient pas plus de sens, car les sentences étaient rendues grâce à des éléments mondains, œuvres de Satan par essence. Il est donc impossible que les Bons-chrétiens[14] se soient soumis à l’épreuve.
En outre, l’ordalie est discutable en elle-même. En effet, les écrits étaient réalisés à chaud pendant la disputatio, ce qui donne à penser qu’ils étaient opérés sur des parchemins en rouleau, ou au mieux en feuilles détachées qui pourraient secondairement être réunies en codex[15]. Son interprétation est différente selon les camps. Pour les catholiques, Dieu étant maître du monde et de la matière, il oriente le résultat selon ce qu’il veut décider. Par contre, pour les cathares, le maître de ce monde est le diable et c’est donc lui qui agit sur la matière. Rien d’étonnant que les premiers imaginent que Dieu a épargné le travail de Dominique alors que les seconds trouvent tout aussi logique que ce soit le diable qui l’ait fait. N’oublions pas que les épreuves divines (ordalie, submersion, etc.) étaient surtout interprétées dans le sens qui arrangeait le jury catholique. Ainsi une victime soumise au feu qui décédait était convaincue d’avoir été châtiée par Dieu, mais si elle échappait à la mort, elle pouvait tout aussi bien être convaincue d’avoir été sauvée par le diable, ce qui justifiait sa mise à mort. Comme dit le proverbe : « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. »

En réalité, ce que démontrent ces disputationes c’est que les catholiques étaient loin de supplanter les cathares dans les affrontement théologiques et doctrinaux, malgré le fait d’avoir formé des corps monastiques spécifiquement dédiés à cet usage, comme les dominicains et les franciscains.

Conclusion

Ainsi on remarque que l’Église romaine ayant tenté de convaincre les populations occitanes par les prêches essaya également de le faire au travers de controverses. Cependant ayant échoué par ces voies, outre qu’elle appela à la croisade, elle continua — ne pouvant se renier —, d’affirmer avec force par le biais de récits (chroniques et légendaires) qu’elle détenait la vraie Foi puisqu’elle avait reçu le concours du tout-puissant.
Et selon la formule même de Dominique de Guzman, futur saint Dominique : « Si vous ne pouvez être convaincus par la parole, vous le serez par le feu ! », admonestation qui devait devenir une réalité quelques années plus tard, même si Dominique ne participa ni à la croisade et, bien entendu, ni à l’Inquisition qui débuta après sa mort (1221).

© Bruno Joulia le 03/08/2024 dans Histoire du catharisme


[1] Cette différence entre conception catholique figée et cathare plastique était une des pierres d’achoppement entre les deux Églises et le reste aujourd’hui pour certains historiens qui ne peuvent imaginer une Église cohérente avec des doctrines non figées.

[2] Terme d’étymologie latine (disputatio, disputationis), utilisé tel quel en occitan médiéval au singulier et en disputationes au pluriel.

[3] Histoire de Servian, par l’Abbé Bousquet, Montpellier, Imprimerie de la manufacture de la charité (Pierre-Rouge) 1925, page 13.

[4] Les vaudois (ou valdésiens) étaient des religieux chrétiens, considérés comme hérétiques par l’Église catholique, quoique judéo-chrétiens et se disant eux-mêmes « vrais catholiques », qui venaient de la région lyonnaise et savoyarde. Leur référence était Pierre Valdès. Suite à leur répression, une partie d’entre eux se retrouva en Occitanie où ils furent amenés à côtoyer les cathares qu’ils considéraient comme hérétiques.

[5] Histoire de la guerre des Albigeois. Chronique de Guillaume de Puylaurens, Paris, Brière libraire, 1824. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91453r.texteImage

[6] Cette information contredit la thèse de la légende de l’ordalie qui n’aurait laissée aucun doute sur le devenir du texte cathare.

[7] Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1218) par Pierre de Vaux-de-Cernay , Paris, Brière Libraire, 1824. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1122310

[8] « Or cela se passa à Mont-Réal » page 28 de l’Histoire de l’hérésie des Albigeois… (op. cit.)

[9] Poutre, dont ne parle aucunement Pierre de Vaux-de-Cernay dans sa chronique.

[10] Il est à noter que le moine emploiera à dix-sept reprises de mot miracle dans sa chronique. Il est en outre le seul à révéler certains évènements auxquels sont liés des faits surnaturels dont il aurait été témoin ou qu’on lui aurait rapporté (comme le miracle de Castres par exemple. Histoire de l’hérésie des Albigeois, pages 70 et 71).

[11] « Un des nôtres, nommé Dominique, homme de toute sainteté. » page 28 de l’Histoire de l’hérésie des Albigeois.

[12] Le miracle du feu, ne fût qu’un des nombreux miracles prêtés à Saint-Dominique, en Lauragais : miracle des épis de blé, miracle de l’orage…

[13] L’illustre évêque cathare du toulousain, Guilhabert de Castres, a résidé à Fanjeaux à deux reprises, pendant de longues années avant partir s’installer à Montségur pour y instaurer l’Église cathare de la résistance.

[14] Terme employé par les croyants cathares pour désigner les chrétiens cathares, c’est-à-dire ceux ayant reçu la Consolation qui ne se désignaient eux-mêmes que comme chrétiens.

[15] Contrairement à un parchemin en rouleau, un codex est un assemblage de feuilles de parchemin réunies en livre par couture sur un des bords longs. L’ancêtre de nos livres actuels en quelque sorte.

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