Droit de mort ou devoir de vie ?

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Droit de mort ou devoir de vie ?

Depuis plusieurs mois déjà, nous sommes confrontés à une situation de souffrance extrême impliquant un jeune homme en coma végétatif, sa famille qui se déchire de façon inextricable et les soignants qui sont amenés à exprimer leur point de vue contradictoire.

Ce jeune homme aurait exprimé verbalement son désir de ne pas subir une vie privée de communication extérieure mais ne l’aurait jamais formalisé de façon suffisamment claire pour lever tout doute. Ses parents affirment donc qu’il ne l’a pas fait et prennent sa résistance à une première tentative de suppression de son alimentation pour une preuve de son désir de vie. Sa femme elle, affirme qu’il a clairement exprimé ce choix de mort. En clair, il est impossible aujourd’hui de choisir de ce point de vue.

Reste alors une réflexion personnelle à mener pour savoir si notre société s’interroge à bon escient ou si ce cas devrait être considéré sous un autre angle.
Tout d’abord gardons à l’esprit qu’il ne s’agit pas, à proprement parler d’un cas d’euthanasie. L’euthanasie (littéralement mort normale) consiste à laisser mourir une personne artificiellement maintenue en vie par un traitement médical venant compenser une fonction directement vitale (ventilation artificielle par exemple) ou un état dont l’aggravation provoquerait la mort irrémédiable (antibiotiques vis-à-vis d’une infection généralisée par exemple). Ce terme désigne également le fait de provoquer, directement ou non, la mort d’une personne, dont l’état de santé s’aggrave de façon irrémédiable, avec comme unique échéance la mort, mais qui souffre de ce temps d’agonie au point de préférer accélérer le processus.
Dans le cas qui nous occupe, la santé de ce jeune homme est stable. Rien ne peut laisser augurer d’une mort prochaine car le coma végétatif dont il souffre n’est pas suffisamment profond pour mettre en péril une fonction immédiatement vitale.
L’autre point à analyser est la notion d’acharnement médical. Il s’agit de soins curatifs administrés à un patient alors que l’état de santé dudit patient est au-delà des espérances qu’un tel traitement pourrait apporter en matière de maintien ou de restauration de son état de santé. Les seuls soins que reçoit ce jeune homme sont des soins d’hygiène et de prévention d’un alitement prolongé (toilette, prévention d’escarres, etc.) et des apports alimentaires et hydriques destinés à compenser l’impossibilité où il se trouve de se nourrir tout seul. Je ne sais pas si ces apports se font de façon naturelle, comme cela rive parfois dans ces comas où les patients peuvent déglutir, ou s’il est alimenté de façon entérale, c’est-à-dire par une sonde gastrique.

Les parents (père et mère) et un demi-frère s’opposent à l’arrêt de cette alimentation. Les médias qui en parlent mettent en avant le caractère « extrémiste » de leur engagement religieux. Je ne connais pas la réalité de cette accusation mais je ne peux m’empêcher de penser que ce terme, forcément dévalorisant, cherche à faire pencher le plateau de la balance que l’étude sereine de la situation empêche de mouvoir dans un sens ou un autre.
En effet, un chrétien catholique n’est pas un extrémiste s’il refuse la contraception, l’interruption volontaire ou thérapeutique de grossesse et l’euthanasie. Ces éléments sont des dogmes de sa foi. Tout au plus peut-on dire qu’il est profondément croyant. Certes, certains de ces choix ne sont plus ceux de notre société, mais est-ce la société qui a raison de modifier ces choix qui furent siens pendant des millénaires, ou est-ce la religion qui a tort de ne pas vouloir se renier dans ses fondamentaux religieux ?

En fait, à mes yeux le problème principal est l’argument employé pour déterminer la justification du fait de laisser mourir cet homme. En effet, soit on dispose d’une preuve irréfutable qu’il préférait mourir que de vivre ainsi, et une fois cette preuve établie, on agit dans le sens de ses choix, soit on dispose de rien et on doit alors lui apporter les soins de bases nécessaire et laisser les choses suivre leur cours.
On peut pas pas parler d’acharnement thérapeutique concernant le fait d’alimenter et d’abreuver une personne qui ne parvient pas à le faire elle-même. Sinon, que dire des personnes malades, des personnes âgées et des bébés que l’on nourrit au quotidien ? Certes, me direz-vous, eux demandent la nourriture. Encore que soit douteux pour certaines personnes âgées ayant perdu le sens de la soif, je rappelle que nous ne sommes pas en mesure de définir si ce jeune homme est demandeur ou pas d’une alimentation.
On ne peut pas parler d’euthanasie concernant le fait de faire mourir de faim et de soif une personne qui ne mourrait pas d’autre chose. Il s’agit bel et bien d’une mise à mort, qui peut être considérée comme un suicide assisté si l’on définit la volonté expresse de la personne. Si l’on tue une personne pour qui la volonté expresse ne parvient pas à être établie, ne risque-t-on pas d’entr’ouvrir la boîte de Pandore d’une certaine forme d’eugénisme ?

En fait, un des problèmes majeur de ce cas est celui de la manifestation de la volonté individuelle à disposer de son corps. C’est exactement ce que l’on observe dans le cas du don d’organes. Il suffit qu’un membre de la famille affirme que le patient en coma dépassé ne souhaitait pas donner ses organes pour que le prélèvement soit impossible. C’est pour cela que de nombreuses campagnes sont menées pour que chacun exprime clairement son choix de son vivant.
Il me semble que ce cas devrait simplement être mis en valeur pour inciter les gens à manifester de façon indiscutable, par écrit ou sur inscription dans un registre, leur choix personnel dans un cas où ne pouvant plus exprimer leur volonté et face à une situation de santé, vraisemblablement sans issue positive, ils préfèreraient telle ou telle solution.
Bien entendu, le choix du droit à la mort ne saurait être imposé à des soignants ou à une famille qui aurait une conviction personnelle donnant la priorité au devoir de vie. La procédure serait alors confiée, après analyse et vérifications sérieuses de l’état irréversible du patient, à des professionnels qui seraient volontaires pour le faire.

D’un point de vue cathare, cette situation montre davantage les incohérences de ce monde qui place dans notion de vie des éléments qualitatifs extrêmement volatils en fait. Cela est dû notamment au fait que l’athéisme, dans son prodigieux pessimisme fait de la vie sociale active le minimum acceptable pour la vie.
Pour une croyant cathare, la vie du corps est indépendante de l’esprit saint qu’il renferme. Le corps vit dans le sein de sa mère avant de recevoir, par transmigration, un esprit saint ayant perdu son corps précédent et, vraisemblablement, dès que ce qui maintient l’esprit saint prisonnier du corps n’est plus en mesure d’agir, celui-ci est alors en état de transmigrer s’il n’a pas été touché par la grâce divine et n’a donc pu retourner dans sa création première.
Ce qu’il advient alors du corps n’est pas franchement de notre ressort et nous n’y portons pas d’intérêt. Pour autant, comme dans la parabole des talents, nous respectons ce qui ne nous appartient pas et il nous est donc impossible de demander la destruction du corps qui nous contraint ou de la provoquer nous-même. Si le démiurge n’est pas capable de gérer sa propre création, il ne nous revient pas de l’y aider.

Donc, si je ne souhaite pas formuler un avis concernant la justification du maintien de l’alimentation de Vincent Lambert, ou au contraire de sa mise à mort par inanition, c’est tout simplement que je ne suis pas concerné par une situation qui de mon point de vue est simplement le fait d’un manque d’anticipation dont nous faisons presque tous preuve en ne nous positionnant pas sur ce point, et d’une incohérence d’un système social qui ne sait plus quoi faire face à des situations de vie qui dépassent la notion de vie qualitative qu’une société comme la nôtre cherche à nous imposer.
La plupart des religions laissent à Dieu le soin de décider de la vie et de la mort, quitte à ne pas comprendre ses choix, l’absence de religion place l’homme en position de Dieu, alors même qu’il a bien conscience de ne pas en avoir les compétences. Cruel dilemme que celui-ci.

Quel que soit le choix qui prévaudra à terme, il ne fera que des victimes et aucun vainqueur.

Éric Delmas – 25/06/2014

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