Les pratiques spirituelles (1)

Les pratiques spirituelles (1)

Comme c’est toujours le cas avec les activités religieuses visibles, les pratiques spirituelles attirent l’attention des sympathisants et des croyants, certains s’autorisant même à les reproduire sans tenir compte de leur fonds spirituel.
Aussi vais-je essayer de vous les présenter, le plus complètement possible — comme je l’ai fait dans mon livre[1] —, afin de vous éviter l’écueil de l’imitation plate et de vous intéresser à leur profonde signification spirituelle.
Cela va me demander des explications longues et détaillées qui interdisent de faire le travail en une seule vidéo.

Les Jours

L’objectif de la pratique des Jours est de forcer notre enveloppe charnelle à supporter de ne plus être le centre de notre vie quotidienne. Ce faisant, nous permettrons de faciliter l’émergence de notre part spirituelle, comme le prisonnier parvient en entassant chaise et table à se hisser à la fenêtre de sa cellule et regarde dehors.

Les cathares pratiquaient les Jours sous forme de jeunes partiels. Ces jeunes comportaient une alimentation limitée à une quantité de pain assez précise et à des boissons claires, à l’époque de l’eau. J’ai tenté d’évaluer la quantité de pain consommé lors de ces jeunes, en me basant sur les écrits qui parlaient d’une tranche de pain par jour. J’ai découvert que les pains de l’époque pesaient entre cinq et sept kilogrammes, ce qui m’a permis d’évaluer le poids de la tranche à environ cent grammes. Aujourd’hui nous avons des liquides clairs beaucoup plus variés qu’à l’époque et c’est pourquoi j’ai introduit les jus de fruit filtrés, les sirops et d’autres boissons qui remplissaient ces critères (café, thé, bouillon de légume, etc.).

Les écrits nous montrent que ces jours étaient ainsi répartis : les lundis, mercredis et vendredis de la semaine. Rien ne permettant de remettre en question ce choix, j’ai donc décidé de l’appliquer aujourd’hui.
Je reviendrai dans une autre vidéo sur la pratique des carêmes qui modifie quelque peu ce que je viens de dire.
Je n’oublie pas non plus que le rythme de prise alimentaire aujourd’hui est bien différent de ce qu’il était au Moyen Âge, à savoir que nous faisons au minimum trois repas par jour quant à l’époque ils en faisaient au mieux deux.

Les Heures

J’en viens maintenant au point fort de cette vidéo, à savoir la pratique des Heures quotidiennes qui étaient bien entendu réservée aux hommes réguliers, c’est-à-dire les chrétiens consolés et les novices en formation.

Comme on l’observe, notamment en matière d’habillement, les cathares avaient des pratiques rituelles qui sur bien des points pouvaient se confondre avec celles des moines catholiques.
C’est notamment le cas des Heures, qui nous sont rapportées dans différents documents dont l’interprétation semble avoir posé des problèmes aux historiens qui ont eu à en faire l’analyse.
La référence en la matière est l’ouvrage de Jean Duvernoy : la religion des cathares[2].

Concernant la fréquence de la pratique des Heures, il cite de nombreux auteurs ou références inquisitoriales qui, grosso modo, parlent d’une fréquence de 12 à 15 rituels par jour. Ce qui apparaît de façon claire est que le rituel est réparti sur le nycthémère de façon régulière, comprenant des rituels simples et d’autres doubles.
Après avoir beaucoup étudié ce sujet et l’avoir comparé aux pratiques que l’on trouvent dans les communautés catholiques, j’en suis arrivé à une proposition d’organisation que je vais vous décrire.
J’ai remarqué que la dénomination donnée aux différentes Heures, comportait quatre noms au pluriel et quatre noms au singulier. J’en ai conclu que les noms au pluriel désignaient les rituels doubles alors que les noms au singulier désignaient les rituels simples.
Nous avons ainsi dans la journée : les matines, les laudes, la prime, la tierce, la sexte, la none, les vêpres et les complies. Quatre heures doubles et quatre heures simples nous donnent bien un total de 12 rituels répartis dans la journée. Cela approche de très près les rapports que Jean Duvernoy a collecté dans son ouvrage.

Pour la répartition horaire au fil de la journée, mes études m’ont montré que les matines se pratiquaient dans l’heure précédant le lever du soleil, c’est-à-dire toujours de nuit, alors que les autres Heures — selon la saison —, pouvaient se pratiquer de jour et de nuit à l’exception des heures centrales, à savoir : tierce, sixte et none qui se pratiquaient essentiellement de jour sous nos latitudes. Mais il faut garder à l’esprit que, au Moyen Âge, on ne vivait pas longtemps à la lumière artificielle, car les bougies coûtaient très cher, ce qui imposait de respecter les cycles naturels de la lumière solaire. Cela avait deux conséquences : déplacer régulièrement l’heure des matines de façon à ce qu’elle se déroule systématiquement dans la dernière heure de nuit et faire de nuit plusieurs Heures dans les saisons où la lumière solaire était plus chiche là où l’on vivait. C’est à mon avis ce qui explique la grande diversité des témoignages concernant les pratiques de jour et les pratiques de nuit. Actuellement, la lumière électrique nous permet de faire toute les Heures sans nous préoccuper précisément de la situation solaire. Cependant, par respect pour nos anciens, j’ai choisi de m’imposer systématiquement de commencer les matines dans l’heure précédant le lever du soleil et de modifier cette Heure en fonction des saisons en utilisant un calendrier solaire, c’est-à-dire en déterminant quatre périodes différentes axées, pour deux sur les solstices et pour deux sur les équinoxes.

Le rituel

Un autre problème apparaît à la lecture de Jean Duvernoy, qui concerne le contenu du rituel.
Il cite essentiellement deux sources : Anselme d’Alexandrie, qui apparaît dans l’ouvrage du Père Dondaine, la hiérarchie cathare, en Italie[3] et le rituel de Lyon, qui apparaît dans le Nouveau Testament cathare provençal, le seul ouvrage complet authentiquement cathare disponible.

Pour expliquer une erreur commise par plusieurs historiens, dont semble-t-il, Jean Duvernoy lui-même, je dois faire une petite digression à propos du Nouveau Testament cathare provençal qui nous a été présenté et bien détaillé par les travaux, notamment d’Anne Brenon et de David Zbiral[4].
Le rituel, ou plutôt les rituels et sacrement qui figurent en annexe de ce Nouveau Testament, ont une particularité qui mérite que l’on s’y attarde.
Les chercheurs nous ont montré de façon indiscutable, à ce jour, que ce document écrit en Italie, à la fin du XIIIe siècle, était remis à des groupes de chrétiens consolés qui repartaient en Languedoc, afin de maintenir vivante la foi cathare au sein de groupes de croyants privés de leur hiérarchie religieuse depuis la chute de Montségur. Pour des raisons de sécurité évidentes, ces groupes ne comportait ni diacre, ni évêque dont la prise par l’Inquisition aurait été beaucoup trop dangereuse. Or, il se trouve que la pratique de certains rituels et du sacrement de la Consolation était traditionnellement réservée aux diacres et aux évêques et que si les chrétiens consolés y assistaient parfois, ils n’en assuraient jamais la direction. L’analyse des textes figurant dans le rituel de Lyon est donc plus un vade-mecum, destiné à permettre à des chrétiens consolés de remplacer anciens, diacres et évêques en des temps où ceux-ci ne pouvaient se déplacer eux-mêmes. Cela est confirmé par le contenu de cet ouvrage qui ne comporte aucun rituel, pratiqué par la communauté évangélique au quotidien, comme l’Amélioration, la bénédiction du pain, le baiser de paix ou les Heures.

Le fait que le rituel, qui apparaît dans le sacrement de la Consolation du rituel de Lyon, nous permet de considérer que ce dernier est volontairement raccourci, car l’ensemble du sacrement, souvent précédé du rituel de l’oraison, est déjà suffisamment long, d’autant plus que le public qui y assistait ne se limitait pas aux religieux, mais comportait aussi les croyants, comme le montre notamment la Consolation d’Esclarmonde de Foix à laquelle assistait son frère le comte.
De ce fait, il est plus facile maintenant de comprendre que les deux rituels qui apparaissent à la page 185 du livre de Jean Duvernoy désignent en fait deux choses très différentes : le rituel quotidien des maisons cathares et le rituel exceptionnel du sacrement de la Consolation.
Nous pouvons donc désormais considérer que le rituel des Heures comporte bien 13 Pater dits par l’ensemble de la communauté, suivis d’un Pater dit par l’ancien et ensuite un Pater en commun, suivi de trois Pater dits par l’ancien à la fin du rituel.

Il reste un point plus difficile à considérer : c’est celui des pratiques liées à l’Adoremus (Prions devant…). En effet, les témoignages parlent d’une centaine de génuflexions par jour, mais on trouve aussi des descriptions qui ressemblent à des prosternations directes ou par l’intermédiaire d’un banc. D’un autre côté il y a un doute concernant la façon dont se déroule l’Adoremus. Il y en a sept par rituel répartis en deux séries de trois et un isolé à la fin. D’après le texte on pourrait considérer que l’ancien dit les trois Adoremus de suite et que la prosternation vient à la fin. Cela ne ferait alors que 24 à 36 par jour, bien loin de la centaine évoquée plus haut. Personnellement, face à ce manque de précision j’ai choisi une prosternation après chaque Adoremus, ce qui en fait 84 par jour auxquels on ajoute les deux liés aux Améliorations du matin et du soir. Cela nous rapproche davantage du nombre évoqué, même s’il faut rester prudent concernant des témoignages issus pour la plupart de polémistes qui n’ont sans doute jamais assisté à ces rites et qui n’en ont eu connaissance que par ouï-dire.

La répartition des Heures

Pour terminer cette vidéo, il ne reste plus qu’à restituer dans le temps et dans l’espace les différentes heures de la journée.

On l’a dit, les matines commencent dans l’heure précédant le lever du soleil. À l’usage, j’ai remarqué qu’une pratique raisonnable, justifie un temps rituel de 10 minutes auquel il faut ajouter un temps d’étude et de discussion d’égale durée.

Les laudes doivent être dites dans l’heure qui suit le lever du soleil. C’est pourquoi je les ai situées à un intervalle exact d’une heure après le début des matines.

La prime, comme son nom l’indique, se situe dans la première heure du jour ; je l’ai donc positionnée 40 minutes après le début des laudes avec lesquelles elle s’enchaîne sans repos. Les laudes constituent donc l’heure de référence de l’ensemble de la journée.

La tierce, la sexte, la none et les vêpres interviennent donc respectivement, trois, six, neuf et douze heures après les laudes.

Les complies correspondent à l’Heure précédant le coucher. Pour assurer un sommeil garanti de sept heures, j’ai donc choisi de les placer 2h30 après le début des vêpres. Ainsi il reste une demi-heure pour se préparer au coucher et effectuer l’Amélioration avant de se mettre au lit.

J’ai indiqué sur le site de façon précise, la répartition des Heures rituelles en fonction des saisons afin que vous puissiez vous y référer à chaque fois que vous jugez nécessaire de me contacter, ainsi assuré de ne pas me déranger pendant mes pratiques rituelles.

Guilhem de Carcassonne, le 07 septembre 2025


[1] Éric Delmas : Catharisme d’aujourd’hui, seconde édition 2015. Disponible sur le site.

[2] Jean Duvernoy : La religion des cathares, in Le catharisme (1976). Éditions Privat, Toulouse, pp. 184-186.

[3] Antoine Dondaine : La hiérarchie cathare en Italie, in Archivum Fratrum Praedicatorum, t. XX, p. 316

[4] Anne Brenon : Le dernier des cathares – Pèire Autier, (2006). Éditions Perrin.

Guilhem de Carcassonne

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