La pratique de l’ascèse
« Dis Maman, comment on fait des bébés ? »
Cette phrase, tous les parents l’ont entendue un jour de leur bambin, aux environs de ses cinq ans, prononcée sans vice ni intention tortueuse, mais tout simplement et candidement, car ce sujet intrique les enfants qui ne le connaissent que de l’extérieur, du moins pour ceux qui ont eu un petit frère ou une petite sœur.
Bien entendu, aucun parent n’a jamais envisagé d’expliquer en détail à son enfant, tout au moins à cet âge, ce qu’il en était de l’amour physique entre un homme et une femme, de ce que ressentait chacun des participants et des motivations qui poussaient à décider de telles pratiques, quand dans le même temps, les mêmes parents, disent régulièrement à leurs enfants que tout ce qui touche aux parties intimes ne doit pas faire l’objet d’une exposition publique.
Si je prends cet exemple, qui peut vous sembler hors de propos, c’est tout simplement pour vous expliquer de façon simple et aussi audible que possible ce qu’il en est de la pratique de l’ascèse. En effet, je lis régulièrement dans les publications des uns et des autres, des analyses, des études, des points de vue, concernant les pratiques acétiques des cathares qui me font sourire et qui me montrent à quel point ces personnes sont loin de l’état spirituel que les cathares avaient atteint à l’époque où ils pratiquaient cette ascèse. Cependant, ne pensez pas que je me moque de ces personnes, car en effet il est impossible d’avoir une connaissance intime d’une pratique que l’on a choisi de ne pas mettre en œuvre soi-même, mais qui exerce une attraction intellectuelle extrêmement puissante, et disons-le tout simplement qui stimule très fortement notre égo.
Comme je l’ai déjà expliqué auparavant, l’ascèse chez les cathares s’appuie sur les deux fondamentaux de la spiritualité de cette religion qui sont l’humilité et la non violence absolue. Or, ces deux fondamentaux ont un point commun essentiel qui est le rejet de l’égo.
Le jeûne
C’est la pratique la plus intrigante et la plus critiquée chez les spirituels de la part de personnes qui, bien entendu, n’envisagent pas de la pratiquer de façon étendue. Le jeûne est pour l’égo la pratique la plus mortifère qui soit puisque son objectif est de nous maintenir en vie et que le jeûne peut donner à penser que l’on recherche la mort.
Pourtant, il y a eu une mode, qui dure peut-être, qui consistait à pratiquer un jeune hydrique strict, encadré, de façon à aider les gens à « évacuer le surplus lié à notre vie moderne » et qui donnait lieu à des stages de plusieurs jours pendant lesquels les pratiquants ne s’autorisaient que des apports hydriques et des bouillons légers.
Bien avant de me lancer dans mon noviciat, je pratiquais moi-même un jeune hebdomadaire, le samedi, au cours duquel je ne prenais aucun aliment, solide, car j’avais remarqué que ce jour-là, outre le temps, épargné pour la préparation, la prise et le nettoyage après repas, je ressentais également une grande disponibilité physique qui me permettait par exemple de faire plus de 60 km de vélo par monts et par vaux. En fait et sans le savoir à l’époque, je testais la mise à l’écart de l’égo au profit d’une pratique plus saine qui m’apportait les satisfactions que je ne pouvais pas imaginer autrement.
Vous comprenez aisément que le jeûne régulier et modéré est donc un excellent moyen pour tenir son égo « en laisse ». En habituant son corps à de modestes privations (excepté lors des carêmes), on montre à son égo que l’esprit peut le dominer ponctuellement. Mais pour que cela soit efficace, il faut que l’esprit, soit préparé à prendre la place de l’égo. En effet, en cas de vacance spirituelle, l’égo revient à la charge et tente de nous pousser à rompre le jeûne ou à en faire un outil mondain de domination. C’est souvent le cas des gens qui pratiquent le jeûne pour des motifs d’esthétique, de récupération de puissance, physique, etc. C’est sans doute pourquoi les cathares disaient aux croyants que leur pratique du jeûne ne portait pas de fruit, car ils n’étaient pas en état spirituel de le rendre efficace.
Les pratiques visant les besoins mondains
Je ne vais pas revenir en détail sur ce que je vous avais déjà dit dans un prêche précédent, il y a quelques temps déjà, mais je vais simplement vous rappeler une évidence, à savoir que toutes les pratiques qui ont pour objet de satisfaire des besoins mondains : alimentation, sensualité, possession, accaparation, action sociale ou politique, sont des obstacles évidents à une pratique spirituelle, avancée.
Par conséquent, si l’on veut amoindrir la puissance de son ego dans ces domaines, il est clair qu’il faut se mettre en retrait du monde et ne plus chercher le plaisir le pouvoir la domination.
Les pratiques sociales
Qu’elles aient un but caritatif ou simplement visant à organiser la vie sociale, ces pratiques doivent être considérés avec beaucoup de circonspection.
Dans le domaine caritatif, chacun fait ce qu’il peut comme il peut, en veillant, néanmoins à ne pas se mettre en avant, dans le respect du conseil spirituel que l’on trouve dans l’Évangile : « Quand tu fais la charité que ta main gauche, ignore ce que fait ta main droite. » C’est pour cela que je considère qu’il ne peut y avoir d’activité caritative affichée au nom du catharisme.
Pour ce qui est des activités sociales, il faut différencier celles qui ont une action locale (fête des voisins, kermesse, etc.) de celles qui ont une visée plus large ou qui ont un but revendicatif. Il est clair que pour des gens qui considèrent le monde comme l’œuvre du diable, la défense de ce monde sous quelques forme que ce soit ne peut être cohérente. En outre, quand on s’inscrit dans une activité de défense d’un groupe qu’il soit professionnel, social, politique, ethnique ou autre, on exerce une activité de pouvoir qui est contraire à l’humilité, fondamentalement prônée par notre religion.
Les pratiques spirituelles
Un autre point qui est souvent attractif pour les sympathisants et les croyants débutants du catharistme est la pratique spirituelle. Je garde le souvenir d’un ami proche qui était tellement attiré par cette pratique qu’il voulait la mettre en œuvre en groupe à toute occasion, ce qu’il fit, notamment, lors d’une rencontre qui s’était déroulée du côté de Perpignan et qu’il tenta ensuite de mettre en œuvre de façon plus régulière à l’occasion de retraite spirituelle organisée sur une semaine. Que cela donne des résultats ou pas. Cela reste néanmoins une erreur. En effet, les pratiques spirituelles cathares sont majoritairement destinés à des personnes qui ont atteint un niveau d’avancement spirituel relativement important. Les rares pratiques disponibles pour les débutants sont le baiser de paix (caretas) et l’Amélioration (Melhorer).
Ce n’est pas par snobisme ou par désir d’élitisme que le catharisme limite l’accès à ses pratiques aux personnes qui n’ont pas encore atteint un niveau d’avancement suffisant. La raison est toute simple, la méditation qui entoure ces pratiques est telle que si on est insuffisamment préparé il y a un risque non négligeable de dérive spirituelle qu’il est ensuite très difficile de corriger.
Le Pater est un exemple très clair de ce problème. C’est pour cela que les croyants n’avaient pas le droit de le pratiquer et que les cathares avaient proposé une alternative qui est le Père Saint.
L’ascèse, pour qui, pourquoi ?
Contrairement à d’autres religions, voire à des organismes qui parfois peuvent être considérés comme des sectes, le catharisme ne cherche pas à créer une cohésion ecclésiale par le biais de pratiques mondaines ou spirituelles destinées à flatter l’égo des membres en leur faisant croire qu’ils ont rejoint une élite qui aura seule accès au salut.
Au contraire, il met en œuvre un processus progressif d’avancement permettant à chacun de trouver une place adaptée à son état spirituel et de pouvoir ensuite avancer seul avec, quand c’est nécessaire, le soutien d’une personne plus avancée que lui.
Ce choix est dicté par notre religion et notamment par les deux fondamentaux de notre doctrine que sont la non-violence absolue et l’humilité. En effet, le catharisme n’a pas besoin de se présenter comme une école élitiste ni même comme la seule religion susceptible de conduire au salut. Comme il est dit chez Jean : « Il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père », ce qui pour nous revient à dire que les religions et les philosophies de ce monde sont des demeures qui recueillent des personnes désireuses d’aller vers le Père, mais qu’aucune ne saurait prétendre être la maison du Père en elle-même.
L’acèse est un processus actif permettant à un croyant avancé et à un chrétien accompli ou en cours de noviciat de se mettre dans un état spirituel adapté à son objectif de lâcher prise de la mondanité, doit être considérée comme un outil et non comme une fin en soi. De même que l’adulte choisit les outils et les actions qu’il va autoriser à son enfant, selon son âge, pour lui donner l’impression de participer et l’aider à apprendre à faire et à manipuler, le chrétien fixera au croyant et au novice des pratiques et des limites qu’il pensera justifiées pour leur permettre de progresser.
Si je précise bien que cela doit venir du chrétien c’est pour éviter au sympathisant et au croyant de décider de lui-même s’il est ou non apte à faire ceci ou cela. J’avais expliqué ce problème dans un texte précédent, relatif aux différents âges de la vie spirituelle. Je vous invite à le relire ou à le réécouter.
Pour conclure, je voudrais simplement vous dire que l’impatience est le pire ennemi du croyant comme elle l’est du coureur à pied, car dans les deux cas elle provoque le plus souvent la chute et l’échec.
« Tout vient à temps pour qui s’ait attendre » ; ce dicton prend pleinement son sens dans l’avancement spirituel.
Je ne peux donc que vous conseiller, si vous voulez en tenir compte bien entendu, de prendre tout votre temps pour bien appréhender la doctrine cathare et les différents éléments de sa mise en œuvre à chaque moment de l’avancement individuel. Pour cela, je pense vous avoir donné matière à travailler par le biais des textes publiés sur le site et par mes précédents prêches. Cependant, je reste à votre totale disposition dans les forums pour discuter des points qui vous posent question et vous aider, dans la faible mesure de mes moyens, à progresser dans votre cheminement personnel.
Guilhem de Carcassonne le 20 juillet 2025