Curieux, sympathisant, croyant
Comme on le découvre en lisant les interrogatoires de l’Inquisition au Moyen Âge, les chrétiens consolés, lorsqu’il prêchaient dans les villages ou dans les maisons cathares, s’adressaient à deux catégories de personnes différentes : les auditeurs et les croyants.
Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’options pour qui que ce soit d’être classé dans des catégories très variées. En effet, d’un point de vue religieux, on était soit catholique, soit juif, soit païen. La catégorie des athées n’était pas reconnue à cette époque-là, comme elle l’est aujourd’hui.
Aussi, à notre époque, nous sommes amenés à considérer non plus deux, mais trois catégories de personnes à qui peut s’adresser le catharisme : les curieux, les sympathisants et les croyants.
C’est de cela que je veux vous parler aujourd’hui, car il me semble important de faire comprendre à tout un chacun comment il peut se définir par rapport à ce qu’il lit, entend ou voit concernant le catharisme.
Les curieux
C’est de loin, bien entendu, la catégorie la plus importante de la population qui peut être amenée pour diverses raisons à entendre parler du catharisme de nos jours.
Pour autant, il n’y a pas de raison que je m’attarde longtemps sur cette catégorie qui ne présente que très peu d’intérêt par rapport à ce domaine de connaissances, qui en fait ne les concerne en rien.
Comme son nom l’indique, le curieux est une personne qui se trouve, en général par hasard, amenée à se renseigner de façon un peu plus précise sur ce sujet qui est cité assez régulièrement, même si c’est le plus souvent à tort.
Le rapport entre le curieux et le catharisme est donc quasiment nul. Après s’être sommairement renseigné, il ne trouvera aucun intérêt à aller plus loin et continuera son chemin dans les domaines qui le concernent davantage.
Les sympathisants
Cette catégorie, quoique moins nombreuse que la précédente, est néanmoins largement représentée dans la société. Il s’agit de personnes, qui pour des raisons variées vont vouloir non seulement se renseigner, mais également étudier, légèrement ou plus profondément, le catharisme, non seulement par curiosité, mais souvent également, car cela éveille en eux, un intérêt philosophique ou spirituel, qui pourtant ne les amènera jamais à changer leurs propres choix spirituels pour rejoindre cette religion.
Ils constituent la grande masse des personnes qui s’intéressent au catharisme. Si certains vont assez loin dans leurs recherches et dans leur étude, la plupart resteront néanmoins à un niveau suffisamment superficiel pour ne pas être en mesure de saisir certaines finesses de cette religion et pour faire le tri entre les informations émanant de la documentation médiévale, faute d’avoir pu saisir profondément la philosophie et la spiritualité cathare qui ne peuvent être prises en défaut, malgré des témoignages qui s’avéreront secondairement douteux.
Beaucoup, parmi les sympathisants, auront même tendance à chercher des ponts entre différents courants de pensée ou différentes spiritualités, histoire d’organiser leur connaissance du sujet sur des bases qui leur sont familières. Cela s’avérera le plus souvent néfaste, car il faut avoir bien en tête que le catharisme ne peut en aucune façon être superposable à une autre philosophie ou religion, tant son particularisme et sa fidélité au christianisme authentique en font une pensée à nulle autre pareille.
Cela s’observe souvent dans les discussions que nous sommes amenés à avoir sur des forums ou dans des rencontres avec des personnes qui ne savent pas faire le tri entre différents témoignages, recueillis notamment dans les interrogatoires de l’Inquisition, certains étant issus de croyants médiévaux et d’autres de témoins indirects, voire de personnes intéressées à satisfaire l’inquisiteur afin d’éviter toute sanction ou toute spoliation de ses biens.
Cela participe fortement à une méconnaissance générale du sujet qu’il est très difficile de combattre tant les personnes concernées sont persuadées d’avoir bien compris ce qu’elles ont lu. Elles nous opposent même régulièrement ces témoignages en prétextant qu’étant d’origine, ils ne sauraient être discutables. En effet, seule une bonne connaissance de la doctrine et de la pratique cathares médiévales permet de faire le tri entre les différents témoignages et une étude des personnages aide souvent à différencier les croyants des autres.
Pour illustrer cela, il me revient à l’esprit, le témoignage de Sibylle Peyre dans le Registre d’Inquisition de Pamiers que recueillit l’évêque Jacques Fournier, futur pape Benoît XII, dont nous avons une grande partie de la transcription et de la traduction grâce à Jean Duvernoy, dans les trois volumes éponymes que nous pouvons consulter à loisir. Dans sa déposition Sibylle tient des propos étonnants et pour tout dire incohérents. Elle nous parle notamment d’un bon chrétien qui aurait été dans une vie précédente un cheval et qui aurait perdu son fer en un lieu bien précis qu’il retrouve quelques années plus tard, une fois devenu chrétien. Elle évoque également un homme qui, dans la même nuit, se fait consoler et est sauvé alors que le matin même il ne connaissait rien du catharisme. L’incohérence de ce témoignage est plus facile à comprendre si l’on sait que Sibylle était mariée à un croyant sincère, alors qu’elle-même ne voulait pas entendre parler de catharisme et qu’elle était inquiète des conséquences que cela pourrait avoir pour elle et pour ses biens si son mari se faisait arrêter. Étant interrogée et se sentant menacée, il est facile de comprendre qu’elle chercha à tout prix à satisfaire l’évêque inquisiteur en lui proposant avec force détails des situations extrêmement claires concernant l’hérésie. Bien entendu, son témoignage est à prendre avec énormément de méfiance et à mettre sur le compte de son angoisse et de son intérêt à ne pas se voir spoliée de ses biens, ce qui était le cas des familles dont un des membres était reconnu coupable d’hérésie.
Certes, elle n’était pas croyante et l’on peut dire qu’elle n’était même pas sympathisante, mais pour l’époque, elle appartenait à la catégorie des auditeurs, c’est-à-dire des personnes qui étaient amenées à entendre des prêches cathares, puisque son mari lui imposait de recevoir des cathares à la maison, même contre son gré.
Aujourd’hui, un sympathisant est une personne qui va s’intéresser au catharisme, y compris de façon approfondie, mais sans jamais ressentir en son for intérieur une quelconque correspondance avec sa vision philosophique et surtout religieuse qui peut être autre voire qui peut ne pas exister, comme c’est le cas chez les athées.
Les croyants
Cette catégorie, si elle est moins nombreuse que les deux précédentes, est néanmoins beaucoup plus variée, car elle décrit sous un même vocable, différents états d’avancement spirituel que je vais essayer d’expliquer simplement ici.
La lecture des textes, notamment, ceux de l’Inquisition de Pamiers, nous révèle cette grande diversité, puisque nous y trouvons notamment des croyants qui sont à deux doigts de commettre un meurtre pour se protéger d’une personne considérée comme potentiellement susceptible de les dénoncer à l’Inquisition et des personnes dont l’avancement spirituel est tel qu’on se demande ce qui les empêche d’entrer en noviciat.
De nos jours, les choses sont comparables, car nous verrons que ce qui détermine le caractère d’une personne, dite croyante cathare, n’est en aucune façon lié à son comportement quotidien dans le monde d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs une grande source d’erreur de la part des personnes qui soit, ont tendance à reconnaître comme croyante toute personne relativement active dans le domaine du catharisme, soit à considérer qu’un croyant doit se comporter quasiment comme un chrétien consolé.
En fait, le croyant est celui qui va avoir une énorme partie de cheminement à faire dans ce monde, entre un statut totalement mondain et assumé comme tel, et un statut de détachement quasi total des obligations mondaines. Or cette distinction et très difficile à réaliser quand on la constate depuis un positionnement de sympathisant ou de croyant débutant, ce qui conduit forcément à une sur ou sous-estimation de la réalité de l’avancement spirituel des personnes concernées, particulièrement quand il s’agit de nous-mêmes.
C’est pourquoi nous avons besoin d’une base stable et simple à comprendre pour déterminer ce qui relève du statut de croyant de ce qui soit relève du statut de sympathisant voire du statut de novice. Dans le catharisme, le croyant est celui qui considère de façon intime et profonde que son salut spirituel ne peut se faire que par l’intermédiaire et dans le respect de la religion cathare. Par conséquent, il ne s’agit en aucune façon d’un comportement mondain, proche de la perfection, ni d’un sentiment personnel d’adhésion plus ou moins superficiel à la doctrine cathare, qui serait même parfois vécue comme une sorte de morale laïque.
Le problème principal que pose cette analyse, à savoir considérer que l’on ne peut envisager son propre salut qu’au sein du catharisme et de sa doctrine, est qu’elle oblige à comprendre qu’il va y avoir une évolution importante dans notre propre conception intellectuelle et spirituelle au fil du temps et au fur et à mesure que nous allons intégrer dans notre comportement quotidien ce que nous dit la doctrine cathare.
Autant au début cela sera relativement facile, car les ambitions seront modestes eut égard au sentiment que l’on aura de notre éloignement du but visé. Le problème viendra plus tard, quand nous commencerons à avoir bien intégré un nombre d’éléments non négligeable de la doctrine cathare et que nous buterons sur des points qui nous semblent insurmontables, tout simplement parce qu’ils demandent plus de temps et d’efforts.
Le danger est donc qu’à ce moment, la tentation de faire marche arrière ou de renoncer à l’objectif espéré, en cherchant à trouver de bonnes raisons de rester un simple sympathisant plutôt qu’un croyant, sera très forte. Si l’argument avancé peut sembler justifié, le choix de renoncer ou de retarder ne l’est pas.
Quand dans notre vie quotidienne, nous rencontrons des difficultés ou des obstacles, a priori insurmontables, mais que l’objectif poursuivi nous semble essentiel, nous ne choisissons pas de renoncer, mais de renforcer nos efforts, voire quand c’est possible, de contourner l’obstacle. En matière de spiritualité, il n’y a pas de différence quant au comportement à adopter.
Conclusion
Ce qui me semble très important à comprendre, pour qui que ce soit, c’est que le catharisme ne doit pas être considéré comme un élément dont les parties sont dissociables : l’histoire d’un côté, la spiritualité de l’autre. Le catharisme est un tout qu’il convient de considérer comme tel et que l’on ne peut aborder dans sa profondeur qu’avec cette conscience bien ancrée en nous.
Si cela vous semble quelque peu d’un intérêt très relatif, c’est que vous êtes un curieux qui a satisfait sa curiosité de façon plus ou moins approfondie, mais qui n’a aucune raison à vouloir continuer d’avancer dans ce cheminement.
Si cela vous passionne et que vous ressentez une attraction intellectuelle, émotionnelle envers le catharisme, mais qu’à aucun moment il ne vous viendrait à l’idée d’en faire votre religion dans l’espoir du salut, c’est que vous êtes un sympathisant et je ne peux que vous conseiller de continuer dans cette voie, car elle me semble susceptible, si les conditions sont réunies un jour, de vous permettre de passer le cap et de devenir croyant.
Enfin, si après mûre réflexion et comme je conseille souvent, après une étude approfondie d’autres religions pour voir s’il n’y aurait pas chaussure à votre pied comme l’on dit, vous considérez que seul le catharisme est apte à vous permettre de cheminer dans votre foi, afin d’atteindre un jour le salut, c’est que vous êtes un croyant et ce quoi que vous fassiez dans votre vie mondaine au moment déterminé.
La saine compréhension de ces trois états particuliers est essentielle pour éviter d’emprunter un choix intellectuel, qui risque de vous mener sur des voies erronées et vous faire ainsi perdre beaucoup de temps dans votre détermination spirituelle et le choix de la religion adaptée.
Éviter donc les deux écueils majeurs dans ce domaine que sont, l’embrasement subit et incontrôlé du jeune sympathisant, qui se terminera en feu de paille ou l’abandon désabusé du croyant qui se rend compte de l’importance des difficultés encore devant lui.
L’humilité et la patience sont deux vertus cardinales en matière de catharisme.
Guilhem de Carcassonne, le 16 novembre 2025