Comment peut-on être cathare ?

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Comment peut-on être cathare ?

Qu’en est-il aujourd’hui de l’hypothèse cathare ?

Si j’ai choisi un titre qui rappelle une remarque des Lettres persanes de Montesquieu[1], c’est qu’il m’apparaît parfois qu’émettre l’idée de la résurgence du catharisme provoque la même réaction d’un public, soit totalement ignorant des particularités de ce christianisme, soit totalement gavé de la propagande issue des politiques et des judéo-chrétiens de la région. Mais, pour peu qu’on se donne la peine de réfléchir, les choses semblent moins claires que cette hypothèse selon laquelle le catharisme a totalement disparu depuis le Moyen-Âge et qu’il ne peut réapparaître tant ses caractéristiques le rendent inapte à notre époque.
Cette approche est clairement marquée du sceau de la culture judéo-chrétienne — essentiellement catholique, mais aussi un peu protestante et orthodoxe — qui considère les religions chrétiennes comme forcément contraintes dans le carcan d’une dogmatique figée et intangible.
Le catharisme, héritier des pagano-christianismes issus du schisme entre les communautés juives de Jérusalem, survenus après la mort d’Étienne et confirmé par Paul en 49, qui concevait christ comme une rupture avec le judaïsme, n’est pas dogmatique dans sa doctrine et dans sa pratique, mais simplement ouvert sur les savoirs qui nourrissent sa connaissance.
À l’instar de la philosophie dont il se sert abondamment pour construire son argumentaire, le catharisme n’est pas lié physiquement avec le monde, puisqu’il en rejette la création sur le Mal. Détaché de tout lien matériel et conceptuel avec cette création, le catharisme évolue librement dans les pensées et sa doctrine ne peut être dogmatique, ce qui la rend adaptable à toutes les évolutions du savoir humain. De ce fait, le catharisme est compatible avec toutes les époques humaines puisqu’il n’est attaché à aucune.

Pourquoi rejeter l’idée d’une persistance du catharisme ?

D’où vient donc le rejet de l’hypothèse d’une résurgence du catharisme ?
Il y a des raisons culturelles, comme je l’évoquais plus haut ; c’est-à-dire que, pour ceux qui acceptent la réalité du catharisme médiéval, elle relève de leur incapacité à comprendre ce que veut dire le concept de non-matérialité du catharisme. En effet, le dogmatisme judéo-chrétien pousse souvent les hommes à considérer que rien de non dogmatique ne peut exister. Or, une religion non-violente, sans recherche de pouvoir ni de fortune, strictement égalitaire et humble à l’extrême ne peut avoir la moindre chance de survivre dans le monde d’aujourd’hui.
Mais l’état fortement dégradé de notre monde n’est rien d’autre qu’une adaptation moderne de ce qu’il était au Moyen-Âge : les seigneurs et les rois ne sont plus de droit divin, mais établis par le profit et la richesse, les inégalités ne touchent plus les mêmes catégories — ou du moins de façon moins importante — mais elles ont trouvé d’autres catégories sur lesquelles elles peuvent s’appliquer, la vanité est toujours la même, la violence et la volonté de pouvoir n’a pas changée, etc. Donc, le catharisme d’aujourd’hui sera en butte avec les mêmes problématiques, même si l’on peut espérer qu’elles s’exprimeront avec moins de spontanéité peut-être.
Il y a des raisons politiques qui reposent sur une méconnaissance du sujet qui pousse nos décideurs à imaginer un risque social qui ne peut exister du fait des cathares. En effet, contrairement au judéo-christianisme (catholique sous nos latitudes), le catharisme ne cherche pas à s’imposer, mais se contente de proposer à chacun de réfléchir différemment pour vérifier la validité de ses certitudes. La seule perturbation qu’il peut provoquer est donc intime et non sociale ou politique.
Sur le plan économique, nos politiques pensent que la culture est susceptible de rendre les citoyens exigeants, ce qui explique la volonté d’abêtissement des foules que l’on observe, afin de privilégier une approche consumériste plutôt que culturelle. Concernant le catharisme, qui ne dispose pas de volonté procédurière, cela atteint parfois des sommets avec le développement de commerces totalement ignorant des règles de vie des cathares : rejet de l’alimentation carnée (cassoulet cathare, kebab cathare, etc.), du mépris du corps matériel (pompes funèbres cathares, etc.) et de la non-violence cathare (équipe de rugby et de karaté portant le qualificatif cathare).
Il y a aussi des raisons religieuses, de la part des catholiques notamment, qui tiennent au fait que le niveau culturel de la population est bien meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque médiévale. Déjà que bien des personnes se disant croyantes et pensant appartenir à l’Église catholique en rejettent certains dogmes, comme le refus de la contraception, de l’homosexualité et de l’avortement ; ce qui les place de fait hors de cette religion, cette dernière préfère éviter de rappeler ce fait pour conserver ses ouailles sans lesquelles elle serait vouée à la disparition, elle sent bien que s’il existait un comparatif entre catholicisme et catharisme, les croyants pourraient rapidement s’apercevoir de la cohérence de ce dernier, ce qui nuirait fortement au catholicisme. Les plus « libéraux » essaient bien de chercher des ponts permettant une coexistence pacifique, comme ce fut le cas de Mgr Jean-Marc Eychenne, évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix, quand il organisa, à la demande de ses administrés, une repentance pour le massacre de Montségur (16/10/2016). Mais la frange la plus réactionnaire, déjà en lutte contre un pape laxiste à ses yeux, ne veut pas entendre parler d’une potentielle et partielle reconnaissance du catharisme.

Comment le catharisme pourrait-il être perçu aujourd’hui ?

Il existe des religions que l’on ne peut rejoindre que par des voies étroites, notamment celle du sang, mais de façon plus générale, l’adhésion à une religion se fait par la reconnaissance de la validité de sa doctrine et l’engagement dans une vie correspondant à ses critères.
Donc, rien n’interdit de penser que l’on puisse faire de même avec le catharisme. D’ailleurs en matière de christianisme on observe que l’adhésion personnelle n’est pas toujours requise puisque les catholiques baptisent leurs enfants, dès la naissance, c’est-à-dire à une période où ces derniers ne risquent pas d’avoir une opinion personnelle.
Les vicissitudes qu’a connues le catharisme au Moyen-Âge sont-elles en mesure de l’avoir définitivement éteint ? Si l’on se donne la peine d’en étudier la doctrine et la « théologie » on note qu’un point fondamental est que pour les cathares, tout ce qui relève de monde est soumis au Mal et à son séide, le diable.
Donc, les desseins divins et l’avenir des créatures divines ne peuvent en aucun cas être soumis durablement à des événements de ce monde. L’apparente disparition des Bons-Chrétiens ne peut influencer l’avenir du catharisme.
D’abord parce qu’il est notable de constater la disparition des sources d’un certain nombre de Bons-Chrétiens, notamment dans le Quercy, sans que rien n’indique leur arrestation ou leur mort. Si je ne doute pas qu’ils aient fini par mourir, contrairement au héros de Kate Mosse dans Labyrinthe[2], rien n’interdit de penser qu’ils aient pu adapter leur mode de fonctionnement à la nouvelle situation, comme l’ont fait d’autres avant eux, et notamment les pauliciens.
Ensuite, quand bien même ils n’y seraient pas parvenus, la spiritualité cathare demeurant connaissable, rien n’interdit de voir se lever des hommes et des femmes qui, la reconnaissant pour valable, désirent la remettre en avant dans le concert des christianismes. Le nom que se donnent, ou se donneront, ces personnes importe peu ; ce qui compte c’est la façon dont ils développeront leur doctrine comparativement à celle des cathares médiévaux et la façon dont ils la mettront en œuvre dans leur vie mondaine.
Donc il s’avère évident que rien ne peut objectivement venir s’opposer à la persistance ou à la résurgence du catharisme. Alors, pourquoi certains veulent-ils l’empêcher ? Les raisons sont nombreuses à mon avis.
D’abord il y a les incultes qui ne connaissant pas le sujet au-delà des inexactitudes qui se diffusent largement dans la population, veulent le laisser sombrer dans les oubliettes de l’histoire faute de se donner le mal de l’approfondir.
Il y a les romantiques qui, l’ayant paré de toutes les qualités, ne peuvent le laisser s’incarner au risque de le voir perdre certaines parures dont ils l’avaient orné.
Il y a les opposants religieux qui, connaissant la qualité de sa doctrine, ne veulent pas se retrouver avec un adversaire idéologique susceptible de mettre en exergue les incohérences de leur propre doctrine.
Il y a ceux qui l’ont largement expliqué et qui ont fait leur carrière sur une présentation partielle du catharisme et qui ne veulent pas le voir resurgir au risque de remettre en question certaines affirmations qui ont assis leur autorité scientifique.
Il y a ceux qui voient dans le catharisme un danger politique et social susceptible d’inspirer à des personnes en souffrance un désir de révolte contre un ordre établi, ce qui ne repose finalement sur rien.

Que faut-il penser d’une résurgence du catharisme ?

À mon humble avis, la réponse est : rien !
Le catharisme n’est rien d’autre qu’une religion comme les autres du point de vue d’une société qui se croit laïque et il est même une religion sans danger puisque volontairement dégagée de tout désir d’influence sur ce monde.
Que des personnes se lèvent aujourd’hui pour affirmer leur adhésion à cette religion ne pose pas de problème, sauf si elles le font de façon erronée. Et alors, l’intelligence serait de bien connaître cette religion pour les confronter à leurs propres incohérences plutôt que de lutter contre leur volonté de la faire exister en tant que telle.
Quant à celles et ceux qui se diront cathares et agiront en plein accord avec cette affirmation, ils ne seront jamais un danger, ni pour la société, ni pour aucun système politique, ni même pour les autres religions, sauf à voir ces dernières perdre une partie de leurs troupes qui auraient l’idée de comparer les doctrines.
En outre, il ne faut pas se leurrer, la résurgence cathare d’aujourd’hui ne connaîtra pas un grand succès, car le catharisme n’est pas une religion attrayante en raison de ce qu’il implique dans les choix de vie personnelle.
L’objectif du catharisme n’a jamais été et ne sera pas demain de devenir un pilier de la spiritualité mondaine. Le catharisme est une démarche individuelle qui pousse à l’humilité et à un certain niveau de détachement de ce monde, aucun risque donc de le voir produire des tribuns ou des dirigeants capables de faire de l’ombre à quiconque.
En fait l’opposition à la résurgence cathare tient plus aux problèmes personnels de ceux qui veulent l’empêcher qu’au catharisme lui-même.
Les religieux qui craignent que le catharisme puisse mettre en évidence les carences de leur propre doctrine devraient travailler à l’améliorer plutôt que chercher à empêcher sa révélation.
Les politiques qui craignent que leur autorité soit remise en cause devraient essayer de prendre des décisions favorables à la cité (vrai sens du mot politique) plutôt que défendre leurs intérêts personnels.
Les scientifiques, chercheurs, conteurs ou poètes qui ont cru à un catharisme rêvé ou circonscrit à une période définie, devraient reprendre leurs travaux plutôt que chercher à empêcher l’émergence de conclusions différentes des leurs. J’ai toujours en mémoire le courage d’un Déodat Roché qui à la fin de sa vie n’a pas hésité à reconnaître que ses croyances ésotériques vis-à-vis du catharisme étaient en fait des erreurs de sa part, d’après ce que des témoins m’ont rapporté. Chapeau bas monsieur !

Guilhem de Carcassonne, le 14 mai 2023.


[1] Lettres persanes, lettre 30 – Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755), Éditions Gallimard (Folio).

[2] Labyrinthe – Kate Mosse (2005-2006) – Version française chez Jean-Claude Lattès.

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