Rituel occitan de Lyon : La Règle des Bons-Chrétiens

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Ce texte est tiré du Nouveau Testament de Lyon publié chez Slatkine reprints à Genève à partir du document original de M. L. Clédat, Professeur à la Faculté des Lettres de Lyon.
Le seul original connu est actuellement la propriété de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon qui l’a indexé dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque du Palais Saint-Pierre sous la côte n°36.
D’après les travaux de Anne Brenon, David Sbiral et leur équipe, cet ouvrage pourrait être daté de la fin du XIIIe siècle et aurait été rédigé en Italie du nord. Ce faisant, il se pourrait qu’il ait été la propriété de Peire Autié ou d’un de ses prédicateurs.

La Règle des Bons-Chrétiens

Présentation

On trouve dans cet ouvrage des éléments jugés essentiels que devaient conserver en mémoire le Bon-Chrétien qui l’utilisait. Ces éléments constituent un ajout à la règle que pratiquaient quotidiennement les Bons-Chrétiens et les novices.

Rituel

« La mission de tenir « double[1] » et de dire l’oraison ne doit pas être confiée à un homme séculier[2]. »

Mon analyse :
Il faut croire que cet élément était considéré comme particulièrement important pour être ainsi rappelé. La pratique de l’oraison, c’est-à-dire de prononcer le Pater est interdit à l’homme séculier, c’est-à-dire à quiconque n’est pas engagé dans la vie régulière d’une communauté. C’est d’ailleurs en confirmation de cette interdiction de Pierre Autier et Guilhem Bélibaste ont rappelé directement cette interdiction, comme on le retrouve dans les interrogatoires de l’Inquisition de Pamiers. C’est aussi la raison des deux prières autorisées aux croyants, proposées par les Bons-Chrétiens, le Père saint et le Benedicite.

Tenir double est une pratique rituelle des Heures précise. Mais elle comporte deux fois 14 Pater. Alors, pourquoi préciser puisque le Pater est interdit ? On peut penser que cela veut dire que les croyants non engagés en noviciat n’ont pas le droit d’imiter un comportement rituel réservé à ceux qui vient en communauté. En effet, la tentation devait être grande de reproduire les activités rituelles, surtout en l’absence de Bons-Chrétiens, du moins celles qui ne nécessitaient pas leur présence.

Bien entendu, de nos jours cette règle est toujours aussi valable. Seuls les croyants en cours de noviciat peuvent participer aux Heures (donc aux doubles) et seuls ceux ayant reçu la tradition de l’Oraison dominicale peuvent dire cette oraison.

« Si les chrétiens vont dans un lieu dangereux, qu’ils prient Dieu avec « gratia ». Et si quelqu’un chevauche, qu’il tienne « double ». Et il doit dire l’oraison en entrant dans un navire ou dans une ville, ou en passant sur une planche ou sur un pont dangereux. »

Mon analyse :
Toute activité à risque doit être accompagnée de la précaution d’une préparation spirituelle.

« Et s’ils trouvent un homme avec qui il leur faille parler pendant qu’ils prient Dieu, s’ils ont (ont dit ?) huit oraisons elles peuvent être prises pour « simple » ; et s’ils ont seize oraisons, elles peuvent être prises pour « double ».

Mon analyse :
Lors des douze temps rituels ponctuant les huit Heures quotidiennes, sont prononcées 14 oraisons (Pater) à chaque fois. Donc, ce que je comprends de cette prescription c’est que si un Bon-Chrétien est obligé d’abandonner un rituel d’Heure en cours et qu’il a déjà prononcé huit oraisons sur les 14 prévues, il est dispensé des six autres et peut considérer avoir rempli ses obligations concernant ce rituel simple. S’il était en train de pratiquer une des quatre doubles et qu’il a prononcé la totalité du premier rituel (14 oraisons) et deux autres du second rituel, il peut s’abstenir de recommencer plus tard. C’est très intéressant de voir à quel point ces éléments de la Règle sont précisés. Je pense que c’est en prévision des faiblesses doctrinales de certains Bons-Chrétiens de l’équipe de Pierre Autier, dont le rédacteur de ce Nouveau Testament se doutait bien que leur formation, en temps et en lieu de traque, serait forcément minimale et qu’ils auraient du mal à conserver en mémoire ce qu’ils devaient faire dans certains cas particuliers. Les témoignages de l’Inquisition de Pamiers rendent bien ces difficultés.

« Et s’ils trouvent quelque bien en chemin, qu’ils ne le touchent pas s’ils ne savent pas qu’ils puissent le rendre. Et s’ils voient alors que des gens soient passés avant eux, à qui la chose pût être rendue, qu’ils la prennent et la rendent s’ils peuvent. Et, s’ils ne peuvent, qu’ils la remettent dans ce lieu. »

Mon analyse :
Là encore les choses sont précisées de façon détaillée. Le rapport aux biens d’autrui sont très codifiés.

« Et s’ils trouvent une bête ou un oiseau prise ou pris, qu’ils ne s’en inquiètent pas. »

Mon analyse :
Comme je l’avais expliqué dans le casus de la bête prise au piège, à cette période le temps n’est plus à se poser de questions pour savoir s’il faut libérer la bête et dédommager le chasseur. Le Bon-Chrétien passe son chemin sans se mêler de ce qui ne le concerne pas. C’est un comportement comparable à celui des philosophes grecs dits stoïques et cyniques.

« Et si le chrétien veut boire pendant qu’il est jour, qu’il ait prié Dieu deux fois ou plus après manger. Et si, après la « double » de la nuit, ils buvaient, qu’ils fassent une autre « double ». Et s’il y a des croyants, qu’ils se tiennent debout quand ils diront l’oraison[3] pour boire. »

Mon analyse :
Le dernier repas doit se prendre avant la dernière double (Complies) qui est le rituel de la nuit. S’il devait boire pendant la nuit après Complies, il devrait alors refaire une double. Lorsque des croyants sont présents quand un Bon-Chrétien dit l’oraison avant de boire, ils doivent demeurer debout — et bien entendu silencieux — pendant que le Bon-Chrétien dit son oraison. C’est le seul cas, avec la remise de l’Oraison et la Consolation, où des croyants assistent à la pratique de l’oraison par les Bons-Chrétiens. En aucun autre cas ils ne doivent s’immiscer dans ce rituel qui est intime à la communauté évangélique.

« Et si un chrétien prie Dieu avec des chrétiennes, qu’il conduise toujours l’oraison. Et si un croyant à qui eût été livrée l’oraison[4] était avec des chrétiennes, qu’il s’en aille autre part, et qu’il fasse par lui-même. »

Mon analyse :
Là nous sommes face à l’éternelle considération de la relation homme femme. Au Moyen Âge, la femme était considérée comme moins « aboutie » que l’homme. Nous savons même que certains Bons-Chrétiens pensaient qu’une femme devait passer dans un corps d’homme pour pouvoir être sauvée. Je pense que c’était une faiblesse de raisonnement liée à une situation sociale particulière où les femmes étaient totalement inféodées aux hommes. Aujourd’hui, je pense que seule la règle de l’ancienneté doit guider le choix de la personne qui va conduire l’oraison. De même le croyant ayant reçu l’oraison, c’est-à-dire un novice ayant fait au moins trois carêmes, peut très bien rester dans un groupe de femmes pour dire l’oraison.

Comme le montre ce texte, la séparation entre croyants d’une part et novice et Bons-Chrétiens d’autre part est très nette et inviolable. En fait les croyants ne peuvent pratiquer aucun rituel sans être conduits par un Bon-Chrétien, à l’exception du Caretas, la Baiser de paix que des croyants de même sexe peuvent pratiquer entre eux.


[1] Double pratique des Heures enchaînée comme lors des Matines, des Laudes, des Vêpres et des Complies.
[2] Point essentiel chez les Cathares, le croyant n’a pas le droit de dire le Pater ni, manifestement, de pratiquer une Heure double, c’est-à-dire une des quatre Heures qui encadrent la journée. Cela veut dire que les Bons-Chrétiens et les novices n’acceptent pas de croyants auprès d’eux avant la Prime et après la None. On peut en déduire que les croyants pouvaient éventuellement participer à des Heures simples mais sans dire le Pater.
[3] Si des croyants sont présents quand le Bon-Chrétien dit l’oraison, qu’ils se lèvent pour l’entendre.
[4] Il s’agit donc d’un novice qui n’a pas prééminence sur des Bonnes-Chrétiennes mais qui ne peut être dirigé par elles.

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