Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.
ÉVANGILE SELON JEAN
Chapitre V
1 – Après quoi il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem.
2 – Or, à Jérusalem, près de la Probatique, il y a une piscine surnommée en hébreu Bézatha et qui a cinq portiques.
3 – Là gisaient nombre d’infirmes, d’aveugles, de boiteux et de perclus qui attendaient le bouillonnement de l’eau.
4 – (Car un ange du Seigneur descendait par instant dans la piscine et agitait l’eau. Et le premier qui entrait dans l’eau, après le bouillonnement, se trouvait guéri de son mal quel qu’il fût.)
Mon analyse :
Ce chapitre me semble particulièrement intéressant sur plusieurs points. D’abord, comme indiqué ci-dessus il montre la malignité du démiurge qui instaure une sorte de jeu pervers pour qui souhaite être guéri de son infirmité. En clair il torture des hommes innocents de leur mal, puisque c’est lui — ou tout au moins son incompétence créatrice — qui en est responsable, en leur imposant une règle, parfois intenable, afin d’être libérés de sa violence. Ce que la plupart voient, de prime abord, comme une prime est en fait une violence.
5 – Il y avait là un homme qui était infirme depuis trente-huit ans.
6 – Jésus, le voyant étendu et le sachant depuis longtemps infirme, lui dit : Veux-tu être guéri ?
7 – L’infirme lui répondit : Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau a bouillonné et, pendant que j’y vais, un autre descend avant moi.
Mon analyse :
Jésus pose une question simple mais l’esprit empreint de mondanité de l’homme l’empêche de la comprendre. Au lieu de dire oui ou non, il explique qu’il n’est pas en mesure de réussir selon la loi imposée par le démiurge.
8 – Jésus lui dit : Lève-toi, enlève ton lit et marche.
9 – Aussitôt l’homme fut guéri. Il enleva son lit et il marchait. C’était un jour de sabbat.
Mon analyse :
Mais quand Jésus lui propose un autre choix il n’hésite pas. La réussite est confortée dans son caractère hors-la-loi par la précision du jour où elle est effectuée. Or, si Dieu guérit en hors-la-loi c’est bien que la loi n’est pas de Dieu. C’est une révolution théologique. Le seul vrai Dieu, celui qui a pouvoir d’apporter le bien sans partage et sans contrepartie, n’est pas le Dieu de la loi.
10 – Alors les Juifs dirent à l’homme guéri : C’est le sabbat, tu n’as pas le droit d’enlever ton lit.
11 – Il leur répondit : Celui qui m’a guéri m’a dit : Enlève ton lit et marche.
12 – Ils lui demandèrent : Qui t’a dit : Enlève ton lit et marche ?
13 – Mais l’homme guéri ne savait pas qui c’était, car Jésus avait disparu dans la foule
14 – Après quoi, Jésus le trouve dans le temple et lui dit : Te voilà guéri. Ne pèche plus, il t’arriverait pire.
15 – L’homme s’en alla dire aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri.
16 – C’est pourquoi les Juifs poursuivaient Jésus, car il avait fait cela pendant le sabbat.
Mon analyse :
Cet acte hors-la-loi inquiète au plus haut point les défenseurs de la loi qui cherchent à punir celui qui a osé la braver et dont le succès remet en cause sa validité et sa légitimité. À aucun moment ils ne s’interrogent sur le fait que cette guérison miraculeuse ait pu fonctionner pendant le sabbat car, si Dieu ne voulait pas que l’on fasse quoi que ce soit à ce moment, pourquoi permet-il un miracle ? La raison en est simple, ce n’est pas le même « Dieu » qui interdit et qui guérit.
17 – Il leur répondit : Mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille.
Mon analyse :
En disant cela il met en défaut la Genèse qui dit que Dieu s’est reposé le septième jour (Gen. II-2). Encore une fois, il invalide le Dieu de Moïse.
18 – C’est pourquoi les Juifs cherchaient davantage à le tuer, car non seulement il violait le sabbat, mais il disait que Dieu était son Père, il se faisait égal à Dieu.
19 – Alors Jésus leur répondit : Oui, oui, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voit faire au Père. Car le Fils fait ce que fait le Père.
20 – Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci et vous serez étonnés.
21 – Le Père relève les morts et les fait vivre et le Fils fait de même vivre qui il veut.
Mon analyse :
Ces quelques phrases sont importantes. Elles montrent que les hommes ne supportent pas l’idée que leur Dieu puisse entrer dans leur sphère de vie autrement que par des voies tonitruantes comme l’Ancien Testament en est rempli. Car s’il agit sur leur quotidien, il devient compréhensible sans la médiation des élus et chacun peut comprendre le message sans le recours à la loi. Mais Jésus renverse les valeurs. Dieu choisit lui-même son médiateur et la loi des hommes n’est pas sa loi. Ainsi se prépare le lit de l’annonce de la loi d’Amour. En outre, Jésus révèle deux informations importantes, la consubstantialité, qui est sous entendue dans les termes Fils et Père, et la différence de nature qui est établie par le fait que le Fils ne peut faire que ce que le Père lui donne pouvoir de faire.
22 – Et le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout le jugement
23 – pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé.
Mon analyse :
Petite astuce, le Père ne juge personne, donc logiquement, le Fils non plus. Mais dans le terme jugement donné au Fils on doit comprendre la capacité de compréhension et non la capacité de condamnation.
24 – Oui, oui, je vous le dis, qui écoute ma parole et se fie à celui qui m’a envoyé, celui-là a la vie éternelle, et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
25 – Oui, oui, je vous le dis, l’heure vient, et c’est maintenant, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’auront entendu vivront.
Mon analyse :
Il s’agit de mort allégorique. En clair, ceux qui écoutent la parole et qui s’y fient accèdent à l’éveil qui conduit au salut. Même ceux qui sont morts par leurs actions mauvaises, peuvent espérer y parvenir par la force de la foi.
26 – Car le Père a en lui la vie et il a donné au Fils d’avoir de même en soi la vie.
27 – Et il lui a donné d’avoir le pouvoir de juger car il est un Fils d’homme.
28 – Ne vous étonnez pas, l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix
29 – et sortiront, ceux qui ont fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui ont pratiqué le mal, pour une résurrection de jugement.
Mon analyse :
Le Fils a la capacité de nous montrer la voie de la vie éternelle, d’éveiller nos consciences. Il est venu en éveilleur et non en juge. Mais en se faisant une apparence d’homme, il se met à notre niveau et peut apprécier nos problèmes avec tout le jugement nécessaire. Le dernier verset peut très bien se comprendre comme l’idée que ceux qui pratiquent le mal seront amenés à recommencer leur parcours en ce monde afin de comprendre (juger) leur erreur en vue d’atteindre enfin l’éveil. Cette résurrection de jugement ressemble tout à fait à la transmigration cathare.
30 – Je ne peux rien faire de moi-même. Je juge selon ce que j’entends et mon jugement est juste, car je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.
Mon analyse :
Jésus rappelle qu’il n’est pas interventionniste mais qu’il est missionné et qu’il apprécie en fonction de ce qu’il reçoit de nous. Il est neutre et agit comme intermédiaire. Plus tard, nous verrons que c’est aussi le rôle du Saint-Esprit paraclet.
31 – Si je témoigne de moi mon témoignage n’est pas vrai.
32 – Un autre est mon témoin et je sais que son témoignage est vrai :
33 – vous avez envoyé auprès de Jean et il a attesté la vérité.
34 – Mais je ne me prévaux pas du témoignage d’un homme, je ne le mentionne que pour votre salut.
35 – Il était la lampe ardente qui brille et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.
36 – Moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean. Les œuvres que le Père m’a données à finir, ces œuvres que je fais, témoignent de moi que le Père m’a envoyé.
Mon analyse :
Ce passage fait la balance entre le temps mondain et le temps divin. Jean est celui qui témoigne de Jésus en ce monde et son témoignage est validé comme juste et empreint de Bienveillance. Mais il n’est là que pour aider les hommes dans leur avancement. En effet, le seul témoignage réellement valable aux yeux de Jésus est celui que son Père fait en lui donnant d’accomplir ses œuvres.
37 – Et le Père qui m’a envoyé témoigne de moi. Vous n’avez jamais entendu sa voix ni vu son visage
38 – et vous n’avez pas sa parole à demeure en vous puisque vous ne vous fiez pas à celui qu’il a envoyé.
39 – Vous scrutez les écritures parce que vous pensez avoir par elles la vie éternelle, or elles témoignent de moi
40 – et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie.
Mon analyse :
Jésus rappelle que Dieu est inconnu des hommes, ce qui invalide, une fois de plus le Dieu de Moïse qui s’est donné à connaître, au moins verbalement. Il nous rappelle que le seul moyen d’être emplis de l’amour divin est de se fier à lui (avoir la foi) et non pas de se fier à des écritures que nous interprétons mal de surcroît. Cette erreur nous tient éloignés du salut
41 – Je ne reçois pas de gloire des hommes,
42 – mais je vous connais, vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu.
43 – Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas. Qu’un autre vienne en son propre nom, vous le recevrez.
44 – Comment pourriez-vous avoir foi, vous qui recevez votre gloire les uns des autres et ne cherchez pas la gloire qui vient du Seul ?
45 – Ne pensez pas que je vous accuserai auprès de mon Père. Votre accusateur, c’est Moïse en qui vous espérez.
46 – Oui, si vous vous étiez fié à Moïse, vous vous fieriez à moi, car il a écrit de moi.
47 – Mais si vous ne vous fiez pas à ses écrits, comment vous fierez-vous à mes paroles ?
Mon analyse :
Suit tout un tas d’arguments sur la vanité de l’appréciation humaine qui est à la base de la loi du démiurge et sur l’importance qu’il y a à relayer la gloire de Dieu plutôt qu’à chercher sa propre gloire personnelle.
Ce qui le plus important à mes yeux est la fin, car le discours de Jésus se termine sans que les Juifs ne lui fassent la moindre réponse. Cela veut montrer que personne ne peut répondre valablement à qui parle au nom de Dieu. Rien n’existe dans les écritures et dans la loi du démiurge qui puisse tenir tête à la parole du vrai Dieu.