Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.
ÉVANGILE SELON JEAN
Chapitre XVIII
1 – Jésus, après ces paroles, s’en alla avec ses disciples au-delà du torrent du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra avec ses disciples.
2 – Judas qui le livrait connaissait aussi ce lieu parce que Jésus y était souvent allé avec ses disciples.
3 – Judas prend la cohorte et des gardes fournis par les grands prêtres et les pharisiens, et il vient là avec des lanternes, des torches et des armes.
Mon analyse :
Les évangiles, qui ne l’oublions pas, sont le résultat de nombreuses modifications (interpolations, falsifications), insistent beaucoup sur le caractère accusateur de Judas allant même jusqu’à mettre en doute sa probité en tant que responsable des finances de la communauté. Tout comme elles ont besoin de leur rite sacrificateur, elles ont besoin d’un coupable susceptible de retirer aux chrétiens la moindre parcelle de culpabilité. Jésus meurt tué par les Juifs et livré par la trahison d’un faux chrétien qui est retourné à son erreur d’origine. C’est une procédure connue dans le système mondain où l’on cherche une victime émissaire pour rendre hommage à la divinité dont on attend des bienfaits et la nécessité d’assurer la cohésion du groupe en faisant porter la responsabilité des problèmes à celui qui est différent et dont l’éviction redonnera sa stabilité au groupe.
Ainsi, pas besoin de se demander si la mort de Jésus, que certains pourraient assimiler à un échec de sa mission terrestre, n’est pas due à l’incapacité de ceux qui ont reçu le message de le faire fructifier. Le ou les rapporteurs de l’évangile johannique pousse même le bouchon jusqu’à impliquer l’armée romaine (la cohorte) dans la responsabilité de l’arrestation de Jésus.
4 – Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, sortit et leur dit : Qui cherchez-vous ?
5 – Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Il leur dit : C’est moi. Or Judas qui le livrait était avec eux.
6 – Quand Jésus leur dit : C’est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre.
7 – Il leur demanda encore : Qui cherchez-vous ? Et ils dirent : Jésus de Nazareth.
8 – Jésus répondit : Je vous dis que c’est moi. Et si c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.
9 – C’était pour accomplir cette parole qu’il avait dite : Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés.
Mon analyse :
Le besoin de rattacher la moindre action de Jésus à des dits antérieurs est pathognomonique de l’angoisse que les faits rapportés soient jugés insignifiants et donc non porteurs de sens. C’est aussi la leçon qu’il faut tirer du caractère merveilleux donné aux guérisons miraculeuses.
10 – Alors Simon Pierre qui avait un sabre le tira, frappa l’esclave du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de l’esclave était Malchos.
11 – Jésus dit à Pierre : Mets le sabre au fourreau. Est-ce que je ne boirai pas la coupe que le Père m’a donnée ?
12 – Alors la cohorte, le tribun et les gardes Juifs prirent Jésus et le lièrent.
L’aspect sacrificiel est renforcé à tort par le fait que Jésus refuse la violence et qu’on le lie comme un animal de sacrifice sans qu’il résiste. Dans Luc il va même guérir la blessure de l’esclave d’un geste (Luc XXI-51).
13 – Ils le menèrent d’abord chez Anne parce que celui-ci était beau-père de Caïphe qui était grand prêtre cette année-là.
14 – C’était Caïphe qui avait donné aux Juifs ce conseil : Mieux vaut qu’un homme meure pour le peuple.
15 – Simon Pierre et un autre disciple suivaient Jésus. Ce disciple était connu du grand prêtre et il entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre,
16 – mais Pierre restait dehors à la porte. Alors l’autre disciple, connu du grand prêtre, sortit parler à la fille portière et fit entrer Pierre.
17 – La fille portière dit à Pierre : N’es-tu pas aussi des disciples de cet homme ? Il dit : Je n’en suis pas.
18 – Les esclaves et les gardes avaient fait un feu de braises, car il faisait froid, et ils restaient debout à se chauffer. Pierre aussi restait debout avec eux à se chauffer.
19 – Le grand prêtre questionna Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine.
20 – Jésus lui répondit : J’ai parlé franchement au monde. J’ai toujours enseigné dans les synagogues et dans le temple où tous les Juifs s’assemblent et je n’ai rien dit en secret.
Mon analyse :
Deux disciples suivent le groupe ayant arrêté Jésus. Pierre est refoulé du palais et seul un disciple entre. Ce disciple ne peut être que Jean puisqu’il relate ce qui se passe à l’intérieur. Cela interroge sur les relations que Jean entretien avec la hiérarchie juive.
Outre la volonté de marquer la responsabilité des juifs impliquant tous les niveaux de responsabilité, ce passage rappelle un point essentiel qui est mis dans la bouche même de Jésus. Rien de ce que Jésus a transmis n’est secret et n’a le moindre caractère malhonnête. Cela tranche avec les nombreux passages où les uns et les autres lui disent de parler franchement.
21 – Pourquoi me questionnes-tu ? Demande à ceux qui m’ont entendu parler, ils savent ce que j’ai dit.
22 – À ces paroles, un des gardes posté là lui donna un coup et lui dit : Est-ce ainsi que tu réponds au grand prêtre ?
23 – Jésus lui répondit : Si j’ai mal parlé, atteste le mal, mais si j’ai bien parlé pourquoi me frappes-tu ?
24 – Alors Anne l’envoya, toujours lié, chez le grand prêtre Caïphe.
25 – Et Simon Pierre restait debout à se chauffer. Ils lui dirent : N’es-tu pas aussi de ses disciples ? Il le nia, il dit : Je n’en suis pas.
26 – Un esclave du grand prêtre, parent de celui dont Pierre avait coupé l’oreille, dit : Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ?.
27 – Pierre nia encore et aussitôt un coq chanta.
Mon analyse :
Cet épisode très célèbre est destiné, lui aussi, à marquer le caractère prémonitoire de la parole de Jésus. C’est amusant le l’imbriquer dans un passage où Jésus lui-même révèle qu’il ne parle pas de façon mystique.
28 – De chez Caïphe, ils menèrent alors Jésus au prétoire. C’était l’aube. Ils n’entrèrent pas au prétoire pour ne pas se souiller mais manger la pâque.
29 – Alors Pilate sortit vers eux, dehors, et il leur dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?
30 – Ils lui répondirent : S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas livré.
Mon analyse :
Les Juifs ne prennent pas la peine d’organiser un procès religieux car ils ont déjà décidé de son sort. En effet, Caïphe a déjà expliqué la nécessité qu’un homme meure pour protéger le peuple (XI 50).
Le caractère malhonnête et non justifié de la mise en accusation de Jésus est mis en valeur par cette réponse qui n’apporte aucun élément accusatoire probant.
31 – Pilate leur dit : Prenez-le vous le jugerez selon votre loi. Les Juifs lui dirent : Nous n’avons pas le droit de tuer personne.
32 – C’était pour accomplir la parole de Jésus quand il avait signifié de quelle mort il allait mourir.
33 – Pilate rentra dans le prétoire, appela Jésus et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ?
34 – Jésus répondit : Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ?
35 – Pilate répondit : Est-ce que je suis juif ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu fait ?
36 – Jésus répondit : Mon règne n’est pas de ce monde. Si mon règne était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais, voilà, mon règne n’est pas d’ici.
37 – Pilate lui dit : Alors, tu es roi ? Jésus répondit : Tu le dis, je suis roi. Je ne suis né et ne suis venu dans le monde que pour attester la vérité. Quiconque est de la vérité entend ma voix.
38 – Pilate lui dit : Qu’est-ce que la vérité ? Et sur cette parole, il ressortit vers les Juifs leur dire : Je ne trouve en lui aucun motif.
Mon analyse :
En 34 Jésus met en avant la question de la responsabilité des Juifs dans le chef d’inculpation. Cela explique que Pilate le fera mettre en exergue dans le panneau fixé à la croix, à la grande colère des Juifs qui ne veulent pas être associés à quelqu’un exécuté de façon aussi vile.
La tentative de Pilate de motiver un chef d’inculpation se heurte à un message fondamental de Jésus qu’il ne comprend pas. Jésus affirme qu’il ne peut être roi d’aucun peuple de ce monde car il n’est pas de ce monde. Son monde n’est pas un monde comparable à celui-ci puisqu’il ne dispose pas de troupe pour le défendre mais, dans son monde, Jésus admet qu’il est comparable à un roi, ce qui explique la seconde réponse à la réitération de l’interrogation de Pilate. Pour autant cela ne constitue pas une menace susceptible de justifier une réaction de l’occupant romain, d’où la réponse finale de Pilate.
39 – Mais c’est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu’un à la Pâque. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?
40 – Ils se remirent à crier : Pas lui, mais Barabbas. Et Barabbas était un bandit.
Mon analyse :
On sent le piège dans la remarque de Pilate. Si les Juifs répondent c’est qu’ils reconnaissent Jésus comme roi des Juifs. En préférant Barabbas, les rédacteurs veulent insister sur le caractère ignominieux du choix retenu : le pire criminel plutôt que le roi. Pas étonnant que l’antisémitisme se soit développé ensuite.