Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.
ÉVANGILE SELON JEAN
Chapitre premier
1 – Au principe était la parole, la parole était chez Dieu et la parole était Dieu.
2 – Elle était au principe chez Dieu.
Mon analyse :
La parole (le verbe et la raison selon une traduction plus complète de logos) est à la fois au principe, c’est-à-dire de tous temps, de toute éternité, et elle est à la fois Dieu et chez Dieu. Quelle meilleure définition de la consubstantialité ! La création divine est à la fois En Dieu et Chez Dieu. Cela se comprend pour les chrétiens cathares comme signifiant qu’elle est à la fois extérieure au Principe parfait (avec un P majuscule cette fois) et qu’elle est Lui en tant que substance. On en revient à l’image du soleil et de ses rayons qui sont à la fois Soleil et issus du soleil.
3 – Tout a existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle.
Mon analyse :
Cette phrase n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Elle peut être considérée comme une base justifiée du dualisme chrétien. Le mot important est celui qui définit l’existant. Ce qui existe dispose de l’Être, cet état particulier qui fait que l’on pourrait aussi nommer la Conscience. Tout ce qui dispose de l’Être vient de ce qui était au principe, c’est-à-dire Dieu. Ce corps de phrase se suffit largement à lui-même et pourtant le disciple se croit obligé d’ajouter un second corps de phrase assez alambiqué. Et rien de ce qui existe n’a existé sans elle. Quelle surprenante double négation. La double négation sert à mettre en valeur un concept. Par exemple : « Vous ne pouvez pas ne pas savoir ». Ce qui veut dire vous savez absolument sans pouvoir le nier. Rien de ce qui existe. Là où le mot rien aurait suffit l’ajout de ces quatre mots ne peut être anodin pour moi. Si je dis : Rien de ce que je sais, je sous-entends qu’il y a peut-être des choses que je ne sais pas mais que je n’en parle pas puisque, par définition, je les ignore. Par contre, si elles existent, ce qui est sûr c’est que je ne les connais pas. De même, rien de ce qui existe veut dire que le propos se limite à l’existant, sans prétendre que l’existant constitue le tout mais en affirmant que l’existant est seul concerné par la suite du corps de phrase. Donc, il y a peut-être quelque chose en plus de l’existant, mais ce quelque chose n’est pas de l’existant et n’a rien à voir avec le verbe et la raison, c’est-à-dire avec Dieu. D’où l’idée qu’il y a quelque chose qui n’a rien à voir avec Dieu et qu’il s’agit de ce qui n’a pas cette propriété strictement divine, l’Être. Le meilleur exemple actuel est celui du vide sidéral. Ce vide que l’on a longtemps cru empli de rien, s’avère aujourd’hui être composé de matière et d’énergie noire. On comprend que cette phrase ait pu poser de graves problèmes. Car, dire qu’il y a quelque chose d’autre que ce qui relève de la création divine a deux implications :
- Tout ne provient pas de Dieu, ce qui peut sembler amoindrir le pouvoir de Dieu ;
- Dieu n’a pas pouvoir sur ce qui ne provient pas de Lui puisque ce qui lui est étranger n’a pas d’Être.
Il y a donc autre chose, d’aussi principiel que Dieu puisque ce qui vient de Dieu est consubstantiel à Lui, donc éternel comme Lui, d’une part, et qu’en sa situation étrangère à Dieu et à sa création consubstantielle, ce principe est auteur de quelque chose également étranger en substance et en nature à la création divine.
Il y a donc deux Principes, l’un parfait et auteur de tout ce qui existe et l’autre imparfait et auteur de ce que nous ne pouvons nommer que Rien (Néant) car, étant étranger à son domaine, nous ne le connaissons pas. Nous ne pouvons en apprécier que les effets, le Mal. Or, si ce qui émane de ce Principe est le Mal, c’est que le Principe est le Mal absolu d’où le nom que nous lui donnons de Principe du Mal. De même que Dieu, Principe du Bien (au sens large du terme), est créateur par le verbe et la raison (le Logos), le Mal est auteur par son démiurge (Satan).
4 – En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes.
5 – La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas trouvée.
Mon analyse :
Pour le cas où il y aurait encore des indécis, Jean enfonce le clou. En elle (le verbe et la raison) était la vie, comprenons l’Être, et la vie était la lumière des hommes, c’est-à-dire ce qui confère aux hommes leur caractère d’existant. Or, pour que cette lumière brille dans les ténèbres comme le dit le disciple, il faut bien qu’il y ait des ténèbres ! Les ténèbres — ce qui n’a pas la lumière, c’est-à-dire l’Être —, ne l’ont pas trouvé. Et ce pour la même raison que nous ne savons pas ce que sont précisément les ténèbres puisque nous faisons partie d’une autre création, celle de la lumière. Par contre, si les ténèbres ne l’ont pas trouvée, c’est bien qu’elles la cherchaient, donc qu’elles savaient son existence tout comme nous savons l’existence des ténèbres dont nous mesurons les effets. Comme nos savants savent l’existence de la matière noire sans pouvoir l’appréhender concrètement.
6 – Il y eut un homme envoyé de Dieu, un nommé Jean.
7 – Il vint en témoin pour attester la lumière, pour que tous aient foi par lui.
8 – Il n’était pas la lumière mais le témoin de la lumière.
9 – La lumière véritable qui illumine tout homme venait dans le monde.
Mon analyse :
Nous abordons un problème intéressant et complexe que les cathares avaient soulevé : qui est Jean le Baptiste ? Comme nous l’avons vu en 4, la lumière est la création divine et les hommes en sont imprégnés car ils sont membres à part entière de la création divine. Or, le 8 dit que Jean n’était pas la lumière mais son témoin. Pour certains cathares Jean était donc un démon, c’est-à-dire une création de Satan qui ne porte pas d’Être. Cela peut se comprendre si on lit ces versets de façon exclusive. Par contre si on les lit de façon inclusive, Jean est comme les autres hommes, porteur de la lumière mais non la lumière en elle-même. Ce qui est certain c’est qu’il est témoin et chargé de mission (apôtre au sens littéral).
10 – Elle était dans le monde et le monde existait par elle et le monde ne l’a pas connue.
11 – Elle vint chez elle et les siens ne l’ont pas reçue.
Mon analyse :
Cette expression est à la fois simple et ambiguë. La lumière est dans le monde et le monde existe par elle exprime l’idée que le monde contient une partie de la création divine, les esprits prisonniers en ce monde, c’est-à-dire nous. C’est en cela aussi qu’elle vint chez elle, non pas chez elle dans le monde mais chez elle au sein de sa communauté consubstantielle. Malheureusement, dans tous les cas, elle n’est pas reçue comme on peut espérer l’être par ses proches. L’esprit amoindri en ce monde ne reconnait pas la lumière, sa lumière, et il ne la reçoit pas.
12 – Mais ceux qui l’ont reçue, elle leur a donné pouvoir d’être enfants de Dieu, ceux qui se fient à son nom,
13 – ceux qui ne sont nés ni du sang, ni d’une volonté de chair, ni d’une volonté d’homme mais de Dieu.
Mon analyse :
Si le monde ne la reçoit pas, il y a en ce monde ceux qui la reçoivent. Qui sont-ils ? Ce sont ceux qui ne doivent rien à ce monde et à sa technique de création (sang, chair, homme) mais qui sont issus de Dieu. Cela pourrait expliquer que certains cathares admettaient l’hypothèse qu’une partie de l’humanité pouvait être constituée d’humains ne disposant pas d’esprits, des créatures totalement issues du démiurges et donc inaccessibles au salut. Le verset 12 décrit l’éveil et le salut. Ceux qui l’ont reçue sont ceux qui sont en capacité de le faire, donc les éveillés, non pas par une preuve matérielle mais simplement par la foi (ils se sont fiés à son nom). Le salut est exprimé sous la forme du pouvoir d’être enfants de Dieu.
14 – Oui, la parole s’est faite chair, elle s’est abritée parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire que tient de son père un fils unique plein de grâce et de vérité.
Mon analyse :
Trois notions affleurent dans ce verset. Le verbe et la raison ne s’est pas transformé en chair, il n’est pas devenu chair mais il s’est fait chair, ce qui est tout à fait compatible avec l’idée cathare de l’illusion. C’est confirmé ensuite par la notion selon laquelle il s’est abrité, ce qui n’est pas logique pour un être devenu homme parmi les hommes mais qui peut correspondre à l’idée d’introduction au sein de quelque chose avec lequel il n’y a pas de fusion. C’est aussi l’idée de l’adombrement. Enfin, cet être venu parmi nous conserve la totalité de ses attributs divins d’origine qui apparaissent comme un idéal parfait (un fils unique idéal).
15 – Jean témoigne de lui, il crie : C’était de lui que je disais : Lui qui vient derrière moi me dépasse, car il était avant moi.
16 – Car nous avons tous reçu de sa plénitude et grâce pour grâce.
17 – Car la loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 – Personne n’a jamais vu Dieu, un dieu fils unique qui est dans le sein du père qui l’a fait connaître.
Mon analyse :
Cette annonce de Jean est un mélange subtil. D’une part, des affirmations qu’aucun juif n’aurait renié et, d’autre part, une annonce de la particularité de Jésus.
19 – Et voici le témoignage de Jean quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui es-tu ?
20 – Il avoua, il ne nia pas. Il avoua : Je ne suis pas le christ.
21 – Ils lui demandèrent : Alors quoi ? Es-tu Élie ? il dit : Je ne le suis pas. Es-tu le prophète ? Il répondit : Non.
22 – Alors ils lui dirent : Qui es-tu ? que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu de toi ?
23 – Il déclara : Moi ? une voix qui clame dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur, comme dit le prophète Isaïe.
24 – Et on avait envoyé des pharisiens.
25 – Ils lui demandèrent : Alors pourquoi immerge-tu si tu n’es ni le christ, ni Élie, ni le prophète ?
26 – Jean leur répondit : Moi je n’immerge que dans l’eau. Il y a au milieu de vous quelqu’un de vous que vous ne connaissez pas,
27 – qui vient derrière moi et dont je ne suis pas digne de délier le lacet de chaussure.
Mon analyse :
Là encore on trouve des notions très en rapport avec l’Ancien Testament qui permettent de valider l’antériorité du christ vis-à-vis des Juifs. D’ailleurs, cela est même précisé en 15 : « il était avant moi » mais qui invalide en même temps cette notion d’antériorité comme élément de valeur qualitative comme c’est indiqué en 15 et en 27 où il est précisé l’affirmation de la supériorité de celui qui pourtant vient derrière. Autre point important qu’est la révélation que celui qui vient, émane du milieu Juif et n’est pas reconnu dans son milieu. Notion qui réapparaît régulièrement tout au long de l’évangile. Ce n’est donc pas le milieu, ni même la famille qui compte, mais la reconnaissance.
28 – C’était à Béthanie au-delà du Jourdain où Jean immergeait.
Mon analyse :
L’évangéliste Jean est le seul à situer précisément le lieu d’apparition de Jésus. Béthanie, aujourd’hui disparue, se trouvait sur la rive orientale du Jourdain un peu au-dessus de la Mer Morte à quelques kilomètre à l’est de Jéricho, sur l’autre rive, côté jordanien. Aujourd’hui on pense qu’elle correspond à un lieu où furent édifiée deux églises, l’une commémorant la montée au ciel d’Élie et l’autre commémorant le baptême de Jésus. C’est donc en Judée que se trouve ce lieu et cela est compatible avec la suite du récit des évangiles (désert, passage en Samarie, etc.).
29 – Le lendemain il regarde venir Jésus et il dit : Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 – C’est lui dont je disais : Derrière moi vient un homme qui me dépasse, car il était avant moi.
31 – Moi non plus je ne le connaissais pas, mais c’est pour qu’il se manifeste à Israël que je suis venu immerger dans l’eau.
32 – Et il attesta : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui.
33 – Moi non plus je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé immerger dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui immerge dans l’Esprit saint.
34 – Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est le Fils de Dieu.
Mon analyse :
On retrouve dans ces lignes les références juives déjà signalée mais ce qui attire mon attention est le fait que Jean le baptiste avoue ne pas connaître Jésus et dans le fait qu’il pense que son action va se limiter au peuple juif. Cela permet de comprendre que les disciples demanderont plus tard, à tous ceux qui veulent entrer dans leur communauté, de se convertir d’abord au Judaïsme, ce qui sera une cause de rupture entre le courant paulinien et eux.
35 – Le lendemain Jean était encore là avec deux de ses disciples.
36 – Il regarda passer Jésus et il dit : Voici l’agneau de Dieu.
37 – Les deux disciples entendirent cette parole et suivirent Jésus.
38 – Jésus se retourna et les vit qui le suivaient. Il leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : Rabbi (c’est-à-dire maître), où demeure-tu ?
39 – Il leur dit : Venez, vous verrez. Alors ils vinrent et ils virent où il demeurait et ils demeurèrent près de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure.
Mon analyse :
Dans ce passage on remarque une énorme différence de comportement entre Jean et ses propres disciples. Ces derniers, une fois que leur est révélée la vraie nature de Jésus, n’hésitent pas à le suivre et s’attachent à lui alors même que son lieu de vie ne doit pas être celui que l’on pourrait s’attendre à être celui du messie juif. L’apôtre marque ainsi la force de la foi qui les anime et qui semble ne pas animer Jean qui se contente d’un statut d’observateur extérieur qu’il ne quittera jamais.
40 – André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avait entendu Jean et suivi Jésus.
41 – Il trouve d’abord son frère Simon et lui dit : Nous avons trouvé le messie (c’est-à-dire le christ).
42 – Il l’amena à Jésus. Jésus le regarda et lui dit : Tu es Simon, fils de Jean, tu t’appelleras Képhas (c’est-à-dire Pierre).
Mon analyse :
André est donc l’un des deux premiers disciples. Ce que l’auteur ne dit pas, c’est qu’il est lui-même le deuxième.
Le fait de renommer un membre entrant dans la communauté deviendra une habitude chrétienne qui perdurera chez les cathares.
43 – Le lendemain Jésus voulut partir en Galilée. Il trouve Philippe et lui dit : Suis-moi.
44 – Or Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre.
45 – Philippe trouve Nathanaël et lui dit : Nous avons trouvé celui dont parlent la loi de Moïse et les prophètes, c’est Jésus fils de Joseph, de Nazareth.
46 – Nathanaël lui dit : Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? Philippe lui dit : Viens, tu verras.
47 – Jésus vit venir Nathanaël et lui dit : Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse.
48 – Nathanaël lui dit : D’où me connais-tu ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’appelle, je te voyais sous le figuier.
49 – Nathanaël lui répondit : Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël.
50 – Jésus lui répondit : Parce que je t’ai dit que je te voyais sous le figuier, tu as foi. Tu verras de plus grandes choses.
51 – Et il lui dit : Oui, oui, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du fils de l’homme.
Mon analyse :
Ce passage montre que pour les disciples, Jésus est rattaché à la loi mosaïque, la seule qu’ils connaissent et la seule qui soit normative du monde où ils vivent. Nous retrouverons ce problème plus tard avec le catholicisme qui remplacera la loi mosaïque et imprégnera la société de façon très prégnante (y compris chez les athées).