Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.
Actes des apôtres
Chapitre 22
1 – Frères, pères, écoutez maintenant ma réponse.
2 – Quand ils l’entendirent s’exprimer en hébreu ils redoublèrent de silence. Il dit :
3 – Je suis juif, né à Tarse en Cilicie, mais j’ai été élevé dans cette ville-ci et formé aux pieds de Gamaliel, à la stricte observance de la loi ancestrale ; et zélé pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui ;
Mon analyse :
Cette entame, à la première personne du singulier — qui nous fait penser à la rédaction de l’Évangile de Thomas —, est destinée à nous convaincre de l’authenticité du discours qui suit. Mais nous verrons à plusieurs points qu’elle est hautement douteuse.
4 – j’ai persécuté à mort cette voie, faisant lier et jeter en prison hommes et femmes ;
5 – le grand prêtre même m’en est témoin, ainsi que tout le Conseil des anciens : c’est d’eux que je recevais des lettres pour les frères de Damas ; j’y allais pour que ceux de là-bas, amenés liés à Jérusalem, soient punis.
6 – Mais en chemin, et comme j’approchais de Damas, voilà que soudain, vers midi, une grande lumière du ciel m’a ébloui ;
7 – je suis tombé par terre et j’ai entendu une voix me dire : Saûl, Saûl, pourquoi me poursuis-tu ?
8 – J’ai répondu : Qui es-tu, seigneur ? Il m’a dit : Je suis Jésus le nazaréen, que tu poursuis.
9 – Ceux qui étaient avec moi ont bien vu la lumière, mais ils n’ont pas entendu la voix de celui qui me parlait.
10 – J’ai dit : Que faire, seigneur ? Et le Seigneur m’a dit : Relève-toi, va à Damas, et là, on te dira tout ce que tu as à faire.
11 – Et comme je n’y voyais plus, à cause de la gloire de cette lumière, c’est en donnant la main à mes compagnons que je suis arrivé à Damas.
12 – Un certain Ananie, homme pieux selon la Loi et en renom auprès de tous les habitants juifs,
13 – est venu vers moi et, après s’être présenté, il m’a dit : Saûl, mon frère, vois ! Et à l’heure même, je l’ai vu.
14 – Il m’a dit : Le Dieu de nos pères t’a destiné à connaître sa volonté, à voir le Juste et à entendre une voix de sa bouche,
15 – car tu lui seras témoin, devant tous les hommes, de ce que tu as vu et entendu.
16 – Et maintenant, qu’attends-tu ? Lève-toi, fais-toi immerger et laver de tes péchés en invoquant son nom.
17 – Et de retour à Jérusalem, comme je priais dans le temple, voilà que j’ai été hors de moi
18 – et je l’ai vu, lui, qui me disait : Dépêche-toi, sors vite de Jérusalem, car ils ne recevront pas ton témoignage sur moi.
19 – Alors j’ai dit : Seigneur, ils savent pourtant que c’est moi qui faisais emprisonner et battre, dans les synagogues, ceux qui se fient à toi !
20 – Et quand on répandait le sang d’Etienne, ton témoin, j’y étais, je m’y complaisais, je gardais les vêtements de ceux qui le supprimaient.
21 – Mais il m’a dit : Va, car je t’enverrai au loin, vers les nations.
Mon analyse :
On le voit, la construction est habile, le grand prêtre et le conseil des anciens sont cités comme témoins mais ils ne s’exprimeront pas ni en faveur ni contre ce témoignage. Le récit mêle le pour et le contre ; Paul s’y présente tour à tour de façon négative, sous le prénom Saûl — peu probable puisqu’il est romain ce qui légitime le prénom Paul —, en s’accusant d’avoir souscrit à la mort d’Étienne et en se référant à Jésus ce qu’il ne fait jamais dans ses lettres ; mais en même temps il se dit choisi parmi les autres et seul à témoigner en son nom. Soit il s’agit d’une forgerie complète, destinée à récupérer pour le compte de la communauté de Jérusalem le bénéfice de la mort de Paul, en l’imputant aux Juifs et en en exonérant Jacques — dont je rappelle que c’est lui qui envoie Paul au devant des Juifs qui vont essayer de le tuer —, soit il s’agit d’une interpolation d’éléments négatif à l’encontre de Paul destinés à amoindrir la force de sa position d’élu de Dieu.
22 – Jusque-là ils l’avaient écouté mais, à cette parole, ils élevèrent la voix et dirent : Enlevez-le de la terre ! Il n’aurait jamais dû vivre !
23 – Et ils criaient, ils rejetaient leurs vêtements, ils jetaient de la poussière en l’air,
24 – si bien que le tribun ordonna de le faire entrer dans la forteresse et dit de le mettre à la question par le fouet, pour savoir pour quel motif on vociférait ainsi contre lui.
25 – Quand on l’eut fait étendre pour le flageller, Paul dit au centurion qui était là : Avez-vous le droit de fouetter sans jugement un Romain ?
26 – À cette parole, le centurion alla prévenir le tribun : Qu’est-ce que tu vas faire ? Cet homme est un Romain !
27 – Le tribun alla donc trouver Paul : Dis-moi : tu es romain ? Il lui dit : Oui.
28 – Le tribun répondit Cette citoyenneté, je l’ai acquise moyennant un gros capital. Et Paul lui dit : Moi, c’est de naissance.
29 – Aussitôt donc, ceux qui allaient le mettre à la question le quittèrent, et le tribun fut effrayé de reconnaître qu’il avait fait lier un Romain.
30 – Le lendemain, comme il voulait savoir le fin mot de ce dont les Juifs l’accusaient, il le fit délier et ordonna de rassembler les grands prêtres et tout le Sanhédrin ; puis il ramena Paul pour le faire comparaître devant eux.
Mon analyse :
On pourrait croire que cette partie est une simple pirouette de Paul destinée à lui permettre de sortir d’un mauvais pas. En fait, il s’agit de montrer que Paul, contrairement à Jésus, cherche à éviter le martyre et le sacrifice. C’est donc présenté comme une ruse ; Paul attend le dernier moment pour se révéler et il montre au tribun qu’il est un romain de meilleure extraction que lui. C’est donc bien un chapitre entièrement orienté dans le but de dévaloriser Paul.