Rituel latin de Florence – Sainte Oraison

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Rituel latin de Florence – Sainte Oraison

Ce texte, écrit en latin était inséré vers la fin du « Livre des deux principes », dans un manuscrit de la ville de Florence[1]. Il semble postérieur au rituel occitan de Lyon qu’il semble amplifier. À ce titre, peut-être a-t-il été écrit directement par les Cathares réfugiés en Italie.

Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

Je me suis également appuyé sur le travail de Déodat Roché, publié dans l’Église romaine et les Cathares albigeois, aux éditions Cahiers d’études cathares – 1957 – Narbonne.

Prédication de l’Ordonné (le début manque).

« … ceux qui sont doux et humbles se réjouiront de plus en plus dans le Seigneur, et les pauvres trouveront dans le saint d’Israël un ravissement de joie parce que celui qui les opprimait a été détruit, que le Moqueur n’est plus, et qu’on a retranché de dessus la terre ceux qui veillaient pour faire le mal, ceux qui faisaient pécher les hommes par leurs paroles, qui tendaient des pièges à ceux qui les reprenaient dans l’assemblée » (Is., XXIX, 19-21). »

Mon commentaire :
Il manque la première partie qui, dans le Rituel de Lyon correspond à la préparation du rituel et au début de l’admonestation.
Le texte tiré d’Isaïe est certainement tronqué lui aussi, car la lecture de l’original laisse à penser que d’autres versets auraient eu leur place ici, comme les versets 13, 14 et 18 par exemple. Iahvé y dit qu’il va continuer à aider et protéger le peuple même si celui-ci est souvent en défaut envers lui en raison de son incapacité à le comprendre et en raison de fausses indications données par d’autres hommes. C’est la seconde partie des miracles que promet Iahvé que nous pouvons lire ici. Il s’agit donc de dire que ceux qui auront été trompés mais qui seront restés humbles et qui étaient asservis retrouveront la joie dans la bienveillance de Dieu.

Compassion de Dieu pour son peuple.

« Et ainsi, par ces témoignages et par beaucoup d’autres, il est donné à entendre que le Père Saint veut avoir pitié de son peuple, et le recevoir dans sa paix et dans sa concorde par l’avènement de son fils Jésus-Christ. C’est là la cause pour laquelle vous êtes ici, au milieu des disciples de Jésus-Christ, où le Père, le Fils et le Saint-Esprit habitent spirituellement, comme il vous a été dit plus haut, afin que vous puissiez recevoir cette sainte oraison que Notre-Seigneur a donnée lui-même à ses disciples, de sorte que vos demandes et vos prières soient exaucées par notre Père très saint, comme le dit David : « Que ma prière s’élève vers vous comme la fumée de l’encens » (Ps. CXI, 2). »

Mon commentaire :
L’officiant rappelle brièvement la raison d’être de ce rituel et ses origines.

Réception de la sainte Oraison (le Pater ou Oraison dominicale).

« C’est pourquoi vous devez comprendre comment vous devez recevoir cette oraison sainte, c’est-à-dire le Pater noster. Certes, elle est brève, mais elle contient de grandes choses. Il faut donc que celui qui doit dire le « Notre Père » l’honore par de bonnes œuvres. »

Mon commentaire :
L’officiant annonce que l’oraison contient en peu de choses des informations importantes qu’il va révéler maintenant au moyen d’une glose détaillée.

« Fils veut dire : Amour du Père. C’est pourquoi celui qui désire hériter comme fils doit se séparer absolument des œuvres mauvaises. »

Mon commentaire :
Ce terme est surprenant car on ne le retrouve pas dans le Pater. Est-ce simplement un ajout destiné à situer le pratiquant par rapport à la première phrase ou bien s’agit-il d’un élément qui a disparu des versions suivantes ?

« Notre Père » : ces deux mots sont au vocatif. C’est comme si l’on disait : ô Père de ceux seulement qui doivent être sauvés. « Qui êtes aux cieux » : c’est-à-dire : vous qui habitez dans les saints ou même dans les vertus célestes[2]. On a cru devoir dire aussi, peut-être : « Notre Père qui êtes aux cieux », pour le distinguer du père du Diable, qui est menteur et père des méchants, c’est-à-dire de ceux qui ne peuvent absolument pas bénéficier de la compassion (divine), laquelle les sauverait. »

Mon commentaire :
Nous avons là deux acceptions pour la première phrase. Soit on s’adresse au père des bons esprits, soit on le distingue du diable. Les deux cas reviennent au même.

« C’est pourquoi, donc, nous disons : Notre Père. « Que votre nom soit sanctifié » : par le nom de Dieu on entend la loi du Christ. C’est comme si l’on disait : « que votre loi soit affermie dans votre peuple ».

Mon commentaire :
Voilà une situation inédite. L’officiant donne aux mots du Pater un sens différent de celui qui apparaît de façon évidente. La question est de comprendre la raison de ce comportement ? Ce texte, déjà vieux de plus de dix siècles et qui n’est pas exactement celui prononcé par Jésus, comme le démontrent les versions différentes qui apparaissent dans les Évangiles, semble poser problème dans son acception initiale. Les Bons-Chrétiens donnent l’impression de vouloir amoindrir le caractère très anthropomorphique du texte sans le renier totalement à une époque où il est totalement imprégné dans la société.

« Que votre règne arrive : par règne de Dieu il faut entendre le Christ. Dans l’évangile, le Christ dit, en effet : « Voici qu’à présent le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc, XVII, 21). Mais par règne de Dieu on peut entendre aussi « le peuple de Dieu qui doit être sauvé ». C’est comme si l’on disait : Seigneur, mène ton peuple hors de la terre de l’ennemi. C’est pourquoi le prophète Joël s’exprime ainsi : « Les prêtres et les ministres du Seigneur, prosternés entre le vestibule et l’autel, fondront en larmes et diront : « Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple et ne laissez point tomber votre héritage dans l’opprobre en l’exposant aux insultes des nations. (Souffrirez-vous que les étrangers) disent de nous : où est leur Dieu ? » (Joël, II, 17). C’est pour ce motif que, tous les jours, les chrétiens prient leur Père très pieux pour le salut du peuple de Dieu. »

Mon commentaire :
Là encore, le terme règne pose problème et une seule hypothèse ne suffit pas et l’officiant s’oblige à en proposer deux, celle du Christ et celle du peuple.

« Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel : cela signifie : que votre volonté soit accomplie en ce peuple qui s’est attaché à la nature terrestre[3], comme elle est accomplie dans le royaume d’en-haut ou en Christ, qui a dit : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé, la volonté de mon Père » (Jean, VI, 38). «

Mon commentaire :
Là au moins l’explication est cohérente par rapport au texte initial.

« Notre Pain supersubstantiel[4] : par « pain supersubstantiel » on entend la loi du Christ qui a été donnée à tous les peuples[5]. Il faut donc croire que c’est de ce pain que veut parler Isaïe, lorsqu’il dit : « En ce temps-là sept femmes prendront un homme et elles lui diront : nous nous nourrirons nous-mêmes et nous nous entretiendrons nous-mêmes d’habits : (agréez) seulement que nous portions votre nom » (Is., IV, 1). David dit aussi : « J’ai été frappé comme l’herbe (par l’ardeur du soleil) et mon cœur s’est desséché parce que j’ai oublié de manger mon pain » (Ps. CI, 5). Il est écrit dans le livre de la Sagesse : « Mais vous avez donné, au contraire, à votre peuple la nourriture des anges, vous leur avez fait pleuvoir du ciel un pain préparé sans aucun travail, qui renfermait en soi tout ce qu’il y a de délicieux et tout ce qui peut être agréable au goût. Car la substance de votre créature faisait voir combien est grande votre douceur envers vos enfants, puisque s’accommodant à la volonté de chacun d’eux elle se changeait en tout ce qui lui plaisait » (Sap., XVI, 20-21). »

Mon commentaire :
Le concept de pain supersubstantiel (ou suprasubstantiel selon les versions) donne lieu à une très longue analyse proposant plusieurs options. Dans la première, il s’agit d’y voir le commandement de Christ, c’est-à-dire la Bienveillance. Sont appelés à la rescousse Isaïe, David et Salomon pour appuyer cette interprétation.  Isaïe permet de valider le fait que ce pain que nous recevons est déjà en nous ; David montre que son absence, c’est-à-dire le non respect de ce commandement, dessèche le cœur de l’homme ; Salomon est compris comme parlant d’un commandement issu de Dieu, principiel (sans travail) et complet pour celui qui le reçoit, c’est-à-dire qui constitue l’absolue totalité de ce qui est nécessaire.

« Et par Isaïe le Seigneur a dit lui-même : « Faites part de votre pain à celui qui a faim, et faites entrer dans votre maison les pauvres qui ne savent où se retirer. Lorsque vous verrez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez point votre propre chair » (Is., LVIII, 7). C’est de ce pain, croit-on, que Jérémie a dit dans ses Lamentations : « Les petits ont demandé du pain, et il n’y avait personne pour leur en donner » (Lam., IV, 4). Et le Christ, dans l’évangile de Jean, dit aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. Car le pain de Dieu est celui qui vient du ciel et qui donne la vie au monde » (Jean, VI, 32-33). Et de nouveau, « Je suis le pain vivant » (c’est-à-dire : c’est moi qui ai mission de vie) ; « qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean, VI, 35). Et encore : « En vérité, en vérité je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Mais voici le pain qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain c’est-à-dire : si quelqu’un observe mes préceptes — il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair (que je dois donner) pour la vie du monde » (Jean, VI, 47-56) c’est-à-dire : du peuple. « Les Juifs disputaient donc entre eux, en disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Cela signifie : la question était débattue, parmi le peuple juif, de savoir comment le Christ pouvait leur donner ses préceptes à observer : ils ignoraient, en effet, la Divinité du Fils de Dieu. Alors Jésus leur dit : « En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du fils de l’homme » — c’est-à-dire : si vous n’observez pas les préceptes du Fils de Dieu — « et si vous ne buvez son sang » — c’est-à-dire : si vous ne recevez pas le sens spirituel du Nouveau Testament —, « vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est véritablement viande et mon sang est véritablement breuvage »

Mon commentaire :
Le concept du pain comme représentant le commandement de Bienveillance est ici confirmé et approfondi. Par Isaïe le caractère Bienveillant apparaît dans le partage avec ceux qui souffrent. Jérémie est utilisé pour montrer que c’est bien ce que veulent les plus simples. Enfin, Jésus rappelle non seulement que ce commandement vient de Dieu qui est la parfaite Bienveillance, mais que lui est à la fois le messager de ce commandement et le commandement lui-même. Christ a cette double fonction de représenter le message de Bienveillance afin d’être un exemple pour ceux qui en avaient perdu le sens. Cela explique la notion de chair et de sang qui troublait tant ses auditeurs.

« (Jean, VI, 53-56). Ailleurs le Christ dit encore : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père, qui m’a envoyé pour que j’accomplisse son œuvre » (Jean, IV, 34) ; et aussi : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui » (Jean, VI, 56). Assurément les prêtres trompeurs ne mangent pas la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ni ne boivent vraiment son sang, parce qu’ils ne demeurent pas en Notre-Seigneur. C’est pourquoi le bienheureux Jean dit dans la première épître : « Mais si quelqu’un met en pratique sa parole, l’amour de Dieu est parfait en lui ; c’est par là que nous connaissons que nous sommes en Dieu. Celui qui dit qu’il demeure en Jésus-Christ doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché » (I Jean, II, 5-6). »

Mon commentaire :
L’explication se poursuit avec Jean. Il montre le sens de la remarque selon laquelle : là où nous sommes assemblés au nom de Christ, il est parmi nous. En effet, si nous sommes réunis dans la Bienveillance, Christ qui est la Bienveillance est avec nous.

« C’est encore de ce Pain qu’il est écrit, selon notre foi, dans l’évangile de saint Matthieu : « Pendant qu’ils soupaient, Jésus prit du pain » — c’est-à-dire : les préceptes spirituels de la Loi et des prophètes — « et il le bénit » — c’est-à-dire : les loua et les confirma —, « le rompit », — c’est-à-dire : les expliqua spirituellement — « et le donna à ses disciples », — c’est-à-dire les leur enseigna pour qu’ils les observassent spirituellement. « Et il leur dit : Prenez » — c’est-à-dire : enseignez-les ; « mangez » — c’est-à-dire — prêchez-les à tous. C’est pourquoi il a été dit au bienheureux Jean l’Évangéliste : « Prenez le livre et dévorez-le…, etc., alors (l’ange) me dit : il faut que vous prophétisiez encore devant les nations, devant les hommes de diverses langues, et devant plusieurs rois » (Apoc., X, 9, 11). « Ceci est mon corps » : le Seigneur dit ici en parlant du pain : ceci est mon corps. Plus haut, il avait dit : «  Et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair (que je dois donner) pour la vie du monde » (Matth., XXVI, 26 – Jean, VI, 51). Ce sont, en réalité, les commandements de la Loi et des Prophètes entendus dans leur sens spirituel que nous croyons, selon notre foi, qu’il a désignés par ces mots : « Ceci est mon corps » ou « ma chair », comme pour dire : C’est en eux que je suis, c’est en eux que j’habite. C’est pourquoi l’Apôtre dit dans la Première aux Corinthiens : « Le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas la communication du sang du Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas la participation au corps du Seigneur ? Parce que ce pain est unique, étant plusieurs nous ne sommes qu’un seul corps, car nous participons tous de ce même pain et de ce même calice » (I Cor., X, 16-17). Et cela signifie : nous participons au même sens spirituel de la loi, des prophètes et du Nouveau Testament. Autre témoignage : « Car c’est du Seigneur que j’ai appris ce que je vous ai aussi enseigné, qui est que le Seigneur Jésus, la nuit même qu’il devait être livré à mort, prit du pain ; et qu’ayant rendu grâces, il le rompit et dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui va être donné pour vous » — cela veut dire : ces préceptes spirituels des anciennes Écritures sont mon corps : c’est pour vous qu’ils seront livrés (transmis) au peuple — « Faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe et dit : cette coupe est la nouvelle alliance (scellée) par mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous la boirez » (I Cor., XI, 23-25). C’est du « pain » supersubstantiel qu’il s’agit ici. »

Mon commentaire :
Enfin, cette analyse détaillée se termine par l’étude détaillée de la cène et du sang des paroles de Jésus revisitées à l’aune de cette compréhension spirituelle du pain supersubstantiel.

« Viennent ensuite les mots : Donnez-nous aujourd’hui : c’est-à-dire en ce temps de grâce ou : pendant que nous sommes dans cette vie temporelle, donnez-nous votre force (virtutem) ; afin que nous puissions accomplir la loi de votre fils Jésus-Christ[6]. »

Mon commentaire :
Interprétation intéressante qui met le croyant dans une position active et non pas simplement réceptive de la grâce divine. Certes, c’est Dieu seul qui peut donner la grâce mais en réclamant les conditions de son application, le croyant participe.

« Et remettez-nous nos dettes : c’est-à-dire : ne nous imputez pas les péchés que nous avons commis dans le passé, à nous qui voulons désormais observer les commandements de votre Fils. »

Mon commentaire :
Très cathare comme comportement. Il ne s’agit pas de pardon mais de remise gracieuse, c’est-à-dire d’abandon des charges. Le fait de s’engager dans une attitude chrétienne vaut remise à zéro du compteur. On n’est pas dans le Bouddhisme où l’on traîne son karma d’une vie dans l’autre.

« Comme nous les remettons à nos débiteurs : c’est-à-dire : comme nous les remettons à ceux qui nous persécutent et qui nous font du mal. »

Mon commentaire :
Et bien entendu, l’abandon des griefs vaut aussi pour le croyant envers les autres.

« Et ne nous induisez pas en tentation : c’est-à-dire : ne permettez pas plus longtemps que nous soyons induits en tentation, maintenant que nous désirons suivre votre loi. Il y a en vérité, une tentation charnelle et une tentation diabolique. La tentation diabolique est celle qui procède du cœur, par suggestion du Diable, comme l’erreur, les pensées d’iniquité, la haine et autres choses semblables. La tentation charnelle est celle qui résulte de la nature humaine, comme la faim, la soif, le froid et toutes choses du même genre : nous ne pouvons pas l’éviter. C’est pourquoi l’Apôtre dit dans la première épître aux Corinthiens : « Qu’aucune tentation ne vous saisisse à moins qu’elle ne soit humaine[7]. Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais en permettant la tentation, il vous donnera d’en sortir, même avec avantage, en sorte que vous aurez la force de soutenir ces épreuves » (I Cor., X, 13). »

Mon commentaire :
Nous voyons là une problématique dont l’auteur peine à se sortir. Comment Dieu pourrait-il induire, ou même simplement tolérer que nous soyons induits en tentation ? La réponse est autre. Dieu est omnipotent sur ce qui relève de lui, c’est-à-dire du Bien. Pour le Mal il n’a rien à lui opposer que l’éternité. En fait, c’est le Mal qui lutte contre lui-même, tout comme le scorpion qui tue la grenouille alors qu’elle est en train de le sauver, va se tuer lui-même en raison de sa nature. Dieu agit donc en nous en nous donnant la capacité à surmonter le Mal mais il ne peut empêcher le Mal d’agir car il ne le veut pas. L’auteur est ici en contradiction avec la nature de Dieu, situation dont Jean de Lugio se sortira bien mieux dans le Livre des deux principes.

« Mais délivrez-nous du mal, c’est-à-dire : du Diable, qui est le tentateur des fidèles, et de ses œuvres. »

Mon commentaire :
Là encore, Dieu ne nous délivre pas du Mal. Il nous soutient dans l’épreuve et nous délivre du mauvais principe en nous accueillant en son sein.

« Car à vous appartiennent le règne — on dit que ce mot (et les suivants) se trouve dans les livres grecs[8] ou hébreux — cela revient à dire : la raison pour laquelle vous devez faire pour nous ce que nous vous demandons, c’est que nous sommes votre peuple.
Et la puissance : il faut entendre : vous avez le pouvoir de nous sauver.
Et la gloire : c’est-à-dire : à vous louange et honneur, quand vous faites cela pour votre peuple.
Dans les siècles : c’est-à-dire : dans les créatures célestes[9].
Amen signifie : sans défaillance (sine defectu[10]). »

Mon commentaire :
Cette doxologie, qui ne figure pas dans les textes latins de l’époque, comme l’indique l’auteur, comporte une notion extrêmement anthropomorphique que l’auteur remplace par des considérations moins marquées. Ici le règne est remplacé par un lien de Bienveillance, la puissance et la gloire sont liées à la capacité divine d’agir pour ses créatures qui sont représentées par le mot siècle.

« C’est pourquoi (après avoir entendu ces explications et ces témoignages) vous devez comprendre, si vous voulez recevoir cette oraison, qu’il importe que vous vous repentiez de tous vos péchés et que vous pardonniez à tous les hommes. Le Christ n’a-t-il pas dit dans l’évangile (Matth., VI, 15), (Marc, XI, 30) : « Si vous ne pardonnez pas aux hommes (les fautes qu’ils auront faites), votre Père céleste ne vous pardonnera point non plus vos péchés. » ? Et il importe aussi que vous vous proposiez, en votre cœur, de retenir cette sainte oraison tout le temps de votre vie, si Dieu vous donne la grâce de la recevoir, selon la coutume de l’Église de Dieu, avec soumission et chasteté, et avec toutes les autres bonnes vertus que Dieu voudra vous donner. C’est pour cette raison que nous prions le Bon Seigneur qui a donné aux disciples de Jésus-Christ le pouvoir de recevoir cette oraison avec constance, qu’il vous donne aussi la force de la recevoir avec la même fermeté, à son honneur et pour votre salut. Parcite nobis. »

Mon commentaire :
Le sermon se termine par un rappel des points essentiels liés à l’Oraison, c’est-à-dire l’éloignement du péché, qu’il soit personnel ou lié à autrui et la fermeté dans la foi et le respect de la règle.

« Alors, que l’Ordonné[11] prenne le livre des mains du croyant, et dise : « Jean (en supposant qu’il s’appelle ainsi), avez-vous la volonté de recevoir cette sainte oraison comme on vous a rappelé (qu’il fallait la recevoir), et de la retenir tout le temps de votre vie avec chasteté, véracité et humilité, et avec toutes les autres bonnes vertus que Dieu aura voulu vous donner ? » Le croyant doit répondre : « Oui, j’en ai la volonté. Priez le Père Saint qu’il me donne lui-même sa force. » L’Ordonné dira alors : « Que Dieu vous fasse la grâce de la recevoir à son honneur et pour votre salut. »

Mon commentaire :
Enfin, vient la formule de transmission de la capacité à pratiquer le rituel et le répons.

Le ministère. Rôle de l’« Ordonné ».

« Alors, que l’ordonné dise au croyant : « Dites l’oraison avec moi, mot pour mot, et dites le perdonum[12] comme l’aura dit celui (qui est à côté de moi) et le croyant devra le dire comme l’aura dit celui qui est à côté de l’Ordonné[13]. Alors l’Ordonné se mettra à dire le perdonum. Ensuite il dira l’oraison comme il est d’usage : cette oraison étant achevée, ainsi que la gratia, le croyant devra dire en faisant une révérence (avec génuflexion) devant l’Ordonné : Benedicite parcite nobis, amen. Fiat nobis, Domine secundum verbum tuum. » (Bénissez-nous, pardonnez-nous, amen. Qu’il nous soit fait, Seigneur, selon ta parole !) L’Ordonné doit dire alors : Pater et filius et spiritus sanctus dimittat vobis omnia peccata vestra. (Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient pitié de tous vos péchés) et le croyant se lèvera. L’Ordonné lui dira : « Par Dieu, par nous, par l’Église, par son Ordre saint, ses préceptes et ses disciples saints, ayez le pouvoir de dire cette oraison avant de manger ou de boire, de jour ou de nuit, seul ou en compagnie d’autres personnes, comme c’est la coutume dans l’Église de Jésus-Christ. Vous ne devez ni manger ni boire sans avoir dit cette prière. S’il vous arrive d’y manquer — ce que vous ferez savoir à l’Ordonné de l’Église, aussitôt que vous le pourrez —, vous en subirez la pénitence qu’il voudra vous donner. Que le Seigneur vrai Dieu vous donne la grâce de l’observer (la pratique de l’oraison) à son honneur et pour votre salut. » Le croyant fera alors trois révérences en disant : Benedicite, Benedicite, Benedicite, parcite nobis. Dominus deus tribuat vobis bonam mercedem de illo bono quod fecistis mihi amore dei. (Que le Seigneur Dieu vous donne bonne récompense de ce bien que vous m’avez fait pour l’amour de Dieu !)

Alors, si le croyant ne doit pas être consolé (ce jour-là), il convient qu’il reçoive le service[14] et qu’il aille « faire la paix[15] ».

Mon commentaire :
Enfin, l’auteur décrit le déroulement de la passation du rituel entre l’ordonné et son second et le croyant. À l’époque, le latin était la langue officielle, tant de l’Église que de la vie officielle ; il est donc normal qu’il soit employé dans les formules. Maintenant que c’est le français, il est cohérent que ce soit en français qu’elles soient prononcées. On voit à la fin que la remise de la tradition de l’Oraison dominicale ne s’accompagne pas toujours d’une Consolation. Il semble bien que seuls les malades, les femmes et les hommes n’étant pas appelés à devenir des prédicateurs étaient consolés dès la fin de leur première année de noviciat. Les autres poursuivaient leur formation et recevaient une Consolation finale à son terme.


[1] Traduit et édité pour partie (ouvrage incomplet) par le P. Dondaine dans : Un traité néo-manichéen du XIIIe siècle. Le Liber de duobus principiis, suivi d’un fragment du rituel cathare – Istituto storico domenicano. S. Sabina. Roma 1939.

[2] Les hiérarchies spirituelles : anges, archanges, Principes ou Esprits des commencements, etc. (D. Roche, L’Église romaine et les Cathares albigeois, p. 185).

[3] Ce « peuple » est à « recréer » selon la « création » du second degré, de Jean de Lugio, laquelle consiste « à ajouter quelque vertu aux essences de ceux qui ont été créés mauvais, afin de les incliner aux bonnes œuvres ».

[4] « La forme Panem nostrum supersubstantialem ne doit pas surprendre : on la trouve dans certains manuscrits de la Vulgate : c’est le texte commenté par saint Thomas d’Aquin dans son Exposition de l’évangile de saint Matthieu » (A. Dondaine, Liber de Duobus principiis, p. 48).

[5] Ms. : Addition : Donnez-nous aujourd’hui : c’est-à-dire : Père Saint, donnez-nous vos forces pour que nous puissions, en ce temps de grâce, accomplir votre loi et suivre les préceptes de votre Fils qui est le Pain vivant.

[1] Sur cette terre les « âmes » sont soumises au temps, qui s’oppose à l’Éternité et qui est du Démon (l’être toujours changeant). Elles ne peuvent opérer leur salut d’elles-mêmes, par liberté ; elles ne peuvent que « demander » la grâce, et que Dieu combatte en elles le Mal. La vie temporelle est donc exactement le temps de la Grâce.

Ces quelques lignes — auxquelles on ne saurait refuser la « profondeur » philosophique — figuraient plus haut, dans le manuscrit, et y ont été rayées (voir note 3, page 228), sans doute pour faire place au long développement sur le Pain supersubstantiel.

[2] Le catholicisme romain interprète un peu différemment ce passage : « Vous n’avez eu encore que des tentations humaines (et ordinaires). »

[3] « Les derniers mots : Quoniam tuum est regnum et virtus et gloria in saecula appartiennent au texte grec… Les Latins eux-mêmes n’ignoraient pas ce texte » (A. Dondaine, op. cit., p. 48). Les Cathares suivaient la tradition grecque sur ce point, notre auteur commente la formule « grecque », alors que son exemplaire de l’évangile de saint Matthieu ne contenait pas — sa remarque le prouve — les mots en question.

[4] « Secula traduit le terme du texte grec : Aiônas. Il ne s’agit pas ici du temps terrestre, mais des siècles dans le sens d’éons, sphères spirituelles des hiérarchies célestes : anges, archanges, principes… comme pour les gnostiques et les manichéens » (D. Roche, op. cit., p. 189).

[5] Amen : ainsi soit-il. Notre auteur interprète ce mot comme signifiant : sans défaillance, sans changement ni diminution : il évoque pour lui la Plénitude de l’Éternité.

[6] Celui qui a reçu l’Ordination ou la Consécration.

[7] « Perdonum paraît bien être, comme venia, une demande de grâce et de pardon » (D. Roche). « Le perdonum est la confession générale des fautes unie au melioramentum » (A. Dondaine). Il semble que le Perdonum du rituel latin corresponde au melhorier du rituel occitan.

[8] Passage corrompu : A. Dondaine le rétablit ainsi : « Et perdonum dicite sicut dixerit ille. » Et dicat sicut dixerit ille (scilicet ancianus) qui est justa ordinatum. Rappelons que dans le rituel latin l’Ordonné remplit toujours la fonction de l’ancien du rituel occitan, et l’ancien celle du « bonhomme ».

[9] Ici, pénitence liturgique.

[10] Ire ad pacem : trad. de D. Roche : « et qu’il aille en paix ».

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