vanité

L’Esprit

3-1-Doctrine cathare
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L’Esprit

Qu’est-ce que l’Esprit ?

La grande force de la mondanité est de nous enfermer dans un carcan quasiment impossible à briser. Ce carcan nous impose le monde comme seule référence pour notre compréhension et notre expression. Cela se révèle particulièrement quand nous essayons d’exprimer des concepts spirituels, car alors nous en sommes réduits à les comparer à des concepts matériels.
Dans mon livre, je montrais que les religions s’étaient toujours ingéniées à chercher des solutions pour concevoir comment les hommes avaient été dotés d’une âme. Les créationnistes considèrent que Dieu crée simultanément un corps et une âme et que, lorsque le corps meurt, cette âme est jugée et envoyée au paradis ou en enfer. Les traducianistes, s’appuyant sur la Genèse, considéraient que Dieu n’avait soufflé l’esprit que dans Adam. Donc, Ève ayant été faite à partir d’une partie d’Adam en avait hérité, mais leurs enfants ne pouvaient être dotés d’une âme qu’à condition que l’esprit d’Adam se divise à leur conception. Cela avait pour nécessité de considérer que Dieu avait une part de responsabilité dans la création mondaine, ce qu’admettaient les Pères de l’Église de Rome partisans de cette hypothèse, mais aussi les cathares monarchiens (mitigés).
Pour les cathares dyarchiens (dits absolus), Dieu devait être exonéré de toute responsabilité dans la création. Donc, ils prirent fait et cause pour la chute globale des esprits par la faute du démiurge. L’esprit serait donc entré dans les corps humains préexistants et changerait de corps à chaque mort du corps précédent jusqu’à parvenir à échapper totalement à cette emprise mondaine. Je partage ce point de vue, mais il est temps de le peaufiner et de mieux l’expliquer.

L’Esprit est-il divisible ?

Cette dernière hypothèse pourrait donner à croire qu’il y a une multitude d’esprits dont certains sont tombés et pas les autres. Une partie des dyarchiens essayaient de pallier à cette idée un peu naïve en parlant de la tierce partie, c’est-à-dire l’âme spirituelle (par opposition à l’âme mondaine) qui en tombant serait devenue l’esprit prisonnier du corps mondain.
J’avais déjà tenté de modérer cette lecture matérialiste en proposant de comparer l’Esprit à un récipient rempli d’eau. L’Esprit est Un et non divisé. C’est le prisme de la mondanité qui nous donne à le voir divisé. En effet, si nous disposons d’un récipient rempli d’eau, la masse hydrique est uniforme. Introduisons maintenant dans ce récipient des séparateurs adaptés qui permettent de séparer le récipient en compartiments étanches. La masse hydrique va apparaître comme divisée. Elle l’est assurément et pourtant, dès que l’on retire les compartiments la masse redevient unique et ne conserve aucune trace de la séparation.
Alors, l’eau est-elle divisible ? Apparemment oui, mais en réalité elle demeure unitaire puisque chaque fois qu’elle en a l’occasion elle retrouve son unité. Très bien, mais une fois encore nous sommes amenés à utiliser des référentiels mondains qui dénaturent l’explication recherchée. C’est là le point de séparation entre le concept exotérique (l’eau) et le concept ésotérique (l’Esprit).

Comprendre un concept ésotérique

À l’instar de ce qui se produit dans le film Matrix®, l’éveil est le déclic qui nous permet de commencer à pouvoir comprendre des concepts ésotériques, car nous commençons à nous détacher de la mondanité. Comprenant la vanité du monde, nous commençons à chercher d’autres référentiels.
L’ésotérisme est le moment où nous n’avons plus besoin de référentiels mondains pour comprendre des notions spirituelles. Or, l’Esprit est un concept spirituel par nature et doit se comprendre de façon ésotérique. Mais pour l’exprimer nous en sommes réduits à utiliser des mots de ce monde, c’est-à-dire fort limités en sens eut égard à la profondeur de ce que nous voulons faire passer comme message. On comprend mieux ici le trouble de Pierre à qui Jésus demande à trois reprises : « Pierre, m’aimes-tu ? » et qui ne sait plus comment répondre. L’Amour spirituel, la Bienveillance, est un concept spirituel que le dictionnaire amoindrit en faisant un système réciproque dans sa définition de la dilection : « Amour tendre et spirituel envers son prochain et de Dieu envers ses créatures ». Non, la Bienveillance ne se décrit pas, elle se vit ! Vouloir le Bien a l’avantage de ne pas donner le flanc à une description entomologique, car elle se réfère elle aussi à un concept ésotérique : le Bien. Et comme le Bien est ce qui définit la divinité, le système est bouclé !
Essayons de réfléchir à la manière ésotérique, sans tomber dans la facilité de bien des groupes — dits ésotériques — qui manipulent le langage en associant ou divisant des termes de façon à ne pas avoir à s’expliquer clairement sur leurs propos.
L’Esprit est unique car il est divin. Dieu est esprit, lit-on dans les ouvrages de catéchisme. En effet, c’est l’explication la plus courte que l’on puisse proposer. Il Est et il définit l’Esprit. Il est en cela qu’il ne peut pas y avoir en lui quoi que ce soit d’amoindri, sous peine de perdre son statut divin. Par opposition à l’Être, nous connaissons le néant d’Être, c’est-à-dire le Mal. Le Bien et le Mal sont éternels car ils sont des principes. Un principe ne peut être matérialisé et pourtant tout ce qui porte sa marque découle de lui. En cela l’Esprit découle de Dieu et c’est pour cela que nous nous disons consubstantiels au principe du Bien, même si je vous l’accorde se dire consubstantiel à ce qui n’a pas de substance montre bien nos limites d’expression. L’Esprit est donc à la fois le principe et la qualité du principe. L’esprit dispose de l’Être, comme le principe, car le principe du Bien étant parfait, ce qui découle de lui ne peut être amoindrit en aucune façon.
Le fait que nous soyons imparfaits dans notre prison mondaine ne provient pas de l’Esprit qui est en nous — et qui d’une façon plus juste est nous —, mais provient de la prison. De même si un prisonnier a froid ce n’est pas parce qu’il est un homme emprisonné, mais parce que la prison est froide. Si la prison était chaude, tout prisonnier qu’il soit, il aurait chaud. Notre imperfection est donc liée à ce qui nous emprisonne ; nous sommes comme le principe parfait totalement innocents de notre imperfection.

L’Esprit unique et divisé

Diviser l’Esprit serait l’amoindrir. Donc, il faut accepter que l’Esprit soit unique. Pourtant chacun de nous est différent de son voisin et avance de façon personnelle et différente des autres dans son cheminement. Ces différences sont dues à la prison de chair, qui inclut l’intellect, l’intelligence, la psychée (le psychisme) et l’âme mondaine. Donc, en fait nous sommes l’expression d’un seul Esprit, c’est-à-dire que nous ici-bas des entités spirituelles identiques à ce que nous sommes dans l’espace spirituel du bon principe et que nous sommes comme lui, pur esprit et éternels.
Notre division nous donne un sentiment de différence selon l’état de profondeur de notre emprisonnement. C’est pour cela que j’exprime notre état en ce monde en utilisant le terme esprits saints alors que quand je parle du paraclet, j’emploie le terme de Saint Esprit, qui nous rappelle qu’il est une émanation spirituelle de l’Esprit unique.
Cette division apparente ne peut se résoudre qu’en mettant à l’écart ce qui relève du monde de ce qui relève du spirituel. Cela est très difficile, douloureux souvent, car notre emprisonnement est ancien et nous est devenu familier. Comme dans l’allégorie de la caverne de Platon, monter vers la lumière est douloureux et provoque l’incompréhension, voire le rejet de ceux qui se satisfont de leur état de dépendance.
L’étape initiale de cette séparation est d’en reconnaître l’existence. C’est-à-dire de reconnaître que nous ne sommes pas une entité simple mais un mélange hétérogène dont les deux éléments ne sont pas miscibles, même si comme la mayonnaise l’apparence peut sembler uniforme. Mais, à la différence de la mayonnaise, un simple temps de repos ne suffit pas à séparer les matières non miscibles. La séparation entre la part mondaine et la part spirituelle est difficile, douloureuse et longue à mener à bien. En outre, elle ne peut être que partielle tant que nous sommes prisonniers du corps qui nous enferme. La seule victoire que nous pouvons revendiquer est d’avoir retrouvé la mémoire de notre état réel.
Dans mon livre, volontairement et forcément exotérique, je parle également des esprits particuliers. Il va sans dire que ce n’est qu’une facilité langagière. Quand l’Esprit n’est pas divisé dans la matière il est libre et unique, mais il agit pour retrouver ce qui semble éloigné, comme le berger de la parabole va chercher la centième brebis et laisse confiant le troupeau unifié. L’Esprit unique aspire, tout comme nous — même si nous n’en avons pas toujours conscience —, à retrouver ce qui est éloigné de lui et quand cela advient l’unité apparaît de façon évidente au point que les cathares avaient trouvé un terme adapté pour le décrire : le mariage mystique. En effet, comme un couple, mais mieux encore que lui car n’étant pas composé d’éléments différents, l’Esprit qui se libère d’une prison charnelle constate qu’il n’a jamais été dissocié, contrairement à ce que leurre mondain cherchait à lui faire accroire.

Comment nous rapprocher de l’état d’Esprit unique ?

Les étapes de l’avancement

Comme le géographe qui tente d’imaginer le continent sur lequel il se trouve, je suis mal placé pour prétendre vous donner un mode d’emploi que je découvre, petit à petit, moi même.
Cependant quelques jalons peuvent être identifiés.
D’abord, nous devons savoir si nous sommes dans l’éveil ou seulement dans ses prémices. Bien des personnes se disent croyantes, mais n’en sont encore qu’au stade du sympathisant. Ce désir d’avancement est lié à un défaut bien mondain, l’impatience. Nous voudrions être arrivés avant même d’avoir pris le départ. L’éveil est une révélation comparable à celle de Paul. Elle a sa fulgurance sans avoir forcément sa violence. Je me méfie d’ailleurs des personnes qui parlent d’une révélation instantanée et brutale, car il s’agit le plus souvent d’une bouffée d’impatience. La révélation est fulgurante en cela qu’elle renverse des certitudes profondément ancrées en nous. Nous passons d’un système de valeurs à son exact opposé. L’homme de la caverne se croit libre et supérieur aux autres qu’il voit enchaînés et idiots de prendre des ombres pour de la réalité, mais il ne se rend pas compte qu’il est lui-même enfermé et la vraie connaissance est, là-haut, dans la lumière crue qu’il entrevoit sans vouloir s’en approcher.
Une fois assurés de notre éveil, s’impose à nous la volonté d’aller vers la bonne fin, donc la nécessité d’en mettre en œuvre les moyens indispensables. C’est le second écueil de ceux dont l’éveil est incomplet ou qui préfèrent retomber dans le sommeil. Le film Matrix®, nous donne à voir cet homme qui trahit pour pouvoir retourner à son étant antérieur, qu’il juge plus confortable que l’état d’homme libre. C’est un écueil fréquent qui nous pousse à suivre les règles d’un monde qui nous pousse à la facilité et au confort quand le chemin est étroit et rocailleux. Combien, qui se disaient et se croyaient éveillés, ont finalement renoncé et ont repris la distance mondaine que l’observateur préfère à l’acteur ?
Quand ces deux étapes sont franchies, il faut surmonter les obstacles du cheminement. Là deux situations s’imposent à nous. La première est finalement la plus simple ; c’est celle que j’ai pu choisir : la voie du noviciat. En effet, comment mieux avancer que lorsque nous pouvons consacrer toute notre attention à notre cheminement ? Même si cela peut paraître ardu parfois, c’est quand même la voie royale puisque nous n’avons à nous préoccuper de rien d’autre. La seconde est celle de ceux qui sont engagés moralement dans le monde. En effet, même si les personnes envers qui nous sommes engagés sont compatissantes, nous leur devons de respecter notre parole aussi longtemps qu’elles en ressentiront le besoin. Elles seules pourront éventuellement nous libérer ou nous rejoindre si elles accèdent à l’éveil. Quand l’engagement est pris envers des personnes indifférentes ou opposantes à nos choix spirituels, c’est encore plus difficile. En effet, l’engagement nous force à concilier l’inconciliable : des obligations mondaines prenantes et un besoin de spiritualité souvent réduite à la portion congrue.
L’étape suivante, je ne peux vous en parler puisque je ne la connais pas. Quand après un noviciat complet, le croyant accède à la Consolation — pas seulement le sacrement mondain —, mais la véritable entrevue entre lui et le Saint Esprit paraclet, qui lui donne à voir ce qu’il a perdu et qu’il peut enfin aspirer à retrouver, il entre dans une phase de détachement tel qu’il devient insensible aux rigueurs du monde : c’est l’ataraxie. Attention, nous parlons bien du détachement de la plus grande part de son état spirituel et non pas d’un état psychologique qui le conduit à ne pas se préoccuper du monde et notamment des autre ; l’ataraxie n’est pas l’indifférence.

Les moyens de l’avancement

N’étant moi-même que très partiellement en chemin, je ne peux prétendre vous révéler ce qu’il me reste à apprendre. Cependant, l’avancement étant la façon dont l’Esprit en nous se dépouille peu à peu des chaînes de sa prison et parvient ainsi à se rapprocher un peu plus de la lumière, je peux au moins vous indiquer ce qui me semble en faciliter l’expression.
Comme tout marcheur en situation difficile, le croyant ne doit pas considérer qu’une fois révélée à lui la certitude du salut, celui-ci va aller de soi. Notre présence aujourd’hui en ce monde est la preuve flagrante que soit nous n’avons jamais été en situation de pouvoir nous éveiller en raison d’un attachement au monde viscéral, soit nous avons échoué par manque de rigueur et d’humilité. Comme l’alpiniste nous devons donc développer notre humilité, qui est une manifestation de la Bienveillance et faire taire notre vanité qui est la marque de la mondanité. Quel que soit notre niveau d’avancement, le plus dur est toujours devant nous. Penser le contraire nous poussera, comme l’alpiniste qui voit la dernière prise au bout de ses doigts et qui décide de lâcher les autres prises pour prendre celle qui le tente, à tenter des choix qui satisferont peut-être notre égo, mais qui nous feront tomber et nous obligeront, si nous parvenons à l’accepter, à repartir à zéro. Or, tout est vanité, c’est-à-dire désir du néant. C’est quand nous avancerons courbés comme le pénitent , les yeux sans cesse rivés devant nos pieds comme le marcheur avançant sur un lit de cailloux, que nous pourront nous interroger sur le bien-fondé du prochain pas que nous nous préparons à accomplir : est-il justifié ? sommes-nous prêts à le franchir ? avons-nous bien effectué les pas précédents ?
La Bienveillance est indispensable car elle nous permet de calmer l’impatience. En étant Bienveillant envers les autres nous reconnaissons que nous ne sommes pas forcément les plus avancés et les plus à même de franchir le pas suivant. En acceptant d’envisager cela nous devenons patients et donc capable d’avancer à un rythme plus adapté à nos compétences. Sans Bienveillance se développe un esprit de compétition qui nous fait perdre toute prudence et nous fait expérimenter des chemins attrayants qui se terminent en cul-de-sac.
L’obéissance est le troisième point essentiel. Si l’humilité peut être comparée aux bonnes chaussures du marcheur et la Bienveillance à la position dans la cordée, l’obéissance est la corde qui nous relie à ceux qui nous précèdent et dont nous suivons les instructions pour avancer en sécurité.
Soit nous considérons ne pas reconnaître chez ceux qui nous ont précédés les qualités pour nous guider, et nous décidons de cheminer seuls, comme le randonneur dans le désert qui, refusant la boussole, dérive en rond jusqu’à l’épuisement. Soit nous reconnaissons parmi nos prédécesseurs des personnes qui nous proposent un cheminement qui correspond à nos attentes, et nous devons alors suivre leurs instructions sans jamais en dévier ou les critiquer. Il y a de nombreux choix possibles, constituant autant d’Églises et de groupes spirituels, pour que nous puissions définir qui sera notre premier de cordée. Mais une fois déterminés, nous devons suivre ses instructions ou bien accepter de nous détacher pour rejoindre un autre groupe ou continuer seul.
Mais notre époque, tout particulièrement, nous enseigne que la nouveauté prime sur l’expérience et que les enseignements des autres sont sans valeur pour nous. « Les cathares avaient faits tels choix ? » Certes, mais c’était au Moye Âge et nous les estimons donc sans valeur aujourd’hui. Comme si une démarche spirituelle pouvait être contrainte par le temps. « Leur règle fixait telles pratiques et contraintes ? » Certes, mais nous sommes des esprits jeunes et forcément plus malins qu’eux. Ne tenant aucun compte de leur avancement, infiniment plus important que le nôtre, nous sommes certains de pouvoir éviter les embûches et nous jetons de Charybde en Sylla avec délectation.
Nous devons accepter l’idée que nous ne pouvons pas comprendre la justification de choix émanant de personnes bien plus avancées que nous et leur obéir aveuglement en attendant d’avoir atteint leur niveau, qui nous révèlera la justesse de leurs choix. Nous sommes des adolescents, convaincus de savoir ce qu’est la vie, méprisant les conseils d’adultes qui eux, savent ce qu’est l’adolescence.
Le reste, qui nous impressionne souvent plus, l’ascèse alimentaire et sexuelle, la dépossession matérielle ne sont que les conséquences des pratiques citée précédemment, pas les moyens d’atteindre au but.

Voilà ce que je crois pouvoir vous dire sur l’Esprit et ce que sa découverte implique pour nous. Nous verrons, je l’espère, si je ne m’étais pas trop trompé dans quelques années.

Avec toute ma Bienveillance.

Être un Chrétien cathare aujourd’hui

2-3-Le catharisme au quotidien
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Qu’est-ce qu’un Chrétien cathare ?

J’avais traité, voici quelques années, le cas du croyant cathare afin d’en expliquer les particularités. Maintenant que j’ai bouclé les trois-quarts de ma première année de noviciat, malgré mon évidente limitation spirituelle, je voudrais réfléchir à « haute voix » sur la sujet du Chrétien cathare, c’est-à-dire celui qui est revêtu, qui a donc reçu la Consolation du Saint Esprit Paraclet.
Certes, nous avons la mémoire de ceux qui s’appelaient ainsi, ou à peu près, au Moyen Âge. Mais ils étaient des éléments d’une lignée très ancienne dont l’étude ne permettait pas d’identifier avec précision l’élément princeps et, qui sait, l’existence éventuelle d’un chaînon manquant.
En outre, je m’interrogeais sur d’apparentes contradictions. Si l’on admet ce qui était considéré à l’époque, à savoir qu’un Bon-Chrétien — pour reprendre la terminologie des croyants de l’époque — avait l’entendement du Bien, avait reçu l’onction du Saint Esprit et cheminait désormais dans les pas de Christ, comment expliquer la très mauvais opinions qu’ils manifestaient d’eux-mêmes et certains revirements profonds ou certaines attitudes contraires à leur foi ?
C’est pourquoi il me semble important de partager ces réflexions et de présenter ma compréhension de ce statut particulier et si rare.

Statut divin et statut mondain

On a très peu d’explications en provenance des Bons-Chrétiens sur ce qu’ils pensaient être et sur la façon dont ils le sont devenus. La plupart du temps ce sont les croyants qui en parlent et l’on sent bien que leur admiration confinait parfois avec la dévotion, pour ne pas dire l’idolâtrie. En effet, quand on dispose d’une figure déifiée, comme c’était parfois le cas, on se sent privilégié. Je pense notamment à cette femme qui gardait dans son coffre un bout de pain plus que rassis parce qu’il avait été béni autrefois par un Bon-Chrétien, on comprend bien qu’on approche des limites de la foi.
Pourtant, et le rituel de l’Amélioration l’atteste, le Bon-Chrétien est considéré comme une sorte d’intermédiaire entre le croyant et le Saint Esprit Paraclet. Il y a donc quelque chose de divin chez celui qui par ailleurs s’astreint à mener une vie mondaine en parallèle. C’est une particularité du Catharisme cette obligation de mener de front une vie régulière, dans une sorte de clôture moniale, et une vie séculière dans un monde forcément très éloigné des préoccupations majeures de ces hommes et femmes. Et cela m’amène à m’interroger sur le premier point qui m’interpelle, à savoir comment les Bons-Chrétiens se jugeaient-ils eux mêmes ?

Se reconnaître pécheur

Si les Chrétiens cathares insistaient pour vivre au plus près du peuple c’est parce qu’ils ne se voyaient absolument pas comme des êtres exceptionnels. Notre époque en témoigne peut-être encore plus que la leur, ce qui mine notre spiritualité et qui enferme encore plus sûrement notre esprit dans sa gangue de chair c’est la vanité ! Nous sommes incroyablement vaniteux, imbus de nous mêmes, persuadés d’être au-dessus du lot commun, choisis voire présélectionnés pour un destin hors normes. Et cela, même si son expression est plus faible, presque imperceptible, est notre point commun à tous. Dès lors, il est facile de comprendre que nous soyons enclins à parer de toutes les vertus ceux qui sortent apparemment du lot.
Les Chrétiens cathares avaient la certitude d’être des pécheurs. Ils disaient même à l’envi qu’ils étaient plus pécheurs que les autres, croyants y compris, parce qu’ils avaient l’entendement du Bien. Et oui, comme nous l’apprend le dicton : « Un homme averti en vaut deux ! ». Celui qui sait qu’elle devrait être la voie à suivre est plus coupable de ne pas la suivre que celui qui erre sans but. Si les Chrétiens cathares avaient changé de statut en recevant l’imposition des mains, s’ils étaient devenus ces fameux « parfaits » dont on nous rebat les oreilles régulièrement, s’ils avaient quitté la route commune pour emprunter un chemin, certes plus difficile, mais surtout détaché du nôtre, pourquoi faisaient-ils amende honorable tous les mois devant leur diacre à l’occasion de leur Service ?
C’est bien parce qu’ils savaient qu’ils continuaient à pécher comme les autres, qu’ils trimaient sur la même voie et qu’ils étaient terriblement imparfaits. Mais, ils avaient fait un pas de plus, celui de le reconnaître et d’en être persuadés, sans fausse modestie et en pleine conscience, comme on dirait aujourd’hui. Ils avaient fait régresser leur vanité au point de l’empêcher de masque à leurs yeux leur véritable nature de pécheurs impénitents.

Les funambules de la Vérité

Admettons ! Les Chrétiens cathares étaient conscient de leur état de pécheurs mais, quand même, ils étaient bien différents des autres puisqu’ils étaient capables de mener une vie dont personne n’aurait voulu et d’aller jusqu’au bûcher plutôt que de renier leur foi. En sommes-nous si certains ?
Si la Consolation conférait un tel statut, comment expliquer que certains d’entre eux aient choisi — en dehors de toute violence ou souffrance — de renoncer et de retourner dans le monde, ou pire encore, de prendre la voie opposée des persécuteurs, comme le fit Rainier Sacconi ? En effet, le changement de statut s’accorde mal avec de tels revirements. Celui qui est intronisé médecin ne peut pas perdre ses compétences sans événement extérieur extraordinaire. Si le statut de Chrétien conférait à un Cathare une position stable et durable, aucun d’entre eux n’aurait choisi de retourner dans le monde comme celui qui quitta sa maison cathare pour aller combattre les croisés avant de revenir faire un nouveau noviciat, une fois la bataille perdue. Aucun d’entre eux n’aurait renié sa foi au point de devenir un fer de lance du camp adverse et de critiquer, parfois jusqu’au mensonge le plus éhonté, ceux qui furent ses frères auparavant.
La seule explication à tout cela est qu’il n’y a pas de position stable en Christianisme. Devenir Chrétien cathare c’est quitter le plancher des vaches pour monter sur un fil tendu au-dessus du monde et choisir de l’arpenter, en déséquilibre permanent, parce que l’on est persuadé qu’il est le seul moyen d’accéder un jour à la Vérité. Et cela explique qu’il arrive de tomber, poussé par d’autres, comme ce fut le cas de ceux qui hâtèrent leur mort afin d’échapper aux souffrances qu’on leur faisait endurer, ou de leur propre fait comme ceux qui retournèrent leur veste mal ajustée et qui, pour certains, devinrent les tortionnaires de leurs anciens coreligionnaires, comme Conrad de Marbourg dont la brutalité écœura jusqu’au Vatican.
Je reprends un instant ici l’image du film Matrix®, dont je vous ai souvent parlé. Il y a un personnage, Cypher, qui a rejoint Morphéus, le pilote du vaisseau rebelle et qui va le trahir, allant jusqu’à provoquer la mort de quatre de ses compagnons. Il le fait par dépit, déçu de ne plus voir en Morphéus l’être exceptionnel qu’il s’était forgé dans son imagination, et désireux de revenir à une vie plus confortable quand bien même il la sait fausse. il demande même à voir sa mémoire effacée pour ne plus risquer de souffrir de son choix. C’est une bonne image de ces Chrétiens cathares qui ont fait le choix de changer d’orientation, au prix d’une trahison mortelle le plus souvent, afin de casser ce qu’ils avaient peut-être trop idéalisé, mais ce qu’ils voient désormais comme un obstacle à leur désir de vivre. Car la mondanité à ceci de terrible, qu’elle nous insuffle un désir de vivre qui peut nous pousser aux pires extrémités.

Le Chrétien cathare à proprement parler

Alors, maintenant que nous avons un peu déboulonné la statue idéale du Bon-Chrétien, que nous reste-t-il à dire ? Peut-être devons-nous nous interroger sur ce qu’est en définitive un Chrétien cathare, sur ce qui permet de l’identifier, sur ce qu’il pense de lui-même, sur ce que peut lui conférer une Consolation, quelle que soit la manière dont il l’ait reçue et voir si cela est conforme à ce que les textes chrétiens nous apprennent.

Un croyant amélioré ?

Et si le Chrétien cathare n’était rien d’autre qu’un croyant plus avancé que les autres ; un croyant maîtrisant mieux son sujet et donc plus apte à servir les autres ? Un serviteur un peu moins inutile que celui des évangiles. En choisissant la voie difficile du funambule de la foi, le Chrétien cathare ne se hausse pas de lui même mais il se met en difficulté pour essayer de pousser plus loin son cheminement. Il a conscience que plus il reste dans la mondanité permanente, plus il lui sera impossible de faire émerger sa part divine prisonnière.
Donc, il choisit de pousser l’expérience plus loin en devenant novice. Là, à son rythme, car il ne peut y avoir de standard tant nous sommes tous différents, il va progresser en profitant des temps de vie régulière qui le mettent à l’écart des agressions du monde. Mais, comme il n’est pas dupe de cet artifice, il n’en fait pas son unique mode de vie. En revenant régulièrement dans la vie mondaine, il reconnaît sa véritable nature en cette incarnation qui nous contraint. Ainsi, il combat plus efficacement sa vanité que s’il demeurait en clôture moniale au point de finir par croire que le Mal ne peut l’y atteindre.
Ce qui le différencie le plus sûrement des autres croyants, demeurés dans la vie mondaine, ce n’est pas ce qu’il pense avoir acquis — il n’en a pas une conscience aiguë, enfermé qu’il est dans sa démarche — mais ce que les autres lui renvoient comme image de lui même. Ce sont eux qui le voient changer, s’améliorer, s’affiner dans sa compréhension spirituelle et qui peuvent apprécier la qualité de ses pratiques rituelles. Il s’est clairement amélioré vis-à-vis des autres croyants et quand cette amélioration sera considérée par les autres croyants, ou par d’autres Bons-Chrétiens s’il en a autour de lui, comme acquise, ce sont eux qui lui diront voir devant eux un nouveau Chrétien cathare.

Un pécheur conscient

Mais, même revêtu de cette nouvelle appellation, qu’elle ait été manifestée ou non par le sacrement ritualisé de la Consolation, il sait très bien qu’il n’est qu’un croyant comme un autre. Au contraire, la connaissance acquise du Bien et Mal lui fait plus durement sentir à quel point il ne fait pas le Bien qu’il voudrait alors qu’il fait le mal qu’il ne veut pas, comme disait Paul.
Cette conscience affinée de son état peut l’aider à approfondir son cheminement en renforçant son humilité et en abaissant sa vanité. C’est en cela que l’on comprend combien l’humilité est un élément fondamental de la doctrine cathare. Car, si le nouveau Bon-Chrétien se laisse distraire par cette nouvelle reconnaissance, il risque — comme le funambule — de perdre son équilibre et de chuter. La vanité prendra alors le dessus, l’humilité sera vécue comme une faiblesse et bientôt la certitude d’avoir tout compris et d’être capable de remettre en cause les enseignements anciens le poussera à dériver dans sa foi et dans sa pratique jusqu’à le faire tomber plus bas qu’il n’était parti.
Il est facile de comprendre désormais qu’une reconnaissance trop précoce ou qu’ne mauvaise maîtrise de l’état de Bon-Chrétien sont pires que la situation antérieure de croyant cathare vivant exclusivement dans le monde. Rainier Saconni et bien d’autres de son époque en ont fait l’amère expérience. Aujourd’hui encore, nous ne sommes pas à l’abri car l’absence de Chrétiens cathares avérés et durablement éprouvés met en danger celles et ceux qui essaient d’avancer et qui par vanité personnelle ou par reconnaissance indue de la part des autres, se croient arrivés au bout du chemin alors qu’ils sont en fait en train de le quitter sans s’en apercevoir. Ce qui importe ce n’est pas seulement d’être humble face à ceux qui vous disent que vous êtes à leur yeux un Bon-Chrétien, c’est d’être capable de se dire en soi et en permanence que l’on est un pécheur, comme le faisait l’esclave monté sur le char du triomphe qui — portant la couronne de laurier — murmurait à l’oreille du général triomphant : « Rappelle-toi que tu n’es qu’un homme ».
Prêter une oreille complaisante aux flatteries, même sincères, des autres est aussi dangereux que se gonfler personnellement d’une fausse gloire.

Et la Consolation alors ?

On peut légitimement s’interroger de l’intérêt qu’il pourrait y avoir à maintenir le sacrement de la Consolation au vu de ce que je viens de dire. En effet, quel besoin ou pire, quelle nécessité de formaliser ainsi un statut qui en fait n’existe pas vraiment et dont l’officialisation fait courir un risque à celui qui la reçoit ?
Comme souvent avec les sacrements, et le judéo-christianisme nous en apporte la démonstration flagrante, ils sont plus souvent destinés aux spectateurs qu’ils ne s’adressent en fait aux récipiendaires. Et dans ce dernier cas, c’est davantage une flatterie, une récompense, qu’une annonce statutaire. Bien entendu le summum du ridicule en la matière est le baptême catholique. Comment le nouveau-né que l’on baptise pourrait-il être concerné par le sacrement qu’on lui inflige ? Et je dis bien inflige car il est rare qu’il ne s’insurge pas du mauvais traitement qu’il doit subir dans un bâtiment souvent froid à coup d’onction d’huile et d’arrosage d’eau froide. Les sacrements sont en fait un moyen de maintenir soudée une communauté qui, sans ces rendez-vous réguliers, risquerait de voir ses convictions s’amoindrir.
La Consolation, telle qu’elle était pratiquée à l’époque médiévale notamment, était une manifestation publique destinée à présenter à la foule une personne choisie par les Chrétiens cathares qui apportaient ainsi la double information, au public autorisé, de la perduration d’une structure ecclésiale d’une part et de la disponibilité pour les croyants d’un nouveau membre du groupe chargé de les servir.
Si le récipiendaire avait été correctement choisi, ce n’est pas lui qui pouvait se sentir grandi par cette célébration, car son humilité lui faisait forcément ressentir que cette désignation était sans doute exagérée par rapport à ses propres mérites.
Pour autant, la Consolation aujourd’hui ne serait pas sans valeur. Les hommes sont les mêmes et leurs attentes également. Voir Consolé un nouveau Bon-Chrétien, après des siècles d’absence, mettra du baume au cœur des croyants. Par contre, la Consolation n’a rien d’obligatoire car la reconnaissance de l’avancement d’un croyant et son acceptation de son nouveau rôle au service de la communauté peuvent se faire en toute simplicité. La Consolation reste un sacrement marquant une évolution de statut et c’est bien pour cela qu’elle était renouvelée régulièrement au cours de la vie des Bons-Chrétiens, notamment lors de l’accession à de nouvelles fonctions comme diacre ou évêque.

Ce qui vient d’être expliqué est-il légitime ?

Est-ce que ce que je viens de dire, et qui semble aller à contre courant de ce que pensent de nombreuses Églises chrétiennes, est légitime au vu de ce que nous avons comme trace de la parole de Christ ?
Paul le dit lui même il n’a quasiment jamais circoncis quiconque et, me semble-t-il, n’a jamais immergé personne. Par ailleurs, il a souvent imposé les mains. D’ailleurs on retrouve dans l’imposition des mains toutes proportions gardées, une pratique comparable à l’adoubement du chevalier.
En fait, dans les évangiles, on trouve l’idée que Jésus dit aux disciples qu’il leur donne la permission d’agir en son nom et qu’il validera leur choix. Certes, on peut penser que les textes sont un peu adaptés aux intérêts de ceux qui les ont écrits. Mais on retrouve là cette notion d’intermédiaire si souvent reconnue dans le statut du Bon-Chrétien.
Donc, la Consolation marquerait le passage d’un statut de pratiquant à un statut d’intermédiaire, non pas direct, mais par procuration. C’est en cela qu’il est aussi utile de manifester aux yeux du peuple croyant qui sont les intermédiaires possibles à qui l’on peut s’adresser.
Est-il légitime de conférer une Consolation à quelqu’un dont je viens de dire qu’il était autant, sinon plus, pécheur que les autres ? Si l’on voit ce qui nous est dit dans le Nouveau Testament, les disciples n’étaient pas exempts de fautes et de péché. Et il s’en faut de beaucoup ! Pourtant, ils ont bien reçu la première Consolation de l’histoire juste après l’ascension de Christ. Donc, les pécheurs du moyen Âge étaient aussi légitimes qu’eux et ceux de notre siècle ne le seront pas moins.

Je voudrais terminer sur une note un peu moins pessimiste que ce que vous avez pu ressentir de mon trop long discours.
Il ne faut certes pas se faire une idée trop élevée du statut de Chrétien cathare et l’idéaliser au point de mettre en danger ceux que nous aurons désignés comme tels. Il ne faut pas se précipiter à en désigner dans l’espoir d’avoir enfin un serviteur à notre disposition. Il ne faut pas conforter trop chaleureusement ceux qui voudrais apparaître comme Consolés sans avoir pris le temps de nous assurer de leurs qualités réelles. L’émergence de Bons-Chrétiens aujourd’hui sera, dans un premier temps, avant tout un danger pour la communauté cathare. Le risque de se laisser illusionner en voyant tel ou telle pratiquer des rituels, dont la tenue est réservée aux Bons-Chrétiens, est grand et peut faire prendre un grand retard à la résurgence cathare véritable.
Soyons patients, et nous verrons comment les novices avanceront et c’est seulement dans le suivi d’une pratique rigoureuse et respectueuse de nos anciens que nous pourrons faire émerger un groupe conforme à l’idée qu’ils nous ont léguée de ce que doit être une Chrétien cathare d’aujourd’hui.

Éric Delmas, le 25/01/2017.

Lettre de Jacques – Chapitre 4

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Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.

Lettre de Jacques

Chapitre 4

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