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L’équilibre

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L’équilibre

Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur et quand il croit ouvrir ses bras, son ombre est celle d’une croix, et quand il croit serrer son bonheur, il le broie, sa vie est un étrange et douloureux divorce. Louis Aragon – Il n’y a pas d’amour heureux in La Diane française (1944).

Qu’est-ce que l’équilibre ?

Déf. : état stable où aucune force n’agit plus, ni dans un sens ni dans l’autre.

L’équilibre dans ce monde n’existe pas

D’un point de vue matériel (physique et chimique), l’équilibre est une illusion. En effet, sur le plan physique, en raison de la pesanteur et de la rotation de la Terre, tous les corps sont en mouvement et doivent compenser ces forces pour se maintenir dans un état apparent d’équilibre. Vous pouvez facilement le vérifier en vous mettant debout et en observant le comportement de votre corps. En fait, il compense en permanence une chute en avant ou en arrière pour rester droit. Mais, me direz-vous : « Si l’on place un objet sur un autre et qu’il demeure stable, on peut dire qu’il est en équilibre. » Pas du tout, car comme je viens de le dire, les forces qui s’exercent sur lui le poussent à se rapprocher du noyau terrestre d’une part et à compenser une chute en arrière du fait de la rotation terrestre. C’est donc une illusion d’équilibre. Comme l’a montré Galilée, laisser tomber une pierre du haut d’un mât de bateau — que celui-ci soit à l’arrêt ou en mouvement —, produit apparemment le même résultat : la pierre tombe au pied du mât. Sauf, que quand le navire est en marche, la pierre se déplace en tombant au même rythme que le bateau et parcourt ainsi une distance identique à celle du bateau. Quand le bateau est à l’arrêt, c’est le déplacement de la terre que celui-ci et la pierre suivent.

Sur un plan intellectuel et psychologique, les choses sont comparables. Ce qui provoque une forme de « déplacement » de notre mental est ce que j’appelle la sensualité, c’est-à-dire l’ensemble des réactions liées à chacun de nos cinq sens : le goût, la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat. Nous leurs sommes soumis en permanence au point de ne plus nous en rendre compte. En fait, ils assurent une activité permanente de notre mental pour l’empêcher de se tourner complètement vers une perception extra-sensorielle. Comme nos muscles, nos nerfs et nos os, quand nous sommes debout, ils compensent en permanence la tendance naturelle de notre mental à échapper aux lois de ce monde.

Les cathares disaient que notre corps est une prison dans laquelle notre parcelle divine, l’âme divine ou l’esprit-saint comme je l’appelle, est maintenue prisonnière et empêchée de tenter de s’évader vers une perception conforme à sa nature, mais contraire aux desseins du démiurge maître de ce monde.

Pourtant, si nous ne pouvons pas obtenir un équilibre parfait sur le plan physique, faute de pouvoir lutter contre la gravité et le déplacement de la terre, nous pouvons nous en approcher dans le domaine mental.

L’ataraxie est ce qui se rapproche le plus de l’équilibre dans ce monde.

D’un point de vue général l’homme qui cherche à s’extraire des contraintes du monde, à mettre ses cinq sens au repos, se trouve alors en repos intellectuel et accède à une forme de sérénité que l’on a tenté de reproduire dans des caissons d’isolation très à la mode il y a quelques décennies.

On peut aussi tenter de se rapprocher de cet état par étapes. Des exercices de relaxation existent qui aident à mettre une partie de nos sens au repos.

En fait cet état de détachement est ce qui nous protège du chaos mondain. Il peut être obtenu également par la saturation des sens. Cela peut sembler incohérent, mais cela fonctionne. Que ce soit en vous mettant au milieu d’un champ balayé par le vent ou dans une foule d’un grand magasin, la saturation des perceptions de vos sens va engendrer la possibilité de vous extraire mentalement de votre environnement.

C’est d’ailleurs une méthode que l’on retrouve dans beaucoup de spiritualités.

La spiritualité permet de se rapprocher de l’équilibre.

La médiation récitative

La méditation est souvent présentée comme une façon d’atteindre l’équilibre mental. C’est vrai, mais cela ne se limite pas à la méditation silencieuse qu’utilisent les bouddhistes. D’ailleurs, ils utilisent aussi d’autres formes de méditation, comme celle qui consiste à psalmodier des versets d’un livre sacré tout en faisant tourner des cylindres maintenus par une tige leur servant d’axe vertical et que l’on appelle des moulins à prières.

Dans le monde chrétien, les rituels associent souvent la multiplication rapide de prières enchaînées, comme c’est le cas du rosaire ou du chapelet catholique et du rituel des heures cathare. L’enchaînement rythmé des phrases, d’autant plus efficace quand elles sont rimées, permet de saturer nos sens, ce qui laisse la part spirituelle plus à même de s’exprimer.

L’erreur que commettent souvent les croyants cathares est de réciter leur Père saint de façon assidue, ce qui mobilise les sens au lieu de les saturer, alors qu’ils savent très bien que ce texte n’est pas une prière au sens strict puisque Dieu est inconnu et étranger, donc absent, à ce monde.

Le jeûne

Les communautés évangéliques, qui réunissent à plein temps les consolés et les novices, pratiquent eux aussi un rituel, dit de l’Oraison dominicale, où le Pater remplace le Père saint des croyants.

Mais elles pratiquent aussi une méthode plus profonde de dissociation spirituelle : le jeûne du rituel des Jours.

En effet, le jeûne cathare est une façon de s’entraîner à atteindre l’équilibre, même si cela peut sembler étonnant de prime abord.

En effet, si le jeûne strict cathare (c’est-à-dire la limitation à 100 g de pain) d’un jour perturbe peu ses pratiquants assidus, quand on dépasse ce seuil, l’organisme ressent un fort déséquilibre et manifeste sa souffrance due à la privation de nourriture.

La semaine de jeûne strict, qui dure huit jours au début des trois carêmes) permet de passer par les divers états de l’équilibre. Au début, sur une période d’environ trois jours, le pratiquant ressent le déséquilibre important que cause la privation. Je rappelle d’ailleurs qu’autrefois ces trois jours de jeûne étaient si difficiles à supporter qu’on les dénommait trépasser (passer trois), ce qui aujourd’hui est assimilé à la mort.

Ensuite, l’organisme s’adapte et puise dans ses réserves pour ne plus souffrir. Le pratiquant ressent une certaine euphorie et découvre le temps que lui donne l’absence des pratiques alimentaires. Ce temps, le cathare le met à profit pour approfondir son introspection spirituelle.

L’approfondissement culturel et spirituel

Le catharisme est une religion qui accorde une grande part à l’étude qui est la première marche menant — via la foi et la connaissance — à l’éveil spirituel grâce auquel le nouveau croyant commence son cheminement spirituel. Or, pour chercher l’équilibre il faut d’abord avoir connaissance de son absence. Le constat repose sur une analyse fine d’éléments que nous avons tendance à négliger, car notre culture nous les présente comme acquis.

Le fait que le monde est la création de Dieu est de nature à nous pousser à négliger sa réalité objective et à traiter comme des interférences tout ce qui pousse logiquement à croire qu’il n’en est rien. Le fait que l’homme est responsable du mal en ce monde, du fait de son libre-arbitre, nous conduit à considérer que ce monde est amendable et perfectible et que c’est de nous que viennent les problèmes. Au final, on peut nous donner à croire que l’équilibre est naturel dans ce monde et que le chaos est de notre fait, soit exactement l’inverse de la réalité.

Pourtant le chaos est bien antérieur à l’homme. Depuis son origine apparente, voici près de quatorze milliards d’années, c’est par des bouleversements gigantesques que se sont formés les soleils, les planètes, les galaxies et même les trous noirs. Sur notre planète, vieille de cinq milliards d’années, ce sont aussi des bouleversements qui ont modifié la planète et son atmosphère la rendant propre à la vie. Ces bouleversements ont également effacé la vie de façon quasiment totale à cinq reprises avant même que l’homme n’apparaisse. Depuis ces soixante-cinq millions d’années qui nous séparent du dernier grand bouleversement lié à la chute d’une météorite, selon l’avis quasi-unanime des chercheurs, l’activité volcanique, tectonique et maritime a largement participé au chaos que vit l’humanité. Pourtant, aucun de ces phénomènes n’a été le fait de l’homme. Alors, qui en est responsable ? Si l’homme a modelé la planète, ce n’est pas par malignité, mais simplement pour essayer de s’y faire une place vivable. En était-il conscient ? Pas davantage que la taupe n’est consciente des dommages qu’elle inflige à notre pelouse.

Alors, qui faut-il croire ? Ceux qui accusent l’homme du mal sur la terre ou ceux qui pensent que le mal a une autre cause ?

Accéder à l’équilibre

Une fois constaté la réalité du mal en ce monde et l’innocence de l’homme dans la plupart de ses manifestations, il convient de chercher à savoir si l’équilibre est accessible.

C’est là que le catharisme a montré que, parallèlement à une pensée judéo-chrétienne orientée vers la recherche du pouvoir, il a existé une pensée chrétienne orientée vers la recherche d’une vérité compatible avec l’inspiration divine, qu’on l’attribue à un individu venu nous apporter un message ou qu’il s’agisse d’une inspiration ayant trouvé un terreau fertile dans la pensée de certains hommes exceptionnels.

Sortir du chaos mondain

Pour accéder à l’équilibre qui est absent de ce monde, il faut logiquement s’extraire du monde. Cela commence par séparer ce qui produit le chaos de ce qui produit l’équilibre. C’est ce que les cathares ont fait en attribuant le chaos au principe du Mal et l’équilibre au principe du Bien.

Ensuite, il faut définir la place de l’homme entre ces deux pôles irréconciliables. Là encore les cathares ont eu cette inspiration de concevoir que l’homme est composé d’une part éternelle issue du Bien et d’une part charnelle et corruptible issue du Mal.

Enfin, il faut proposer une solution, accessible à l’homme dans son état de soumission mondaine, pour lui permettre de s’extraire du chaos à la recherche de l’équilibre. C’est ce que proposent les cathares avec leur doctrine basée sur la Règle de justice et de vérité et sur le cheminement progressif qui va de l’état mondain à l’éveil, de l’éveil au détachement du novice, de la mise en pratique approfondie du novice au passage à l’état de consolé et de l’état d’équilibre fragile du consolé à celui définitif du salut. Bien entendu, et les cathares le disent sans cesse, c’est une solution et non pas LA solution. Ce qui définit quelle solution nous conviendra relève de notre culture et de nos savoirs. À condition qu’au final celui qui cherche l’équilibre mette en œuvre des actions qui lui permettent de s’éloigner du chaos mondain, peu importe le cheminement qu’il choisit.

Les niveaux d’accomplissement

Ce qui va poser problème est de passer de l’état mondain à l’état d’éveil. En effet, cela nécessite la remise en question de ce qui fait notre nature en ce monde. Pour cela il faut acquérir des savoirs qui vont nous montrer les failles des certitudes qui nous été inculquées depuis des siècles. C’est souvent très difficile tant nous sommes imprégnés par cette culture qui n’a d’autre but que de donner un sens au chaos. Au lieu de suivre aveuglément des directives qui prétendent nous offrir un salut clé en mains, il nous faut tout reprendre à zéro. Interroger à la fois les sources pour y détecter des erreurs, des approximations, voire des mensonges et interroger notre intuition pour voir si les deux peuvent coïncider. Si nous rencontrons des doutes et des incohérences dans ce que les sources nous donnent à voir, il faut les approfondir, mais le plus important que nous devons rechercher c’est de savoir si Dieu est celui que nous décrit les sources ou celui que nous propose notre intuition. Il est vraisemblable que dans le premier cas le catharisme n’a pas l’ombre d’une chance de nous convenir.

Si parmi les sources, celles qui nous viennent des cathares nous semblent les plus cohérentes et les mieux construites, nous devons nous interroger pour savoir si la totalité des éléments essentiels du catharisme (philosophie, doctrine, praxis) nous semblent convenir à notre conception de la vie en ce monde et à ce que nous espérons pour après notre mort. Une réponse affirmative à ces questions ne peut que nous conduire à la certitude que le catharisme est notre voie spirituelle. C’est là la limite des savoirs.

Celui qui vient de mettre un pied dans la voie du croyant va devoir faire appel à des outils bien moins faciles à manier s’il veut aller plus loin. Aucune philosophie ni religion de dispose d’un système de pensée complet, sans faille et parfait, pour la bonne raison que la spiritualité n’est que le reflet de ce qui n’est pas de ce monde. Arrive un moment où le croyant va devoir abandonner le terrain ferme et sûr des certitudes pour entrer dans celui de la foi. Or, la foi demande d’accepter une part de doutes, mais de considérer que ces doutes sont moins importants que notre intuition. Je ne peux pas détailler la foi, car elle dépend de chacun. Souvent on la découvre a posteriori, alors que l’on est déjà bien engagé dans une voie spirituelle. C’est en se retournant sur le chemin que nous avons parcouru entre le moment où nous avons réussi à ordonner et valider nos savoirs et celui où nous comprenons que nous avons désormais acquis la connaissance, c’est-à-dire la certitude irrépressible que la voie que nous avons choisie est la seule possible pour nous. Cet ensemble de savoir et de foi ouvrant sur la connaissance s’appelle l’éveil.

Je n’irai pas plus loin, parce que la majeure partie d’entre-nous ne sera pas en capacité de dépasser ce stade en raison des obligations mondaines qui nous sont faites et que nous devons respecter pour suivre la Règle cathare. Mais le croyant éveillé n’a rien à envier au consolé. Ce n’est pas le consolé qui est la cheville ouvrière du catharisme, c’est le croyant !

La recherche de l’équilibre, par la méditation et la spiritualité se moque bien du statut mondain de celui qui l’atteint, même momentanément. Les sources inquisitoriales nous montrent que bien des croyants étaient au moins au niveau d’avancement des derniers consolés souvent formés à la hâte.

La seule conclusion que je puisse vous proposer est donc de trouver votre voie vers l’équilibre.

Guilhem de Carcassonne, le 10 décembre 2023

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