La fuite de Guilhabert de Castres de Fanjeaux vers Montségur
La topographie et la toponymie au service de l’histoire de l’installation de l’Église cathare à Montségur.
Intrigué par le fait — révélé lors de mes lectures—, qu’aucun auteur n’ait pu situer avec précision le lieu-dit le Pas de las Portas, je me suis mis en quête d’élucider cette question. Voici le résultat de mes recherches.
Essai de localisation du lieu-dit le Pas de las Portas
Devant l’impossibilité d’identifier un lieu-dit dont le nom ne figure plus sur les cartes, à savoir « le Pas de las Portas » lié à une étape dans la fuite de l’évêque cathare Guilhabert de Castres vers Montségur en 1232, il m’a semblé pertinent de faire appel au tandem Topographie/Toponymie, pour tenter de retrouver ce site. La topographie venant confirmer la toponymie de l’époque, et inversement.
Topographie définition[1]
1 Technique du levé des cartes et des plans de terrains. (cartographie).
2 Configuration, relief (d’un lieu, terrain ou pays). Étudier la topographie d’un lieu.
Toponymie définition[2]
1 Ensemble des noms de lieux d’une région, d’une langue.
2 Étude des noms de lieux, de leur étymologie
A) Les causes et première partie du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur
1/ Tout d’abord quelques dates :
- 1204-1206, quelques années avant la croisade, l’église cathare du Languedoc, sentant monter la menace, demande la reconstruction du castrum de Montségur à Raymond de Péreille.
- 1209, déclenchement de la croisade contre les albigeois.
- 1211-1219, séjour de Guilhabert de Castres au pog.
- 1229, Le Traité de Paris entérine la défaite de Raymond VII. Le concile de Toulouse instaure l’inquisition épiscopale. Louis IX donne la terre de Mirepoix au Maréchal de la Foi Guy de Lévis.
- 1232, Mars, concile de Béziers, durcissement de l’inquisition épiscopale.
- 1232, Automne, Guilhabert de Castres et la hiérarchie cathare fait le choix de se réfugier à Montségur.
2/ Contexte
Mars 1232, devant l’échec de l’inquisition épiscopale, qui n’a pas donné les résultats escomptés, un concile sera convoqué à Béziers. Celui-ci rappellera énergiquement à la population du midi, des nobles aux laïcs en passant par les clercs, que tous avaient fait preuve de permissivité et de manque de zèle dans l’application des canons concernant la répression des hérétiques édictés au concile de Toulouse en 1229. Une plus grande détermination et sévérité dans les poursuites seront exigées.
3/ La fuite de Guilhabert de Castres
Automne 1232, ayant constaté l’accentuation de la répression, Guilhabert de Castres, ainsi qu’une partie de la hiérarchie de l’église cathare, prendra la décision de se réfugier à Montségur. De la forêt de Gaja-la-selve (11), lieu de rassemblement des fugitifs, partira un convoi sous escorte, qui, par mesure de sécurité, cheminera de nuit. Après avoir contourné, en catimini, toutes les localités de la terre du Maréchal se trouvant sur son trajet, la petite troupe se présentera au Pas de las Portas.
4/ Les témoignages
Nous disposons de deux témoignages, publiés par Michel Roquebert dans Mourir à Montségur, tome IV de l’Épopée cathare, 1990 (page 162 et 163), sur le déroulement de l’arrivée de Guilhabert de Castres et des hérésiarques cathares au pog :
Témoignage du sergent Guillaume de Bouan
« L’évêque des hérétiques, Guilhabert de Castres, manda à Raymond de Péreille de venir à sa rencontre. Raymond de Péreille et moi-même, Pierre Vinade, Pairol, Raymond Fabas, Bernard Cogot d’Asella et d’autres dont je ne me souviens pas, nous allâmes donc à la rencontre de ces hérétiques au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Guilhabert de Castres et bien trente hérétiques avec lui. Il y avait aussi avec eux les chevaliers Isarn de Fanjeaux, Raymond-Sans de Rabat, Pierre de Mazerolles et d’autres que je ne connaissais pas, qui les avaient amenés là. Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube. Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent… »
Témoignage du sergent Bernard de Joucou
« Une nuit, moi-même, Raymond de Péreille, Bertrand de Bardenac, Bertrand du Congost, Guillaume de Bouan, et Bertrand Marty (il s’agit du bayle de Raymond de Péreille), nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas. Nous y avons trouvé Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles avec plusieurs de leurs compagnons, dont j’ignore les noms. Ils avaient amené là l’évêque Guilhabert de Castres avec vingt autres hérétiques.
Quand Raymond de Péreille eut reçu ces derniers, Isarn de Fanjeaux et Pierre de Mazerolles s’en retournèrent avec leurs compagnons. Raymond de Péreille, moi-même et tous ceux avec qui j’étais venu, nous avons adoré les hérétiques, après quoi nous les avons escortés et les avons conduits jusqu’à Montségur… »
B) Les localisations et suite et fin du récit de la fuite de Guilhabert de Castres à Montségur
1/ Localisation de L’église Saint-Quirc ou Saint-Cyr
Saint-Quirc = Saint Cyr, c’est le même saint.
Voici les éléments qui nous ont permis de localiser l’église Saint-Quirc :
a/ Un extrait de l’opuscule consacré à Laroque-d’Olmes[3] :
Laroque-d’Olmes était jadis une ville dont la population est portée à dix-huit mille habitants (Berges). Elle était composée de quatre paroisses : Saint-Cyr, Saint-Pierre, Saint-Martin et Notre-Dame-du-Mercadal. On voit encore aujourd’hui des ruines des trois premières ; la quatrième a été restaurée.
b/ Un extrait d’un site internet traitant de ce bourg[4] :
À la page 2. 25 chemin de Saint-Cyr ou Saint-Quirc dit « le chemin des moulins battants » actuellement rue Denis Papin longeant le bézal.
Actuellement rue Denis Papin, nous pouvons voir ce que j’ai identifié, après recoupement des informations, comme l’ancienne église Saint-Quirc à Laroque d’Olmes (voir photo ci-dessous).
Il est à noter que je n’ai pas trouvé d’autre église Saint-Quirc ou Saint-Cyr, dans le Pays d’Olmes.
2/ Localisation du Pas de las Portas
Revenons un instant vers les témoignages. Nous constatons que si les deux sergents citent un lieu-dit appelé le Pas de las Portas, seul Bernard de Joucou nous dit : « nous sommes sortis du castrum de Montségur et nous sommes allés près de l’église Saint-Quirc au Pas de las Portas. »
C’est bien sûr lui qui nous met sur la piste.
Et nous pouvons voir sur la carte IGN classique du site internet Géoportail, qu’il existe un lieu actuellement appelé l’Entounadou (en français l’entonnoir), au sud de Laroque d’Olmes.
C’est un passage entre deux montagnes au milieu duquel coule le Touyre, et passe aujourd’hui la D625. Nous sommes devant un Pas.
Définition de Pas : Passage étroit et difficile dans une vallée, dans une montagne. (Le Littré). Ou selon une expression plus imagée, une Porte.
Mais les sergents nous parlent d’un lieu appelé le Pas de las Portas : Pas de las Portas = seuil DES PorteS.
Poursuivons notre reconnaissance en prenant la direction de Montségur par la D625, nous arrivons alors à environ 3 kms du premier seuil, à une seconde Porte : le Pas de Lavelanet.
Nous sommes donc, sur une courte distance, en présence de deux Portes.
Nos ancêtres qui n’avaient pas manqué de remarquer cette particularité topographique, avaient donc appelé, tout naturellement, pourrait-on dire, le Pas se situant au sud de Laroque d’Olmes, près de l’église Saint-Quirc, le Pas de las Portas, ou en français le seuil des Portes.
3/ Le Pas de Lavelanet
Caractéristique du Pas de Lavelanet :
Il est singulièrement étroit, environ 150m à l’endroit le plus resserré (mesuré sur le site internet Géoportail). Et encore faut-il retrancher de cet espace entre les bases des montagnes formant la porte, le cours du Touyre (couvert sur environ 200 mètres au début des années 50, c’est aujourd’hui, l’esplanade ou l’espace de la Concorde), ne laissant que quelques dizaines de mètres entre celui-ci et le castrum, pour permettre la circulation.
C’est un goulet, sur le trajet le plus direct pour se rendre dans le haut Pays d’Olmes. Ne pas l’emprunter condamne à un long détour, d’où son importance. C’est pourquoi, avant la croisade, ce lieu était surveillé et commandé par un château.
Selon une étude de J. J. Pétris, la ville de Lavelanet naîtra au pied d’un château fort appelé « Castelsarrasin » ayant appartenu au comte de Foix (détruit en 1212 par les croisés de Simon de Montfort, reconstruit à la Renaissance)[5].
Toutefois malgré l’absence d’un château en 1232, je ne vois aucune raison à ce qu’il n’y ait pas eu, sur place, une garnison du Maréchal Guy de Lévis, pour contrôler ce site stratégique.
4/ La demande de Guilhabert de Castres
Nous savons que Guilhabert de Castres, a résidé à Montségur entre 1211-1219, peut-être a-t-il fait, au cours de ce séjour, plusieurs allers-retours entre le pog et diverses destinations ? Toujours est-il qu’il avait connaissance, pour l’avoir traversé au moins deux fois (à l’aller en 1211 et au retour donc en 1219), de la particularité du passage de Lavelanet.
En considérant tous les éléments évoqués plus haut, est-il impossible de penser que l’évêque cathare ait demandé à Raymond de Péreille de venir le rejoindre au Pas de las Portas, afin qu’il l’aide à passer le dangereux goulet de Lavelanet ? Évidemment non.
5/ L’arrêt à Massabrac et l’arrivée à destination
L’obstacle de Lavelanet éludé, c’est alors l’heure d’un contre-temps sans conséquences.
Extrait du témoignage du sergent Guillaume de Bouan :
[…] « Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous allâmes ensemble avec les hérétiques jusqu’à Massabrac. Les chevaliers y firent entrer Guilhabert de Castres, qui avait froid, et ils y restèrent avec lui jusqu’à l’aube. » […]
Après prospection photographique, toujours au moyen du site internet Géoportail, il me semblerait possible d’avancer raisonnablement que le castrum de Massabrac est aujourd’hui, le domaine de Bigot, sur le territoire de la commune de Bénaix (09).
Cependant on sait que cet ancien castrum se situe sur le territoire actuel de Bénaix, mais les données actuelles ne nous permettent pas de le situer exactement. En effet, plusieurs endroits sur la commune comprennent aujourd’hui des vestiges de murs. C’est notamment le cas des lieux-dits Bigot (propriété privée) et la Tour, près de Mandrau[6].
Enfin l’arrivée au pog, toujours selon le sergent de Bouan :
« Quand ce fut l’aube, les trois chevaliers quittèrent les hérétiques et reprirent leur route. Raymond de Péreille, moi-même et les autres, nous conduisîmes Guilhabert de Castres et les autres hérétiques à Montségur et les fîmes entrer dans le castrum, où ils restèrent. »
C) Conclusion
1/ Nous constatons que les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement.
2/ Cette imbrication permet d’affirmer que :
- L’église Saint-Quirc de Laroque d’Olmes est bien celle citée dans le témoignage du sergent Bernard de Joucou.
- Le Pas de las Portas se situe au lieu-dit appelé aujourd’hui l’Entounadou (l’entonnoir) à Laroque d’Olmes/Dreuilhe.
- Guilhabert de Castres a demandé l’aide de Raymond de Péreille, afin de franchir ou d’éviter le Pas (ou la Porte) de Lavelanet.
JOULIA Bruno – Peyrens (11400) © 2022.
[1] Dictionnaire Le Robert
[2] Dictionnaire Le Robert
[3] Laroque-d’Olmes. C. Lacour, éditeur, Place des Carmes – 25 bd amiral Courbet, Nîmes 1998. 24 pages. Réédition de l’œuvre originale imprimée fin XIXème siècle. Auteur anonyme.
[4] http://laroquedolmes.com/lesfermeslaroque.pdf
[5] https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2%2Fwww.histariege.com%2Flavelanet.htm%23Approchees%2520historiques#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
[6] https://www.pyreneescathares-patrimoine.fr/benaix.php?commune_id=5&ccPath=33&cbox_id=39