Vie évangélique et pouvoirs

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Vie évangélique et pouvoirs

La Bienveillance (dilection) nous pousse naturellement à l’humilité et à une conception égalitaire de notre relation à l’autre.
Cependant, dans notre quotidien nous savons bien que le pouvoir régit les relations humaines, qu’il s’exprime dans un désir de domination, ou qu’il ne soit qu’un outil de fonctionnement d’actions qui peuvent s’en servir dans un but positif.
Le pouvoir n’est donc pas forcément connoté car il est un outil comme bien d’autres moyens d’action.
Cependant, comme l’argent cet outil peut être parfois détourné de son rôle d’objet pour devenir objectif d’une recherche malsaine. Dans ce cas nous n’avons aucun mal à en saisir le caractère malin et à refuser d’y souscrire.
Ce n’est donc pas cet aspect qui m’intéresse. Ce que je voudrais étudier c’est la façon dont croyants et novices — faute de pouvoir dire bons-chrétiens — se positionnent par rapport au pouvoir positif et bienfaiteur.

Le pouvoir n’est pas lié au Mal

Comme le rappelle Jean de Lugio dans le Livre des deux principes1, Dieu est omnipotent dans le Bien puisque sa condition divine implique nécessairement qu’il veut tout ce qu’il peut et qu’il peut tout ce qu’il veut. Cette omnipotence intimement liée à une volonté totale montre bien que le pouvoir n’est qu’un outil de la volonté et qu’il ne peut s’en dégager sans modifier profondément la nature du sujet.

De la même façon le Mal ne peut vouloir le Bien et même dans sa manœuvre visant à s’approprier une portion du Bien il va à l’échec car sa volonté princeps maligne finira par laisser s’échapper tout le Bien dérobé au profit d’une totalisation dans le Mal qui provoquera sa néantisation.

À notre petit niveau nous devons donc comprendre que le pouvoir est positif quand nous l’exerçons dans un but qui cherche à nous rapprocher du Bien. Cependant, est-ce que vouloir le Bien peut se confondre avec pouvoir le Bien ?
Malheureusement notre incarnation fait de nous des êtres du mélange et non des êtres parfaits comme Dieu, ce qui nous fixe des restrictions. Même quand nous voulons sincèrement faire le Bien nous ne pouvons pas toujours y parvenir et nous risquons même d’introduire un peu de Mal dans notre action ou dans ses conséquences. Cela rend notre Bien moins fort d’où l’usage que je fait de la minuscule (bien et non Bien) et, de même, ce Mal involontaire est-il moindre que son principe et est-il présenté avec une minuscule (mal et non Mal).

Mais nous pouvons quand même faire du bien, soit par une action directe, soit en favorisant l’action des autres.
Notre position de croyant nous amène même parfois à faire du bien par des voies qui pourraient paraître un peu douteuses car porteuses de mal en germe.
C’est le cas notamment des actions qui nous amènent à nous heurter à d’autres qui prônent des actions différentes, voire opposées à celles que nous pensons porteuses de bien. Les exemples abondent dans le domaine politique, syndical et même au quotidien quand nous nous opposons à des personnes qui agissent dans leur intérêt et au détriment d’autres que nous essayons de protéger.
Dès lors notre pouvoir crée un mal… pour un bien. Mais ce n’est pas grave puisque nous ne sommes que des croyants.

L’important est d’essayer de faire le bien en cédant le moins possible au mal, quitte à limiter un peu notre pouvoir et à laisser au temps le soin de parachever l’œuvre que nous voudrions faire aboutir par nous-même.

Le pouvoir et le bon-chrétien

Je suis par définition incompétent pour m’exprimer sur ce sujet en vérité et en sagesse.
Cependant, du point de vue de ma modeste condition de croyant aspirant à devenir un jour, si Dieu veut, un novice, je vais essayer de vous expliquer comment je crois comprendre les choses en la matière.

Le bon-chrétien aspire à se rapprocher du Bien et pour cela il essaie de se détacher de ce qui le relie au Mal. Or, comme je l’ai dit plus haut, le pouvoir est souvent mitigé dans les actions et les conséquences qui lui sont liées.
Un bon-chrétien dispose d’une conscience bien plus affutée que la nôtre, notamment en ce qui concerne la part du Mal dans ce que nous faisons en ce monde. Il sait donc que toute action, tout exercice du pouvoir, aussi bienveillants soient-ils, comportent forcément une part de Mal dans leur exécution ou dans leurs conséquences.
Par conséquent il me semble que la meilleure façon de se comporter alors n’est plus dans la recherche d’action et d’exercice d’un pouvoir mais au contraire dans la retenue, le retrait et l’abstention car ce que l’on ne peut totalement contrôler doit nous demeurer étranger.

Le Mal en ce monde perdurera et progressera quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse. Cette réalité est en quelque sorte la base de notre foi, car si nous doutions de cela nous douterions de la séparation absolue des principes.
Ce n’est donc pas nous qui pourrons le faire régresser mais au contraire chacune de nos actions risque de le faire progresser et de nous éloigner de notre objectif.

La vie évangélique et les pouvoirs

La vie évangélique est donc logiquement une vie prioritairement tournée vers l’activité communautaire car cette activité n’interagit pas avec le monde. Elle doit même chercher à se détacher de tout ce qui pourrait animer en nous un attrait mondain. C’est pour cela que je crois que l’alimentation ne peut se contenter d’éviter la commission d’actes violents envers le règne animal qui nous est si proche mais qu’elle doit également nous détacher de toute consommation de produit provenant d’un animal, surtout s’il s’agit d’un animal proche. C’est pour cela je crois que les bons-chrétiens s’abstenaient de toute graisse d’origine animal (lait, œufs, etc.). En se détachant ainsi de toute sensation positive liée à la consommation d’un produit animal, le corps ne risque plus d’être enclin à désirer en consommer davantage.

Pour autant la vie évangélique n’est pas fermée à l’extérieur. Elle reste disponible pour répondre à la demande individuelle de l’autre tant que cette demande limite l’action du bon-chrétien à un rapport direct avec le demandeur. Nous essayons de soulager les détresses que nous pensons identifier en agissant directement auprès des personnes souffrantes que nous pouvons aider directement. Pour les autres, nous faisons confiance à ceux qui se sont donné la mission d’intervenir à distance et nous les aidons indirectement sans nous impliquer, par le biais de dons par exemple.

Concernant les actions débouchant sur des oppositions, je crois que les bons-chrétiens s’en seraient là aussi détachées puisqu’elles ne peuvent s’envisager sans une forme de violence dont il ne nous appartient pas d’estimer si elle est juste ou non. Par conséquent, non seulement l’action politique ou syndicale doivent rester du domaine du monde et ne peuvent pénétrer la communauté de vie évangélique, mais je pense nécessaire de se détacher aussi du pouvoir de choisir le mieux placé pour agir au nom des autres, ce qui m’amènerait à me désinscrire des listes électorales si je vivais en communauté évangélique.
Cela aurait en outre l’avantage de m’éviter d’être choisi un jour pour siéger à un tribunal.

Au sein de la communauté, les relations étant différentes, le choix d’attribuer à tel ou telle la responsabilité d’organiser la vie communautaire ne peut être vue comme une forme de pouvoir mais au contraire comme un service supplémentaire proposé à une personne estimée plus avancée que soi et donc en mesure de distraire un peu de son temps de travail personnel au bien du groupe.
En dehors de cette tâche purement organisationnelle, les décisions intéressant la communauté ne peuvent être prises qu’en communion universelle, c’est-à-dire à l’unanimité.
Ainsi une communauté de bons-chrétiens, soucieux de ne plus céder aux sirènes du pouvoir, sera-t-elle une communauté centrée sur elle-même, organisée autour des activités communes — à commencer par les temps de recueillement et d’étude — modestement soucieuse d’une vie humble et aussi peu prégnante que possible sur ce qui l’entoure mais disponible le cas échéant pour répondre individuellement et directement à toute détresse.

Les conséquences de ces choix

Ne nous leurrons pas, ces choix de vie ne seront pas toujours compris des croyants de la communauté, comme la non violence absolue est elle-même source de polémique dans la communauté de croyants et de sympathisants, mais les croyants finiront par l’accepter car la vie des novices et, plus tard certainement, des bons-chrétiens qui mettront en place et animeront les futures communautés évangéliques, sera la meilleure démonstration de la conformité de ces choix avec le principe de Bienveillance.

Concernant le monde, non seulement nos choix ne seront pas compris de la quasi totalité des personnes qui en auront connaissance, mais je pense qu’ils seront un point de fixation de al critique qu’il nous adresseront car il est un élément constant de la mentalité humaine qui est de considérer que son jugement est vrai et que ceux qui ne s’y soumettent pas justifient une juste répression. La sainte Inquisition ne doutait pas de l’être en son temps et la justice est sans cesse appelée à la rescousse des actions les plus noire (juste violence, juste punition, etc.).
Mais ce faisant, ceux qui nous reprocheront notre non ingérence dans les affaires du monde, voire ceux qui voudront nous faire grief et nous en punir, ne feront que nous conforter dans la logique de notre choix.
Car, si nous sommes ouverts au monde pour lui prodiguer notre Bienveillance, nous ne doutons pas que ce sentiment n’ait jamais de réciproque. Et c’est bien encore un précepte cathare que de donner sans attendre de retour et même en acceptant que le Bien donné puisse nous valoir un surcroît de Mal.

« Ceux qui sont bons et veulent garder une foi constante se laissent crucifier et lapider quand ils tombent au pouvoir de leurs ennemis… » Prêche de Pierre Authier à Pierre Maury2.

Éric Delmas – 18/11/2012


1. Lire ce texte dans Écritures cathares par René Nelli, édition révisée et augmentée par Anne Brenon, éditions du Rocher 1995 p. 143 Abrégé pour servir à l’instruction des ignorants.

2. Déposition de Pierre Maury de Montaillou dans le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, transcrit et traduit par Jean Duvernoy – vol. III p. 924 Édition Bibliothèque des introuvables Paris 2006

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