Le rituel de la sainte oraison dominicale

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Le rituel de la sainte oraison dominicale

Dans mon livre[1], je décris très précisément le rituel dit de la tradition du Livre et de l’Oraison dominicale.
Plusieurs points sont à relever :
1 – À qui s’adresse ce rituel ?
2 – À quel moment se situe-t-il ?
3 – Quel est son ordonnancement ?
4 – À quoi fait-il référence et quelles sont ses implications ?

Mises au point préliminaires

Le fait de remettre le Nouveau Testament au novice qui est en fin de formation initiale doit nous faire réfléchir à plusieurs points. Rappelons-nous que le catharisme ne supporte ni l’approximation ni l’incohérence.

D’abord, et pour être clair, net et précis, je passe la parole à Jean Duvernoy : « Le baptême proprement dit, la « consolation » (consolamentun), n’intervient qu’après le noviciat qui a pour issue la tradition de l’oraison. »[2]

Forts de cette précision, nous sommes obligés d’admettre que les pratiques rituelles amenant à utiliser la Pater, ne peuvent être mises en œuvre que par ceux qui en ont reçu la formation et l’autorisation, à savoir les novices — en fin de noviciat —, c’est-à-dire des hommes réguliers. La différence entre régulier et séculier doit, elle aussi, être clairement précisée.
L’homme séculier est celui qui vit dans le siècle, c’est-à-dire qui n’observe pas la règle. Cela concerne les étrangers au catharisme, les sympathisants et les croyants. En effet, contrairement à une idée qui tend à être diffusée depuis quelques temps, le croyant n’observe pas la règle de vérité et de justice. Tout au plus, s’il en intègre des éléments dans sa vie de tous les jours, peut-on dire qu’il pratique une morale — j’accepte de dire une éthique pour ceux à qui le mot morale donne de l’urticaire —, proche de la règle, mais le simple fait de vivre dans le monde et non en maison cathare, ouverte vers l’extérieur et dans la transparence de sa pratique, fait qu’il ne peut être comparé à un novice.
L’homme régulier est celui qui vit dans la règle, c’est-à-dire qui s’est mis en situation de vivre en permanence dans le respect contrôlé de la règle de vérité et de justice. C’est le cas des consolés ; mais alors pourquoi dire homme régulier plutôt que Bon-Chrétien ? Justement, cela s’explique fort bien à compter du moment où l’on prend en compte les novices, qui vivent dans la règle mais qui ne sont pas consolés. Ils sont en fait à la fois réguliers et séculiers. Ils ont quitté le siècle mais y sont encore attachés car n’ayant pas franchit l’étape, normalement irréversible, de la Consolation, mais ils sont réguliers car ils se plient à toutes les obligations de la règle.

Pourtant, les novices sont eux aussi interdit de dire l’oraison dominicale. En effet, leur caractère séculier l’emporte vis-à-vis de l’importance que revêt ce rituel de l’oraison dominicale. Ils en sont exclus, sauf pour les simples — c’est-à-dire les pratiques ne comportant qu’une seule série de Pater —, qu’ils suivent en auditeurs muets. C’est en cela que le Nouveau Testament occitan précise dans sa règle : « La mission de tenir « double » et de dire l’oraison ne doit pas être confiée à un homme séculier. »[3]

La tradition de l’oraison dominicale est précédée d’un temps appelé : la remise du Livre. Il s’agit bien entendu du Nouveau testament, dans sa version antérieure au VIIe siècle à l’époque. Cette précision pour rappeler que l’ordonnancement des textes a changé vers cette époque, modifiant considérablement l’impression que les catholiques voulaient qu’il laisse sur les lecteurs.
Si l’on remet officiellement le Livre au novice en fin de noviciat initial, cela veut dire que pendant tout son noviciat, il s’en est passé. On pourrait comparer cela à l’élevage d’un bébé. Pendant six mois on lui donne du lait, unique nourriture possible, et il totalement passif. Ensuite, on introduit une diversification prudente et progressive ; l’enfant acquiert alors une relative autonomie. Enfin, plus tard il va manger seul et choisir ce qu’il mange, avant de se décider un jour à faire sa cuisine tout seul. De même le novice a besoin d’un temps d’adaptation à la vie régulière, pendant lequel il reçoit passivement la nourriture spirituelle de ceux qui ont la charge de son éducation, puis il acquiert une relative autonomie en obtenant l’outil indispensable qu’il va pouvoir consulter à sa guise pour en apprécier la substance. Plus tard, après sa Consolation, il deviendra plus ou moins autonome selon qu’il restera en maison cathare ou qu’il accèdera au statut de prédicateur.

La description du rituel

Voyons maintenant comment cela se passe.

Préparation

Tout d’abord la compétence du demandeur est validée par les Bons-Chrétiens de sa communauté. Il ne peut pas y avoir de rituel sans un accord de l’ancien, représentant de la communauté.

Ensuite, il doit y avoir une préparation spirituelle assortie d’un jeûne de trois jours avant la cérémonie[4].

Le jour dit, le novice et les Bons-Chrétiens en charge du rituel se lavent les mains.

Le rituel peut se dérouler dans la maison cathare où vivent le novice et les Bons-Chrétiens en charge de la cérémonie.

Le plus avancé en cheminement, après l’ancien[5], commence par faire trois venias[6], qui ne sont pas accompagnées du rituel de l’Amélioration. Ceci fait il prépare le matériel à savoir : une table ronde ou un plateau rond posé sur un support. Il refait trois venias à l’ancien, puis installe sur la table un tissu[7] qui la recouvre. Il fait encore trois venias. Enfin, il dépose le Livre sur la table et dit : « Bénissez-nous, épargnez-nous. »

Déroulement

Une fois tout installé, c’est le novice qui entre en action. Il fait son Amélioration à l’ancien et reçoit le Livre des mains de ce dernier.
L’ancien lui fait un prêche[8] qui rappelle la raison d’être de l’Église cathare, l’importance de la communauté ecclésiale et de la règle de vérité et de justice, ainsi que la valeur de la tradition de l’oraison dominicale qu’il va recevoir.

Ceci fait, l’ancien va prononcer le Pater et le novice va répéter après lui, logiquement phrase après phrase et suffisamment lentement pour qu’il ait le temps de bien s’imprégner des paroles prononcées.

L’ancien va alors s’adresser au novice en ces termes :
« Nous vous livrons cette sainte oraison pour que vous la receviez de Dieu, de nous et de l’Église, et que vous ayez pouvoir de la dire tout le temps de votre vie, de jour et de nuit, seul et en compagnie, et que jamais vous ne mangiez ni ne buviez, sans dire premièrement cette oraison. »

Le novice lui répond en ces termes :
« Je la reçois de Dieu, de vous et de l’Église. »

Il termine en faisant une Amélioration. Il rend grâce[9]

Les Bons-Chrétiens présents font alors une double avec le novice qui pratique ainsi pour la première fois, ce qui confirme son nouvel état puisqu’il est autorisé à pratiquer la double comme tout homme régulier. Les autres novices et les croyants présents restent immobiles et silencieux pendant cet office.

Voilà, pour rappel comment cela se déroulait à l’époque. Je ne vois pas de raison de changer grand-chose aujourd’hui, car rien de ce qui était pratiqué ne peut l’être de nos jours.
Je pense que ce rituel peut très bien se pratiquer un samedi matin, ce qui permet de laisser le mercredi, le jeudi et le vendredi précédent pour la période préparatoire. En outre, le samedi matin le novice peut prendre son petit déjeuner pour éviter un problème pendant le rituel et commencera sa pratique régulière dès le repas de midi.

Dans le contexte actuel, c’est-à-dire en l’absence de Bons-Chrétiens, j’imagine que des croyants pourraient assister le novice, mais que les venias et les Améliorations ne se feront pas en direction d’une personne précise, mais plutôt en direction de l’extérieur, puisque le Saint-Esprit paraclet est seul apte à les recevoir.
Le sermon, préparé par le novice et les croyants prêts à l’aider, serait lu par un croyant et le Pater pourrait être lu, phrase par phrase, par plusieurs croyants afin qu’aucun d’eux ne le lise en entier. Seul le novice le dira intégralement. De même, le novice effectuera seul la double.

Éric Delmas – 22/02/2018


[1] Catharisme d’aujourd’hui – nouvelle édition 2015, page 260.
[2] Le catharisme. T. 2 La religion des cathares – Jean Duvernoy – éditions Privat (Toulouse) 1976
[3] Le Nouveau testament – traduit au XIIIe siècle en langue provençale, suivi d’un Rituel cathare – éditions Slatkine reprints (Genève) 1968, p. XXI
[4] Cette obsession de pureté étend le jeûne préparatoire aux pratiquants et pas au seul novice.
[5] Dans l’hypothèse d’un rituel effectué dans la maison cathare, entre les novices et Bons-Chrétiens y vivant, avec éventuellement quelques croyants témoins, c’est l’ancien de la maison qui officie. Dans l’hypothèse où de plus anciens que lui participent (diacre, Fils majeurs ou mineur, évêque), c’est le plus ancien d’entre eux qui officie.
[6] Les venais sont des prosternations avec agenouillement comme cela se pratique de nos jours dans à peu près tous les groupes chrétiens. Quand le contexte fait que des personnes étrangères à la foi sont présentes, ces agenouillements sont remplacés par un signe de tête, voire un accolade.
[7] Rien n’est précisé quant à ce tissu ni sa composition ni sa couleur. On peut imaginer cependant du coton ou du lin et la couleur blanche appropriée à ce genre de cérémonie.
[8] Il n’y a pas de texte formalisé pour ce prêche, mais on en trouve un exemple dans le rituel latin de Florence situé juste après le rituel occitan de Lyon dans Écritures cathares de René Nelli – éditions du Rocher 1995 et suiv. p. 239
[9] On peut hésiter sur le fait qu’il prononce simplement les grâces : « Que la grâce de notre seigneur Jésus Christ soit toujours avec nous, amen. » ou qu’il manifeste sa reconnaissance aux officiants, aux Bons-Chrétiens et novices ayant assisté à la cérémonie et au public des croyants.

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