L’étude de l’Amélioration
Je vous ai présenté ce rituel, dans la connaissance que nous en avons de sa pratique au Moyen Âge dans l’article publié sur le site[1]. C’est le rituel initial qui marque la cohésion de la communauté ecclésiale. Il est pratiqué par les croyants, les novices et les chrétiens consolés qui se tournent vers le chrétien cathare le plus ancien présent à ce moment.
Aujourd’hui je voudrais préciser quelques points afin de proposer une version moderne de ce rituel qui ne retire rien à celui de nos anciens et qui soit adapté à nos conceptions modernes.
La pratique
La gestuelle n’a pas besoin d’être modifiée, car rien n’est obsolète dans sa mise en œuvre.
La gestuelle est dirigée vers le chrétien consolé[2] qui officie, c’est-à-dire le plus ancien dans la foi. Le croyant ou le chrétien moins ancien — que j’appellerai pratiquant —, joint ses deux mains, paume contre paume et doigts serrés, contre sa poitrine, baisse la tête et courbe le dos en référence à ce que représente le chrétien plus ancien, c’est-à-dire à la présence du Saint-Esprit consolateur, seul intermédiaire entre le bon principe et celui qui effectue l’Amélioration. Il n’y a en effet aucune confusion pour les participants entre le rôle du chrétien, intermédiaire neutre, et celui à qui s’adresse en fait le croyant, le Saint-Esprit Consolateur.
Déroulé du rituel
Le pratiquant commence par joindre les mains, puis incline la tête et enfin plie le buste. Cette phase muette s’enchaîne directement avec la suivante et ne dure donc que quelques secondes. Elle permet au croyant de se mettre en préparation psychologique et spirituelle de ce qui va suivre. |
|
Ensuite le pratiquant va s’agenouiller, soit directement au sol, soit en posant les genoux sur un oreiller (ou un coussin)[3], soit en appuyant ses mains sur un banc. Ce dernier cas semble être prévu pour les personnes ayant des difficultés physiques à s’agenouiller directement. Aujourd’hui on peut imaginer de remplacer le banc par un prie-Dieu adapté, c’est-à-dire avec une tablette surbaissée de façon à permettre la prosternation complète.
C’est dans cette position que le pratiquant fait sa demande :
|
|
Le chrétien répond à son attente en étendant une main au-dessus de la tête du pratiquant sans la toucher.
|
|
Il se prosterne ensuite en appuyant ses deux mains à plat sur le sol ou le support situé devant sa tête et se relève immédiatement en revenant à la position agenouillée. Il peut soit poser son front entre les deux mains, soit en l’appuyant sur les mains ainsi posées au sol. C’est typiquement la description de la veniæ décrite dans la pratique de l’Oraison. |
Après cette réponse, le pratiquant se prosterne à nouveau et se redresse et renouvelle sa demande une deuxième fois dans les mêmes termes. Le chrétien lui répond de même et le pratiquant recommence une troisième fois, mais il modifie sa demande de la façon suivante :
Priez pour nous pécheurs, afin qu’il fasse de nous des chrétiens et qu’il nous conduise à une bonne fin.
Le chrétien répond cette fois :
Que Dieu vous bénisse. Dieu veuille faire de vous des chrétiens, et qu’il vous conduise à une bonne fin.
Le croyant se relève alors et l’Amélioration se termine, comme la plupart des autres rituels, par les caretas, c’est-à-dire le Baiser de Paix (ou la Paix).
Cette façon de faire et les formulations sont celles adoptées par l’Église cathare de France d’aujourd’hui afin d’en faciliter la mémorisation par toutes et tous.
Analyse de la pratique
Les critères de la réalisation
Ce rituel est intime, c’est-à-dire qu’il n’est pas accessible au public. Il se réalise entre croyants et chrétiens. Quand cette condition n’était pas réunie, celui qui s’en apercevait avertissait les autres afin que le rituel s’interrompe. La question qui se pose aujourd’hui où nous sommes si peu nombreux est de savoir si l’on doit accepter des spectateurs en la personne des sympathisants qui le désireraient. Bien entendu dans l’hypothèse positive, ils devraient demeurer strictement immobiles et silencieux. Cela aurait un côté motivant pour eux dans leur volonté d’atteindre l’éveil afin de pouvoir participer. Ils seraient ainsi enclins à parfaire leur connaissance du catharisme afin de se mettre dans les meilleures conditions possibles pour s’éveiller. Dans l’hypothèse négative où le rituel resterait strictement réservé aux croyants et aux chrétiens, il serait possible d’expliquer aux sympathisants qu’ils sont à la porte de l’ecclésia et qu’il ne tient qu’à eux d’aller plus loin.
Les différentes phases
On note plusieurs étapes essentielles qu’il convient d’expliquer.
La salutation est la première phase au cours de laquelle le pratiquant manifeste son humilité par une attitude de pénitent qui combine la réunion des deux mains mises à plat devant la poitrine et l’inclinaison de la tête et du buste.
La génuflexion est la deuxième phase au cours de laquelle le pratiquant se met à genou en conservant les caractéristiques précédentes, ce qui marque sa prière, c’est-à-dire la demande qu’il va faire à travers le chrétien consolé.
L’adoration manifeste l’attitude la plus humble que peut offrir le pratiquant juste avant de formuler sa demande. Il se prosterne comme le font les chrétiens et les novices lors du rituel de l’Oraison.
Le chrétien qui dirige le rituel étend le bras et la main au-dessus de la tête du pratiquant ou au centre du demi-cercle qu’ils forment s’ils sont plusieurs. C’est la matérialisation du lien qu’il constitue entre le pratiquant et le Saint-Esprit Paraclet.
Le Baiser de paix
Ce rituel ponctue plusieurs rituels et peut même se pratiquer entre croyants en l’absence d’un chrétien consolé. Le détail de ce rituel figure dans l’article qui lui est consacré.
La glose
Ce rituel est assez pauvre en termes de langage, mais il faut insister sur certains points :
Chrétien
C’est le terme unique pour désigner un croyant en Christ qui a reçu le sacrement du baptême, seul sacrement institué par Christ. Galvaudé par la comédie mensongère des baptêmes d’enfants, ce terme reste néanmoins fondamental pour définir celui ou celle qui a choisi de vivre dans le respect du commandement de Bienveillance. Pour les cathares cela est essentiel et l’enseignement qui mène à la Consolation permet au chrétien d’être en pleine possession de la gnose qui le rend à la fois en mesure de cheminer vers son salut et responsable de toute faute ou manquement commis, puisque maintenant il a l’entendement du Bien.
Ce terme se suffit à lui-même et n’a besoin d’aucun qualificatif tant il est déjà au-dessus de tout qualificatif qui ne peut être, au mieux que redondant, au pire dégradant. L’appellation Bons-hommes, Bonnes-dames est elle aussi problématique, même si l’intention qui la porte est bienveillante, car comme il est rappelé dans les évangiles, ce qualificatif est réservé à Dieu qui est seul en mesure de l’endosser :
L’Évangile selon Jean nous rappelle que l’on peut parler de Dieu comme étant le bon berger (X, 11).
Ce qualificatif est également rejeté par Christ dans les évangiles de Matthieu (XIX, 17) qui l’attribue aux actes à faire et Marc (X, 18) et Luc XVIII, 19) où le qualificatif lui est appliqué. Jean pour sa part omet ce passage.
Le problème du terme chrétien est qu’il ne permet pas de discriminer les membres des différentes Églises qui se réclament de Christ. C’est pourquoi, quand on veut éviter l’amalgame le terme chrétien consolé ou revêtu est approprié.
La bénédiction de Dieu, de l’Église et la vôtre
Rien n’est sans raison dans cette déclamation.
La bénédiction n’est qu’une forme de soutien à l’effort fourni par le croyant pour tenter de se hisser, par ses propres moyens, dans l’avancement vers son salut. Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une assistance morale et une reconnaissance de la volonté d’agir dans le bon sens.
Ensuite viennent les trois niveaux auxquels est demandé cette assistance spirituelle, en partant du niveau spirituel (Dieu) et en finissant par les deux niveaux mondains dans l’ordre de leur importance, à savoir l’ecclésia et le chrétien consolé à qui on s’adresse. Cela rappelle que, en ce monde ce qui compte c’est l’ecclésia, c’est-à-dire la réunion des croyants et des chrétiens. En effet, pour que lien se fasse entre le niveau spirituel et le niveau mondain, une seule personne ne suffit pas quel que soit sont niveau d’avancement. Christ le dit : « Car là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, suis au milieu d’eux. » (Math. XVIII, 20).
S’il ne fait pas de doute que le dernier niveau est bien celui du chrétien consolé, n’oublions pas qu’il est vu comme l’apparence mondaine du Saint-Esprit paraclet successeur du Christ pour nous accompagner dans notre cheminement. L’emploi du pluriel rappelle que c’est à la communauté évangélique de l’on s’adresse et non pas à tel ou tel chrétien consolé. Il n’y a pas de hiérarchie élective dans le catharisme.
Recevez-la de Dieu, de l’Église et de nous
Le chrétien consolé n’émet pas d’avis personnel, car à partir du moment où celui qui s’exprime est considéré comme croyant — sur la base de ses affirmations et sans preuve du contraire —, il ne lui revient pas de décider d’octroyer la bénédiction de façon discriminatoire à tel ou tel croyant qui la demande. Il n’est qu’un intermédiaire.
Priez pour nous pécheurs…
Il s’agit là de la vision des croyants et non de celle des chrétiens. En effet, si le croyant commet des fautes et des manquements sur le plan moral et dans sa relation aux autres, il n’est pas considéré comme pécheur, car il n’a pas la connaissance intime du Bien. Celle-ci s’acquiert au cours du noviciat et devient irrévocable par la Consolation. Donc, seul le chrétien consolé peut commettre un péché du point de vue cathare. Là encore, nous sommes perturbés par l’approche judéo-chrétienne qui, en baptisant des enfants, déplace artificiellement la notion de péché vers des personnes qui n’ont pas pu se former à la connaissance du Bien et qui ont été baptisées contre leur gré avant de subir un endoctrinement sélectif qui en fait des chrétiens contraints.
… Afin qu’il fasse de nous des chrétiens…
Nous sommes là au cœur de ce rituel.
Il s’agit pour tout croyant de rappeler que sa foi ne peut le mener qu’à une seule issue : devenir un chrétien consolé pour accéder au salut avec la plus grande espérance d’y parvenir.
… et nous mène à bonne fin
Dans la logique imparable qui pousse les croyants à faire leur Amélioration, cette dernière rappelle l’objectif final de tout membre de l’ecclésia : faire sa bonne fin, c’est-à-dire se mettre en condition d’être accessibles à la grâce de Dieu et bénéficier du salut qu’il nous octroiera. On retrouve ici l’humilité du fils prodigue (Lc XV, 11-32). On note aussi la similitude de la volonté des croyants et des chrétiens à faire l’effort d’être accessibles à la grâce divine, comme dans la parabole des jeunes vierges à la lampe de Matthieu (XXV, 1-13) que nous explique clairement Luc (XII 35-38 et XIII 24-27). Le pluriel de ces trois éléments de phrase tient lui aussi à la conviction que nous sommes tous unis dans l’Esprit unique et que personne ne peut prétendre à un meilleur sort qu’un autre, contrairement aux deux fils de Zébédée qui dans Marc demandent un traitement préférentiel (X 35-40).
Que Dieu vous bénisse. Dieu veuille faire de vous des chrétiens, et qu’il vous conduire à une bonne fin.
La réponse du chrétien consolé est calquée sur la demande à laquelle il ne peut ajouter ni retrancher quoi que ce soit compte tenu de sa position d’intermédiaire.
[1] https://www.catharisme.eu/3-la-religion/3-2-r-praxis/lamelioration/
[2] Le terme chrétien consolé me semble préférable à celui de bon-chrétien, afin de respecter la parole prêtée à Christ : « Personne n’est bon que Dieu seul. » (Mc X, 18)
[3] Doat XXIII. Déposition de Pierre Maury.
[4] Version de la déposition de Pierre Maury, cf note ci-dessus.
[5] La réponse du chrétien ne veut pas dire qu’il accorde la bénédiction, mais qu’il se fait le relais. Mais il ne fait qu’appliquer ce que Matthieu rapporte dans son évangile : « Oui je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » Matt. 18, 18 – voir aussi Matt. 16, 19.