L’Amélioration
Présentation
Rituel d’entrée en Catharisme
La réalisation de ce rituel signe l’entrée d’un auditeur (sympathisant) en vie chrétienne et en fait dès lors un croyant, c’est-à-dire une personne qui chemine sur la voie qui mène au baptême, la Consolation. Il est donc le premier de tous les rituels que pratiquera un croyant face à un Bon-Chrétien (un cathare ayant reçu la Consolation).
On l’appelle Melhiorer ou Melioirer en occitan — melhoramentum[1] dans les registres d’Inquisition — ce qui signifie Amélioration. C’est ce terme que je préfère conserver, car effectivement, par ce rituel le croyant va demander à s’améliorer en vue d’une bonne fin chrétienne et il le fait par l’entremise d’un Bon-Chrétien dont l’état d’avancement signe qu’il est en lien avec le Saint-Esprit et promet une meilleure transmission du souhait exprimé. Pour autant, comme dans tous les rituels cathares, l’intermédiaire humain n’est aucunement celui qui confère ce qui est demandé, car cela ne peut relever que d’un intervenant qui n’est pas soumis à ce monde. La référence est donc le saint Esprit consolateur (Paraclet).
C’est le Bon-Chrétien qui va demander à un auditeur — c’est-à-dire un sympathisant qui répond favorablement à l’enseignement (la catéchèse) — de réaliser sa première Amélioration en lui en indiquant la procédure. Auparavant, le Bon-Chrétien évalue si le postulant éventuel est en mesure de le pratiquer. C’est également une marque de la relation qui unit la communauté ecclésiale croyante et la communauté évangélique chrétienne.
Ce rituel se pratique également entre les Bons-Chrétiens d’une maison cathare, à l’intention de l’ancien de la maison, le matin et le soir. C’est également le cas de tout Bon-Chrétien envers un autre détenteur d’une mission importante : diacre, fils mineur ou majeur, évêque.
Comme pour tous les rituels et sacrement cathare, l’officiant (Bon-Chrétien, ancien, diacre, fils, évêque) doit être en état d’assumer sa charge, c’est-à-dire sans péché majeur au moment du rituel. Sinon, son incapacité à tenir sa charge invaliderait le rituel ou le sacrement.
Rituel intime
Le croyant ne peut pas refuser cette demande du Bon-Chrétien sauf à lui signifier discrètement un empêchement généralement lié par exemple à la présence de personnes apparemment extérieures à la communauté qui se trouveraient à proximité[2]. En effet l’Amélioration n’est pas un rituel public, mais un échange intime entre le pratiquant et le Bon-Chrétien. C’est pour cela que le Bon-Chrétien parle à voix basse, ce qui fit dire à bon nombre de témoins que les propos du Bon-Chrétien étaient inaudibles.
Cette pratique doit demeurer discrète. Le Traité sur les hérétiques d’Anselme d’Alexandrie[3] précise qu’un croyant arrivant en un lieu où se trouvent des Bons-Chrétiens s’enquière premièrement de la situation des personnes présentes par une phrase codée. S‘il obtient la réponse voulue, il peut faire son Amélioration, sinon il s’en abstient.
Je ne vais pas faire ici un historique et un recensement des textes traitant de ce sujet ; Ruben Sartori l’a réalisé de façon tout à fait convaincante dans un document publié sur le site des Amis du Sabartés[4]. Ce travail très complet est particulièrement intéressant et je ne peux que vous inviter à le consulter. Pour autant je ne partage pas l’avis de l’auteur sur un ou deux points de détail ; mais nous en reparlerons.
Description
La gestuelle que Ruben Sartori propose, d’après ses recherches, me semble tout à fait correcte. On la trouve dans divers témoignages issus de plusieurs registres qu’il convient parfois de compiler, car les descriptions des notaires de l’Inquisition sont souvent sommaires.
La voici présentée de façon illustrée.
La gestuelle est dirigée vers le Bon-Chrétien qui officie, c’est-à-dire le plus ancien dans la foi. Le croyant ou le Bon-Chrétien moins ancien joint ses deux mains, paume contre paume et doigts serrés, contre sa poitrine, baisse la tête et courbe le dos en référence à ce que représente le Bon-Chrétien, c’est-à-dire à la présence du Saint-Esprit consolateur, seul intermédiaire entre le bon Principe et celui qui effectue l’Amélioration. Il n’y a en effet aucune confusion pour les participants entre le rôle du Bon-Chrétien, intermédiaire neutre, et celui à qui s’adresse en fait le croyant, le Saint-Esprit Consolateur.
Le croyant commence par joindre les mains, puis incline la tête et enfin plie le buste. Cette phase muette s’enchaîne directement avec la suivante et ne dure donc que quelques secondes. Elle permet au croyant de se mettre en préparation psychologique et spirituelle de ce qui va suivre.
Ensuite le croyant va s’agenouiller, soit directement au sol, soit en posant les genoux sur un oreiller (ou un coussin)[5], soit en appuyant ses mains sur un banc. Ce dernier cas semble être prévu pour les personnes ayant des difficultés physiques à s’agenouiller directement. Aujourd’hui on peut imaginer de remplacer le banc par un prie-Dieu adapté, c’est-à-dire avec une tablette surbaissée de façon à permettre la prosternation complète. C’est dans cette position que le croyant fait sa demande :
Bon-chrétien (ou Bonne-Dame), la bénédiction de Dieu et la vôtre ![6]
Dans une version collective la phrase se limite à : Bénissez-nous[7]
Selon les sources, cette bénédiction, effectuée par l’ancien, peut se faire à une ou deux mains. Aujourd’hui on observe régulièrement que les bénédictions se font plus souvent à une main. On peut donc raisonnablement retenir cette pratique. Bien entendu, et particulièrement lorsque le ministre et le croyant sont de sexe différent, il n’y a pas de contact physique entre la main du premier et la tête du second.
C’est à ce moment que Bon-Chrétien répond à la demande du croyant :
La bénédiction de Dieu et la nôtre.[8]
Dans la version de Schmidt, la réponse est : Que Dieu vous bénisse.
Après cette réponse, le croyant met les mains à plat sur le sol (ou sur le banc) et se prosterne en touchant ses mains avec le front. Certains témoignages disent qu’il baise ses mains ainsi disposées. C’est typiquement la description de la veniæ décrite dans la pratique de l’Oraison.
Il se redresse tout en demeurant à genoux et renouvelle sa demande une deuxième fois dans les mêmes termes. Le Bon-Chrétien lui répond de même et le croyant se prosterne à nouveau.
La troisième fois, le croyant modifie sa demande de la façon suivante (version Schmidt) :
Priez pour nous pêcheurs, afin qu’il fasse de nous de Bons-Chrétiens et qu’il nous conduise à bonne fin.
Le Bon-Chrétien répond alors :
Que Dieu vous bénisse. Dieu veuille faire de vous de Bons-Chrétiens, et vous conduire à une bonne fin.
Dans la déposition de Pierre Maury la formulation est quasi identique :
Dieu vous bénisse, Dieu vous amène à bonne fin, et Dieu vous fasse Bon-Chrétien.
Cependant, dans cette déposition cette phrase est prononcée trois fois, ponctuant chaque accolade du Baiser de Paix qui est donc simultané dans ce cas.
Le croyant se relève alors et l’Amélioration se termine, comme la plupart des autres rituels, par les caretas, c’est-à-dire le Baiser de Paix (ou la Paix).
Nous comprenons que si l’esprit et la forme de ce rituel sont bien définis, les formules prononcées peuvent légèrement varier pour peu qu’elles reprennent les mêmes éléments de terminologie.
[1]. La religion des cathares, Le catharisme t. 2, Jean Duvernoy, édition Privat (1976)
[2]. Dans sa déposition, Pierre de Luzenac signale qu’il refuse l’Amélioration qui lui est demandée au motif qu’il pourrait être vu d’un témoin indésirable. Geoffroy d’Ablis et les Cathares du comté de Foix. Annette Palès-Gobillard. Éditions du CNRS (Paris).
[3]. Tractatus de hereticis. Ms. Budapest, Musée national, lat. 352 par Anselme d’Alexandrie in La hiérarchie cathare en Italie. Antoine Dondaine O. P. Archivum Fratrum Praedicatorum, volumen XX (1950). Traduction française par Ruben Sartori dans Catharisme d’aujourd’hui (http://www.Catharisme.eu/Catharisme-europe/tractatus-hereticis/)
[4]. http://www.occitanie-cathare.eu/le-rite-du-melioramentum-1ere-partie
[5]. Doat XXIII. Déposition de Pierre Maury.
[6]. Version de la déposition de Pierre Maury, cf note ci-dessus.
[7]. Doat XXII. Déposition du f° 110b d’après Charles Schmidt, Histoire et doctrine des Cathares. Éditions Harriet 1983 (Bayonne). Première édition 1849-1849.
[8]. La réponse du Bon-Chrétien ne veut pas dire qu’il accorde la bénédiction, mais qu’il se fait le relais. Mais il ne fait qu’appliquer ce que Matthieu rapporte dans son évangile : «Oui je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.» Matt. 18, 18 – voir aussi Matt. 16, 19.