La Consolation
Les cathares ne connaissaient qu’un seul sacrement, car dans leur rigueur à vouloir ne pas dévoyer l’enseignement du christ, ils ne reconnaissaient comme valable que ce que son apparence physique, nommée Jésus, avait fait lors de son ministère.
Or, comme cela est précisé dans l’Évangile selon Jean[1], le Christ — après la mort apparente de Jésus —, administre le souffle divin aux disciples réunis après l’annonce de sa résurrection que vient de leur faire Marie Madeleine.
De même, dans les Actes des apôtres[2], dont on peut dire que l’auteur insiste lourdement sur les critères judéo-chrétiens, comme les références au livre des psaumes, et sur le rôle directeur de Pierre, dont nous savons qu’il n’a jamais été réel — Jacques étant le vrai meneur de ce courant du futur christianisme catholique (adjectif voulant dire : universel) —, on trouve néanmoins cette mention d’une action spirituelle directe, même si elle est matérialisée par des éléments mondains (le vent et les langues de feu).
Sur la base de ces documents, l’Église cathare médiévale avait donc organisé un cérémonial bien précis et toujours identique. On dispose d’un exemplaire de ce cérémonial dans le Nouveau Testament occitan[3] conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon (ms PA 36). Mon travail va donc se centrer sur cet exemplaire, faute de disposer d’autres documents, notamment ceux qui auraient pu nous parler de cette pratique avant la période de répression de la croisade et de l’Inquisition.
Seule la foi peut sauver
Pour échapper au cycle des transmigrations, les croyants cathares avaient bien compris qu’il fallait être dans un état spirituel particulier, comme celui que conférait la Consolation. Ils se basaient pour cela sur la parabole des vierges, que l’on trouve dans l’Évangile selon Matthieu. Dix vierges sortent au-devant du marié, afin qu’il les choisisse comme épouse. Cinq n’avaient pas pensé à prendre de l’huile pour recharger leur lampe qui s’éteint en attendant le fiancé. Elles s’endorment et quand le marié est enfin annoncé, cinq seulement peuvent entrer avec lui dans la salle des noces[4]. C’est donc au moment de l’appel que l’on doit être prêt à répondre présent. Cela est d’ailleurs confirmé par la parabole de l’ouvrier de la onzième heure[5], également dans le même évangile. Là, le point est mis sur le rejet de toute compétition ou de toute auto-valorisation liée à l’ancienneté ou la rigueur dans la foi. Cela transparaît aussi à la fin de la parabole du fils prodigue, que l’on trouve dans l’Évangile selon Luc[6], quand le second fils se révolte du bien que son père fait à son frère qui les a abandonnés. Lui aussi considère qu’il y a une hiérarchie des droits selon les critères de fidélité et d’ancienneté.
En fait, ce n’est pas la Consolation qui met en état d’accéder au salut par la grâce du bon principe. C’est la manifestation de la foi que manifeste l’éveil spirituel, qui en permettant à l’esprit prisonnier de la matière de s’en extraire, qui va le mettre en état de ne plus être soumis à la volonté du démiurge.
En effet, le principe du Bien n’a de pouvoir que sur ce qui relève de sa propre substance spirituelle, selon la théorie des principes d’Aristote[7]. Donc, il faut que l’esprit prisonnier demeure en état de détachement de la matière jusqu’à la libération qui s’opère quand le corps mondain meurt. Cela explique que la majorité des croyants, peu convaincus d’être capables de demeurer en cet état pendant plusieurs années, préféraient attendre l’agonie pour demander la Consolation, espérant ainsi atteindre ce détachement et le maintenir assez longtemps pour obtenir leur salut. Cela explique aussi pourquoi la Consolation donnée à un novice devait n’intervenir que quand toutes les apparences de la fermeté dans l’engagement étaient visibles des chrétiens revêtus qui l’avaient vu vivre son engagement pendant une longue période. En effet, il en fallait peu pour perdre l’état de chrétien éveillé dans un monde où tout pousse à préférer la mondanité à la spiritualité.
Un constat et non une assurance
Contrairement au baptême d’eau, présenté par les judéo-chrétiens comme une assurance de salut, la Consolation n’en était pas une. Tout au plus les chrétiens cathares acceptaient-ils d’y voir un constat de l’état du demandeur qui leur paraissait compatible avec l’engagement de durée dans l’éveil que prenait le novice. Pour le mourant, ne nous leurrons pas, les bons-chrétiens se bornaient à accepter la demande faute de pouvoir former le mourant, mais ils savaient que l’éveil n’est pas un état facile à atteindre. Cependant, dans leur grande humilité, ils acceptaient l’idée que Dieu pouvait sauver ceux qu’eux-mêmes imaginaient peu aptes à l’être. On note dans un témoignage devant l’Inquisition, l’idée qu’un cathare aurait dit à un croyant que même l’inquisiteur ou le pape pouvaient être sauvés avant lui, pour peu qu’ils soient dans les dispositions requises au moment de leur mort.
La Consolation exigeait donc que le novice ait effectué un minimum de formation qui permettait aux bons-chrétiens consolés qui l’encadraient de vérifier s’il appliquait de façon régulière et avec la rigueur requise la pratique des éléments de la règle de justice et de vérité. Bien entendu, par des prêches et des entretiens, sans oublier l’observation de son comportement au sein de la communauté évangélique de la maison cathare qui l’hébergeait, ils vérifiaient également son apparente conformité spirituelle.
La Consolation spirituelle
Contrairement au baptême catholique, par exemple, la Consolation n’était pas administrée par le bon-chrétien (en général évêque) qui effectuait le sacrement. Ce dernier n’était qu’un élément d’une chaîne de transmission venant de Dieu et passant notamment par le Saint-Esprit paraclet (consolateur).
La Consolation est donc un acte spirituel qui se manifeste chez son récipiendaire par un état d’être particulier que nous appelons l’ataraxie.
Cette explication est une évidence que les chercheurs n’ont, semble-t-il, jamais comprise. En effet, sachant que le monde est au pouvoir du Mal, via son démiurge le diable, comment pourrait-on imaginer de façon cohérente que la participation d’être humains (mélange entre un esprit saint prisonnier et un corps mondain) soit la seule voie possible à la réalisation d’un acte hautement spirituel et relevant totalement du principe du Bien ?
Pierre Maury l’explique très clairement à Arnaud Sicre, comme ce dernier le rapporte dans son témoignage devant l’Inquisition de Pamiers : « Je lui demandais si, quand le monsieur de Morella [Guilhem Bélibaste, N.D.L.R.] mourrait, il voudrait avoir et demanderait à sa mort un des bons hommes, et il me répondit : Vous pouvez bien croire qu’il le fera s’il peut en avoir, et s’il ne peut en avoir de terrestres, il en aura de spirituels.[8] ». On trouve également une indication dans l’ouvrage de Jean Duvernoy qui signale une différence d’appréciation entre les cathares de Concorezzo et les albigeois-albanistes : « … un contact charnel ne pouvait, en bonne logique, être d’aucun intérêt dans une cérémonie toute spirituelle.[9] »
C’est un état spirituel par lequel le novice se voue à cheminer vers Dieu, dont il est éloigné par la chute originelle, et auquel il ressent qu’il est désormais prêt. En fait, on peut dire que le novice, qui a acquis par la pratique, l’étude et l’exemplarité de ses anciens, l’humilité et la patience indispensables à l’objectif qu’il s’est fixé, sent qu’il est désormais prêt à passer le cap irréversible qui va le conduire, par une pratique irréprochable, à manifester au paraclet et à son entourage son total engagement spirituel à cheminer vers son salut.
Le novice qui étudie et pratique de plus en plus intensément va, à un moment, ressentir en lui la certitude que ses choix sont devenus à ce point ancrés en lui qu’il ne peut envisager aucun retour en arrière. Quand son avancement se trouve en conjonction avec son état spirituel, il atteint un état de plénitude où il n’y a plus de différence entre l’avancement spirituel et l’avancement pratique qui doit sans aucun doute signer que l’on peut aller plus loin. En effet, la vie d’un novice avancé et celle d’un bon-chrétien consolé ont en commun d’être totalement et de façon permanente vouée à la tâche de maintenir l’état spirituel et la pratique régulière en accord et en coordination. Cet état de plénitude, appelé l’ataraxie, signe la rupture du lien de sujétion entre l’esprit prisonnier et la part mondaine constituée de l’âme mondaine et du corps de chair. Ce qui semblait auparavant totalement lié, que l’on appelle l’Adam charnel, meurt alors et l’esprit redevenu libre ressuscite comme le Christ qu’il est en fait. C’est cela le véritable sens de la résurrection.
Cette Consolation spirituelle se suffit à elle-même si le novice qui en bénéficie ne peut accéder à une Consolation sacramentelle, soit en l’absence de consolés pour la lui administrer, soit parce qu’il ne peut en trouver avant sa mort. Bien entendu, la vraie Consolation est celle-là, l’autre n’ayant pour objet que de confirmer l’état du nouveau consolé devant la communauté ecclésiale.
La Consolation sacramentelle
Il s’agit d’une cérémonie au cours de laquelle le plus avancé des bons-chrétiens consolés, va manifester officiellement aux membres de l’Église cathare, qu’un novice est désormais considéré comme consolé.
Elle se réalise devant la communauté évangélique et en présence d’invités choisi parmi les sympathisants. L’ancien, généralement l’évêque — mais ce peut être n’importe quel membre de la hiérarchie, voire n’importe quel consolé si la situation l’exige —, va servir d’intermédiaire entre le Saint-Esprit paraclet et le récipiendaire, car il n’est en aucune façon mandaté pour donner le sacrement lui-même. D’ailleurs, pour conforter cette certitude de son inutilité personnelle, il pratique ce sacrement avec l’aide d’un ou plusieurs autres consolés. De même, l’imposition des mains faite sur la tête du récipiendaire est réalisée sans contact physique.
Il faut donc bien assimiler la différence entre la Consolation spirituelle, qui est la réintégration de l’esprit saint momentanément éloigné dans l’unité de l’Esprit par le Saint-Esprit consolateur, et la Consolation sacramentelle qui est la formalisation ecclésiale de cette Consolation spirituelle apparemment constatée par les bons-chrétiens consolés de l’entourage du novice demandeur.
Cela explique qu’il peut toujours y avoir des Consolations sacramentelles données à des personnes qui ne le méritaient pas, comme il peut y avoir des consolés qui n’ont pas reçu de Consolation sacramentelle, mais qui ont reçu la spirituelle.
Cette cérémonie est très bien décrite dans le Rituel du Nouveau Testament cathare occitan de Lyon et je vous en proposerai une version adaptée à notre époque dans un document spécifique.
La convention
Quand les croyants désireux de faire leur bonne fin sentaient la mort approcher, ils pouvaient faire appel à un chrétien revêtu, afin de recevoir la Consolation des mourants. Par cet engagement ils tentaient de se mettre en condition d’accéder au salut.
La croisade, et plus encore l’Inquisition, ont rendu la disponibilité de ces bons-chrétiens beaucoup plus rare, voire quasiment impossible dans un délai raisonnable. C’est pourquoi, l’Église cathare a mis en place une pratique rituelle décalée, visant à réduire au strict minimum, la partie rituelle de la Consolation qui devait se faire devant le mourant. En effet, ce rituel prévoit que l’ordinand — celui qui est reçu dans l’ordre chrétien cathare — soit conscient et apte à répondre aux questions et admonestations de l’ordinant — celui qui officie à la réception dans l’ordre.
Pour éviter de devoir refuser la Consolation à un mourant dont l’état ne permettrait plus d’être en règle avec cette obligation de conscience, cette « convention », convenenza en occitan, permet d’effectuer la part nécessitant la conscience de l’ordinand à l’avance et ainsi d’engager le chrétien ordinant à terminer le sacrement, même si l’ordinand n’est plus conscient, sous réserve toutefois qu’il soit encore vivant.
Aujourd’hui, ce ne sont pas les vicissitudes de la répression qui pourraient poser problème aux croyants qui ne peuvent ou ne désirent pas s’engager en vie cathare avant la fin de leur vie. Mais, la résurgence cathare est longue et difficile ce qui implique qu’il faudra de nombreuses années avant de pouvoir disposer de bons-chrétiens en nombre suffisant pour administrer les Consolations aux mourants que les croyants concernés pourraient solliciter. En outre, les conditions sanitaires modernes font que l’on peut maintenir en vie artificielle des gens qui ne peuvent plus manifester leur conscience et qui seraient donc exclus d’une Consolation traditionnelle.
Si cette organisation se met un jour en place, il ne faut pas se leurrer. La Consolation aux mourants est une aide spirituelle apportée par les bons-chrétiens aux croyants, mais elle n’offre aucune garantie. Le salut ne dépend pas de la Consolation sacramentelle donnée par l’Église, mais de celle donnée par le Saint-Esprit paraclet. Le salut n’est pas non plus dépendant de la Consolation, mais de bien d’autres facteurs qui sont accessibles à tous, cathares ou non, croyants ou non, mais simplement capable de se mettre en état d’être accessibles à la grâce de Dieu au moment où l’esprit saint, libéré de sa gangue mondaine, peut éventuellement retourner au Père.
D’un point de vue technique elle nécessite une organisation que nous détaillerons dans un document spécifique.
L’endura
C’est une pratique qui a fait couler beaucoup d’encre car, son usage détourné lorsque les bons-chrétiens étaient faits prisonniers par l’Inquisition, a créé une mauvaise compréhension de son objet réel.
L’endura est une façon d’accentuer l’état de pureté spirituelle d’un bon-chrétien dans des moments-clés de son avancement. La première occasion de sa pratique est celle qui suit immédiatement la Consolation. En effet, lors de ce sacrement il y a une rupture symbolique entre l’état antérieur du novice et celui que lui confère ce sacrement. Rappelons-nous que les premiers apôtres avaient reçu la capacité de remettre les manquements de ceux qui voulaient entrer dans la communauté spirituelle en recevant le baptême d’esprit. Lors de la Consolation, l’ordinand remet les manquements à l’ordinant provoquant symboliquement la mort de l’Adam que nous sommes tous, croyants et novices, et la résurrection du christ que nous devenons une fois reçus dans la communauté des saints, c’est-à-dire parmi ceux qui s’engagent à ne plus pécher jusqu’à leur mort en ce monde. Comme nous l’avons vu dans le chapitre de la Consolation spirituelle cela s’est déjà produit.
Donc, juste après la Consolation, le nouveau bon-chrétien consolé se met en endura pour fortifier son nouvel état. Dans l’idéal d’une Consolation réalisée le dimanche de Pentecôte, le bon-chrétien va donc pratiquer son endura au tout début du carême de la Consolation et pratiquer ce dernier, ce qui l’aidera à bien démarrer sa vie nouvelle.
Cette pratique peut cependant être renouvelée dès que bon-chrétien sent en lui un affaiblissement de son état spirituel et c’est en cela qu’il faut comprendre la pratique lorsque l’Inquisition emprisonnait un bon-chrétien. Il se mettait ainsi en état spirituel adapté au sort mondain qui l’attendait. Le fait que les inquisiteurs confondaient cette pratique avec une tentative de suicide destinée à leur échapper par la mort d’inanition et les poussait à hâter l’exécution, n’est en rien de la responsabilité du bon-chrétien et ne doit pas faire peser le doute sur ses intentions réelles.
Nous étudierons l’organisation et le déroulé de cette pratique dans un document spécifique.
Éric Delmas, 25 juin 2020.
[1] Jean, 20, 22
[2] Actes, 2, 1-4
[3] Nouveau Testament en langue provençale – manuscrit Palais des Arts n° 36 de la Bibliothèque municipale de Lyon – Éditeur : Ernest Leroux (Paris) 1888 – Réédition : Slatkine – (Genève) 1968.
[4] Matthieu, 25, 1-13
[5] Matthieu, 20, 1-16
[6] Luc, 15, 11-32
[7] Aristote, La métaphysique
[8] Jean Duvernoy – Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, vol. 3, f°123 v° – édition française p. 765.
[9] Jean Duvernoy – La religion des cathares, t.1 Le catharisme p. 164 – édition Privat (Toulouse) 1976.