L’invention des cathares
France Culture a donné une heure de parole à Julien Théry et Alessia Trivellonne pour leur permettre de diffuser une fois encore leur théorie anti-cathare.
Vous en trouverez ici la présentation, le lien et quelques réactions.
Présentation de France Culture
L’histoire des cathares, hérétiques du Midi qui auraient prospéré puis disparu entre les XIIe et XIIIe siècles, est avant tout un mythe. Huit cents ans après leur existence supposée, le retour aux sources a dévoilé les mécanismes de cette invention, soutenue par le régionalisme occitan.
- Julien Théry Archiviste-paléographe, professeur à l’Université Lyon 2, spécialiste de l’histoire des hérésies au Moyen Âge
- Alessia Trivellone Maîtresse de conférences en Histoire du Moyen Âge à l’université Paul Valéry Montpellier 3
Dans la production d’ouvrages d’histoire, pour attirer le lecteur avide de révélations, tous les coups sont permis. Autant profiter de certains noms qui titillent l’imagination ; c’est le cas de « cathares ». Il suffit d’y accoler quelques adjectifs ou un mot sensationnel et le tour est joué : Le mystère des cathares, La tragédie des cathares, Le livre rouge des cathares, ou encore Top secret. Pourtant, rien n’est plus sensationnel qu’une enquête menée par des historiens et des historiennes, qui étudient les sources et qui démontent la construction d’un récit.
Les cathares, naissance d’un mythe ?
Au XIXe siècle, le théologien alsacien Charles Schmidt fait paraître son ouvrage Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Albigeois, dans lequel il situe les cathares dans le Midi. Fruit d’une confusion entre la description d’hérétiques par un moine allemand du XIe siècle et un traité de saint Augustin, il donne naissance au mythe d’une religion qui s’oppose à l’Église romaine. « Le mot cathare n’est présent dans aucune source produite par la répression des dissidences religieuses. (…) C’est dans les années 1160, en Allemagne, près de Cologne, qu’un moine décide d’employer le mot cathare – trouvé dans des traités de saint Augustin – pour désigner les gens qu’ils voyaient être envoyés au bûcher », explique l’historien Julien Théry.
Le régionalisme occitan et l’interprétation imprécise des sources de l’Inquisition laissent libre cours à l’invention d’un mouvement religieux écrasé par l’Église et la royauté française, victime de la croisade contre les albigeois entre 1209 et 1229, puis de l’Inquisition à partir des années 1230. Bien des siècles plus tard, dans les années 1960, l’histoire des cathares devient un récit populaire en Occitanie et participe à la construction de l’identité régionale. « Il y a la conscience qu’il faut préserver cette identité du Midi. L’histoire des cathares devient le symbole de la destruction d’une civilisation qui aurait été autonome », souligne Julien Théry.
Le rôle de l’Église romaine dans la fabrique des hérétiques
En 1998, l’ouvrage collectif Inventer l’hérésie ? publié par l’historienne Monique Zerner jette un pavé dans la mare. Le retour aux sources de l’Inquisition révèle que les récits dénonçant l’hérésie cathare étaient avant tout ceux de l’Église romaine, soucieuse de se fabriquer un ennemi là où le comté de Toulouse échappait encore à son autorité. L’historienne Alessia Trivellone souligne la dimension politique des accusations contre les hérétiques : « L’hérésie est un chef d’accusation. Les pouvoirs ecclésiastiques se servent de cette accusation pour asseoir leur force sur des territoires et des populations. Ces accusations se situent au cœur des dynamiques sociales et politiques de l’Occident. (…) Elles viennent justifier des initiatives politiques. »
Il s’agit depuis de faire la part des choses entre ce qui apparait comme l’invention d’une hérésie par la royauté et par Rome, leur permettant de justifier une répression qui a bien eu lieu, et l’existence réelle d’une résistance des habitants du Midi à la volonté de l’Église romaine d’étendre son pouvoir et sa doctrine grégorienne.
- Alessia Trivellone, L’Hérétique imaginé : hétérodoxie et iconographie dans l’Occident médiéval, de l’époque carolingienne à l’Inquisition, Brepols, 2010
- Julien Théry, Le Livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, CNRS, 2022
Références sonores
- Extrait de l’émission La caméra explore le temps, mars 1966
- Archive INA de René Nelli au sujet de la coiffure des cathares, France Culture, 1969
- Lecture par Frédérique Labussière de la chanson de la croisade albigeoise, composée par Guillaume de Tudèle, entre 1208 et 1219
- Extrait du film Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud, 1986
- Archive INA d’un micro-trottoir sur la définition des cathares, France 3, 21 janvier 1998
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020
Lien : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/heretiques-l-invention-des-cathares-1740738
Commentaires
Comme d’habitude, les négationnistes anti-cathares tentent à tout prix de noyer le public sous des informations biaisées et malhonnêtes, par le biais de médias grand public, comme l’audiovisuel et les expositions. Bien entendu, ils n’ont jamais accepté de se soumettre à la critique de leurs pairs et préfèrent attendre la mort de ceux qu’ils dénigrent (Duvernoy, Nelli, Roquebert) ou la retraite d’autres (Brenon, Cazenave, etc.) pour éviter de dévoiler leur escroquerie intellectuelle.
J’ajoute à mon propos quelques éléments d’analyse proposés par Michel Roquebert, historien du catharisme, amplement réputé :
« À nous de méditer maintenant sur cette nouvelle méthode, celle de la nouvelle histoire, qui consiste :
- à disqualifier a priori la preuve, donc à ne rien en déduire, si ce n’est le contraire de qu’elle semble dire.
- à forger une thèse que l’on pose, non comme hypothèse, mais comme une vérité objective, si cohérente qu’elle semble être une conclusion déduite des sources alors qu’elle n’est qu’un pur a priori.
- à s’efforcer de couler dans ce moule préfabriqué (la non-existence de l’hérésie, si ce n’est comme simple effet du discours clérical) tout le donné historique, y compris les sources, même si elle résistent comme un chat qu’on veut faire entrer dans une boite à chaussures, ce qui est le cas des sources inquisitoriales.
Cette méthode semble découler d’une curieuse manipulation du langage. »
Concernant l’appellation « cathare » qui fut largement employée par l’Église de Rome, comme le remarquent Mme Trivellonne et M. Théry, elle ne le fut effectivement pas par les cathares eux-mêmes qui s’appelaient « consolés », « revêtus » ou tout simplement « chrétiens ». Leurs croyants les appelaient communément « Bons chrétiens » ou « Bonhommes ».
Une fois de plus je cède la parole à M. Roquebert qui a recensé les utilisations du mot « cathare » pour désigner les hérétiques du Midi occitan.
Tout le monde sait, depuis longtemps, que les hérétiques de cette Provincia qu’on nommera Languedoc ou Midi de la France ne se sont jamais appelés entre eux « cathares ». De là à croire que personne ne les a appelés ainsi, il y a loin ! Rappelons les sources qui montrent que le mot était loin d’être inconnu quand il s’agissait de désigner les hérétiques du pays d’Oc :
1°) – Canon 27 du IIIe Concile œcuménique du Latran (mars 1179) : « Dans la Gascogne albigeoise, le Toulousain, et en d’autres lieux, la damnable perversion des hérétiques dénommés par les uns cathares (catharos), par d’autres patarins, publicains, ou autrement encore, a fait de si considérables progrès… » (Texte dans J.D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. XXII, 231 .Traduction française par Raymonde Foreville dans Histoire des conciles œcuméniques, Paris, l’Orante, 1965, t. VI, p. 222.)
2°) – Le 21 avril 1198, le pape Innocent III écrit aux archevêques d’Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone, Lyon, et à leurs suffragants : « Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares (catari), patarins… ». Or cette bulle pontificale s’adresse à des prélats qui sont tous en exercice au sud de la Bourgogne ; il est bien évident, comme le notent d’ailleurs les plus récents éditeurs allemands de la correspondance d’Innocent III, que le mot de ., catari est dès cette époque une Allgemeinbezeichnungfùr die Hâretiker des 12. und 13. Jh,, une appellation générique pour désigner les hérétiques des XIIe et XIIIe siècles, et appliquée ici à ceux du pays d’oc. (Texte dans Migne, Patrologie latine, t. 214, col. 82, et dansO. Hageneder et A. Haidacher, Die Register Innozens ‘III, vol. I, Graz/Cologne, 1964, bulle n° 94, p. 135-138. Cf. p. 136, note 4).
3°) – Dans le Liber contra Manicheos, attribué (sous les réserves formulées par Annie Cazenave) à Durand de Huesca, on trouve : « … les manichéens, c’est-à-dire les modernes cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… » (« … manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur. » Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p.217.)
4°) – On a confirmation, à la fois, de l’emploi du mot « cathares » à propos des hérétiques languedociens, et de sa signification générique, puisqu’il s’adresse aussi aux cathares d’Italie et « de France », dans la Summa de Rainier Sacconi ; après avoir dénoncé les erreurs de l’Eglise des cathares de Concorezzo, l’ancien dignitaire cathare repenti, entré chez les Frères Prêcheurs, titre un des derniers paragraphes de son ouvrage : Des Cathares toulousains, albigeois et carcassonnais. Il enchaîne : « Pour finir, il faut noter que les cathares de l’Eglise toulousaine, de l’albigeoise et de la carcassonnaise tiennent les erreurs de Balesmanza et des vieux Albanistes » etc. (« Ultimo notendum est quod Cathari ecclesiae tholosanae, et albigensis et carcassonensis tenent errores Belezinansae. … », Summa de Catharis, édit. Franjo Sanjek, in Archivum Fratrum Praedicatorum, n° 44, 1974.)
5°) – On citera enfin le théologien cistercien Alain de Lille, qui enseignait à Paris, mais qui fit vers 1200 un séjour à Montpellier. Ce fut alors, vraisemblablement, qu’il écrivit sa Summa quadripartita, cette « Somme en quatre parties » intitulée Sur la foi catholique, qu’il dédia au seigneur des lieux, Guilhem VIII. S’il a pris soin, dans le Livre I de son ouvrage, de rechercher l’étymologie du mot cathare afin d’en saisir le sens exact, c’est que ce mot lui était familier, mais ne manquait pas de l’intriguer. Rien n’indique cependant, dans son texte, qu’il parle uniquement d’hérétiques étrangers au pays où il séjourne. Le plus probable même, c’est qu’il s’est intéressé à ce vocable parce qu’il l’a entendu prononcer à propos des hérétiques locaux.
La chaîne France Culture, comme l’Histoire et Historia avant elle, s’est laissée berner et diffuse une émission à sens unique.
Éric Delmas, Président de Culture et études cathares.