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Castelnaudary

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Castelnaudary

Présentation

Castelnaudary, est une petite ville située au Nord-Ouest du département de l’Aude. On la considère depuis le XIVème siècle, à la suite de Laurac (-le-Grand [11]), comme la capitale du Lauragais. Elle se trouve au cœur de la vaste plaine du sud-est du toulousain, entre les premiers contreforts de la Montagne Noire, et les collines de la Piège ; c’est un carrefour sur les axes Toulouse-Carcassonne, et Tarn-Ariège. Au cours du Moyen-âge, elle à été, comme toutes les localités alentour, un important foyer du catharisme, où de marquants événements se sont déroulés lors de la fameuse « affaire Albigeoise » (1208-1329).

Histoire

En 1211, pour éviter qu’elle ne serve de base et d’étape aux troupes croisées, la ville sera évacuée puis incendiée par Raymond VI qui tentera ainsi de freiner l’avance de l’ost catholique vers Toulouse. Cependant Simon de Montfort, mesurant la valeur stratégique du bourg, s’emparera de celui-ci et en fera réédifier les murs afin d’y établir une garnison. À la fin de l’été de la même année, suite à l’échec, fin juillet, du siège de Toulouse par l’armée francilienne, la coalition occitane passera à la contre-attaque. Ce faisant elle viendra faire le siège de.Castelnaudary ; où ses troupes et machines de guerre, camperont en un lieu (aujourd’hui le quartier Mauléon) non loin du castrum ; ce dernier étant alors occupé par la garnison de la place et les soldats croisés qui avaient abandonné Montferrand (11).

La population de la cité, quant à elle, devant le danger, préfèrera fuir la ville et rejoindra l’armada languedocienne. Simon de Montfort, installé à Carcassonne, voulant en découdre au plus vite, fit alors route à marche forcée vers la ville qui subissait un vague blocus, et n’était pas, — faute de plan de la part des Occitans — réellement attaquée. Le comte français, dans l’attente de secours qu’il avait envoyé mander, décida, par choix tactique, de s’y laisser enfermer. Commença alors une guerre de positions. À la nouvelle que le comte de Monfort était, pensait-on, emprisonné dans le castrum assiégé, toute la région environnante se souleva et se libéra (pour quelques mois uniquement) du joug des croisés. C’est alors que les renforts arrivant de Lavaur (81), seront interceptés par le comte de Foix. La bataille eut lieu (aujourd’hui signalée par un panneau didactique) entre les communes de Saint-Martin-Lalande (11) et Lasbordes (11), à quelques kilomètres de la cité chaurienne (Castelnaudary). Tournant dans un premier temps à l’avantage des coalisés, elle s’achèvera, après une intervention de chevaliers menés par l’intrépide chef catholique venu à la rescousse du convoi, sans vainqueur, ni vaincu. Presqu’aussitôt le comte de Toulouse, mettra un terme au siège, et par là même, à la contre-offensive qui l’avait amené sous les murs de la cité lauragaise, laissant ainsi Montfort maître de la place. Presque deux ans plus tard, Castelnaudary sera l’écrin d’un événement d’importance pour la famille de Monfort. Selon son souhait Amaury y sera armé chevalier. Sous une grande tente dressée sur une vaste prairie qui s’étendait aux pieds des remparts regardant les Pyrénées (aujourd’hui, le grand bassin du Canal du Midi), le fils sera adoubé par son père le 24 juin 1213, jour de la saint-Jean. Mais Amaury et Simon ne chevaucheront que peu d’années ensemble. Le 25 juin 1218 le chef de l’ost croisé sera tué au siège de Toulouse, laissant Amaury désemparé, et désormais chargé de la préservation des terres conquises ainsi que de la poursuite de la croisade contre les cathares. Cependant depuis 1216, les temps ont changé, les possessions des Montfort sont contestées par le jeune Raymond VII qui combat pour récupérer les domaines de ces ancêtres. C’est dans ce contexte de reconquista qu’au printemps 1220 ce dernier marche sur Castelnaudary et l’investit. Amaury de Montfort va réagir en venant assiéger la place, dont il s’était auparavant retiré et dans laquelle se trouve alors, de nombreux hérétiques qui s’y étaient réinstallés. Parmi eux se trouvaient le célèbre hérésiarque Guilhabert de Castres, et le diacre du Sabarthès Raymond Agulher, qui seront évacués par des chevaliers croyants cathares, au vu du risque encouru pour l’Église cathare s’ils venaient à être capturés. Au cours d’un des combats, qui n’ont pas manqué d’émailler ces huit mois de siège le chevalier et croyant cathare Raymond de Roqueville fut mortellement blessé et recevra le consolament (Consolation) des mourants par deux Bons-Chrétiens accourus à sa demande. En février 1221, de guerre lasse, Amaury lèvera le camp, pour se replier à nouveau sur Carcassonne. Cinq années passèrent. En 1226, le roi Louis VIII, décidant de rentrer à Paris, après avoir renoncé à prendre Toulouse, fit halte à Castelnaudary. Le bayle du comte de Toulouse d’alors, Pierre Marty, qui avait défendu la place lors du siège d’Amaury de Montfort, pris de panique, demandera l’asile à Bernard-Othon de Niort, qui le cachera quelques jours à Laurac, puis au donjon de Besplas. Il y rejoindra Guilhabert de Castres et quelques consolés qui s’étaient cachés là dès l’annonce de l’arrivée de la croisade royale. Puis la guerre contre les Albigeois se terminera en 1229 par la signature du traité de Paris. Les clauses de celui-ci prévoyaient la démilitarisation du comté de Toulouse. Certaines de ses places fortes devaient être démantelées, les autres, dont Castelnaudary, devaient être neutralisées. Pour son compte, la cité chaurienne sera occupée par des troupes royales pendant dix ans. Dix-huit mois plus tard la ville servira cette fois de lieu d’entrevue entre l’évêque de Tournai, Gauthier de Marnis et Raymond VII. Le nouveau légat du pape Honorius III, y rappellera pour lors fermement au comte de Toulouse ses manquements dans l’observance les modalités, concernant la lutte contre les hérétiques, du traité qu’il avait pourtant signé quelques mois plus tôt. L’année 1233, suite à l’échec de l’inquisition épiscopale établie en 1229, verra l’instauration de l’Inquisition papale confiée aux ordres mineurs. C’est au cours de leur tournée inquisitoriale en Lauragais, en janvier 1242, que les frères Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry, s’arrêteront à Castelnaudary. Ils se trouveront alors devant un véritable mur du silence de la part de la noblesse locale, qui avait pour s’assurer le mutisme de la population, lancé des menaces de mort à l’encontre de tout éventuel délateur qui serait démasqué. Malgré l’assassinat des inquisiteurs à Avignonet (28 mai 1242), Castelnaudary sera le théâtre, à la Pâques 1243, du bûcher, sur condamnation de frère Ferrer, d’un homme et de son petit-fils, deux hérétiques cathares de Montgaillard (31). Cependant, la ville et la région ne comptaient pas seulement que des hérétiques ; l’inquisiteur Hugues Amiel, qui officia dans la seconde moitié du XIIIème siècle, était lui aussi natif du bourg. Enfin le nom de Castelnaudary apparaîtra une dernière fois dans « l’affaire Albigeoise ». En 1319, une partie du procès du révolté moine franscicain Bernard Délicieux, accusé d’avoir soulevé le peuple contre l’Inquisition au cours de « la rage carcassonnaise », se tiendra dans la future capitale du Lauragais.

Intérêt touristique

Dans une tournée du catharisme en Lauragais, Castelnaudary est une étape importante. Il faut, pour ressentir l’ambiance qui régnait entre ses murs avant la croisade, se promener dans le quartier de la Baffe, où se trouvaient les ateliers tenus par les bons-hommes tisserands (métier de prédilection des cathares revêtus), qui dispensaient, tout en travaillant, l’enseignement de la « nouvelle » croyance. Puis votre déambulation dans la vieille ville, vous mènera peut-être près de l’endroit où la noble et célèbre bonne-femme Blanche de Laurac (11) administrait en personne une maison hérétique dans laquelle des novices féminines se préparaient à recevoir, au bout d’un long cheminement spirituel, le consolament d’ordination. Au contraire, se balader du côté du Présidial, c’est flâner où se dressait le château médiéval, c’est alors imaginer la fièvre, l’âpreté et la violence des sièges et des combats ; avoir aperçu les vestiges des remparts, c’est avoir eu la vision des affrontements et des assauts où tant d’occitans se battirent pour défense de leur liberté, de leurs terres, de leur civilisation, mais aussi de leur foi !

Au-delà du catharisme

Si vous êtes accompagné de personnes moins motivées par le catharisme, vous avez d’autres choses à voir à Castelnaudary :

Le réservoir du Canal du Midi, récoltant les eaux de la Montagne Noire, en complément du lac de retenue de Saint-Ferréol où vous pourrez louer une «pénichette »  pour une balade bucolique.

Le cassoulet de Castelnaudary, plat emblématique de la région dont l’origine est fortement disputée entre Toulouse, Carcassonne et Castelnaudary, avec une légère préférence pour ce dernier. En plus de vous régaler de ce plat complet, directement hérité des plats paysans médiévaux (sans les viandes), vous en étudierez l’histoire et pourrez en emporter quelques boîtes à consommer chez vous.

© Bruno Joulia 2023

Saint Félix Lauragais

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Saint Félix Lauragais et le concile cathare de 1167

Le village de Saint-Félix-Lauragais (Caraman au Moyen-Âge), se situe au Nord-Est du département de la Haute-Garonne. Il est planté au bord d’un plateau qui domine la plaine lauragaise de Revel, face à l’extrême pointe Ouest de la Montagne Noire. Occupée de tout temps, la position, alors ancien castrum Wisigoth, verra au Xème siècle l’édification d’un château. Ce dernier sera constitué, comme beaucoup de forts de l’époque, d’un donjon qui permettait une surveillance de tous les horizons et de remparts, aux pieds desquels se formera un bourg.

Peut-être est-ce dans cette petite forteresse que se tint le concile cathare en 1167. Après constat de l’importance de la prégnance de la «nouvelle» spiritualité, il fallait que lors d’une rencontre de ses hérésiarques, décision fut prise d’instaurer de structurer ou réorganiser de véritables églises.

Le choix du lieu de la tenue d’une l’assemblée se porta sur Saint-Félix en raisons, de sa position au cœur du Lauragais, à peu près à égale distance des importantes villes de Toulouse, Albi et Carcassonne et de sa sécurité qui pouvait être assurée par Guillaume, seigneur du lieu, vassal du Vicomte Trencavel, et fervent sympathisant Cathare lui-même.

Sous la présidence du pope Nicétas (Niquinta) évêque des Églises bogomiles (ou cathares d’Orient) venu expressément de Constantinople. Il y fut

réglé un problème de bornage d’évêchés, y fut créé de nouveaux diocèses, et y fut procédé à de nouvelles ordinations. Cependant le fait majeur qui résulte de ces assises, est la reconnaissance par les Églises cathares d’Orient, des Églises cathares occitanes. Dès lors l’ensemble de ces dernières sera perçu comme une sorte de contre-Église face à l’Église catholique romaine.

Mais le concile ne résume pas à lui seul l’histoire de la période cathare du village.

Malgré l’arrivée de l’ost croisé en 1209, le bourg est toujours en 1211, le siège d’un diaconnat dont le diacre, un certain Bouffil, originaire des Cassès, est  également le soci (compagnon) du diacre Guiraud de Gourdon, seigneur de Caraman.

Preuve du nombre important des croyants hérétiques à Saint-Félix et ses environs.

Peut-être est-ce le prétexte dont se saisit Simon de Montfort pour détruire le village et son château.

Ce dernier sera reconstruit ultérieurement.

Toutefois les habitants du bourg ne vont pas manquer de réagir dès la première occasion.

Quelques semaines plus tard, Saint-Félix et tout le pays alentour, apprenant la nouvelle du siège de Castelnaudary, dans lequel Simon de Monfort s’était laissé enfermé par choix tactique, se soulèveront et chasseront l’occupant français.

Néanmoins, la liberté retrouvée ne va durer que peu de temps ; au printemps 1212, les renforts reçus par les croisés, leur permettront de récupérer rapidement les localités qui s’étaient révoltées à l’automne de l’année précédente.

Et les campagnes militaires suivirent leurs cours.

En 1226, à l’annonce de l’arrivée de la croisade de Louis VIII en Languedoc, Saint-Félix, et une quinzaine de localités et châteaux de son terroir, feront l’objet d’un singulier marché.

Raymond VII comptant résister à l’ost royal, inféodera la contrée Saint-Félicienne au comte de Foix en contre-partie du ralliement de celui-ci à sa cause ; cela n’empêchera toutefois nullement le fier seigneur ariègeois d’aller offrir sa soumission au roi, assiégeant alors la ville d’ Avignon, qui… la refusera !

Puis, c’est en 1229, mettant fin à vingt ans de guerre, la signature de la paix de Paris.

La proclamation de celle-ci, suivie de la nouvelle de la venue du légat pontifical avec de nombreuses troupes à Toulouse, décidera le célèbre évêque hérétique Guilhabert de Castres, alors à Saint-Paul-Cap-de-Joux à prendre la fuite. Il sera amené clandestinement, par des passeurs, dans un cammas proche de Saint-Félix d’où il repartira accompagné et toujours sous protection, pour gagner le château d’Albédun (aujourd’hui le Bézu) dans le Razès.

Alors arrivera le temps de l’inquisition.

En 1242 les frères Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry en tournée inquisitoriale, passèrent à Saint-Félix comme dans la plupart des bourgs du Lauragais.

Malgré le danger, le village et ses alentours seront ultérieurement le terrain des tournées pastorales de Bernard de Mayreville descendu de Montségur, assurer la fonction de diacre du secteur.

L’année 1245, après le massacre des inquisiteurs (Avignonet 1242) et la chute de Montségur (1244), verra la reprise et la poursuite par le dominicain Bernard de Caux de la grande enquête d’Inquisition en Lauragais. Elle ne sera pas couronnée de succès concernant Saint-Félix, diaconnat cathare ; sur cent soixante et onze personnes interrogées, seulement huit firent de maigres aveux.

Deux ans plus tard, le comte de Toulouse, Raymond VII, ayant récupéré ses droits sur le Lauragais, confiera à Sicard Alaman, administrateur de ses possessions, la tâche de reconstruire Saint-Félix selon les plans des bastides nouvellement crées, comme Tournon-d’Agenais ou Castelnau de Montmirail.

C’est la ville que nous voyons aujourd’hui, formée de deux rues parallèles et du nouveau château, érigé avec des parties de l’ancien.

Enfin en 1255 l’Église cathare occitane en exil en Lombardie, s’alarmant de l’absence totale de diacre en Lauragais, instituera dans cette fonction un certain Aymard qu’elle enverra aussitôt exercer en Vielmorès.

S’il est un site relatif au catharisme qu’il faut voir en Occitanie, c’est celui-ci. La visite du village de Saint-Félix est assurément indispensable. Au regard du concile qui s’y est tenu en 1167, certains considèrent l’endroit comme étant le berceau de l’hérésie en Occitanie. Pour qui adhère à la spiritualité Cathare, se rendre à Saint-Félix-Lauragais, c’est pourrait-on dire, réaliser en quelque sorte un pèlerinage.

Bruno Joulia, © 2023

Verdun-Lauragais

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Verdun-Lauragais

Toujours dans le Lauragais, à huit kms à l’est de Labécède se trouve planté sur une presqu’ile rocheuse, à l’instar de Minerve (34) et de Montolieu (11), cernée par la petite rivière le Tenten au nord-est et le ruisseau la Goutine au sud-ouest, le village de Verdun-Lauragais. Il se situe à 315 mètres d’altitude sur le flan méridional de la Montagne Noire, face aux Pyrénées et dominant la vaste plaine de Castelnaudary. Son relatif isolement n’empêchera nullement de le préserver de l’ancrage du catharisme lors des XIIème et XIIIème siècles, en faisant même, au contraire, un des derniers saillants de celui-ci en Lauragais au tout début du siècle suivant.

Ce n’est qu’en 1152 que les fils d’Hugues de Saissac, annoncent à leur suzerain Raymond Trencavel (le vicomte d’Albi, Carcassonne, Béziers) avoir pris la décision de la fondation d’un castrum au lieu de Verdun. Le site est alors entouré de remparts et pourvu de deux portes (que l’on devine encore de nos jours), la porte d’aval et la porte du Cers.

Le castrum aura, comme tous les castrums du Lauragais de cette époque, sa maison d’hérétiques cathares, où les jeunes gens du bourg venaient apprendre à tisser et s’instruire en religion.

L’opération militaire contre les albigeois (1209-1229) ne génèrera aucun événement à Verdun. Malgré les instaurations successives des inquisitions épiscopales (1229) et dominicaines (1233), il faudra attendre le début des années 1240, pour que le nom du castrum soit par l’entremise de son bayle, associé à un acte de violence. Sur incitation de ce dernier et du collecteur de dimes, une dizaine d’habitants de Caraman tendront une embuscade au curé de Vitrac (81) et son clerc. Le prêtre parviendra à s’enfuir, mais le clerc sera assassiné et jeté dans un puits. Nous ne savons rien sur les suites (s’il y en a eu) de cette affaire. Faute d’informations, nous ne pouvons que supposer la quiétude du village et de ses abords immédiats, pour les quelques années qui ont suivi cet événement vengeur…

Néanmoins, nous apprenons, qu’en l’an 1254, Raymond Donati, de son nom en religion Montouty, diacre cathare de Toulouse, prêchait dans un bois proche de Verdun. La même année, peut-être à seulement quelques jours ou semaines de distance des prédications, hasard ou coincidence ?, l’inquisition perquisitionne le castrum. C’est alors, en ces tragiques moments, que des croyantes de Dreuilhe et de Verdun vont annoncer, aux parfaits du lieu qui se cachaient au bord de la rivière le Tenten, leur départ imminent pour l’Italie afin de s’y faire ordonner ; le Lauragais ne disposant plus à cet instant de diacre pour conférer le sacrement.
L’opération terminée, trois des « héréticus perfectus » qui s’étaient préservés de l’intervention inquisitoriale, sachant ne plus pouvoir retourner chez les croyants, seront cachés et ravitaillés pendant deux mois dans les environs du castrum. Puis l’un d’eux se terrera encore quelques temps au lieu-dit les Pierres Blanches, tout près du bourg. Il s’appelait Guillaume Carrère. Après avoir mené une douzaine d’années durant, la vie clandestine d’un parfait de son temps, découragé, il finira par abjurer volontairement sa foi hérétique auprès de l’inquisition.

La pression du tribunal de la foi s’accentuant, nombre de verdunois et verdunoises choisiront l’option d’aller chercher refuge en Lombardie, à l’exemple du natif du castrum, le parfait Bernard Ollier vu en la ville de Pavie, et que l’on retrouvera avec rang d’évêque, à Sirmione par la suite. Pour l’anecdote, il avait été de ceux qui avaient soutenu Guillaume Carrère, quand celui-ci se cachait dans les bois du village.

En 1305, une nouvelle et grande rafle sera ordonnée par l’inquisiteur Geoffroy d’Ablis, elle aboutira à l’envoi de dix-huit habitants du castrum au mur (prison inquisitoriale) de Carcassonne. Elle permettra également à l’enquête de se mettre sur la piste de l’église des frères Authier, dont les membres avaient rendu de fréquentes visites aux bons croyants et bonnes croyantes du bourg.
Quatre ans plus tard, la traque des disciples de Pierre Authié se poursuivant, c’est l’arrestation de l’un d’eux, Amiel de Perles, dans une borde dans les environs de Verdun. Parmi les soutiens actifs des Bons Chrétiens de la dernière église Cathare Occitane des frères Authié, figuraient trois fidèles issus du castrum, Guilhem Falquet, Pèire Bernier et sa femme Serdane, preuve, s’il en est, de la résistance de la population verdunoise à la répression inquistoriale. Pèire Bernier, sera lui, après avoir été arrêté et condamné comme relaps, les inquisiteurs disaient « comme un chien retourne à son vomi », un des cinq brûlés originaires de Verdun, des 25 cathares exécutés à Toulouse entre 1308 à 1321.

Verdun, nous venons de le voir, de par son histoire, est une étape incontournable pour qui voudrait sillonner « les routes du catharisme » en Lauragais. Sur place, vous pourrez y constater la configuration remarquable du castrum, dont les contours sont parfaitement adaptés à la topographie du lieu. L’hérésie albigeoise y a été particulièrement présente et ses adeptes singulièrement fervents. De grands noms du Catharisme, y ont séjournés, y ont prêché, y ont consolé, s’y sont réfugiés… 800 ans plus tard, l’endroit transpire encore leur présence. C’est un haut lieu du catharisme qu’il faut absolument visiter.

Bruno Joulia – Peyrens (11400) ©2023 (texte et photos)

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Le Mas-Saintes-Puelles

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Le Mas-Saintes-Puelles

Le Mas-Saintes-Puelles est aujourd’hui, une modeste commune située dans le département de l’Aude. Elle est nichée, à quelques kilomètres à l’Ouest de Castelnaudary, au pied des premières collines de la microrégion de la Piège, en bordure de la grande plaine lauragaise. Au cours des XIIème et XIIIème elle a été un haut-lieu de l’hérésie Albigeoise.

Rappels historiques

Dans l’Occitanie, du XIIème et du tout début du XIIIème siècles, les prélats de l’église catholique romaine, prédateurs, corrompus, n’assurant plus leur tâche, permettront, en ne donnant plus l’exemple de la probité, du détachement du temporel et de la charité, l’implantation et la diffusion du catharisme.
La petite noblesse rurale d’alors, dans un large ensemble, se détournera de la grande Église et adhèrera par conséquent sans réserve à la secte prêchant la « nouvelle » foi. La famille seigneuriale du Mas ne fit pas exception à la règle ; comme nombre de membres de la caste nobiliaire de cette époque, la châtelaine Garsende, deviendra bonne femme, c’est à dire ordonnée dans la contre-Église Albigeoise, et tiendra maison hérétique en son fief. Sa vie terrestre s’achevera, après une long sacerdoce, sur le même bûcher que celui de sa fille Gailharde, elle aussi parfaite, peu avant 1245. C’est également dans son village natal que l’on verra officier un parfait du nom de Raymond du Mas, avant son départ, en raison de la pression grandissante de l’Inquisition, pour le refuge pyrénéen de Montségur. Il en descendra avec rang de diacre pour le Vielmorès, mais pour peu de temps, car sentant les filets du tribunal de la foi se resserrer dangereusement, il décidera de fuir en Lombardie (Italie). Quant aux seigneurs et chevaliers, qui n’avaient pas choisis la vêture, ils prendront le parti des armes. À l’image de Jourdain du Mas, le petit-fils de Garsende, ils résisteront aux envahisseurs croisés puis à l’inquisition. En 1242, la famille seigneuriale du Mas s’impliquera grandement, comme de juste, dans le massacre des inquisiteurs à  Avignonet (31). Afin que le chef du commando descendu de Montségur (09), Pierre-Roger de Mirepoix, puisse diriger l’opération en toute quiétude, elle mettra à sa disposition le petit castrum d’Antioche (proche de Payra-sur-l’Hers 11410). De là partira la troupe chargée de la besogne, dans laquelle seront compris le jeune noble du Mas et ses cousins massogiens, Jourdain et Bertrand de Quiders. Le forfait commis, le commando retournera à sa base emmenant avec lui Jourdanet (surnom de Jourdain du Mas) vers son exil pyrénéen. Mais sa destinée va très vite le rattraper; il trouvera la mort en défendant le refuge cathare lors du siège de celui-ci par les troupes royales en 1244. Parmi les soixantes victimes connues, sur un peu plus de deux cent selon les témoignages, du bûcher qui suivit la chute du pog, figurent Raymonde Barbe, fille de dame Na Rica du Mas-Sainte-Puelles, et le parfait Pierre du Mas originaire du bourg éponyme. Par la suite, les enquêtes inquisitoriales menées après de ce tragique épisode, révèleront que Jourdain le vieux, le père du jeune héros Jourdanet, à été, également et évidemment pourrait-on dire, croyant des hérétiques. Bertrand de Quiders, pour sa part, affirmera plus tard s’être enfui en Lombardie grâce à l’argent que lui aurait donné le comte de Toulouse Raymond VII (soupçonné d’être le commanditaire des assassassinats d’Avignonet) et Sicard Alaman (l’administrateur des possessions du comte). En 1285, pour réaffirmer son emprise trop longtemps contestée sur les âmes du Mas, l’Église catholique y fondera un couvent avec une grande Église, qu’occuperont des moines de l’ordre de Saint-Augustin. Preuve, s’il en est, de la place considérable qu’avait pris le catharisme dans le village. Le nom du bourg apparaîtra encore bien des fois dans les registres des enquêtes inquisitoriales qui se poursuivront jusqu’à la fin du XIIIème siècle et même après. Il résonnera à nouveau à l’occasion d’une péripétie qui se produira au début du XIVème siècle. En 1320 l’ancienne châtelaine de Montaillou (09), Béatrice de Planissolles, suspectée d’hérésie (cathare), sorcellerie, et blasphème sera sommée de comparaître devant le tribunal d’inquisition de Pamiers. Affolée, elle tentera désespérement de se soustraire des griffes de l’accusation en prenant la fuite; cependant recherchée avec zèle, elle sera retrouvée et arrêtée, au cœur du Lauragais, dans la petite localité du Mas-Saintes-Puelles où elle se cachait…

Sociologie du catharisme

L’histoire du catharisme est affaire de famille. La famille ou plutôt le clan seigneurial du Mas-Saintes-Puelles a été, peut-être plus que tous autres (Lanta, Laurac…), grandement empreint de l’hérésie Albigeoise. Plusieurs de ses membres ont même embrassé la «nouvelle spiritualité» au point de devenir des religieux de la contre-église hérétique. À leur exemple environ cinquante pour cent de la population du bourg a adhéré à la croyance dissidente. Un record absolu en Lauragais, mais aussi certainement au-delà. On ne peut prétendre avoir visité le Lauragais cathare, sans avoir fait une halte au Mas-Saintes-Puelles. Malgré les destructions qu’eut à subir le village au cours de son histoire, on peut encore y voir, comme menus témoins de cette époque, des vestiges du château, sur une partie desquels à été bâtie l’église (voir l’abside) et dont le sommet du clocher semble assis sur une des tours. Déambuler dans les rues du village (dont le nom de certaines nous rappelle le passé : rue des remparts, rue du couvent…), c’est marcher sur les pas des cathares, s’en rapprocher autant que faire se peut, sentir leur présence par delà les siècles… .Encore un site, pour qui s’intéresse à la célèbre hérésie, absolument incontournable.

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Labécède-Lauragais

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Labécède-Lauragais

Le village se trouve au Nord-Ouest du département de l’Aude, sur les premiers contreforts de la Montagne Noire, à 306 mètres d’altitude. Il campe sur un promontoire, enserré entre une dépression de terrain à l’Ouest et le cours de l’Argentouire à l’est, d’où l’on voit, au sud, la grande plaine Lauragaise et l’étendue de la chaine des Pyrénées. Cette particularité topographique explique par elle-même l’existence d’un castrum au moyen-âge, suite d’une occupation ancienne. Comme toutes les communautés villageoises lauragaises, de plaine ou de montagne, Labécède n’échappera pas, du XIème au XIIIème siècle, à l’apparition et à l’implantation du Catharisme.

Sa situation géographique privilégiée en fera un lieu de villégiature et de refuge de grandes figures de l’hérésie, et sera peut-être même une des raisons pour laquelle on en fit le siège d’un diaconat de l’église dissidente.

La première mention qui faisant état de la présence d’un cathare revêtu à Labécède est celle d’Arnaud Jougla (vers 1205) qui enseigne ses fils dans les préceptes hérétiques. Son fils Pierre, et son épouse Ava, deviendront à leur tour parfait et parfaite, mais Pierre ne le restera cependant que quelques années.

Toujours au sein du castrum, sont également attestés en ces temps de paix, les hérétiques Raymond de Recaut, Pierre Guilhem, ainsi qu’une communauté d’une dizaine de bonnes femmes, preuves évidentes, de la bonne vitalité du catharisme en cette période et dans ce secteur du Lauragais, épicentre de l’hérésie.

Mais cela ne va malheureusement pas durer…
En 1209, le pape Innocent III, voyant la foi catholique menacée par cette nouvelle spiritualité, fera, suite à l’échec des prédicateurs catholiques pour ramener les égarés à l’Église de Rome, appel aux armes pour l’éradiquer.
Une tempête de fer et de feu va s’abattre sur les terres Occitanes et en changer à jamais la destinée (principalement le comté de Toulouse et la vicomté de Béziers, Albi, Carcassonne).

Le quotidien des hérétiques va s’en trouver considérablement bouleversé. Ceux qui en auront le temps, fuiront les zones de combat et d’occupation, les autres entreront en clandestinité.
Malgré une situation de plus en plus difficile, la menace militaire, les bûchers (140 bons hommes et bonnes femmes périssent à Minerve (34) en 1210, 400 parfaites et parfaits brûlés à Lavaur (81) en 1211 et 60 cathares brûlés à Les Cassés (11) la même année), l’église Cathare va continuer de prêcher, d’ordonner, de consoler. Même dans les pires moments, et ce jusqu’aux derniers de ces membres, elle n’abandonnera jamais ces fidèles…

C’est dans ce contexte, qu’en 1215, le diacre Bernard de la Mothe siège à Labécède-Lauragais. Il réside alors avec un autre hérésiarque de la contre-église albigeoise, Guilhabert de Castres, fils majeur du patriarche cathare Gaulcem, évêque du toulousain, lequel, loge également d’ailleurs, en compagnie de son coadjuteur.
Devenu à son tour patriarche cathare du toulousain, l’illustre Guilhabert, malgré sa nouvelle charge, continuera à séjourner régulièrement dans le bourg, avant son départ définitif pour Montségur en 1232, car l’église Cathare y possédait une maison. C’est dans celle-ci qu’il recevra Guiraud de Gourdon, diacre de Caraman, cousin du grand seigneur Occitan Bernard-Othon de Niort, sous la protection du seigneur du lieu, Pagan, et de Trèsemine de Roqueville.

Néanmoins il n’y avait pas que des hérétiques qui rendaient visite et séjournaient au castrum. Vers 1226, Arnaud Baro, chapelain de Saint-Michel de Lanès venait ainsi s’assoir à la table des parfaits de Labécède, quand il n’en invitait pas, parfois, à la sienne.
Mais, ce qui était pour certains un havre de paix, un refuge, ou un foyer spirituel était pour d’autres, une verrue dont il fallait se débarrasser.
Pour plaire à la couronne de France, Humbert de Beaujeu, sénéchal de Carcassonne, pris la décision de liquider ce nid d’hérétiques ; il vint en faire le siège durant l’été 1227.
La garnison du castrum qui avait été renforcée l’année précédente par Raymond VII, était alors commandée par les chevaliers Olivier de Termes et Pons de Villeneuve. L’armée française comptait, elle, dans ses rangs, puisque l’affaire regardait aussi l’église de Rome, l’archevêque de Narbonne et Foulques, l’évêque de Toulouse. Ce dernier, qui vint une fois à passer devant les remparts, s’entendit crier au loin par les assiégés : « Voilà l’Évêque des démons ! »
Alors ceux qui l’accompagnait lui dirent :
« — Entendez-vous qu’ils vous appellent l’Évêque des démons ? »
« — Oui ! Répondit messire Foulques, et ils disent la vérité ; car ce sont des démons et je suis leur évêque ! »

Cependant, les machines de guerre frappèrent si bien les remparts, les habitations et firent tant de dégâts, que la place ne put résister. Chevaliers, soldats, et habitants s’enfuirent nuitamment.
Le lendemain, une brèche ayant été ouverte dans les fortifications, l’assaut fut donné. Tous ceux qui n’avaient pu s’échapper furent massacrés. La plupart au moyen de l’épée, les autres à coup de pierres, à l’exception toutefois, des femmes et des jeunes enfants, sauvés grâce au zèle de l’évêque catholique. Quant aux hérétiques et à leur diacre, Géraud de la Mothe, frère de Bernard, devenu fils majeur du légendaire Guilhabert de Castres, ils furent livrés aux flammes.
En 1229 la paix fut enfin signée. Le traité de Paris entérina la défaite occitane. Une de ses clauses prévoyait la remise de places fortes au roi de France ; le castrum, en raison de sa situation et de son passé, fut du nombre.

On crut que le catharisme, ferait désormais parti du passé à Labécède-Lauragais.
Il n’en fut rien. Dès 1231, quelques cathares s’y réunirent à nouveau, sous l’égide du seigneur Pons de Saint-Michel. Parmi eux se trouvait un clerc, Guillaume Raymond qui, à cette occasion, lut le Nouveau Testament, que les hérétiques expliquèrent dans leur prêche, à l’assemblée.
L’année suivante, seront capturés, une nuit, dans la forêt de Labécède, Pagan, son ancien seigneur faydit devenu parfait et dix-neuf sectaires, par Raymond du Fauga, le nouvel évêque catholique de Toulouse, et le comte Raymond VII. Sous la pression de l’église romaine, ce dernier se verra contraint de prononcer à leur encontre, la peine du bûcher.
Puis, à la suite de l’Inquisition épiscopale, qui ne donna pas, finalement, les résultats escomptés, vint le temps de l’inquisition dominicaine.
Cette dernière à peine instaurée, en 1233, le castrum aura les « honneurs » de la visite des frères Guillaume Arnaud et Pierre Sellan qui sillonnaient alors la région à la recherche d’hérétiques.

Pendant que certains enquêtaient au grand jour, d’autres prêchaient dans l’ombre.
C’est en cette époque, que l’est, le sud-est du Lauragais et Labécède, seront les théâtres des prônes secrets, jusqu’à sa capture par l’abbé de Saint-Papoul en 1241, du diacre cathare Guillaume Vital. La vie terrestre de l’hérétique s’acheva probablement par le supplice du feu, en la ville de Toulouse.

Début du XIVème siècle, en l’an 1305, le dominicain Geoffroy d’Ablis, à la recherche des membres de la petite église cathare de la reconquête des frères Autier, ordonnera une rafle des populations de Prunet, Verdun et… Labécède-Lauragais qu’il fera déporter pour interrogatoires, au siège du diocèse inquisitorial de Carcassonne.
Cette fois-ci, le catharisme, moribond car mortellement blessé, s’éteignit lentement à Labécède comme en Lauragais.

Les évènements liés au catharisme qui se sont déroulés dans ce petit village de la Montagne Noire lauragaise, donnent à celui-ci une réelle et incontestable importance historique. C’est toutefois aujourd’hui, un lieu tombé dans l’oubli, auquel il faut cependant se rendre. Hors des circuits touristiques traditionnels, il est resté un site authentique, qu’il est grandement recommandé de visiter. On peut encore y voir de grands pans des fortifications, la porte nord robustement assise, couronnée d’une salle de guet, une place nommée place de la brèche (par laquelle les croisés auraient donné l’assaut), les murs d’enceinte du castellas ou château-fort (aujourd’hui disparu) situés près de l’église, en dehors et en aval du village, au-dessus du moulin sur l’Argentouyre, une tour de guet (propriété privée) partie intégrante du système défensif du castrum.
Déambuler dans les rues de Labécède-Lauragais, c’est voir les allées et venues des silhouettes émaciées des hérétiques, entendre les prêches, les consolaments conférés, deviner la fureur et l’horreur des massacres, éprouver l’angoisse à la simple évocation de l’inquisition.

Allez à Labécède-Lauragais, une grande page de l’histoire du catharisme occitan vous y attend !

Verdun-Lauragais

Toujours dans le Lauragais, à huit kms à l’est de Labécède se trouve planté sur une presqu’ile rocheuse, à l’instar de Minerve (34) et de Montolieu (11), cernée par la petite rivière le Tenten au nord-est et le ruisseau la Goutine au sud-ouest, le village de Verdun-Lauragais. Il se situe à 315 mètres d’altitude sur le flan méridional de la Montagne Noire, face aux Pyrénées et dominant la vaste plaine de Castelnaudary. Son relatif isolement n’empêchera nullement de le préserver de l’ancrage du catharisme lors des XIIème et XIIIème siècles, en faisant même, au contraire, un des derniers saillants de celui-ci en Lauragais au tout début du siècle suivant.

Ce n’est qu’en 1152 que les fils d’Hugues de Saissac, annoncent à leur suzerain Raymond Trencavel (le vicomte d’Albi, Carcassonne, Béziers) avoir pris la décision de la fondation d’un castrum au lieu de Verdun. Le site est alors entouré de remparts et pourvu de deux portes (que l’on devine encore de nos jours), la porte d’aval et la porte du Cers.

Le castrum aura, comme tous les castrums du Lauragais de cette époque, sa maison d’hérétiques cathares, où les jeunes gens du bourg venaient apprendre à tisser et s’instruire en religion.

L’opération militaire contre les albigeois (1209-1229) ne génèrera aucun événement à Verdun. Malgré les instaurations successives des inquisitions épiscopales (1229) et dominicaines (1233), il faudra attendre le début des années 1240, pour que le nom du castrum soit par l’entremise de son bayle, associé à un acte de violence. Sur incitation de ce dernier et du collecteur de dimes, une dizaine d’habitants de Caraman tendront une embuscade au curé de Vitrac (81) et son clerc. Le prêtre parviendra à s’enfuir, mais le clerc sera assassiné et jeté dans un puits. Nous ne savons rien sur les suites (s’il y en a eu) de cette affaire. Faute d’informations, nous ne pouvons que supposer la quiétude du village et de ses abords immédiats, pour les quelques années qui ont suivi cet événement vengeur…

Néanmoins, nous apprenons, qu’en l’an 1254, Raymond Donati, de son nom en religion Montouty, diacre cathare de Toulouse, prêchait dans un bois proche de Verdun. La même année, peut-être à seulement quelques jours ou semaines de distance des prédications, hasard ou coincidence ?, l’inquisition perquisitionne le castrum. C’est alors, en ces tragiques moments, que des croyantes de Dreuilhe et de Verdun vont annoncer, aux parfaits du lieu qui se cachaient au bord de la rivière le Tenten, leur départ imminent pour l’Italie afin de s’y faire ordonner ; le Lauragais ne disposant plus à cet instant de diacre pour conférer le sacrement.
L’opération terminée, trois des « héréticus perfectus » qui s’étaient préservés de l’intervention inquisitoriale, sachant ne plus pouvoir retourner chez les croyants, seront cachés et ravitaillés pendant deux mois dans les environs du castrum. Puis l’un d’eux se terrera encore quelques temps au lieu-dit les Pierres Blanches, tout près du bourg. Il s’appelait Guillaume Carrère. Après avoir mené une douzaine d’années durant, la vie clandestine d’un parfait de son temps, découragé, il finira par abjurer volontairement sa foi hérétique auprès de l’inquisition.

La pression du tribunal de la foi s’accentuant, nombre de verdunois et verdunoises choisiront l’option d’aller chercher refuge en Lombardie, à l’exemple du natif du castrum, le parfait Bernard Ollier vu en la ville de Pavie, et que l’on retrouvera avec rang d’évêque, à Sirmione par la suite. Pour l’anecdote, il avait été de ceux qui avaient soutenu Guillaume Carrère, quand celui-ci se cachait dans les bois du village.

En 1305, une nouvelle et grande rafle sera ordonnée par l’inquisiteur Geoffroy d’Ablis, elle aboutira à l’envoi de dix-huit habitants du castrum au mur (prison inquisitoriale) de Carcassonne. Elle permettra également à l’enquête de se mettre sur la piste de l’église des frères Authier, dont les membres avaient rendu de fréquentes visites aux bons croyants et bonnes croyantes du bourg.
Quatre ans plus tard, la traque des disciples de Pierre Authié se poursuivant, c’est l’arrestation de l’un d’eux, Amiel de Perles, dans une borde dans les environs de Verdun. Parmi les soutiens actifs des Bons Chrétiens de la dernière église Cathare Occitane des frères Authié, figuraient trois fidèles issus du castrum, Guilhem Falquet, Pèire Bernier et sa femme Serdane, preuve, s’il en est, de la résistance de la population verdunoise à la répression inquistoriale. Pèire Bernier, sera lui, après avoir été arrêté et condamné comme relaps, les inquisiteurs disaient « comme un chien retourne à son vomi », un des cinq brûlés originaires de Verdun, des 25 cathares exécutés à Toulouse entre 1308 à 1321.

Verdun, nous venons de le voir, de par son histoire, est une étape incontournable pour qui voudrait sillonner « les routes du catharisme » en Lauragais. Sur place, vous pourrez y constater la configuration remarquable du castrum, dont les contours sont parfaitement adaptés à la topographie du lieu. L’hérésie albigeoise y a été particulièrement présente et ses adeptes singulièrement fervents. De grands noms du Catharisme, y ont séjournés, y ont prêché, y ont consolé, s’y sont réfugiés… 800 ans plus tard, l’endroit transpire encore leur présence. C’est un haut lieu du catharisme qu’il faut absolument visiter.

Bruno Joulia – Peyrens (11400) ©2023 (texte et photos)

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Visiter les sites liés au catharisme

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Visiter les sites liés au catharisme

Carte des «Pays de France» centrée sur le Sud-Occitanie (en blanc, la limite des départements)

Vous venez régulièrement vous informer à propos du catharisme et vous voudriez visiter les sites en rapport avec ce sujet.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur Internet pour comprendre que la plupart des sites sont essentiellement à visée commerciale et que leurs informations sont douteuses ou périmées.

Si vous avez visité ce site, vous avez pu comprendre que nos informations sont à la pointe de la recherche et que nos renseignements sont vérifiables et sourcés, quand ils ne sont pas carrément en avance sur les recherches universitaires.

Les circuits proposés ci-dessous sont réalisables en une ou deux journées à partir de n’importe quel lieu du circuit. Ainsi, vous pouvez réaliser un ou plusieurs circuit selon la durée de votre séjour chez nous.

L’auteur de ces propositions de promenades touristiques dans les territoires ayant été impliqués dans le catharisme et sa répression, en propose d’autres sur son compte Facebook.

Le Lauragais

Cette zone aux contours relativement flous, tire son nom d’un ancien castrum : Laurac, dont le seigneur en titre était une femme, Blanche de Laurac, qui se fit également consolée, c’est-à-dire cathare. Il faisait partie pour l’essentiel de l’évêché cathare du Toulousain. Voyez sur le plan ci-joint, ses limites approximatives.

Difficile de parler du Lauragais sans évoquer ces personnages qui émaillent les récits des historiens : Blanche de Laurac, Guiraude de Lavaur et son frère Aymeric de Montréal.
Les lieux aussi sont porteurs d’histoire : Laurac, qui donna son nom à la région, Labécède, Issel, Saint-Papoul, Verdun où les suspects d’hérésie se multiplièrent entre deux passages de l’Inquisition, etc.

Le Lauragais fut sans aucun doute au centre du catharisme médiéval, de Saint-Félix qui reçu le concile catharo-bogomile fondateur des Églises cathares du Languedoc à Avignonnet où fut commis un massacre qui déclencha le siège de Montségur qui en marqua la fin.
Si vous venez en vacances, nous vous conseillons de vous installer sur l’axe Revel-Castelnaudary autour duquel vous aurez de nombreux sites à visiter. En dehors du sujet du catharisme, la retenue de Saint-Ferréol, principal réservoir du canal du Midi de Pierre-Paul Riquet, vous offrira de quoi vous rafraîchir en famille et les abbayes de Sorèze et d’En Calcat (Dourgne) vous plongeront au cœur du chant grégorien.

Le Lauragais : Est et Sud-Est

Le Lauragais : Ouest et Sud-Ouest

Le Razès

Initialement inclus dans l’évêché cathare du Carcassès, dépendant de Carcassonne, il prit son indépendance lorsque les avancées de la croisade contre les albigeois (cathares) scinda le Carcassès, rendant les déplacements internes plus dangereux. Voici une carte très approximative de la zone concernée.

Du Razès au Pays d’Olmes

Sur le chemin cathare : la règle de justice et de vérité

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Sur le chemin cathare : la règle de justice et de vérité

Justice et vérité, rappelle Anne Brenon dans son fascicule « Les mots du catharisme », sont d’abord les attributs de Dieu lui-même. Cette voie, ou règle, rassemble donc les valeurs du Bien, celles des Préceptes qui forment la règle de l’Évangile. C’est la voie qui peut permettre le salut.
La Vérité, valeur cardinale cathare nous relie aux apôtres « ceux qui ne mentaient pas » en opposition à la fois, à l’Église catholique romaine, et au diable qui lui en a fait son essence première. On saisit, de prime abord , l’importance du voeu de vérité cathare qui est, me semble-t-il, le plus accessible et le plus fécond parmi les premiers voeux du croyant en chemin.
La justice, autre valeur suprême du Bien, s’exprime, elle, par l’Amour ou Bienveillance et la miséricorde à l’égard de toute vie et va produire la non-violence. Des fondamentaux de cette voie, les préceptes doctrinaux, on le voit, coulent de source.
La règle de justice et de vérité s’adresse à la conscience de chacun. Si elle est destinée à l’usage des Consolés, elle représente néanmoins le modèle moral essentiel à tout croyant cathare pour mettre en oeuvre sa spiritualité. C’est en étudiant tout d’abord, puis en adoptant progressivement chaque élément de la règle de justice et de vérité que tout croyant pourra cheminer vers son noviciat puis sa Consolation.
Cette règle chrétienne rappelle la ligne de conduite morale et sociale qui anime les chrétiens (ou Consolés) .
Je m’appuie, vous vous en doutez, sur les divers travaux de Guilhem pour effectuer mon propre travail.

L’Amour

Le commandement premier est, nous le savons tous, l’Amour, l’Amour universel, nommé Bienveillance par Guilhem, l’Amour tel qu’il est décrit par Jean .
Jean, (14. 34-35) « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

Il faut être dépourvu de toute étincelle divine pour ne pas comprendre et tenter d’appliquer, même si ce n’est qu’en discontinu, cette quintessence de la Parole. En tout être humain socialisé, existe la propension à aimer, à aimer ses semblables, à vouloir s’en rapprocher, à éprouver le besoin de partager. Mais la noblesse de l’âme, c’est de diffuser cet amour à tout instant, de manière constante, et à tout ce qui vit. C’est en même temps bannir la haine de son cœur. Face à la violence physique ou morale constatée ou subie, ne plus éprouver de haine : voilà un vrai défi à se donner ! Nous avons bien peu d’exemples concrets d’êtres humains ayant élevé ainsi leur âme spirituelle, alors que les transmigrations d’âmes sont notre lot.

Les cathares, selon l’exemple de Christ, se sont donné cette règle de vie, ayant compris l’importance de ce concept incontournable. Pratiquer la Bienveillance, c’est bannir la haine en nous, c’est par voie de conséquence bannir la violence inhérente à notre nature imparfaite. Cet unique chemin pour parvenir à notre bonne fin met bien en lumière en même temps la pureté de la quête et la difficulté à l’atteindre.

Cette Bienveillance émanation du principe du Bien, totalement ignorante de son contraire, est lisible à l’envi dans le Nouveau Testament :
Matthieu rapporte ces autres paroles de Jésus (5. 44-45) : « Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons… » Il s’agit bien de l’Amour universel prodigué par le principe du Bien, totalement ignorant de son contraire.

Il est important, me semble-t-il, de s’interroger sur notre position personnelle quant à ces deux versets. En toute sincérité, il nous apparaîtra assez vite qu’il sont déjà bien plus difficiles à appliquer que ce que pouvaient nous laisser croire les versets de Jean.
En effet, puis-je vraiment dire que je ne ressens plus de rancoeur à l’égard de la personne qui m’a blessée, que je n’éprouve aucune colère contre les actes de violence et d’injustice dont je suis témoin, ou encore aucune haine à l’égard d’un tyran agissant impunément au vu et au su de tous ? Je comprends alors très vite que la Bienveillance est un très long apprentissage, une quête sans fin mais aussi la lumière qui éclaire mon chemin. La Bienveillance n’étant pas de ce monde, elle y est toujours à parfaire.

Pour conclure cette réflexion sur l’Amour universel, je dirai que le plus beau texte que je connaisse aujourd’hui se trouve lui aussi dans le Nouveau Testament, dans la première épître de Paul aux corinthiens (13, 1-7) :

Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.
Quand j’aurais le don de prophétie, la connaissance de tous les mystères et de toute la science.
Quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.
Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien.
L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité, il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. »

De cette praxis de la Bienveillance deux applications directes en découlent. Nommés encore les fondamentaux, ce sont la non-violence et l’humilité.

La non-violence

Le concept de non-violence, lorsqu’on se donne la peine de l’étudier vraiment a vite fait de nous prouver nos limites . Qui en toute honnêteté peut se dire absolument « non violent » ? La réponse sans aucune ambiguïté est tout à fait incertaine.
Si la Bienveillance est si peu de ce monde, c’est bien parce que la violence en occupe presque toute la place. Il faut, je crois une longue pratique de maîtrise de soi et une grande humilité aussi pour résister à répondre à la violence. Ce qui nous permet par ailleurs de comprendre comment ces concepts fondamentaux se croisent, s’interpénètrent, s’enrichissent les uns les autres.
Il y a peu de Gandhi, peu de Térésa dans le genre humain !
En effet, qui peut sincèrement prétendre parvenir à cette injonction de Jésus ?

Matthieu, 5-39 : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »

Dans le catharisme, la violence légitime n’existe pas. Le cathare peut seulement s’interposer pour essayer de calmer la violence car il s’agit de pratiquer la non-violence absolue, c’est-à-dire qu’il s’agit d’évacuer tout concept de violence de notre nature spirituelle. C’est pour cela que si nous voulons vraiment nous assurer qu’aucune de nos actions ne puisse nuire à quiconque nous devons l’étudier consciencieusement. La tâche, alors, paraît vite insurmontable dans ce monde. Notre Bienveillance doit ainsi s’appliquer envers toute forme de vie consciente selon une graduation précisément décrite par Guilhem dans son article du 23 juin 2019 (Les fondamentaux de la doctrine et de la praxis cathare).

Si j’étudie sérieusement ma position personnelle quant à la violence, au-delà de mes inhibitions « naturelles » qui me font exclure, de manière générale, la violence physique sans effort particulier, je dois bien m’avouer que, guidée par la colère ou la révolte, je peux être violente par mes paroles et que malgré mon prétendu amour pour les animaux, je ne donne pas sa chance au moustique gênant, ne tolère pas l’araignée près de mon lit, et pis encore, j’ai fini par utiliser un répulsif pour chasser la taupe du jardin. Le constat moral est instructif : Je suis loin de pouvoir me prétendre non-violente .
C’est en pratiquant quotidiennement la non-violence, dans nos relations aux autres, comme dans notre alimentation, nos actes quotidiens, que nous pouvons ressentir la joie de cheminer vers la pureté désirée. Tout acte simple et volontaire de ne pas gaspiller, ne pas s’imposer, ne pas désirer, ne pas marquer notre passage est tellement libérateur !
Comme le rappelle Guilhem, pour le chrétien, « il ne suffit pas d’éviter tout acte violent à l’égard des animaux, il s’agit bien de ne plus consommer la chair animale. »
J’ai peur parfois de me tromper moi-même quant à la réelle valeur de mes avancées dans cette démarche.
Cesser de manger de la viande m’a demandé quasiment pas d’effort, et mon âme en est plus légère depuis dix ans, mais je n’ai toujours pas mis en pratique un régime végétalien et je bois du lait comme une enfant ! Ma tunique de croyante est cousue d’énormes paradoxes qui me donnent l’impression de ne gagner du chemin que dans la facilité, autant dire l’impression de ne pas avancer ou bien, au mieux, de ne pas avancer au rythme qu’il me plairait de tenir. Je ne perds néanmoins pas courage en me rappelant que l’impatience est un mal déguisé offert par le démiurge pour me faire chuter.
Consommer la chair animale participe de la violence cachée mais néanmoins réelle, puisque en mangeant cette chair, le mangeur devient complice de la maltraitance due à l’élevage intensif et de la mise à mort qui en résulte.
Pour ces mêmes raisons, le croyant ne peut se voiler la face, et doit lui aussi adopter le régime végétalien s’il veut pouvoir poursuivre son cheminement.

Quant à la violence que l’on peut ressentir pour nos semblables, elle se présente sous de nombreuses formes déclinant une impressionnante palette de sentiments créés par notre faible âme humaine, ou pire encore par notre ego.
Quand on entre dans le domaine des sentiments et de la psychologie, quand il s’agit par exemple d’oublier les conflits passés, d’apaiser des relations, de faire table rase de ces émotions que l’on sait subversives, on saisit très vite la faiblesse de notre âme mondaine et le pouvoir insoupçonné de notre égo.

Jésus nous rassure quand, emporté par sa colère, il chasse les marchands du temple.
Jean (3. 15-16) : « Alors s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les boeufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables ; et il dit aux marchands de colombes : « Ôtez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ». »
Bien sûr, il ne s’agit en aucun cas d’utiliser cet acte violent (unique par ailleurs) de Jésus pour nous dédouaner de nos propres actes de violence. Son geste de colère nous rassure dans le sens où il nous renvoie notre propre faiblesse, nous rappelle que la non-violence absolue, participe, comme les autres fondamentaux, à la mort de l’Adam en nous, et que cette mort libératrice ne peut se faire que lentement par une pratique consciente et permanente de notre part. La violence du monde « habite » notre tunique d’oubli sans que nous en ayons même conscience.

Nos ancêtres cathares médiévaux l’avaient bien compris quand ils s’attribuaient jusqu’à la faute de la violence inconsciente comme par exemple dans le fait d’écraser quelque insecte par mégarde.

L’humilité

Le deuxième concept fondamental de la règle de justice et de vérité est l’humilité.

Ce concept d’humilité, est illustré de nombreuses fois dans le Nouveau Testament, mais l’exemple le plus beau de cette vertu est, sans nul doute, la kénose du Christ telle qu’elle est comprise par la cosmogonie cathare. Ce signe d’humiliation individuelle de la part de Christ qui met de côté ses attributs divins en s’abaissant à l’état inférieur d’humain pour ne pas faillir à sa mission est, me semble-t-il, la quintessence de l’humilité. Il ne peut perdre son statut divin sans tomber sous l’emprise du Mal (exactement comme nous) mais il ne peut non plus révéler cette nature n’ayant aucune arme pour se défendre face à son adversaire. C’est ainsi qu’il prend une apparence d’homme sans se faire homme. Cette vision cathare a, en outre, l’avantage de questionner l’existence historique, encore jamais prouvée de Jésus (Docétisme).
La kénose signifie aussi, ne l’oublions pas, le refus, si important dans le catharisme, de toute hiérarchie.

« L’humilité, c’est refuser de se croire supérieur à quiconque […] Il s’agit de considérer que l’on est une parcelle de l’Esprit Unique tombée en ce monde, qui n’a rien de plus ou de moins que les autres, qu’elles soient tombées ou qu’elles soient demeurées fermes dans l’empyrée céleste. » rappelle Guilhem dans son prêche. Alors que Christ, dans son essence divine, a parfaitement réussi ce défi, serait-ce la puissance de notre ego qui nous maintiendrait dans l’incapacité  de pratiquer cette noble attitude ?

L’Évangile de Jean rappelle que nul n’est suffisamment pur pour ne pas être humble au service de ses semblables (13.12-15) : « Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ? Vous m’appelez le Maître et le Seigneur et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné: ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »

Le maître, en se mettant en position de serviteur, démontre donc la vanité des rapports hiérarchiques entre les humains tout en donnant l’exemple à suivre pour « épouiller » la vanité de notre tunique de chair. L’humilité devient alors la règle incontournable pour cheminer vers le Salut. C’est, précise Guilhem, ( 23 juin 2019 « Les fondamentaux de la doctrine et de la praxis cathare1 »,  « un état intérieur et personnel qui signifie la spiritualité » à mettre en opposition avec la vanité, expression, elle, de notre mondanité. Là encore, c’est par une constance vigilante que nous pourrons inverser ces valeurs en nous, car s’il est une vertu obsolète, voire dépréciée dans ce monde, c’est probablement l’humilité, et c’est donc seulement avec une conscience aigüe, en éveil permanent, que nous pourrons appréhender nos moindres erreurs. En cela, il est vrai que l’on peut comparer le cheminement du croyant au parcours du marathonien!
Si l’apprentissage de l’humilité est indispensable au croyant débutant pour éveiller sa spiritualité, elle  permet au novice de ne pas se croire trop vite arrivé, et devient à l’instar de la non-violence, partie intégrante du chrétien afin qu’il se maintienne en état de recevoir la grâce divine. L’humilité consiste aussi, pour le croyant débutant à prendre le temps nécessaire  à une véritable introspection afin de pouvoir apprécier le plus clairement possible sa position sur le  » chemin ». Bien peu pratiqué dans notre vie mondaine, cet acte pourtant essentiel n’est pas des plus simples. Il s’agit bien de faire honnêtement sa propre auto-critique, de démasquer notre ego afin de le mieux combattre.
Des actes plus simples d’humilité peuvent être pratiqués dans notre vie quotidienne et  nous aider à nous détacher de la vie mondaine ; prendre conscience de nos besoins essentiels et refuser d’entrer dans la course folle du consumérisme sans compter, faire attention à notre consommation d’eau quand on sait qu’elle se fait rare pour nos semblables sur certains points de la planète, et d’autres actions toute simples qui nous aident à ne pas « nous imposer » sur cette terre. Cela me gêne un peu , d’ailleurs, de  considérer ces petites actions quotidiennes comme des actes d’humilité, car ils apportent une réelle satisfaction lorsqu’ils nous font entrevoir  la liberté qu’ils nous font gagner. Pour bien appréhender ce qu’est l’humilité, je préfère me référer aux textes du Nouveau Testament, les évangélistes maîtrisant bien ce sujet. J’aime particulièrement relire certains passages utiles à l’appréhension de cette notion d’humilité.  Paul définit l’humilité en l’associant à la Bienveillance mais aussi à d’autres sentiments humains qui sont plus répandus, qui nous « parlent » peut- être plus comme la compassion et l’empathie, tout en rappelant que nous sommes tous égaux :

Lettre aux Éphésiens, 4. 1-3 : Je vous y exhorte donc dans le Seigneur, moi qui suis prisonnier : accordez votre vie à l’appel que vous avez reçu ; en toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour ; appliquez-vous à garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix.
Lettre aux Colossiens, 3. 12-14 : Puisque vous êtes élus, sanctifiés, aimés par Dieu, revêtez donc des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous les uns les autres, et si l’un a un grief contre l’autre, pardonnez-vous mutuellement, comme le Seigneur vous a pardonnés, faites de même, vous aussi.
Lettre aux Romains, 12.14-16 : Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord entre vous ; n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble.

Avec Luc, tout timide peut se reconnaître et reconnaître aussi que de son « handicap », il peut faire une force  à moindre frais.

Luc. 14. 7-11 : Jésus dit aux invités une parabole, parce qu’il remarquait qu’ils choisissaient les premières places ; il leur dit : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, de peur qu’on ait invité quelqu’un de plus important que toi, et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire : Cède-lui la place ; alors tu irais tout confus prendre la dernière place. Au contraire  quand tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu’à son arrivée celui qui t’a invité te dise : Mon ami, avance plus haut. Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi. Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse, sera élevé. »

Le timide ne fait pas de tel calcul, il ne se met pas à la première place, car il est timide, il manque d’assurance. Il a ainsi l’avantage de ne pas se croire, la plupart du temps en tout cas, au-dessus des  autres . Mais, de ce fait pour lui, il n’y a pas non plus, matière à se satisfaire  d’une épreuve évitée  « À  vaincre sans péril… » . Ce qui est rassurant sur cette difficile acquisition d’une telle vertu, c’est qu’elle découle directement de la Bienveillance. Si nous nous appliquons alors à faire grandir la Bienveillance en nous, notre humilité, à son tour, devrait grandir en chemin. Ce qui m’interroge davantage et me met en garde contre mes propres  faiblesses, ce sont les associations faites par notre Chrétien :
Il faut associer à  l’humilité constance et conviction pour cheminer vers le Bien.

La constance

La constance est une vertu qui m’est vraiment difficile à mettre en pratique. Étant fâchée avec le temps qui passe, dilettante incorrigible,  distraite par nature, je me disperse sans compter dans plusieurs lectures comme dans plusieurs actions à la fois au détriment de la qualité de mes engagements. Il m’est douloureux, au final, de me rendre compte que je n’ai pas mené à bien une simple petite règle que je m’étais donnée (par exemple sur mon régime alimentaire, sur l’organisation de mes lectures etc…) et J’ai beau jeu ensuite d’accuser ma faible nature. Or, si je ne cherche pas de moyen pour remédier à la situation d’échec qui en découle, je suis bien obligée de  constater que je n’avance pas dans mon cheminement. Comment combattre ses propres faiblesses ? Le sujet est inépuisable et passionnant. Trouver un palliatif dans ses propres ressources, une autre « qualité » qu’on est sincèrement sûr de posséder, au moins en partie, peut alors probablement nous aider. Je pencherais pour la fidélité, car je pense en effet  en être pourvue. Le chemin est devant moi.

La continence sexuelle

Depuis avril dernier, j’ai fait mien un autre élément doctrinal de la règle qui, encore une fois, ne m’a rien « coûté ».  Il est aisé en effet je pense,  la soixantaine passée, de pratiquer l’abstinence sexuelle, bien plus certainement que lorsqu’on est plus jeune. D’autant plus facile encore si l’on partage sa vie avec une âme-sœur. Il y a entre deux âmes-sœurs d’autres liens tout autres, moins vains, plus solides et continus.

Vous avez sûrement rencontré, vous aussi cette phrase (in « catharisme d’aujourd’hui ») : « Le détachement de l’appétence pour la sexualité  se manifeste de toute façon dès que le développement spirituel atteint un niveau où l’esprit devient premier. » Je ne veux pas me mentir en pensant que cela s’est produit ainsi pour moi. Je n’ai pas  atteint ce niveau spirituel. J’ai juste, au fond de moi ce vieux désir, devenu avec le temps, de plus en plus impérieux  de purification spirituelle.  

Le mensonge

Cet élément doctrinal sera le dernier que je me propose d’étudier pour le moment. Pour celui-ci, je peux parler d’une réflexion  très ancienne. Je me rappelle parfaitement que lorsque je découvris l’histoire des cathares pour la première fois, le fait qu’ils rejettent toute forme de  mensonge fut ce qui m’émut le plus, et je ne saurais dire pourquoi. Je n’ai pas vraiment prêté attention à ce que disent les évangiles à ce sujet, mais c’est bien mon père, empreint de culture judéo-chrétienne avant de la rejeter (en partie) qui m’a sensibilisée très tôt  à cette faute. Il est vrai que dans ma famille nous étions entourés de menteurs, et même de quelques mythomanes !  S’il a quitté cette terre depuis cinq ans, j’entends toujours aussi nettement sa voix : « Je hais le mensonge ! » Comme lui, je hais le mensonge, je peux même dire qu’il me coûte de mentir. Ma conviction profonde est, que c’est avant tout au niveau personnel que l’on doit analyser cet horripilant penchant. Il est facile de se mentir, en  tentant de  minimiser par exemple nos actions « douteuses », ou en   cherchant des excuses à nos erreurs,  dans le but d’ avoir la paix avec notre  conscience. La vigilance est de mise !  Quant à mentir aux autres, c’est leur manquer d’amour et/ou d’estime. Il me semble bien que chaque mensonge que j’ai pu faire m’a aussitôt coûté une douloureuse culpabilité. En ce qui concerne notre propre spiritualité, se tromper ou se mentir est bien probablement  le plus odieux des mensonges. Ma quête d’Amour et de paix est étroitement liée à la vérité, la vérité de mon être que je ne connais pas, la connaissance des autres et  de tout ce qui vit, avec l’espoir de réussir à  éliminer toute illusion mondaine ou mensonge.

Dans cette règle de justice et de vérité, il y a d’autres éléments qui me tiennent à coeur d’étudier, comme le détachement, la dépossession, le retrait du monde , ou encore l’ascèse. Mais, cet essai de mise à jour sur mon cheminement personnel me rappelle mes priorités, priorités pour lesquelles, (une chance pour moi!) mon enthousiasme ne faiblit jamais, à savoir mes chères études. Puissé-je puiser en elles la constance nécessaire pour continuer ma belle aventure sur mon chemin cathare.

Chantal Benne

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Le jeune homme et la Grand’Bête à tête d’homme

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Le jeune homme et la Grand’Bête à tête d’homme

Conte de J-F. Bladé (Contes populaires de Gascogne, tome I)

Cette histoire est de facture un peu différente de l’écriture habituelle de l’auteur, comme s’il avait ajouté de nouvelles couleurs sur sa palette.

 Plutôt que de dépeindre comme à son habitude les qualités physiques et morales de ses personnages dans une suite de pérégrinations variées aux difficultés graduées, il s’attache davantage dans ce conte à réaliser une peinture de mœurs et de caractères. Ce qui sous-tend le questionnement toujours actuel que l’on peut avoir sur des faits sociaux tels que le mariage, le pouvoir ou encore l’emprise de la culture et de la religion sur les mentalités. Le conteur ne se prononce pas, il conte et par son seul pouvoir de suggestion, il fait naître le questionnement, un peu comme dans le jeu des énigmes.

Les personnages du conte

Les humains…

Le héros ou « jeune homme ». C’est un orphelin, vivant seul dans sa maisonnette. « Il était beau comme le jour, fort et hardi comme pas un. Il était aussi tellement, tellement avisé, qu’il apprenait ou devinait les choses les plus difficiles ». Pour compenser sa solitude, le ciel l’avait donc doté de talents singuliers : une grande intelligence et le don de voyance, cette dernière « qualité » étant l’apanage des prophètes ou des guides. Or, on verra par la suite que c’est bien en quelque sorte le rôle qui est attribué à notre héros.

Il est déjà notable que si le héros classique de tout conte « subit » les épreuves comme un passage obligé dans le déroulement de sa quête, celui-ci a la force de caractère de choisir l’épreuve, et, de plus, aura le courage de la parfaire au moment venu, montrant ainsi un tempérament hors du commun. Ce jeune homme bien que pauvre « comme les pierres », est une personne totalement désintéressée par tout bien matériel comme par tout moyen de s’en procurer. Simple et pur, il ne montre que du détachement face aux conseils d’enrichissement de ses semblables ; il apparaît donc déjà bien seul parmi les autres. C’est finalement pour se donner une chance de pouvoir aimer et partager cet amour qu’il va accepter de se plier aux règles mondaines de l’acquisition des biens.

 Sa promise. Quelle pâle figure que cette fille de noble, qui sans dot doit se sacrifier au couvent ! Image type de la femme éternellement mineure, sa vie durant dépendante de l’homme, passant de l’obéissance à un père à la soumission à un époux la plupart du temps imposée, et n’ayant pour seul rôle social reconnu que celui d’engendrer de nombreux enfants. Elle remplira d’ailleurs correctement sa mission. Elle accepte sans hésiter d’épouser tout de suite le jeune homme et on ne peut s’empêcher de se demander quelles sont ces raisons ? Est-elle elle aussi tombée amoureuse ou bien tente-t-elle ainsi d’échapper au couvent ? Face à cette alternative exprimée clairement dans les paroles du jeune homme : « Demoiselle, entrez au couvent d’Auch. Mais ne vous engagez pas avant sept jours. Je vais tenter fortune. Si je meurs, prenez le voile noir, et faites-vous religieuse pour toujours. Si je reviens, j’aurai de quoi vous faire plus riche que les plus grandes dames du pays », face à cette alternative donc, elle choisit d’attacher son destin à ce miséreux inconnu, ce qui nous la rend sympathique car elle nous invite à penser qu’elle aussi, inspirée par l’amour, peut faire fi des convenances de la mondanité.

L’allié du héros. Ce conte à caractère religieux n’a pas besoin d’aller chercher très loin pour trouver une aide au héros. L’archevêque d’Auch est naturellement pour le jeune homme la référence incontournable. Avant de partir pour sa quête c’est donc lui qu’il va consulter.

 « Rien ne t’empêche de faire ce que tu dis. Agis donc à ta tête, puisque tu ne peux profiter d’aucun conseil ». L’archevêque, sachant le héros sous l’emprise de ses sens, va tenter de l’aider en le gratifiant d’informations supplémentaires et en anticipant l’épreuve qu’il connaît parfaitement. Il lui conseille donc de rester à tout instant maître de ses sentiments, d’utiliser son intelligence, de répondre avec mesure et prudence. Il devra en outre faire preuve d’humilité pour avoir un discernement précis de ses aptitudes avant de proposer à son ennemi de poursuivre l’affrontement. De cette introspection dépend la réussite de son entreprise. L’archevêque joue le rôle de guide pour le jeune homme, tel l’Esprit Paraclet que le cathare peut trouver dans la personne de l’Ancien ou dans celle du Consolé.

 « Prends et reviens vite, si tu te crois hors d’état de faire davantage. Reste, si tu te crois assez savant et dis : « Grand’Bête à tête d’homme, je n’ai fait encore que la moitié de mon travail. Tu n’as pas pu   m’embarrasser. Maintenant, c’est moi qui prends ta place. » Alors, tu lui feras trois questions, les plus difficiles que tu puisses imaginer. Si elle demeure muette, tu prendras ce couteau d’or, que tu vas cacher sous tes habits, pour ne le tirer qu’au bon moment. Tu saigneras la Grand’Bête à tête d’homme, tu lui couperas la tête, et tu reviendras vite, avec tout son or. »

 Ce dernier conseil nous prouve bien, si cela était encore à démontrer, que nous sommes bien dans le registre judéo-chrétien car un cathare ne prononcerait jamais de telles paroles, le Bien n’ayant pas de mal à opposer au Mal.

Le seigneur de Roquefort.

 Il symbolise à lui tout seul la mondanité, la vanité de la matière, les richesses corruptibles de ce monde et les contraintes qu’elles génèrent, tout ça en quelques lignes : « Mon père est parti ce matin, pour chasser avec mes deux frères. Il n’est pas encore rentré […] Par malheur, mon père n’est pas riche. Tout son bien doit aller à mes frères. Moi, j’entre demain dans un couvent d’Auch. »

Les habitants de Castres, les frères de la promise, etc.

Leur existence n’est précisée que pour donner de la vie, de la profondeur de champ à la société suggérée, mais aucun n’a de rôle significatif.

Les créatures hybrides

La Grand’Bête à tête d’homme

Les créatures hybrides, qualifiées le plus souvent de « monstres » ou de « démons », présentes dans les contes, les légendes et les mythologies du monde entier sont bien pratiques pour symboliser le Mal. Celle-ci nous surprend, tout d’abord par son manque d’épaisseur. Le conteur initial a-t-il pris un malin plaisir à ne pas vouloir trop la décrire afin que chaque auditeur puisse se la représenter à sa manière ? Le texte nous suggère quand même quelques pistes que j’ai tenté d’explorer.

Un simple rappel avant de « filer » sur des chemins hasardeux : en biologie, un être hybride provient d’un croisement de variétés, de races ou d’espèces, exemples ; le bardot qui est le croisement du cheval avec une ânesse, la mule qui est celui de l’âne avec la jument. L’imagination humaine, dans la création de ses histoires, est allée beaucoup plus loin. Je n’ai retenu que trois exemples dans la multitude de ces créatures mythologiques car notre conte emprunte à chacun d’eux des éléments bien précis, soit dans la physionomie de la créature, soit dans ses actes, soit encore dans les circonstances de l’action.

Dans l’épopée de Gilgamesh[1], le héros affronte un couple d’hommes-scorpions, à l’entrée d’un défilé. Le rôle de ces créatures était de garder le défilé des Monts-jumeaux, profond et obscur, que le soleil empruntait chaque jour pour venir éclairer le monde. C’est précisément ce passage que contrôlent les hommes-scorpions, apostés là pour empêcher quiconque de passer et c’est précisément par ce défilé que doit passer Gilgamesh pour continuer son voyage. De même la grotte pour le jeune homme est un passage obligé pour faire fortune. Dans les deux récits ce couloir dangereux à traverser est une métaphore du passage du monde à l’Autre Monde, ou passage du connu à l’inconnu (cf. Alice au pays des merveilles tombant dans le puits), ou encore passage du matériel au Spirituel au cours duquel le héros périt ou trouve le Salut. Ces créatures effrayantes, Grand’Bête ou hommes-scorpions sont là pour mettre le héros à l’épreuve, l’aider en quelque sorte à se révéler : c’est le moment où il doit faire montre de toutes ses qualités ; la détermination, la volonté, le courage, la sincérité, et l’humilité pour pouvoir sortir vainqueur de l’épreuve. C’est son « propre moi », sa conscience, qu’il affronte alors avant d’atteindre la dimension spirituelle nécessaire à sa libération.

Dans le mythe d’Œdipe, Œdipe lui aussi affronte une créature hybride : le sphinx ou plus exactement la sphinge. C’est bien d’elle d’ailleurs que la Grand’Bête semble surtout s’être inspirée et pour plusieurs raisons : comme la sphinge elle pose une énigme (ou plusieurs, les versions diffèrent), qui, si elle n’est pas résolue, entraîne la mort, comme la sphinge elle est androphage. Mais les similitudes ne s’arrêtent pas là. Les héros, eux aussi, curieusement se ressemblent : le jeune homme orphelin arrive à cette grotte par amour, Œdipe, abandonné enfant par ses parents à cause d’une prophétie, arrive à Thèbes par amour pour ses parents adoptifs (pensant les épargner de cette funeste prophétie.)

Enfin, nous le verrons plus tard, deux énigmes sur les trois sont empruntées au mythe d’Œdipe. Comme la Grand’Bête dans sa grotte, les hommes-scorpions à l’entrée du défilé, la sphinge à l’entrée de Thèbes (envoyée, selon plusieurs versions, par un dieu pour punir ses habitants de leur impiété) elle aussi joue le rôle de gardien.

Fidèle à l’imagerie des êtres de la montagne selon le bestiaire propre à J-F. Bladé, la Grand’Bête à tête d’homme est grande, anti-chrétienne, friande de chair humaine, riche d’un or inutile, et semble posséder de précieux secrets (cf. L’herbe bleue, L’homme de toutes couleurs.)

Elle a des griffes comme la sphinge mais une tête d’homme. La sphinge, quant à elle, a un corps de lionne, une queue de scorpion, des ailes d’aigle et la tête et le buste d’une femme.

Le lecteur est libre finalement d’imaginer la Grand’Bête à tête d’homme à sa façon, fauve comme la sphinge, ou sauvage comme un centaure.

 Les centaures, personnages que l’on peut encore avoir la chance de croiser dans les contes modernes (cf. le centaure Firenze dans Harry Potter à l’école des sorciers) furent immortalisés par les plus grandes plumes de l’Antiquité ; Ovide, Virgile, Pindare et Homère en ont tous parlé. On peut donc aussi imaginer la Grand’Bête sous les traits d’un centaure car comme eux elle a une tête d’homme.

Les centaures étaient des hybrides à tête, buste et bras d’homme sur un corps de cheval. Vivant dans les montagnes de Thessalie et d’Arcadie, ils étaient prétendus fils d’Ixion, roi des lapithes. Pour Homère (premier chant de l’Iliade) les centaures des montagnes étaient les plus braves des combattants. Se nourrissant de chair crue, vivant dans une ivresse permanente, esclaves de leurs sens, ils symbolisaient la violence naturelle et la sauvagerie dont le peintre Rubens a fait une allégorie saisissante en les imaginant dans les deux genres (Les amours des centaures, env. 1635).

Deux centaures atypiques sont parvenus cependant à se distinguer ; Chiron, le seul centaure immortel, connu pour sa sagesse (précepteur de plusieurs héros dont Achille, Héraclès, Asclépios, les Dioscures) et Pholos, le centaure ami d’Héraclès.

Finalement, ce qu’il nous suffit de savoir quant à la Bête, c’est que c’est bien elle qui symbolise ici le Mal dans tout ce qu’il a de primaire, de sauvage et de corrompu. Elle pourrait encore tout aussi bien être la caricature d’une monstrueuse idole païenne telle celle évoquée dans l’Exode : Le veau d’or ; « Aaron reçut l’or de leurs mains, le fit fondre dans un moule et fit une statue de veau ; alors, ils dirent : « Voici ton Dieu, Israël, celui qui t’a fait monter du pays d’Égypte. » […] Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, ils offrirent des holocaustes et apportèrent des sacrifices de communion… »

L’épreuve.

 Dans le conte qui nous intéresse ici, comme dans le mythe d’Œdipe, comme dans la mythologie moderne de J-R-R. Tolkien (Le hobbit : un voyage inattendu) l’épreuve se déroule toujours de la même façon. Si le héros échoue, il sera anéanti, dévoré par la créature androphage. Si le héros se montre plus fort que la créature, il pourra aller au bout de sa quête.

L’archevêque prévient : « Tu seras mangé tout vif, si tu demeures muet. »

L’avertissement est le même dans le conte de Tolkien. Gollum, le hobbit métamorphosé par l’anneau maléfique propose au héros, Bilbo : « Si le trésor (lui, Gollum) demande et que ça (Bilbo) répond pas, nous le mangerons, mon trésor. Si ça nous demande et que nous ne répondons pas, nous donnons un cadeau, Gollum. »

Les énigmes posées par la Grand’Bête.

Énigme 1 : « Il va vite comme les oiseaux, plus vite que le vent, plus vite que l’éclair.

Le jeune homme n’hésite pas une seconde pour répondre : « L’œil va plus vite que les oiseaux, plus vite que le vent, plus vite que l’éclair. »

Énigme 2 : Le frère est blanc, la sœur est noire. Chaque matin, le frère tue la sœur. Chaque soir, la sœur tue le frère. Pourtant, ils ne meurent jamais. »

Cette fois encore, le jeune homme répond sans peine : « Le jour et la nuit. »

Dans le mythe, cette énigme rarement évoquée, ne se différencie de la version gasconne que par le genre des substantifs, jour et nuit étant tout deux féminins en grec. Il s’agit donc bien d’un emprunt, l’original étant : « Il y a deux sœurs ; l’une donne naissance à l’autre, et elle, à son tour donne naissance à la première. »

Énigme 3 : «  Il rampe au soleil levant, comme les serpents et les vers. Il marche à midi sur deux jambes, comme les oiseaux. Il s’en va sur trois jambes au soleil couchant. »

Encore un nouvel emprunt au mythe d’Œdipe pour cette troisième énigme que la sphinge formulait ainsi : « Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois jambes le soir ? »

La réponse ne se fait pas attendre : « Quand il est petit, l’homme… »

La Grand’Bête respecte alors le contrat/ « Prends la moitié de mon or. »

Mais le héros décide à ce moment précis, sans aucune hésitation, de poursuivre l’affrontement. Si la Grand’Bête ne peut répondre, il aura la possibilité de la faire disparaître à jamais, libérant ainsi ses semblables de la violence. C’est un moment de grande solitude qui va déboucher sur une décision irréversible. C’est le « lâcher-prise » qui ne tolère aucun retournement, aucune erreur possible non plus. Le jeune homme doit rassembler toutes ses connaissances pour inventer les énigmes qui pourront être insolubles tout en restant humble pour garder la clairvoyance de ses aptitudes. Ce lâcher-prise selon le concept cathare est nommé dans le vocable ethnologique la liminarité, que nous aborderons un peu plus loin.

Les énigmes posées par le jeune homme.

Ses deux premières énigmes sont vraiment sibyllines et régies, semble-t-il, par des règles autres que celles proposées dès le début du ‘‘jeu ’’. Les limites de l’imaginaire sont repoussées, la Grand’Bête est piégée.

La naïveté de l’image du monde représenté de manière linéaire, avec ses deux bouts, peut nous faire sourire tout en nous donnant une possible indication sur les premières moutures de ce conte. On pourra aussi rester longtemps perplexe sur les réponses proposées à ces deux premières énigmes qui semblent plutôt à des ‘‘mises en abyme d’énigmes’’ suscitant de nouvelles questions. Qui peut être ce roi couronné qui ne voit rien venir ? Et ce grand corbeau noir, savant muet vieux de sept mille ans ?

Pour parfaire sa victoire sur le Néant et l’obscurantisme quoi de plus évident pour le héros que d’aller chercher sa dernière énigme dans la Passion ? La Bête aurait-elle une infime chance d’y répondre, étant « dépourvue d’âme » et de foi ? Pour cela, elle sera d’ailleurs enterrée sans être accompagnée d’une prière.

Énigme 3 : « Dis-moi ce que chante le rossignolet sauvage le Vendredi saint. Dis-moi ce qu’il chante le Samedi saint. Dis-moi ce qu’il chante au soleil levant, le jour de la Pâques. »

Bien entendu, cette mécréante de Bête n’est pas en mesure de répondre, et reste donc muette.

La  mort de la Grand’Bête ou la fin d’un temps et le début d’un autre.

Dans le conte comme dans le mythe, le perdant doit disparaître.

Le jeune homme tue la créature, Œdipe tue la sphinge, ou bien la sphinge se suicide en se jetant de son rocher, ou encore elle se dévore elle-même selon les diverses versions.

L’important est que la créature, symbole d’un autre temps, disparaisse. Le jeune homme, à l’instar d’Œdipe, peut être reconnu comme une figure de liminarité, contribuant à effectuer la transition entre les anciennes pratiques religieuses païennes représentées par la mort de la Grand’Bête (de la sphinge dans le mythe), et l’arrivée du christianisme (des nouveaux dieux de l’Olympe pour le mythe).

L’épreuve de l’énigme se trouve ici être pour le héros un rite de passage tel que l’a conceptualisé Arnold Van Gennep[2].

Les rites de passage, selon la définition de l’ethnologue, accompagnent les changements de lieu, d’état, d’occupation, de situation sociale, d’âge. Ils rythment le déroulement de la vie humaine « du berceau à la tombe ». Ce rite se déroule en trois étapes qui se succèdent :

La première étape est la séparation de l’individu par rapport à son groupe : le jeune homme part seul dans la grotte pour affronter la créature. Œdipe, quittant ses parents, part seul pour Thèbes. On peut rapprocher ce moment à celui de l’éveil du croyant cathare, seul face à sa ‘‘découverte’’.

La deuxième étape est la liminarité : c’est la période pendant laquelle l’individu n’a plus son ancien statut et pas encore son nouveau : le jeune homme n’est plus le pauvre mais il n’est pas encore riche. Œdipe a fui le trône de Corinthe mais il sera roi de Thèbes.

Cette étape transitionnelle est un moment crucial du rite, car elle est caractérisée par l’indétermination. Il s’agit de réussir ou de mourir. Dans la perspective cathare, nous dirons plutôt qu’il s’agit de choisir, soit de se préparer pour sa « bonne fin », soit de risquer de nouveaux errements vers une nouvelle et énième transmigration. C’est le moment du choix en pleine conscience, du premier possible ‘‘lâcher-prise’’.

Sur le chemin cathare, le « lâcher-prise » est un long, très long processus qui commence à l’éveil et peut se poursuivre ensuite par étapes successives et différentes selon la foi et la détermination de chacun(e).

La troisième étape est la réincorporation, c’est-à-dire le retour de l’individu parmi les siens avec un nouveau statut : le jeune homme désormais riche peut épouser sa belle. Œdipe sera proclamé roi.

Le croyant cathare, quant à lui, poursuit son chemin dans la mondanité en prenant soin de garder cette petite flamme intérieure et   fragile toujours allumée, et, en s’efforçant de la faire grandir.

La mort de la Grand’Bête, telle qu’elle nous est contée, est saisissante par sa sauvagerie et son réalisme cru. Si elle est là pour marquer la fin du paganisme, c’est dans une surenchère de détails qui ne sont pas sans rappeler la violence aveugle telle qu’elle apparaît dans « La victoire » d’Andrea Mantegna où l’on voit David brandissant la tête de Goliath.

Surenchère de même dans les paroles de la Bête mourant comme un guerrier viking et s’exprimant comme un oracle antique. Il faut se rappeler à ce sujet que les créatures de la montagne dans la mythologie propre à J.-F. Bladé, bien que dangereuses pour l’humain, savent une fois vaincue se montrer ‘‘bienveillantes ’’ en prenant le temps d’aider leur vainqueur avant de disparaître (cf ; Corps sans âme dans « L’homme de toutes couleurs »).

« Bois mon sang. Suce mes yeux et ma cervelle. Ainsi, tu deviendras fort et hardi comme Samson, et tu ne craindras personne sur terre. Arrache-moi le cœur… » Nous pouvons nous épargner la suite. Ce ‘‘syncrétisme ’’ final est d’autant plus déroutant que nous aurions pu espérer un comportement plus raffiné de la part d’un vainqueur de la ‘‘barbarie’’. Lorsqu’il fait manger le cœur cru de la Bête à son épouse, on se retrouve de nouveau face à la foi chancelante du peuple juif qui avec le « veau d’or » retourne à ses anciennes idoles.

Les lieux du conte.

Du Gers au Pyrénées, nous sommes bien dans ‘‘le pays” de J.-F. Bladé.

L’histoire commence à Castres, lieu de résidence du jeune homme et se poursuit dans la région de Auch, via le château de Roquefort où habite sa promise. Il se rend ensuite à la cathédrale de Auch avant de commencer sa quête. L’intrigue se passe dans la montagne, lieu de prédilection pour les aventures (les Pyrénées) et le nœud de l’histoire se déroule dans la grotte, autre lieu tout aussi riche de sens.

Les villes de Castres, d’Auch et le château signifient seulement la situation initiale du conte, la mondanité au quotidien. La montagne et la grotte sous-tendent une sémantique beaucoup plus profonde.

La montagne, très présente dans les contes de J.-F. ? Bladé, représentée la plupart du temps comme hostile à l’humain, est le lieu possible de tous les dangers, lieu privé de couleur où domine la durée et l’obscurité : « Trois jours après, il arriva dans un pays désert, dans un pays sauvage et noir, où les eaux tombent de mille toises, où les montagnes sont si hautes, si hautes, que les oiseaux n’y peuvent voler, et que la neige n’y fond jamais. » La quête ne peut être un ‘‘long fleuve tranquille’’, la recherche entreprise exige la rupture avec la quiétude du quotidien paisible. Puisqu’il s’agit de devenir autre, de se révéler à soi-même, pour se débarrasser de « sa tunique de chair » il faut aussi abandonner ce qui la nourrit.

Luc, 9. 23-24 : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. »

La grotte est le lieu du dénouement de l’intrigue. On le sait déjà, c’est sous la terre, monde chtonien, que se trouvent les passages pour se rendre d’un monde à l’autre.

Les cavernes, les puits, les grottes et les souterrains sont, en outre, des entrées vers un univers peuplé de créatures inquiétantes, fantastiques qui gardent des trésors : Grand’Bête à tête d’homme pour notre conte, dragon chez Tolkien, griffon chez Flaubert[3], la littérature fourmille de ces êtres imaginaires.

On l’a vu plus haut, c’est dans ce lieu de passage et de transition que se dénoue l’intrigue à partir de laquelle naîtra le nouvel ‘‘être” et commencera un nouveau temps.

En partant de l’idée grecque de Gaïa, la déesse terre mère des races divines, et en étudiant l’assimilation de la grotte à la matrice (bien connue, dit-elle, en sciences des religions), Anne Marchand[4] a souligné la symbolique de renaissance représentée lors de la sortie de la grotte. C’est bien le cas du jeune homme de notre conte : il sort « autre ». Ayant accompli sa mission de ‘‘guide’’ pour ses semblables, il a ouvert la voie à un autre monde libéré du Mal. Cette interprétation est, on le voit bien, complètement catholique, car les cathares savent bien que chaque être ne peut suivre que son propre chemin, mais tout en sachant que tout le long de ce chemin il est essentiel de partager le seul et unique bien ; l’Amour universel.

N. B. :

 Pour ceux qui n’auraient pas vu, ou lu « Le hobbit : un voyage inattendu », voici deux des trois  énigmes posées par Gollum :

« Sans voix, il hurle, sans aile, il voltige, sans dent il croque, sans bouche, il chuchote. »

« Cette chose, toute chose dévore ; oiseaux, bêtes, arbres, fleurs. Il réduit les cailloux en poussière. Il détruit les rois et détruit les villes. Qui est-ce ? »

Chantal Benne le 25 juillet 2022


[1] Présentation de Bertrand Audouy, rédacteur en chef de Mythologies magazine (Edito n°49) : « L’épopée de Gilgamesh est une œuvre composite transmise oralement puis rédigée sous de nombreuses versions, initialement en sumérien entre le IIIe et le IIe millénaire avant notre ère. Ce serait le plus ancien récit de l’histoire humaine connu à ce jour.
Gilgamesh, jeune roi tyrannique de la cité d’Uruk, impose une domination totale sur son peuple pour satisfaire ses propres plaisirs. A lui seul, il incarne ce pouvoir absolu, cette hybris propre aux autocrates qui ne parviennent pas à s’imposer de limites. Repoussant la passion dévorante de la déesse Ishtar, soumis aux aléas de l’amour et de l’amitié, le héros lutte contre lui-même. Euphorique des exploits accomplis avec son ami Enkidu, (ils tuent Humbaba, le géant de la Forêt des Cèdres, combattent le taureau céleste, etc.) il est à la mort de son compagnon saisi par le doute, et va entreprendre une quête sur le secret de l’immortalité. Accéder à la sagesse en acceptant son statut de mortel, tel sera l’enjeu de son voyage en solitaire. ».
Gilgamesh, lors de son voyage va rencontrer les rescapés du Déluge. Nous avons ici la preuve que ce mythe est bien antérieur à l’A.T.

[2] Arnold Van Gennep (1873-1957) ethnologue folkloriste fut le fondateur du folklore en tant que discipline scientifique. Œuvres essentielles : « Les rites de passage : étude systématique » 1909 et « La formation des légendes » 1910.

[3] Gustave Flaubert : « Je suis le maître des splendeurs profondes. Je connais le secret des tombeaux où dorment les vieux rois. Leurs trésors sont rangés dans des salles, et plus bas, bien au-dessous des tombeaux, après de longs voyages au milieu des ténèbres étonnantes, il y a des fleuves d’or avec des forêts de diamant, des prairies d’escarboucles, des lacs de mercure. Adossé contre la porte du souterrain et la griffe en l’air, j’épie de mes prunelles flamboyantes ceux qui voudraient venir. La plaine immense, jusqu’au fond de l’horizon est toute nue et blanchie par les ossements des voyageurs… » in « La tentation de saint Antoine », 1874.

[4] Anne Marchand : auteure, conteuse et conférencière a publié plusieurs ouvrages de Contes et légendes aux éditions Hesse.

Le dragon doré

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Le dragon doré

Ce conte fonctionne comme un conte-formulaire. Le conte-formulaire est caractérisé par une phrase (ou plusieurs) répétée (s) d’un un bout à l’autre par le personnage principal. Mais les contes-formulaires souvent n’ont pas de fin. Ce qui n’est pas le cas de celui-ci. On peut le classer dans les contes merveilleux, à forte connotation spirituelle avec plusieurs références à la mythologie grecque.

Le titre quant à lui est trompeur car il n’y a aucun dragon dans ce conte. Le terme dragon[1] désigne à l’origine les militaires se déplaçant à cheval mais combattant à pied, bien que certaines périodes de l’histoire aient fait déroger à cette règle dans leur attitude de combat.

Les personnages du conte.

Les parents du prince ont pour rôle de présenter la situation initiale du conte, situation de bonheur partagé et de paix : « Riches et heureux, ils avaient un fils beau comme le soleil, honnête comme l’or et hardi comme Samson » (la phrase rime en gascon).

Le héros est donc le gentilhomme « parfait » à épouser, beau, aimable et courageux.

Un deuxième héros, toutefois est à considérer : le Grand Cheval Ailé, sans qui Dragon Doré n’irait pas bien loin.

Personnages réels et fabuleux coexistent donc dès le début de l’histoire.

Le Mal est personnifié par le Maître de la Nuit, personnage fictif lui aussi, qui peut abuser de ses grands pouvoirs maléfiques, mais uniquement la nuit. La nuit, signifiée ici par son côté obscur comme temps éminemment dangereux, se trouve être toujours malencontreusement le moment de la fuite pour nos héros. Ce sinistre personnage, sadique et cupide, a en outre des auxiliaires tout aussi puissants que lui. Ce sont « tous les Diables de l’Enfer » qu’il peut à tout moment appeler à la rescousse. Sa nature est clairement définie par le fait qu’à l’instar de « Corps sans âme » (personnage rencontré dans « l’Homme de toutes couleurs ») il est condamné à vivre jusqu’au jugement dernier, pour ne pas ressusciter. Nous sommes bien face au Diable. Bien plus redoutable que ce pauvre « Corps sans âme » il est sûr de vaincre, de s’approprier la Demoiselle, et prêt à inventer tous les supplices pour qu’elle flanche et fasse chuter son promis.

Le Bien est personnifié par le grand cheval-volant. Lui aussi, personnage fictif, nous rappelle bien sûr le divin cheval blanc ailé, Pégase[2]. Se déplaçant aussi vite qu’un éclair, connaissant le langage humain comme celui des oiseaux, il déjoue les pièges du Diable, informe, enseigne le héros : il se révèle, en fait, être son guide spirituel.

Le Bien a aussi ses auxiliaires ; les hiboux et chouettes effraies, à la physionomie particulière des animaux censés pouvoir jouer des rôles distincts, voire contradictoires comme on l’a déjà remarqué chez J-F. Bladé. Bien que faisant leur sabbat, ces animaux inquiétants car nocturnes, juchés au sommet du grand chêne, s’avèrent être une aide précieuse pour Grand cheval-volant qui chaque fois, en les écoutant deviser, apprend où la Demoiselle est retenue prisonnière. Gageons que leur savoir est utilisé dans un sabbat de magie blanche !

 Le chêne, lui aussi participe du merveilleux bienveillant : c’est toujours au pied d’un chêne que le héros est invité à se reposer et dormir en toute quiétude avant chaque nouvelle épreuve. On a déjà eu un aperçu de la valeur que J-F. Bladé donne au chêne. Non content d’abriter de nombreux animaux, il peut être aussi la résidence de fées (cf. La fée chevrière dans « l’homme voilé »). Cet arbre était par ailleurs un des sept arbres sacrés du bosquet des druides[3].

 Ce conte fonctionnant comme un conte-formulaire a éveillé mon attention sur cette formule répétée par Grand cheval-volant et j’ai trouvé dans celle-ci une résonance évangélique. Peut-être allez-vous trouver mon écho tiré par les cheveux…

Jean, 21.15-19 : Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime » et Jésus lui dit alors : « Pais mes agneaux. » Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. » Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis. » Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M’aimes-tu ? » Et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t’aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira où tu ne voudrais pas. » Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu, et sur cette parole il ajouta : « -Suis-moi. »

 Revenons à notre conte.

Alors le grand cheval-volant parla :

« Dragon Doré, m’aimes-tu ?
Oui, je t’aime mon grand cheval-volant.
Dragon Doré, si tu m’aimes, couche-toi sous ce chêne, et dors. Moi, je ferai sentinelle. Dors, jusqu’à ce que je t’éveille. Alors, tu auras des nouvelles de la Demoiselle et du Maître de Nuit. » Une deuxième fois, le Grand cheval-volant interrogea :

« – Dragon Doré, m’aimes-tu ?
– Oui, je t’aime, mon grand cheval-volant. Bien souvent, tu m’as fait service, et tiré de peine à la guerre.
– Dragon Doré, si tu m’aimes, jure-moi, par ton âme, que tu ne me troqueras jamais contre une autre bête. Jure-moi, par ton âme que tu ne me vendras jamais, ni pour or, ni pour argent.
– Mon grand cheval-volant, je te le jure par mon âme. »

 Une troisième fois, le Grand cheval-volant parla :

« – Dragon Doré, m’aimes-tu ?
– Oui, je t’aime, mon grand cheval-volant. Bien souvent, tu m’as fait service, et tiré de peine à la guerre. Je t’ai juré, par mon âme, que je ne te troquerai jamais contre aucune bête. Je t’ai juré, par mon âme, de ne te vendre jamais, ni pour or, ni pour argent.
– Dragon Doré, couche-toi sous ce chêne, et dors. Moi, je ferai sentinelle. Dors, jusqu’à ce que je t’éveille. Alors, tu auras des nouvelles de la Demoiselle et du Maître de la Nuit. »

 Une quatrième et dernière fois, le Grand cheval-volant demanda :

« – Dragon Doré, m’aimes-tu ?
– Oui, je t’aime mon grand cheval-volant. Bien souvent, tu m’as fait service, et tiré de peine à la guerre. Je t’ai juré par mon âme, que je ne te troquerai jamais contre aucune bête ? Je t’ai juré, par mon âme, que je ne te vendrai jamais, ni pour or, ni pour argent.
– Dragon Doré, jure-moi, par ton âme, que jusqu’à ma mort, et pour tant que je mange le foin, le son et l’avoine ne me manqueront jamais.
-Mon grand cheval-volant, je te le jure par mon âme.
-Bon. Et maintenant, Dragon Doré, commande aux valets d’écurie de m’apporter sept sacs d’avoine, et de me tenir prête toute l’eau qu’il me faudra. Dans une heure, moi et toi nous serons partis pour un grand voyage. Tandis que je bourre ma panse, toi, va-t-en courir en ville. Achète une livre de poix chez un cordonnier, une aiguille d’or chez un orfèvre, et reviens au grand galop. »

Le Grand cheval- volant en tant que guide, comme Jésus, se montre ici omniscient : il connaît l’avenir et l’anticipe. Comme Jésus, encore, il demande à son interlocuteur de préciser ses sentiments, de pratiquer une recherche intérieure pour l’aider à mieux se connaître et à éveiller son esprit. L’Amour dénué d’intérêt, sans volonté de posséder l’autre ou ses biens (l’Agapè du héros) est ici comme pour les héroïnes de « La Belle et la Bête » et de « La légende de l’herbe bleue » mise à l’épreuve à l’aune de l’avancement dans la quête personnelle. Il est important de noter que ma mise en parallèle sur l’Amour ne peut aller très loin ; le conte est fortement empreint de la vision judéo-chrétienne : le héros fait plusieurs serments à son guide, et de plus jure par son âme afin de souligner l’importance de ces serments. Un cathare ne pratiquera jamais aucun de ces deux rites !

Si, enfin, l’on « dépouille » le Grand cheval-ailé de ses artifices merveilleux, étant donné le caractère versatile des humains à l’égard des animaux, on peut comprendre qu’il tente de s’assurer gîte et couvert pour ses vieux jours (cf. Les musiciens de la fanfare de Brême).

Les lieux du conte.

En « se baladant » dans les contes de J-F . Bladé, certains de ces lieux nous deviennent familiers :

– Le Bois de Ramier abrite cette fois la maison du Diable. Cette maisonnette lui sert de première prison pour cacher la Demoiselle.
– Le château de La Mothe-Goas est situé dans l’ancien comté compris entre Lectoure et La Sauvetat.
– Le ruisseau de Lauze, qui berce les pleurs de la Demoiselle, est un petit affluent du Gers.
– Pour accéder aux deux dernières prisons de la Demoiselle, les voyages seront tout autres.
– La deuxième épreuve se situe une nouvelle fois au-delà de « la mer grande, grande » pour marquer les difficultés croissantes. Cette mer souvent présente dans les contes de Bladé est le symbole de l’épreuve qui pousse nos héros et héroïnes à se dépasser, et à sortir « différents » un peu comme dans un rite de passage. La récompense vient alors, ici sous la forme d’objets magiques qui permettent la réussite de la dernière entreprise. La tour, sur la cime d’un rocher, construite d’or et d’argent n’est pas sans nous rappeler les prisons dorées de la Belle, et de l’épouse du Corbeau.
– Pour la dernière épreuve, le conteur n’hésite pas à nous envoyer dans les étoiles. La quête est alors au sommet de la spiritualité. Les Trois Bourdons désignent le baudrier d’Orion[4].

Quant à la ville de Bordeaux, elle semble ne représenter qu’une étape pour collecter les objets magiques : La poix, pour confisquer l’ouïe au prince, l’aiguille d’or pour lui confisquer la parole. Le chemin cathare apparaît clairement. Pour gagner en esprit, il s ‘agit de « dompter » ses sens.

La quête du héros.

 Si elle semble classique au départ [il s’agit pour le prince de libérer sa belle], elle s’avère néanmoins être singulière, ne serait-ce que par le choix des référents mythologiques et spirituels.

L’épreuve spirituelle tout d’abord ; l’interdit à ne pas transgresser (plus souvent réservée aux héroïnes (Le Petit Chaperon Rouge, Barbe Bleue, La légende de l’herbe bleue…) nous emmène sur le chemin cathare. Il s’agit pour le héros de nier l’influence de ses sens afin de continuer son chemin sans chuter comme lors des deux premières fuites. Il fuit le Mal qui est censé être bien plus fort que lui, le temps de la nuit, et le Mal bien sûr utilise ses armes les plus efficaces, à savoir les sens trompeurs de notre âme mondaine qui provoquent faiblesses et échecs. Il persécute la Demoiselle, lui inflige des souffrances physiques afin qu’elle appelle son promis à l’aide et le pousse ainsi à la faute, il la terrorise en sortant son épée pour lui laisser croire qu’il va tuer son chevalier alors que son sadisme n’est pas pressé d’en finir. La menace du Diable est très claire : « Jusqu’à la pointe de l’aube, j’ai pouvoir de vous tourmenter. Dis un mot, retourne-toi vers ta belle, je l’emporte ; et tu ne la retrouveras jamais, jamais. » Il s’agit donc d’un double interdit : ne pas parler à son aimée, ne pas la regarder. Les deux premiers échecs de fuite étant analysés, il est temps de prendre la décision qui évitera un nouvel échec. Soumis encore à la mondanité de son âme, il faut donc trouver le moyen de la faire taire ; la solution, bien que provisoire est spectaculaire et quand même violente. Mais je pense en fait que la méthode importe peu, ce qu’il faut retenir c’est qu’avec une détermination et une foi infaillibles chacun, face aux difficultés apparemment infranchissables, peut finalement trouver une solution. Le prince ne manque de courage dans aucun de ses combats face au Diable : « Alors, il tira son épée, et frappa sans peur ni crainte », ou encore « D’un grand coup de pied, le Dragon Doré brisa la porte. » Vainqueur dans chacun de ses combats physiques « Tous deux tirèrent leurs épées, et firent bataille. Enfin, le Dragon Doré porta son ennemi par terre. », c’est dans la fuite du Mal, (alors métaphore de son propre avancement dans le Bien) que le prince trébuche plusieurs fois, comme tout cathare sur son chemin.

Cet interdit s’inspire du magnifique mythe d’Orphée et Eurydice que je prends grand plaisir à vous rappeler ici.

Apollon, dieu grec de la musique, offrit à son fils Orphée une lyre. Celui-ci jouait si bien qu’il surpassait même l’habileté de son père. Lorsque Orphée jouait, les objets qui l’entouraient prenaient vie tant sa musique était envoûtante. C’est en jouant de sa lyre dans un bois qu’Orphée attira la belle nymphe Eurydice. Amoureux, ils se marièrent mais leur bonheur fut de courte durée, interrompu par la disparition tragique d’Eurydice, tuée par un serpent venimeux. Orphée perdit alors le goût de la vie et de la musique. Mais, non résigné, il décida d’aller chercher sa bien-aimée aux Enfers. Charmant avec sa musique les défenseurs des lieux, il réussit à obtenir une audience avec le dieu des Enfers, Hadès tombé lui aussi sous le charme. Ce dernier lui permit de ramener Eurydice à la vie sur terre à condition qu’il respectât une règle : il ne devait pas la regarder avant qu’ils ne fussent tous deux de retour au pays des vivants. On sait bien que la cruauté de ces dieux-là pouvait égaler les pires noirceurs du Diable. Arrivé à la surface, Orphée, heureux se retourna pour embrasser enfin Eurydice lorsqu’il se rendit compte qu’elle n’était pas sortie totalement des Enfers. La règle transgressée, la punition ne se fit pas attendre : Eurydice disparut à jamais. Cette tragique belle histoire symbolise l’amour intense et les limites que les humains sont prêts à franchir pour le garder.

Le temps du conte.

Le temps ne peut être ici étudié de la même manière que dans d’autres contes. Si l’on nous précise que le prince suivit sa formation militaire pendant trois ans auprès de son roi, le temps va ensuite se dérouler à toute vitesse, à l’image du Grand cheval-volant. Il s’agit de fuir le Mal, et malgré les compétences hors pair de notre cheval, le héros et sa belle sont de simples humains bien fragiles qui chutent par deux fois. La délivrance de la belle puis la fuite effrénée se succèdent alors sans temps d’arrêt. Les pauses, les parenthèses philosophiques et spirituelles sont suggérées par les formules répétées de Grand cheval-volant, dans son questionnement sur l’amour, et, dans celles serinées du Maître de la Nuit, comme une réponse en écho négatif sur l’amour impossible.

Le Grand cheval-ailé : « Dragon Doré, m’aimes-tu ? […] Dragon Doré, si tu m’aimes, jure-moi, par ton âme […] »

Le Maître de la Nuit : «  […] Jusqu’à la pointe de l’aube, j’ai pouvoir de vous tourmenter. Dis un mot, retourne-toi vers ta belle, je l’emporte ; et tu ne la retrouveras jamais, jamais. »

On peut relever aussi que pour exprimer le temps les adverbes et locutions adverbiales ont été choisis avec minutie. On l’a vu, les voyages pour libérer la belle de sa prison et les fuites qui s’en suivent se passent toujours la nuit, temps réservé au Mal, ici Maître de la Nuit, temps de l’obscurité et qui peut connoter aussi le Néant, temps du fini, comme on le voit au dénouement. Les seules expressions choisies et paraphrases, qui dénotent un temps un peu plus long, ajoutent à la poésie du conte : « entre le coucher et le lever du soleil », « avant la pointe de l’aube », « jusqu’au lever du soleil », « jusqu’à sa mort »…

 Mais si ce temps appartient surtout au Mal, malgré son nom prétentieux il n’en est pas vraiment le maître incontesté. En effet, on l’a vu, les bêtes de la nuit dont les humains se méfient souvent, ne sont pas forcément ce que l’on veut croire ; la preuve, ces hiboux et chouettes qui en devisant révèlent de précieuses informations à nos héros dans leur quête. « Ces bêtes qui savent tout ce qui se passe chaque nuit » « devisaient à la cime du chêne ». Les expressions du temps connotent alors la douceur et la civilité : « les effraies menaient toujours leur sabbat, et devisaient, tant que la nuit durait encore ». La nuit, Bien et Mal sont possibles.

Les adverbes dans la bouche du Maître de la Nuit sont tranchants comme des lames, comme pour affirmer peut-être un pouvoir pas si certain : « … et tu ne la retrouveras jamais, jamais. »

 Le point d’orgue se situe, bien sûr, au lever du soleil : «  Jusqu’au lever du soleil, il fit sans se retourner, bataille contre le Maître de la Nuit et tous les Diables de l’enfer. Alors, ce méchant monde s’évanouit comme une brume. »

« jamais » connotait bien le néant d’être du Mal qui devient effectif à « la pointe de l’aube » lorsqu’il disparaît comme une brume, suivi de tous ses démons.

Pour tenter une belle conclusion, je ne peux résister au désir de citer cette enchanteresse phrase cathare chère à Guilhem : « Si le Mal est vainqueur dans le temps, le Bien est vainqueur dans l’éternité. »

Chantal Benne


[1] Les premiers exemples de telles unités remontent à l’Antiquité avec les Dimaques d’Alexandre le Grand ou les Alamans. Au Moyen-Âge, le dragon était considéré comme le symbole de la puissance et de la vaillance, deux qualités qui le rendent invulnérable. C’est ce qui explique que de nombreux chevaliers l’aient placé dans leurs armoiries.

[2] Le cheval ailé divin, généralement blanc, avait pour père Poséidon. Son frère Chrysaor et lui étaient nés du sang de la gorgone Méduse, décapitée par Persée. D’après les poètes gréco-romains, il monta au ciel après sa naissance et se mit au service de Zeus, qui le chargea d’apporter les éclairs et le tonnerre sur l’Olympe. Capturé par Belléphoron, un roi de Corinthe, il aida ce dernier à vaincre la Chimère. Plus tard, il retrouva Zeus qui le transforma en constellation du même nom.

[3] Chez les Celtes, le chêne était un des sept arbres sacrés du bosquet des druides avec l’aulne, le bouleau, le houx, le pommier, le saule et le noisetier.  Le bosquet des druides était un lieu religieux, magique et initiatique, un temple rituellement organisé consacré aux divinités qui parlaient dans leurs branches.

[4] La ceinture du baudrier d’Orion est l’un des astérismes les plus connus. Les astérismes sont ces figures remarquables dessinées par des étoiles particulièrement brillantes. Ce baudrier est composé de 3 supergéantes bleues, Alnitak, Alnilam, Mintaka, point de repère du ciel nocturne et objet de nombreuses références mythologiques et religieuses.