Les convergences de la science et de la religion

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Les convergences de la science et de la religion

À l’heure où l’on voit des groupes religieux nier les arguments que la science tire de ses recherches, et chercher à imposer à tous — et notamment aux enfants scolarisés — ce négationisme. Il me semble intéressant de voir si l’on peut rapprocher ces deux sœurs ennemies que sont la science et la religion.

Les origines de l’Homme

La théorie de Darwin sur l’origine de l’Homme est au cœur des luttes les plus violentes qui ont lieu entre les tenants du créationisme et ceux de l’évolution. Même si les premiers cherchent parfois à trouver des arrangements pour expliquer la création en six jours et si les seconds cherchent à minorer certains éléments de la théorie darwinienne pour apaiser le débat, il n’en reste pas moins qu’entre les quelques centaines de milliers d’années des premiers et les millions d’années des seconds le différentiel reste impossible à combler.

N’étant pas spécialiste du sujet, j’ai donc étudié un peu les documents expliquant l’état des connaissances qui, à ce jour, situent l’Homme dans l’évolution générale de la Terre.

Toumaï, le premier ancêtre ?

Il y a six à sept millions d’années, l’animal qui vit encore majoritairement dans les arbres semble avoir décidé de se redresser sur ses pattes arrière de façon durable. Parmi les motifs invoqués, le fait que la zone extra-forestière était composée de savanes herbues qui masquait l’approche de prédateurs, pourrait bien expliquer ce choix qui étend sensiblement le champ de vision, donc la capacité d’anticipation. Ce redressement, bientôt accompagné d’un déplacement sur les pattes arrière inaugure la bipédie qui semble être reconnue comme l’élément majeur du passage de l’animal à l’Homme. Pour autant, cet être particulier n’est guère de l’animal qui le précédait. Il vit majoritairement dans les arbres et limite sa sociabilité à un groupe nucléaire soumis à un seul maître.

Lucy et les australopithèques

Entre quatre et 2,5 millions d’années, les hommes progressent et commencent à tailler grossièrement des outils. Mais nous connaissons aujourd’hui des animaux capables de produire un outillage utile à leurs obligations, notamment alimentaires. C’est une évolution mais pas une révolution quant à l’émergence d’une humanité. Par contre, le passage d’un régime végétarien, parfois agrémenté de quelques insectes et petits mammifères facilement récupérables à une alimentation plus variée, incluant de la viande issue essentiellement de charognes disputées à d’autres prédateurs, peut expliquer les progrès de cette période. En effet, la viande a pu permettre de libérer du temps, auparavant occupé à l’alimentation végétale moins énergétique, ce qui aurait facilité l’apprentissage et l’étude qui, eux même combinés à une alimentation plus riche, ont pu faciliter la croissance cérébrale.

Homo habilis

Il n’est pas étonnant que cette évolution se soit encore accélérée dans la période suivante évaluée entre 2,5 et un million d’années. L’alimentation carnée s’améliore par la récupération d’animaux tués en profitant des éléments naturels (crevasses, falaises, etc.), mais il est vraisemblable qu’elle devait se limiter essentiellement à la consommation des éléments les plus facilement assimilables, comme les viscères. En effet, les muscles non faisandés d’animaux toujours en mouvement, devait s’avérer particulièrement difficile. Les chercheurs considèrent que cette période est aussi celle de l’apparition d’un langage structuré.

Homo erectus

Dans l’imagerie populaire de l’homme préhistorique, c’est bien cette époque qui est la plus marquante. De 1,5 millions d’années à environ 300 000 ans avant notre ère, l’homo erectus, particulièrement connu par la figure mythique du sud de la France appelée Homme de Tautavel, va pousser les choses beaucoup plus loin, d’abord en découvrant et maîtrisant le feu et ensuite en organisant de façon plus efficace la chasse. Pour autant son comportement social évolue peu. Il reste relativement isolé de ses congénères qu’il ne semble fréquenter qu’en fonction de ses besoins, et notamment de la chasse. Tout en restant très prudent quant à la qualité scientifique de cette œuvre, le roman La guerre du feu, montre bien que les autres hommes sont considérés comme aussi dangereux que les prédateurs animaux. Le feu est certainement, avec les premiers outils taillés, un support de la rivalité mimétique majeur. Il est possible que le recours à la cuisson des aliments ait permis à l’homme de l’époque de consommer enfin les muscles des animaux.

Homo néanderthalensis et Homo sapiens

L’homme de Néanderthal, représenté par Abel, aurait vécu entre 330 000 ans et 30 000 ans avant notre ère. Il a largement contribué à l’expansion territoriale de l’humain sur la planète et a fortement progressé dans la capacité de l’humanité à dominer son environnement. Cependant, il est davantage considéré comme le dernier de la lignée des singes que comme un homme moderne, en raison de son aspect physique encore largement adapté aux problématiques environnementales, et aussi parce qu’il va côtoyer pendant plus de 150 000 ans une autre espèce, plus ou moins compatible génétiquement, qui elle a tous les attributs de l’homme moderne et dont nous sommes d’ailleurs les descendants directs. Il s’agit de l’Homo sapiens, notamment illustré par l’homme de Cro-Magnon et par le chasseur retrouvé dans la glace, Otzi.

Pourtant il se produisit, à la fin de la période d’existence de la lignée des hommes de néanderthal, entre 40 000 et 36 000 ans avant notre ère, un phénomène remarquable, que personne ne semble avoir cherché à explorer finement.

Sans que mes lectures succinctes ne m’aient permis de l’attribuer précisément à l’un ou l’autre des groupes précités, l’apparition de la sépulture des morts est une vraie révolution dans l’évolution de ces hommes. En effet, elle apparaît dans une période où les deux groupes ont largement eu le temps d’évoluer, les néanderthaliens sont même au crépuscule de leur existence, et elle va modifier sensiblement le comportement social des Homo sapiens, sans que l’on puisse comprendre ce qui la motive et ce qui l’a provoqué.

Elle signe pour la première fois un changement radical dans le fonctionnement cérébral de l’homme, jusque là entièrement dévoué à sa survie et à l’amélioration de ses conditions de vie. Elle va le conduire à se développer sur deux plans totalement différents : la vie concrète et la spiritualité abstraite. En effet, il ne peut y avoir de sépulture des morts, auparavant abandonnés dans le fond des cavernes — quand ils n’étaient pas consommés par les survivants —, sans l’émergence d’une pensée abstraite projetant le conscient dans un concept d’après vie, d’au-delà par définition inconnu et insondable, du moins en apparence. Et elle va être le début d’une cascade d’événements dont nous retrouvons l’explication dans le travail de René Girard[1] sur la gestion du conflit mimétique. Citons les peintures rupestres et l’élevage qui d’après lui signent l’évolution de la religiosité introduite à l’occasion du regroupement des familles nucléaires en communautés plus larges. Ce regroupement a provoqué l’émergence d’une exacerbation du conflit mimétique entre les mâles dominants de chaque cellule faisant partie du regroupement et aurait amené le groupe à imaginer une autorité transcendantale — donc inatteignable en terme de compétitivité — qui aurait édicté des règles comportant des interdits (tabous) et des règles visant à réduire ou calmer les épisodes conflictuels (rituels) et que le groupe aurait honoré par des offrandes imposées par les premiers entremetteurs entre l’homme et la (ou les) divinités, les chamanes. Si, comme le dit très bien René Girard, cette première forme de religiosité est d’ordre fonctionnel, la divinité instaurant des règles de vie avec récompense et punition, qui finira d’ailleurs par se transposer dans les religions futures qui disposent également d’un recueil de lois (Torah, Coran, Ancien Testament) et même dans la société civile (code d’Hammourabi pour le plus ancien que nous connaissons), elle ouvre la voie au questionnement de son origine physiologique. Qu’est-ce qui a changé en l’homme pour qu’il acquiert tout à coup cette capacité à se projet dans l’inconnu ?

De l’homme à l’humain

Je ne reprendrais pas ici le titre de mon livre, Du singe debout au roseau pensant, mais je souhaite que l’on comprenne bien mon propos. Dans une période tardive dans la vie de groupes humains qui avaient donc déjà eu largement l’occasion de progresser dans leur évolution personnelle et sans que rien ne puisse l’expliquer, comme un cataclysme ou un changement climatique, une compétence inédite et inconnue jusque là est venue apporter à ces hommes un élément dont rien a priori ne permet de dire qu’il constituait alors un véritable progrès. Il faut même se demander, si dans le monde où ils vivaient, ce n’était pas une sorte de handicap.

C’est là où l’on pourrait s’interroger sur les divergences entre science et religion. Si l’on en croit les religions du Livre, Dieu aurait tout créé sur cette Terre depuis son origine et il aurait aussi créé l’homme d’une pièce, déjà évolué tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Pourtant, on peut discerner quelques éléments étonnants dans cette apparente certitude. Prenons par exemple l’Ancien Testament, notamment la Genèse qui figure donc aussi dans la Torah juive.

Au chapitre premier nous est décrit la création par Elohim de l’univers tout entier. Au verset 28, Elohim crée l’homme et la femme de sa simple volonté et à son image. Mais au chapitre suivant, on passe en quelques phrases de Elohim à Iahvé Elohim, ce qui peut surprendre et au verset 7, nous ne sommes plus dans une création ex nihilo, comme précédemment, mais dans un façonnage artisanal à partir de la poussière du sol (boue) qui s’anime par la transmission d’un souffle.

Tout cela intrique fortement. Comment des auteurs, certes différents comme l’attestent les chercheurs, ont pu ne pas se mettre d’accord sur l’appellation divine ? Rappelons que Elohim est un pluriel quand Iahvé est un singulier. Ce n’est pas si anodin que cela. Il semble qu’à l’époque où le judaïsme naissant à créé le monothéisme il a pu demeurer fortement influencé par le polythéisme généralisé de l’époque. Cette habitude persistera encore longtemps, y compris dans le christianisme des cinq premiers siècles de notre ère au moins. Au-delà de cette problématique, se pose celle de la double création de l’humanité et de la grande divergence entre cette pure création du premier chapitre et ce « bricolage » du deuxième chapitre. D’autant que l’homme et la femme initialement créés sont investis par Elohim d’un pouvoir de régence sur toute la création et que cela semble aller de soi. Par contre, l’homme créé au deuxième chapitre est un être unique, animé par un souffle et immédiatement installé dans le jardin d’Eden où il lui sera donné secondairement une compagne, créée elle aussi de la même matière à ce qu’il semble.

Comment pourrions-nous comprendre ces divergences ? Personnellement, j’imagine que la première création est dans la lignée de ce qui la précède. Elohim crée un être doté d’une capacité à gérer le reste de sa création. Dans le chapitre suivant Iahvé Elohim crée un être dans lequel il apporte un élément extérieur et, au lieu de la laisser aller sur l’ensemble du territoire, il lui crée également un lieu de vie apparemment protégé du reste de la création. Cela pourrait ressembler à une prison.

Et si la Bible contenait une explication cathare ?

Si je lis cela à la lumière de ma conscience de croyant cathare, je suis surpris d’y retrouver des éléments qui ne me choque pas et qui pourrait même s’expliquer à la lumière de la cosmologie cathare.

Comme je l’explique dans mon livre, les cathares considèrent que la Mal, soit directement, soit plus vraisemblablement par l’intermédiaire d’une de ses créatures, le démiurge souvent associé au terme diable, aurait tenté de créer quelque chose de comparable à la création divine qui émanant du Principe du Bien était comme lui dotée de l’Être et parfaite. Ne parvenant pas à réaliser quelque chose d’approchant, il aurait alors dérobé une partie de cette création divine pour l’enfermer dans la sienne. Cet enfermement des esprits saints prisonniers se fit par l’intermédiaire d’une prison particulière, les corps humains appelés aussi corps de boue ou tuniques d’oubli.

Reprenons maintenant notre lecture. Dans le chapitre premier, l’homme créé est conforme au reste de la création et il y est à son aise et y agit conformément aux vœux de son créateur, le démiurge, puisque pour les cathares c’est lui le créateur de ce monde. Ensuite, une entité individualisée, Iahvé Elohim, peut-être un des membres de la pluralité Elohim précédemment citée, façonne un corps de boue et y introduit quelque chose, un souffle, qui l’anime et lui donne une réalité concrète. Immédiatement il l’enferme en un lieu protégé du reste de sa création où tout est merveille et harmonie à quelques exceptions notables que l’épisode suivant révèlera et dont je me suis déjà fait le critique, comme cela figure en annexe de mon livre. Cela ressemble fortement à l’idée cathare d’un esprit saint capturé et introduit dans une enveloppe provenant de l’ingénierie du Mal. Son enfermement dans le jardin d’Eden devient alors compréhensible par souci de se donner le temps de l’acclimater à ce milieu hostile pour lui et peut même être une métaphore de son propre enfermement dans cette création maline.

Transposé dans l’étude de l’évolution de l’Homme que je vous ai proposée au début de ce travail, la première création pourrait très bien être celle ayant abouti à l’évolution de Toumaï à Cro-Magnon, alors que la seconde pourrait faire penser à l’apparition d’un élément supérieur ayant conduit à l’apparition de la faculté d’abstraction de l’homme néolithique et à la mise en place de pratiques cultuelles.

Pour le coup, science et religion semblent pouvoir cohabiter plus aisément, du moins si l’on pense que la cosmologie cathare est plus cohérente que celle des religions du Livre. Mais cela relève de votre propre approche spirituelle et scientifique.

Éric Delmas – 11/11/2014


[1]. René Girard, « Des choses cachées depuis la fondation du monde ». Éditions Grasset & Fasquelle 1978 (Paris).

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