Le tympan de Perse et les cathares
L’auteur, qui fait suivre son nom (P. Blanc) des lettres s. j. (Societatis Jesu) qui désigne l’ordre des Jésuites (Compagnie de Jésus), revient dans le Bulletin d’Espalion du 7 juillet 1967, sur des publications antérieures faites par lui dans lesquelles il émettait l’hypothèse d’une “contamination cathare” du tympan de l’église de Perse d’Espalion (Aveyron, France).
Il se réfère à des auteurs plus ou moins réputés comme le chanoine Delaruelle et l’historien Gérard de Sède pour mettre en avant le caractère clandestin, la duplicité foncière et la volonté de nuisance de la religion cathare et de ses adeptes. Il en profite pour rappeler les liens entre les troubadours et les cathares et le vraisemblable usage de cet art pour transmettre le message spirituel cathare.
Considérant le tympan de Perse, il écrit :
« Qu’il pose une énigme, nul ne peut le contester. Qu’il est un assemblage difficile à expliquer ; c’est patent. Emile Male dans son livre bien connu « L’art religieux au XIIe siècle en France » (éd. Colin Paris p. 415) note, en parlant de Perse : « Le jugement dernier est bizarrement associé (sic) à une descente du Saint-Esprit.
L’ouvrage de renom « Rouergue roman » sous la plume du professeur en Sorbonne Georges Gaillard dont la compétence est indiscutable y voit une œuvre tardive « mêlant sans discernement le souvenir de plusieurs œuvres diverses, imparfaitement interprétés.» (p. 200)
Je veux bien admettre que l’artiste du tympan de Perse était un pauvre tâcheron sans envergure… Toutefois, ne faudrait-il pas avant de s’y résoudre, ne pas rejeter à priori tout autre solution : à commencer par celle d’un symbolisme cryptogramme ?
Le haut du tympan représente bien une descente du Saint-Esprit, avec la Vierge au milieu de dix apôtres seulement qui l’entourent. Ces dix apôtres tiennent chacun un phylactère où est inscrit son nom. La Vierge non. Or, les registres de l’Inquisition toulousaine nous apprennent que pour les cathares Notre-Dame n’avait jamais été un être humain[…] mais le symbole de leur église[…]. Elle est, précisaient-ils dans les interrogatoires : une image de la chasteté qui libère les Parfaits de la secte des servitudes du corps et leur restitue leur dignité originelle de fils de l’Esprit.
Or, pour devenir cathare, il fallait recevoir le Saint-Esprit que Saint Jean nomme Paraclet, c’est à dire Consolateur. Pour les disciples de la secte, ce baptême par le feu (qui s’opposait au baptême catholique par l’eau) avait nom de consolament. Il constituait aussi une ordination puisque “le consolé” qui le recevait avait pouvoir de délier les pêchés, de chasser les démons et donner à don tour le consolament.
Le Paraclet descendant sous forme de feu sur dix apôtres (seulement) et Notre-Dame ne serait-il pas, en réalité, l’apologie de l’Eglise cathare et de son consolament qui fait des Parfaits les vrais apôtres ? D’autant plus que le soleil et la lune qui s’ajoutent à cette bizarre Pentecôte n’est pas ici bien à sa place. »
Il ajoute :
« Le Christ en majesté, de Conques ( et de maints tympans d’églises médiévales) comporte en exergue le soleil et la lune en signe de souveraineté de cosmocrator, mais ici ? Ne serait-ce pas plutôt un rappel voilé de l’appartenance indéfectible à Raymond, comte de Toulouse, dont le sceau proclame aussi qu’il est le roi du monde en le représentant assis sur un trône entouré de la lune et du soleil ? Pour les initiés c’était la façon de proclamer le triomphe du catharisme (la “troisième venue” du Paraclet) malgré les assauts répétés contre les comtes de Toulouse, âme de la résistance !
Quant à la scène du Jugement dernier de perse, ce n’est pas à proprement parler un Jugement dernier. Il y a là le pèsement des âmes, avec l’Enfer pour les méchants indiscutablement et un semblant de Ciel pour les bons avec Jésus-Christ. On peut très bien justifier que c’est exactement la traduction des affirmations du concile de Latran en 1213 contre les Albigeois. Mais pour les cathares l’essentiel était de nier non pas cela mais ce Jésus, bien réel qui s’est proclamé à la face de Caïphe vrai Dieu et vrai homme. Celui-là précisément que nous voyons en majesté, au centre de l’image des tympans du moyen-âge.
C’est ce que le catharisme abhorre : “ Si Dieu n’avait créé mille âmes que pour en sauver un petit nombre, s’écriera un certain Pierre Garsias, malgré sa peur de l’Inquisition, je déchirerais ce dieu-là avec mes ongles et mes dents et je lui cracherais au visage car il ne serait qu’un trompeur. ”
Le monde est à leurs yeux, l’œuvre de Satanas “Le Grand Arrogant” malin quoique intelligent : un démiurge “Jamais Dieu n’est venu revêtir notre chair mortelle dans le sein de la bienheureuse Vierge” s’entête à répéter une certaine Raymonde Bézéra et bien d’autres. Pour les cathares, la mission de Jésus c’était de révéler aux hommes qu’en adorant le Créateur c’est en réalité au démon qu’ils rendaient hommage à leur insu. »
Il conclut ainsi :
« À Perse, Jésus ne juge pas les âmes, il est relégué dans un nimbe (j’allais dire dans un coin) entouré des symboles des quatre évangélistes. Il n’est plus qu’un symbole. Le Jugement et la Chute, comme la création se trouvent en dehors de Lui. Il ne s’en mêle même pas !
Par contre, est-il le Ciel ? Les anges de la voussure du tympan n’annoncent-ils pas bien mieux que la Parousie sonnera le triomphe définitif de l’Esprit ? Nous sommes là encore dans les vieilles angélomachies du gnosticisme conservées par les cathares.
Je joue le rôle de méchant Inquisiteur. Comment faire ? Il s’agit de découvrir ce qui est caché sous une œuvre un peut trop bizarre et disparate sans raison valable ! Mais, je ne dois pas être le premier à avoir l’esprit aussi mal tourné puisque, depuis des siècles, des gens d’Eglise ont fait placer près du tympan la scène de l’adoration des rois mages. Cette fois, la Vierge n’est plus que la servante du cosmocrator auquel l’humanité offre l’or pour reconnaître sa souveraineté, l’encens en hommage à sa divinité, et la myrrhe pour confirmer qu’il est homme : le véritable Dieu fait homme pour nous. L’orthodoxie était sauvée… et le tympan de Perse aussi, mais son mystère demeure. »
Malgré les outrances dans l’interprétation dues au statut catholique de l’auteur, ce texte met bien en avant les points essentiels de la doctrine cathare, à savoir le caractère symbolique des personnages du Christ et de Marie et le docétisme cathare.
Il remarque aussi que ses prédécesseurs judéo-chrétiens avaient maladroitement tenté de masquer cela en rajoutant une scène orthodoxe.
Voici un site sur l’art roman qui présente les sculptures de façon bien plus détaillée que les miennes.
Texte remis en forme d’après la version initiale du 15 janvier 2009.
Éric Delmas – 27/11/2011